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MÉDECIN n. m. (du latin medicus)

Le médecin est un homme parmi les hommes, un être exerçant la médecine et vivant au sein d'une société qui agit sur lui de toute sa puissance collective et sur laquelle il réagit dans la mesure de ses moyens individuels. En d'autres termes, il s'avère fonction du milieu qu'il habite, et modifie cette ambiance selon les possibilités, très souvent restreintes ou nulles, de sa propre personnalité. La société fait le médecin ; chaque époque de l'histoire a les médecins qu'elle mérite. Pour savoir ce que le médecin fut autrefois, est aujourd'hui, deviendra demain, il faut, et cela suffit, étudier le passé, examiner le présent, scruter l'avenir de la civilisation.

Tout de suite, il apparaît que, dans les premiers groupements ethniques entrés dans l'histoire, les médecins étaient les prêtres. Durant leurs primitifs balbutiements, l'art et la science évoluèrent dans le domaine du merveilleux ; et, à l'instar de toutes les spéculations intellectuelles initiales, la médecine s'affirme au début sacerdotale. La superstition voyait dans les maladies des manifestations maléfiques dirigées contre les hommes par les forces inconnues mouvant l'univers et craintes autant que vénérées sous le nom de dieux. Servants et bénéficiaires du culte mystagogique, les prêtres constituaient les intermédiaires obligatoires entre les patients et les puissances du mal. Partout, dans toutes les civilisations antiques de l'Inde, de l'Asie centrale, de l'Asie Mineure, de l'Égypte, de la Grèce, ils soignent par les paroles, les évocations, les incantations, les exorcismes, et aussi par les végétaux et le scalpel. En Grèce, avant la période hippocratique (460 av. J.-C.), la médecine se pratiquait dans les temples d'Esculape, ou asclépions. Le malade était déposé dans le temple, y couchait, recevait le plus souvent la visite du dieu, racontait au réveil les rêves inspirés, dont le prêtre donnait l'interprétation et tirait les formules de traitement. On conçoit aisément quel rôle la mystification et le charlatanisme pouvaient jouer dans cette mise en scène religieuse et cette enceinte sacrée.

Lorsque, par le développement de l'esprit humain, l'exercice de la médecine nécessita la connaissance d'une doctrine et d'une thérapeutique plus positives ; ainsi que celle d'un manuel opératoire précis, elle échappa à la main-mise de la caste des prêtres, ennemis professionnels de la pensée novatrice et de l'action efficace, pour passer à la classe laïque des philosophes, observateurs de la nature et facteurs de progrès. Hippocrate et ses élèves, son contemporain Platon et, à une époque postérieure (350 av. J.-C.), Aristote comptent parmi les plus illustres de ces médecins philosophes, dont les enseignements influencent encore la science médicale moderne.

La force matérielle et la conquête romaines, ruinèrent l'école philosophique ; et les premiers médecins de la république latine furent presque tous des esclaves ou des affranchis, émigrés des colonies grecques ou de l'Asie-Mineure et apportant avec eux une pratique grossière frelatée de thaumaturgie. Venu en 164 de Pergame à Rome, Galien se distingua parmi tous, sortit sa profession de l'ornière de l'empirisme Alexandrin, et fonda la médecine expérimentale par ses recherches anatomiques et physiologiques sur les animaux.

Depuis Galien jusqu'au Moyen-Age et durant celui-ci, la médecine se trouva entre les mains des Arabes, ensuite des Arabistes et de leurs fils spirituels, les Juifs, tous praticiens qui profitèrent de l'enseignement de Galien mais en l'amplifiant, le déformant et l'obscurcissant jusqu'à l'oubli de sa source même. Du VIIème au XVIème siècle, l'Europe Occidentale entière demeura tributaire de la science orientale arabe appliquée par des Juifs. Charlemagne avait pour médecins deux Juifs. À cette époque « le médecin à la mode est un étranger, un Juif ou un Maranne, pompeusement habillé, avec au doigt de nombreuses bagues d'hyacinthe, prononçant avec emphase des grands mots semi-barbares, grecs ou latins (Dr Meunier, « Histoire de la Médecine », p. 183). » À cette époque obscure et troublée, le médecin était donc un charlatan au profil sémite et à la bourse dorée.

