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MENSONGE n. m. (du bas latin mentitionica de mentiri, mentir)

On n'admet plus aujourd'hui que la religion soit une invention pure et simple des prêtres ; elle serait d'origine sociale et, parmi ses facteurs primitifs, comprendrait les tabous, l'animisme, le totémisme, la magie. Mais l'on oublie trop le rôle énorme joué par le caprice ou l'intérêt sacerdotal, dans l'établissement des dogmes, des rites, des prescriptions morales. Purgatoire et confession, pour ne citer que ces deux exemples, furent inventés par les théologiens catholiques, le premier pour extorquer l'argent des fidèles, la seconde pour renseigner le clergé sur les agissements secrets de ses adversaires. Pas un mot du purgatoire dans l'Évangile ; et c'est au XIème siècle seulement que les croyants se mirent à racheter les peines des morts en faisant de larges aumônes aux monastères. Dans la primitive Église, certains fidèles s'accusaient publiquement des fautes qu'ils avaient commises, par esprit d'humilité ; mais on ne trouve rien qui ressemble à la confession auriculaire d'aujourd'hui. C'est en 1215 seulement qu'elle fut rendue obligatoire par Innocent III, ce pape intrigant, qui rêvait d'asservir toute la chrétienté. Comme il fallait faire la cour aux grands et trouver pour eux des accommodements avec le ciel, les confesseurs inventèrent une science nouvelle, la casuistique, permettant de rendre bonnes, chez le maître, des actions qui, chez le valet, restaient mauvaises. Chose facile puisque l'Église allonge ou raccourcit, à volonté, la liste des fautes qui conduisent en enfer ou au purgatoire ; par contre il faut beaucoup d'ingéniosité pour masquer une contradiction si flagrante et lui donner une apparence de raison. Cette duplicité éclate avec une force spéciale lorsqu'il s'agit du mensonge.

Mentir, dit le catéchisme, c'est parler contre sa pensée ; il ajoute que l'on ne doit jamais mentir. Les théologiens vous expliquent qu'en effet le mensonge est intrinsèquement mauvais, c'est-à-dire mauvais en soi ; Dieu a donné la parole à l'homme pour traduire sa pensée ; un accord permanent doit régner entre celle-ci et celle-là ; le rompre constitue une faute. Et ils ajoutent qu'au prix du plus petit mensonge il serait criminel de sauver toutes les âmes de l'enfer. Voilà ce qu'on enseigne au peuple et aux enfants. Mais aux grands l'on dit autre chose. Sans doute le mensonge est défendu, affirme le casuiste, mais tromper n'est pas mentir : la parole doit répondre à la pensée, seulement vous pouvez n'exprimer tout haut qu'une partie de la phrase et l'achever pour vous seul, de manière que personne ne l'entende. « Avez-vous vu Pierre tuer Paul ? » vous demandera-t-on. Vous l'avez vu ; pourtant vous pourrez répondre : « Non » sans mentir, à condition d'ajouter intérieurement : « du moins pas pour le dire ». Le prêtre qui vient d'extorquer l'héritage d'une mourante niera ou affirmera ce qui lui convient, en vertu du même principe ; sa conscience restera blanche, immaculée. C'est la restriction mentale, dont l'Église autorise l'usage dans tous les cas, même si l'on prononce un serment ; excepté bien entendu lorsqu'on parle à son confesseur et aux dignitaires ecclésiastiques.

Admirez cette invention machiavélique qui permet d'esquiver la vengeance céleste, sans se priver néanmoins de mentir. Pour marcher dans de pareilles combinaisons, Dieu doit être un bien triste sire ! La raison heureusement ignore les fantaisies criminelles de la théologie. On recherche un homme innocent pour le massacrer, j'estimerai bon d'égarer ses persécuteurs. Mais, au voyageur perdu dans la montagne, je serais coupable d'indiquer un chemin sans issue. Un chef m'interroge, poussé par le désir d'utiliser ce qu'il apprendra contre moi ou contre mes amis, il ne saura point la vérité, n'y ayant nul droit ; je la dirai spontanément au malheureux que l'on trompe par intérêt. Si l'enfer existait, je mentirais avec plaisir pour arracher à leurs tortures les victimes de Jahveh ; et, ce faisant, je m'estimerais moralement supérieur à leur geôlier. Tout homme sensé m'approuvera ! Ainsi, dire ou non la vérité ne devient mauvais ou permis qu'en raison des conséquences et du but ; c'est en fonction d'une norme extrinsèque que chacun apprécie le mensonge. Peut-être les théologiens l'ont-ils compris ; la restriction mentale serait alors un moyen d'adoucir la règle primitive. Pourquoi ne pas reconnaître franchement sa caducité ? Ce serait plus honnête ; mais pour gouverner, prêtres et grands ont besoin d'être renseignés par ceux mêmes qu'ils exploitent. L'action secrète un peu large, voilà leur pire adversaire ; contre elle l'Église se devait de brandir la peine du feu éternel.

