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MÉDISANCE n. f. (de médire)

Au sens général, médire c'est mal parler d'autrui, c'est révéler ses vices ou ses fautes, colporter des histoires désobligeantes à son sujet, soit par sottise, soit dans l'intention de lui nuire. En un sens plus restreint, la médisance est quelquefois opposée à la calomnie, cette dernière étant synonyme d'accusation fausse, alors que la première consiste dans une accusation malveillante mais vraie. Aussi les moralistes chrétiens, qui se plaisent à dresser une hiérarchie compliquée, aussi bien des fautes que des mérites, placent-ils la médisance moins bas que la calomnie, dans le catalogue des péchés. Du moins lorsque les intérêts de la sainte Église ne sont pas en jeu, car lorsque les prêtres en peuvent tirer bénéfice les plus abominables inventions deviennent méritoires. Les dévotes le savent, d'où leurs mensonges hypocrites, leurs perfidies sans nom à l'égard des incroyants. Médire et calomnier découlent, en réalité, d'une même tendance, celle qui porte chacun à mordre à belles dents le voisin, même s'il n'est ni concurrent, ni adversaire. Louer son talent, ses mérites ? Vous n'y songez pas ; de telles conversations seraient puissamment somnifères. Détailler ses défauts, voilà, par contre, qui réjouira même ses prétendus amis. « Le besoin de médire semble vital chez beaucoup. Telle vieille, qui espionne le prochain des journées entières en égrenant son chapelet, oubliera le dîner pour les commérages. Heureux si elle s'arrête à la lisière des lettres anonymes qui préviennent charitablement le fiancé des frasques de la promise ou l'épousée des infidélités du mari. Et cette blonde qui trottine avec sa compagne, zélatrice comme elle des filles de la Vierge-Mère, ne croyez pas qu'elle s'entretienne du dernier sermon. Elle déshabille en pensée les prétendants à sa main, et ses lèvres énumèrent la litanie de leurs défauts : le nez trop long déplaît chez l'un, l'autre a la maigreur du héron, un troisième serait passable s'il était moins gros, sans parler du bellâtre dépourvu de cerveau, de l'intellectuel fagoté d'inénarrable façon ou du gringalet dont l'esprit ne supplée pas l'absence de mollets. Critique toute de surface, où nuance des cravates, coupe du veston, timbre de la voix, élégance du maintien prennent une importance capitale. Comme le fin politique ou le vieil académicien, notre ingénue saisit de préférence les travers. Cette universelle malveillance expliquera, plus tard, l'incessant va-et-vient du personnel, madame réclamant de ses domestiques une perfection qu'elle même ne possède point. » Les ordres religieux ont organisé la médisance d'une façon systématique. « Dans les couvents catholiques, moines ou nonnes se font une guerre au canif, très édifiante quand on la connaît. Espionnage et délation mutuels s'y transforment en devoirs primordiaux ; chacun épie intentions et murmures du voisin, pour l'avertir des fautes commises ou, mieux, le dénoncer aux supérieurs. On dit les femmes particulièrement expertes dans l'art d'admonester leurs compagnes ; la charité faisant un devoir de ne point négliger l'ombre même d'un défaut. Seulement coups de griffes ou de dents n'ont cours qu'à l'intérieur, rien ne transparaît en dehors ; pour le public, ton doucereux, allures patelines sont uniformément de rigueur. » (Par delà l'intérêt). On raconte qu'Esope, un simple esclave phrygien mais qui avait beaucoup plus d'esprit que son maître, ayant reçu de ce dernier l'ordre d'acheter ce qu'il y avait de meilleur, pour le servir dans un festin, n'acheta que des langues. « N'est-ce pas ce qu'il y a de meilleur ? » répondit-il, quand on le questionna. Mais ayant reçu l'ordre d'acheter ensuite ce qu'il y avait de pire, le même Esope n'acheta encore que des langues, déclarant que c'était incontestablement ce qu'il y avait de pire, la langue étant la mère des plus grands maux. Le fabuliste avait raison. Si le langage rend seul la civilisation possible, il faut convenir que des existences, en grand nombre, sont empoisonnées par les diffamations, les cancans, les ragots de toutes sortes. Et malheureusement la médisance est commune à tous les milieux ; elle est encore pire dans les milieux trop étroits, trop fermés, ainsi que dans les petites villes où chacun se connaît et s'épie. Contre cette tendance, il est regrettable de constater que les esprits éclairés, les hommes d'avant-garde ne réagissent pas toujours. Pourtant rien de plus destructif de la sympathie fraternelle qu'ils désirent instaurer, au moins dans le cercle restreint de ceux qui peuvent les comprendre. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit bon de faire comme l'autruche et de fermer les yeux, pour se laisser duper par n'importe qui. Mais, pour accorder sa bienveillance à quelqu'un, est-il nécessaire qu'il soit sans défaut ? Si oui, rien à faire, personne n'étant dans ce cas ; résignons-nous à rester solitaire. De plus, il se tromperait pitoyablement celui qui se croirait parfait ; comme autrui, il a ses faiblesses, il a besoin que ceux qui l'entourent l'excusent et lui pardonnent certains travers.

Utilisons la médisance, lorsqu'elle nous atteint, pour nous corriger quand elle est justifiée, au moins en partie. Pour le reste, méprisons-la. Que la défiance entre en nous, lorsque quelqu'un passe son temps à dire du mal de ses connaissances, de ceux-là même qu'il proclame ses amis. Dès que nous tournerons le dos, ce sera notre tour d'être étrillé. 

‒ L. B.