Mais depuis le Xème siècle, l'Église catholique travaillait à gagner la toute puissance. Lorsqu'elle parvint à établir sa suprématie, elle condamna les Juifs et, sous peine d'excommunication, interdit aux chrétiens de se faire soigner par eux. Dès lors la médecine retomba entre les mains des prêtres, les seuls savants de l'époque. Les médecins étaient tous des clercs et, comme tels, astreints au célibat. Jusqu'à la fin du XVIème siècle, l'Église « garda la haute main sur les praticiens qui, orthodoxes ou non, devaient cesser leurs visites aux malades qui, au bout de trois jours n'avaient pas fait appeler leur confesseur (Conciles de Latran, de Tortose, de Paris). » Reflets de leur siècle, les médecins d'alors se montraient cafards et falots.

Dans son traité institué « Questions médico-légales », Paul Zacchias qualifie les médecins du XVIIème siècle en disant « qu'il n'y avait rien de plus sot qu'un médecin si ce n'est un grammairien ; qu'il n'y avait pas de bons médecins qui n'eussent de mauvaises mœurs ; bref, qu'ils avaient tous les défauts : envieux, querelleurs, bavards, irréligieux ; qu'ils étaient autrefois des esclaves, que ce ne sont aujourd'hui que des infirmiers ; qu'ils ne valent pas mieux que les sages-femmes ; qu'un satirique a eu raison de dire : medicus, merdieus, mendicus ». Sans souscrire de confiance à un tel jugement, on peut en inférer que les médecins du grand siècle arrivaient à l'étiage de leurs contemporains, qui pour la plupart étaient ignares, serviles, solennels et courtisans.

Le XVIIIème siècle marque la défaite du cléricalisme et le triomphe de la philosophie ou du moins des philosophes. De même qu'au moment de l'épanouissement de la pensée grecque, la caste sacerdotale voit s'évanouir son prestige moral sous le souffle de l'esprit critique, son hégémonie intellectuelle devant le rayonnement de la recherche scientifique. L'aristocratie entière, française et européenne, répond à l'appel de Voltaire, travaille à « écraser l'Infâme » et il déboulonner les Dieux. Si tous les médecins d'alors ne furent pas des Helvétius le Père ou des Cabanis, en bons enfants de leur siècle ils devinrent des esprits forts sinon des athées, et s'inspirèrent davantage de la physiologie animale que de la théologie humaine ou de la scolastique classique.

Fils de Rousseau, le XIXème siècle jucha l'homme sur le piédestal vidé de ses divinités. L'opinion se fit humanitaire, sentimentale, charitable. Un déisme vague se substitua à l'idolâtrie de naguère, et le culte nouveau compta de nombreux servants. Plus que tout autre, le médecin parut exercer une sorte de sacerdoce laïque auréolé d'apostolat. Il jouait le rôle de consolateur des affligés de misères physiques au-dessus des ressources de l'art. À l'exemple des prêtres des religions périmées, le nouvel officiant bénéficiait d'immunités civiles et militaires, de privilèges fiscaux tacites, jouissait des honneurs publics et privés, percevait des honoraires soustraits au contrôle et au marchandage. En revanche, il assumait la charge morale d'assister gratuitement les déshérités de la fortune. À l'image de son siècle, le praticien était romantique.

Quatre grandes caractéristiques sociales distinguent actuellement le XXème siècle : le développement mécanique, la prédominance du groupement, la prépondérance du chiffre d'affaires, l'absolutisme de la fiscalité d'État. Reflet plus ou moins pâle de son milieu d'action, le médecin d'aujourd'hui se trouve technicien, syndiqué sinon syndicaliste, attentif au rendement financier de son travail, patenté et imposé sur toutes les coutures.