À la base de la morale chrétienne, comme de toute morale théiste, gît d'ailleurs une insoluble difficulté. Pourquoi Dieu ordonne-t-il ceci, défend-il cela ? Bien et mal sont-ils une création arbitraire de sa volonté ou, supérieurs à Dieu même, s'imposent-ils à son intellect comme à celui des hommes ? Dans le premier cas vertus et vices dépendent des caprices du vouloir divin. Que Jahveh l'ordonne et tuer ses parents, calomnier, boire jusqu'à l'ivresse, deviendront des actes méritoires. Doctrine monstrueuse, dont l'immoralité révolte, mais qui s'impose si le bien résulte du commandement divin le mal de la défense divine. Dans le second cas Dieu cesse d'être tout-puissant, puisque la loi morale s'impose impérieusement à sa volonté. Et cette loi morale résulte de la nature des choses ; elle subsisterait donc intégralement en l'absence même de Dieu. Si Jahveh ordonne d'aimer ses parents, non parce qu'il le veut arbitrairement, mais parce que la chose est bonne en soi ; cette chose restera bonne en l'absence du vouloir divin. Le rôle du Père Éternel n'est plus que celui du gendarme, veillant sur des trésors qui ne lui appartiennent pas. On voit la naïveté de qui explique tout par l'existence de l'Être suprême, poubelle métaphysique où l'on entasse à plaisir d'incroyables contradictions.

Ne nous étonnons plus si, après avoir condamné théoriquement le mensonge (exception faite pour la restriction mentale), l'Église, interprète de Jahveh, le catalogue ensuite parmi les vertus ; sous le nom d'humilité, de modestie, de politesse, etc. Volontiers le croyant s'accuse devant Dieu d'être un pêcheur digne de son courroux ; il se frappe la poitrine et s'écrie : « C'est ma faute, c'est ma très grande faute... pardonnez-moi Jésus ». Mais, dans la litanie des manquements qu'il énumère, il oublie les vices profonds ; il regrette d'avoir négligé la messe, mangé du lard le vendredi, nullement d'avoir volé ses ouvriers s'il est patron, extorqué les économies du pauvre s'il est financier. Infatué de sa personne, le dévot s'estime infiniment supérieur aux mécréants qui l'entourent. « Par moi-même je ne suis rien, dit le curé à ses ouailles, mais, en qualité de représentant de Dieu, il est indispensable que je sois obéi, respecté, que j'occupe toujours et partout la première place ». L'humilité du chrétien vise en général à donner le change sur son orgueil forcené. Comment ne pas se croire un personnage quand on est l'ami de Jésus et qu'une éternité de gloire vous attend ? Même remarque au sujet de la modestie, affectée par les prêtres et les nonnes ; sous des allures de chattemite, elle cache habituellement des désordres profonds. Séminaires et couvents sont des pépinières de choix pour les vices contre nature ; mais la façade peinte en blanc détourne les soupçons. Assurément la politesse a son utilité ; toute vie sociale deviendrait impossible si chacun blessait les autres sans ménagement. Et quel homme n'a rien à se faire pardonner ! Masquer une froide malveillance sous des formules hypocrites est bien différent ! Or de nos jours la politesse consiste trop souvent, à prononcer des phrases que l'esprit ne contresigne pas ; ce n'est plus la manifestation d'une sympathie fraternelle, c'est un moyen commode de tromper son prochain.

Organisations politiques et religieuses, structure sociale et économique reposent sur le mensonge : il serait invraisemblable que les individus puissent échapper à l'emprise universelle de l'hypocrisie. Mais à l'homme d'État, au diplomate, à l'administrateur, au privilégié, on fait un mérite de tromper l'adversaire, de cacher ses desseins, alors qu'on appelle dangereux menteur le prolétaire qui en fait autant. 

– L. BARBEDETTE.

MENSONGE (et ENFANT)

Le jeune enfant ne se soucie pas de communiquer exactement sa pensée et de décrire objectivement les faits. Il distingue mal les produits de son imagination et les réalités et comble inconsciemment les lacunes de sa mémoire par de la fabulation.

Les causes de ses erreurs sont nombreuses, il y a :

Les perceptions erronées, les erreurs des sens, qui sont d'autant plus fréquentes que l'individu est plus jeune ;

L'imagination, moins vive que chez l'adulte mais moins bien contrôlée par l'esprit critique ;

La suggestibilité, « Montrons-nous circonspects, écrit Jonckheere, en posant des questions, car leur forme peut influencer la réponse et provoquer des erreurs de fait ». Quelqu'un vient de passer ; nous pouvons demander, par exemple : Comment la personne qui vient de passer était-elle coiffée ? La personne qui vient de passer était-elle coiffée ? La personne qui vient de passer était-elle coiffée d'un chapeau ou d'une casquette ? La personne qui est passée tout à l'heure n'avait-elle point un chapeau sur la tête ? Les premières de ces questions n'impliquent aucune suggestion mais il n'en est pas de même de la troisième et surtout de la quatrième.

4° Le manque de développement intellectuel ne permet pas le travail de l'autocritique. Le jeune enfant admet sans difficulté des données contraires.

L'affectivité est liée plus étroitement à tous les processus psychiques de l'enfant.