Finis, le sacerdoce et l'apostolat. La société demande au médecin non de consoler, mais de guérir ; non de présenter une haute valeur morale et une miséricordieuse bonté, mais d'être compétent. Le malade n'a cure de paroles ni souci de boniments. Il veut être observé, palpé, percuté, ausculté, pesé, mensuré ; il réclame une analyse d'urine, l'examen de l'expectoration et du sang, le cathétérisme de tous ses conduits, la radioscopie et la radiographie de chacun de ses organes ; il requiert, à la conclusion, une intervention médicale ou chirurgicale rapide et efficace. Il ne souhaite ni attendrissement ni prières, mais exige un diagnostic et un traitement. Dès lors la médecine cesse d'être une profession pour devenir un métier.

La complexité de la tâche y impose, comme dans l'industrie, la division du travail et le recours à la spécialisation. La multiplicité des techniques, les particularité des groupes morbides, la diversité des thérapeutiques empêchent un homme d'en connaître et pratiquer à fond l'ensemble, l'obligent à restreindre son effort sur une partie bien délimitée de l'art médical. D'ailleurs, chaque jour davantage, le patient va de lui-même chez le spécialiste. Le médecin de famille, amical et vénéré, a vécu ; le technicien, impersonnel et impassible, lui succède.

Faisant œuvre de ses mains autant que de son cerveau, devenu « ouvrier », le médecin devait fatalement suivre le mouvement de concentration issu de la forme capitaliste de l'économie contemporaine, constituer son groupement professionnel en lui imprimant cependant ses caractéristiques propres. Composée de praticiens assurant à la fois la conception et l'exécution de leur travail, l'organisation corporative médicale tient tout ensemble du trust patronal et du syndicat prolétarien. À l'instar du premier, elle s'efforce à maintenir et consolide. son monopole de l'exercice de l'art de guérir ; comme le second, elle lutte pour une rémunération toujours plus large du labeur individuel. Le syndicat médical d'aujourd'hui est donc un groupement sinon d'appétits, du moins d'intérêts.

Une de ses tâches primordiales consiste en la sauvegarde du privilège légal de ses membres et la poursuite de l'immense légion des guérisseurs non patentés : rebouteurs, magnétiseurs, masseurs et infirmiers à prétentions doctorales. Le nombre de ces faux médecins augmente d'une façon incroyable ; et il n'y a plus de coiffeur pour hommes ou pour dames qui n'opère au hasard le traitement des affections de la peau et du cuir chevelu par les rayons ultra-violets. Les syndicats cherchent surtout à réprimer le préjudice matériel causé par des concurrents exerçant sans le diplôme d'État et par conséquent sans les préalables sacrifices pécuniaires nécessaires à son obtention. En réalité, le plus grand inconvénient ne se trouve pas là ; la clientèle ira de préférence au praticien officiel, s'il est dûment outillé. Le danger réside principalement dans le discrédit que les fautes et les erreurs des manipulateurs incompétents peuvent faire rejaillir sur des modes thérapeutiques inoffensifs et efficients quand ils sont administrés avec discernement par des gens du métier. La médecine est un art déjà bien difficile pour les initiés. Quelle source de périls peut-elle devenir entre les mains d'ignorants dont le seul crédit repose sur l'incommensurable crédulité publique !

Le relèvement des honoraires apparaît le second but Immédiat poursuivi par les syndicats médicaux. Ils suivent leur époque dans la marche à l'argent succédant à la marche à l'étoile, si tant est que celle-ci ait jamais prévalu. Le spectacle de l'enrichissement des négociants de tout ordre a déchaîné dans l'ensemble des corporations une émulation passionnée et agissante. Comment ! l'épicier, le marchand de vin du coin, sans apprentissage spécial, sans compétence technique, auront acquis une fortune rondelette en une dizaine d'année, tandis que le médecin de quartier, de ville ou de campagne aura peine à vivre bon an mal an au prix d'un diplôme difficilement obtenu et chèrement payé ! Nuit et jour sur la brèche, impuissant même à jouir sans inquiétude d'un loisir qu'il sait pouvoir lui être à chaque instant arraché, le praticien harassé devra se contenter d'émoluments à peine supérieurs à ceux d'un ouvrier qualifié à travail horairement limité ? Cette situation devenait intolérable pour les intéressés ; et leurs syndicats prirent à cœur de la modifier. À tort, à raison ? Le Dr de Fleury, académicien aimable et disert, trouve « les jeunes générations médicales un peu trop pressées d'en finir avec la médiocrité pécuniaire (« Le Médecin », p. 63, Hachette, 1927) ». En un siècle où l'argent est roi, comment les médecins ne se rangeraient-ils pas parmi ses humbles sujets ?

Pourtant, les préoccupations morales ne sont pas étrangères au corporatisme médical, comme le démontre son attitude actuelle en face de la loi française sur les Assurances Sociales. Les praticiens refusent leur collaboration au gouvernement tant que ne sera pas respecté le secret médical, assuré le libre choix de son médecin par le malade, sauvegardée la liberté de médication durant le traitement. Ils ne veulent pas laisser traiter les assujettis à la loi en personnes de deuxième ou troisième catégorie, auxquelles seraient refusées les garanties dont jouirait la clientèle bourgeoise. Ils entendent épargner aux déshérités de la fortune l'étalage de leurs misères physiques et mentales sur une masse inutile de papiers administratifs ; leur réserver la latitude de faire appel aux soins de qui a leur confiance ; leur voir donner le droit à tous les médicaments sans restriction ni considération de leur prix marchand : trois conditions de traitement rationnel et légitime que les projets de règlement jusqu'ici élaborés refusent au futur assuré. Enfin, pour éviter tout soupçon de connivence en vue de l'exploitation abusive des caisses d'invalidité, le médecin traitant demande à être honoré directement par le malade en lui délivrant un reçu d'après lequel l'administration calculerait la part légalement remboursable à l'intéressé.

L'âpreté au gain, remarquée complaisamment chez les médecins mais d'ailleurs commune à toute la génération actuelle, rencontre une justification dans l'âpreté concomitante du fisc. La saison des privilèges officiels est le passé ; la discrétion tutélaire et ancien régime des agents des contributions, un rêve évanoui. Le praticien paie toues les taxes imposées aux contribuables de marque : personnelle, mobilière, patente, impôt sur les bénéfices professionnels, sur le revenu global. L'échappatoire devient pour lui un sport difficultueux devant la ténacité et la curiosité des contrôleurs qui exigent la preuve flagrante de la sincérité des déclarations. Le gouvernement fouille les poches et les allège consciencieusement. Les clients à leur tour voient s'élever leur note d'honoraires dans une juste proportion. Le désintéressement miséricordieux de jadis a disparu. Quand viendra le temps des échanges fraternels ? Et quel est l'avenir du médecin ?

Son sort ne peut qu'être étroitement lié à celui de son siècle. Par le développement et la particularisation de ses techniques, la médecine subit une mécanisation progressive ; et chaque jour davantage le médecin deviendra le serviteur d'une machinerie, un véritable « ouvrier » ; d'une part ouvrier d'élaboration, de perfectionnement, de modification et de contrôle des techniques ; d'autre part ouvrier d'application et de commande des techniques. Le praticien fera figure de distributeur automatique ; le chirurgien de manipulateur de manettes d'embrayage et de débrayage. Ne voit-on pas les opérateurs commencer à utiliser des bistouris électriques ?

Comme ses contemporains le médecin de demain constituera un rouage d'une énorme mécanique sociale. 

‒ Docteur F. ELOSU.


MÉDECIN, MÉDECINE, MÉDICASTRE...

Les mauvais médecins sont ceux qui ont été investis par le jeu des bonnes relations de leurs papas « dorés » ou qui deviennent médecins pour satisfaire des traditions de famille ou de caste.

Pour ces parents, peu scrupuleux de l'idéal, peu importe la nature de leurs enfants à diplômer, coûte que coûte, au détriment de ceux sur lesquels ils s'exerceront sans humanité.

Les médecins, ni bons ni mauvais, sont ceux qui monnayent leur savoir ‒ ceux-là en ont ‒ sans plus s'occuper des causes pitoyables, nourrissant le mal dont ils vivent le plus largement possible.