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Le jeune enfant ne ment pas et ne dissimule pas. Quand découvre-t-il le mensonge et commence-t-il à dissimuler ? La plupart des psychologues admettent que ce n'est que vers sept ans. À vrai dire il nous semble que des enfants plus jeunes altèrent sciemment la vérité, mais ils le font plutôt par jeu que dans l'intention de tromper.

Comment l'enfant devient-il capable de mentir ?

Peut-être, parce qu'il s'aperçoit qu'il avait commis une erreur et en avait tiré profit. Peut-être parce qu'il a surpris quelques mensonges de ses parents ou d'autres adultes. Peut-être parce que le mensonge lui apparaît comme un moyen de parvenir à ses fins.

Pourquoi l'enfant ment-il ? Des enquêtes ont été faites à ce sujet ; elles sont loin d'être parfaitement concordantes ; cependant, il semble bien que la crainte soit l'une des principales causes du mensonge enfantin. Mentir est pour l'enfant un moyen de défense.

Parfois aussi l'enfant ment par étourderie, par intérêt, par paresse, etc. II est aussi des mensonges qui ne s'expliquent que par des causes d'ordre pathologique ; on a observé des enfants qui obéissent à une impulsion presque irrésistible, qui s'accusent de délits ou de crimes qu'ils n'ont pas commis.


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De même que la fièvre est le plus souvent la conséquence et non la cause de la maladie, le mensonge nous apparaît comme un résultat. Si nous voulons corriger des enfants menteurs ou, mieux, éviter que nos enfants ne deviennent menteurs, il faut nous en prendre aux causes réelles du mensonge.

Tout d'abord lorsque de jeunes enfants disent le contraire de la vérité, il convient de ne pas considérer leurs erreurs comme des mensonges. Il ne faut alors ni leur attribuer l'épithète de menteur, ni les punir mais s'efforcer d'attirer leur attention sur l'erreur commise et éveiller peu à peu leur esprit critique.

Deuxième conseil : il ne faut pas donner aux enfants l'exemple du mensonge, ni surtout leur ordonner de commettre des mensonges. Combien de parents, par exemple, ont dit à leur fils ou à leur fille : « Va dire que je ne suis pas là. » Puis se sont indignés ensuite d'un mensonge du bambin.

Troisième conseil : il faut avec les enfants pratiquer la politique de la confiance et paraître croire qu'ils sont incapables de dénaturer volontairement la vérité. Profitons de leur suggestibilité, feignons de croire qu'il y a erreur ou faiblesse passagère mais non mensonge.

Ce conseil est d'autant plus important qu'il y a bien souvent malentendu ; de là un quatrième conseil : efforçons-nous de comprendre les enfants et de nous faire comprendre d'eux. Une anecdote toute récente viendra illustrer ce conseil. Nous avions donné à de jeunes enfants le problème suivant : « Il y avait 184 morceaux de sucre dans un sucrier mais la maman a pris 86 de ces morceaux. Combien y a-t-il encore de morceaux dans le sucrier ? » Un bambin, après quelques autres, nous présenta bientôt son travail. La réponse était exacte, mais, chose singulière, l'enfant dans sa soustraction, avait placé le plus grand nombre au-dessous.

– « Tu as copié ? »

– « Non, monsieur ».

Avait-il copié et était-il un menteur ? Ceci paraissait probable et pourtant quelque doute subsistait dans notre esprit.

« Comment as-tu donc fait ? »

Question facile à poser pour nous, mais à laquelle il était difficile au bambin de répondre car les jeunes enfants n'expriment pas toujours facilement leurs idées, si bien qu'enfants et adultes se comprennent souvent fort mal.

Cependant, en y mettant du temps, nous finîmes par comprendre ceci : dès la lecture du problème l'enfant avait été frappe par le rapprochement des nombres 84 et 86 et voici, par suite, comment il avait raisonné intuitivement (car il ne s'agit pas là d'un véritable raisonnement logique) : en retirant 84 morceaux des 184 il en restera 100 mais il faut que nous en retirions encore 2 morceaux (86-84). On devine le reste l'enfant intuitivement et mentalement avait trouvé la réponse sans avoir fait nul calcul écrit, cette réponse était pour lui l'essentiel il avait ensuite placé au petit bonheur les trois nombres 184, 86 et 98. Si nous nous étions fiés aux apparences, nous aurions accusé cet enfant d'un mensonge qu'il n'avait pas commis, nous aurions alors paru à ses yeux comme une personne incapable de distinguer un mensonge d'une vérité et à laquelle on peut mentir sans danger.

Cinquième conseil : Évitons de poser aux enfants des questions qui peuvent les suggestionner par leur forme ou par leur ton. Ne les intimidons pas.

Sixième conseil : Le mensonge étant presque toujours le résultat d'une faute antérieure (paresse, vol, gourmandise, .etc.) corrigeons l'enfant des défauts qui peuvent le conduire au mensonge.

Dernier conseil : N'inspirons pas la crainte – cause principale du mensonge – et développons chez lui le sentiment du courage tout en lui faisant comprendre qu'il doit avouer ses fautes. 

– E. DELAUNAY.