Les bons médecins sont ceux qui instruisent le malade, mais seulement jusqu'où leur industrie commence.

Les vrais médecins sont ceux qui n'exercent pas ou n' exercent plus ou qui n'ayant jamais recherché le diplôme, malgré des études sérieuses et persévérantes, font de la médecine vulgarisatrice des secrets d'une santé se passant, à tout jamais, de la médecine, sans vivre de cet enseignement.

La médecine, telle qu'on l'enseigne dans les facultés, ne s'apprend que sur ce qui meurt et non pas sur ce qui vit.

Poursuivre le mal sur un terrain ensemencé d'éléments favorables à la maladie, à la dégénérescence, avec la chimie en ampoules, en flacons ou en cachets, alors que l'organisme est saturé de chimie organique virulente, corrodante, voilà à quoi se résume la science médicale contemporaine.

À l'École de Médecine, c'est comme à l'École Militaire : on y apprend à combattre, à guerroyer et non pas à secourir ou à pacifier.

Le médecin et le militaire possèdent, chacun, un arsenal et un laboratoire : deux choses dont la nature saurait se passer ;

Quand l'homme appelle le médecin, déjà la morbidité s'organise en lui, quelque part, où le mal fait son trou. Le médecin, lui, fera le sien propre dans la vie du « patient ».

Mais, insistons sur ce point : que c'est très probablement le malade qui a créé le médecin ; ce dernier, lui, a créé le « sens médical », ce qui fait dire : que n'ont besoin du médecin, que ceux voulant bien se donner la peine d'être malades ou de se croire tels.

Le chirurgien, quand il n'est pas un sadique de la vivisection et lorsqu'il ne mesure pas le morceau à couper avec les ressources probables de ses clients, est presque indispensable à l'humanité. Je dis ressources probables, car il n'y a pas de gens plus experts pour juger, d'après les « signes extérieurs et intérieurs », de l'état de fortune des gens, qu'un médecin ou un chirurgien. Quels admirables agents du fisc feraient ces messieurs !

Quant aux guérisseurs, ce sont des malins dont toute la... science consiste à savoir déplacer la mal ou à séparer, pour un instant, le malade de sa douleur.

Les guérisseurs procèdent du phénomène qui se produit, lorsqu'une personne, souffrant atrocement du mal de dent, voit sa souffrance se calmer, ou disparaître, en saisissant le pied de biche à la porte du dentiste.

C'est ce trouble humoral, ce trouble émotif, que les guérisseurs provoquent, pour guérir, à la petite semaine, des malades tout spéciaux qui, pendant le reste de leurs jours, restent de fidèles clients, malgré qu'ils soient ‒ selon leurs dires ‒ parfaitement guéris !

Quand le malade tient, consciemment ou inconsciemment, à sa maladie et qu'il a perdu confiance en la médecine ou lassé l'honnête médecin, quand il ne croit plus aux vaines et coûteuses « combines » des guérisseurs, on le voit se livrer aux littérateurs de la médecine qui feront métier de l'embarrasser, de plus en plus, à mesure que les livres s'ajouteront aux livres, et quels livres !

Livres que l'on achète sur le conseil intéressé des conférenciers subtils, ramasseurs marrons des clientèles d'officines d'hypnotiseurs professionnels ; livres qui conduisent de malheureux malades, pieds et poings liés, aux « psychothérapeutes » se refilant le client jusqu'à épuisement de ses ressources d'argent, de patience, de vie !

Les livres de médecine soignante ou de vulgarisation de la médecine officielle, quelle bonne blague... pour eux qui ne tiennent pas à être malades ou ne font rien pour le devenir !

Dans ces livres, la maladie y est traitée comme si elle ressemblait toujours à elle-même, cependant que, d'un malade à un autre, elle différencie de nature, d'intensité même, d'une heure à une autre.

Devant ce fait, à quoi sert toute cette littérature, dite de vulgarisation médicale ?

Un médecin est appelé au chevet d'un malade et diagnostique une affection toute autre que celle dépistée par un premier médecin appelé la veille ; cela s'explique facilement. Ces deux médecins ont raison tous les deux. Confrontez-les, ils ne s'entendront que si le consultant les garde tous les deux. Deux raisons s'offrent à expliquer cette attitude : la première, c'est qu'en quelques heures, ainsi que nous le disons plus haut, le mal peut changer de nature, se déplacer ; la seconde, c'est qu'un médecin qui revient d'une erreur, en face d'un client, est perdu vis-à-vis de ce dernier. On croit trop facilement que le médecin ne peut jamais se tromper et, de même, que la maladie ne le trompe pas.

Un médecin-naturiste (pourquoi pas des pharmaciens naturistes aussi ?) a demandé que chacun fasse son apprentissage de malade, pour être capable de se choisir un bon médecin ! C'est absolument comme si l'on demandait à quelqu'un de se faire cordonnier pour acheter de bonnes chaussures.

Chacun sait combien de défaites cela vaut, pour un électeur, de chercher à avoir un bon député ! Si, pour savoir se choisir un médecin, il fallait passer son existence à être malade, se laisser transformer en écumoire par les piqûres et les vaccins et s'ivrogner de médicaments jusqu'à se faire interner, les rôles de malade et d'électeur s'identifieraient, dans le plus grand supplice de la compréhension humaine.

Ce serait peut-être un moyen conduisant l'humanité vers la sagesse qui sait se passer de députés et de médecins ‒ ils sont souvent les deux à la fois ‒ par motif de suppression de leur nécessité, même quand ils se disent « naturistes ».

Laissons le médecin aux malades, plus ou moins volontaires et voyons l'hygiéniste à son rayon ; car, là encore, on tient boutique.

L'hygiéniste, quand il ne nous a pas indiqué cent produits de sa signature, avec des noms bizarres où il se reconnaît du reste à peine lui-même, nous aura comblés de littérature (lui aussi !) et de conseils, admettons-le, sages et désintéressés.

Il nous a dit : « Respirez profondément, ouvrez vos fenêtres la nuit, lavez-vous, chaque matin, le corps entièrement nu, à l'eau froide, portez des vêtements légers, fréquentez la campagne, la mer, la montagne, autant que vous le pourrez ». Mais, la consultation terminée, notre éminent hygiéniste s'entoure de plusieurs épaisseurs de flanelles (de sa marque), de tricots « spéciaux », de paletots, de pardessus, de trench-coats, puis s'engouffre dans le métro, ou dans sa limousine plus souvent, pour, de la journée, de la semaine, d'un mois à un autre, y être enfermé pour courir les adresses de ses clients ‒ de plus en plus nombreux ‒ entre deux bains de vapeur !

Sur ses conseils, vous achetez ‒ chez lui ‒ un spiroscope, des instruments à singer le travail utile, des haltères de toutes natures, des cordes à nœuds, et une foule d'attirails qui feront ressembler l'endroit où on les resserre, à un coin de tribunal sous l'Inquisition !

Notre hygiéniste aura sa gymnastique « spéciale », condamnant toutes les autres. Il excellera dans l'art de créer, de toutes pièces, un régime excluant tout ce que ses confrères auront permis et recommandant tout ce qu'ils auront interdit. Et tout cela, avec force théories qui lui vaudront d'être la véritable « Sorbonne » d'une foule de sociétés, dites savantes.

Quelquefois, un établissement spécial ‒ le sien ‒vous est plus particulièrement imposé et l'on vous y soigne en « ami » pendant tout le temps... nécessaire.

La maladie a ainsi créé ses commerces, ses industries, ses politiques, ses modes, ses arts, ses sciences, ses intrigues et ses poètes ! Dénoncer tout cela, ce serait soulever un monde, et quel monde ! Nous ne voulons pas, ici, nous spécialiser dans cette partie, quelque belle œuvre de salubrité que ce soit.

Nous en avons juste assez dit pour que soient avertis ceux qui ne sont pas tout à fait inaptes à la santé du corps et de l'esprit. 

‒ L. RIMBAULT.

(Voir aussi maladie, prophylaxie (hygiène), nourriture (et alimentation), naturisme, santé, végétarisme, végétalisme, etc.)