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MÉPRIS n. m. (de mépriser, pour mespriser, de mes (mal) et priser)

À l'opposé du respect se place le mépris dans la gamme des sentiments ; c'est le manque de considération ou d'estime pour quelqu'un ou quelque chose. On dira qu'un tel méprise le danger, le qu'en-dira-ton, les préjugés du milieu et du moment. Malheureusement, en majorité, les hommes sont attirés par l'argent, la renommée, le pouvoir ; ils admirent ceux dont la situation sociale est brillante, mais dédaignent ceux dont le rang ne leur semble point digne d'envie. Il est pénible de constater la platitude trop fréquente dont le pauvre fait preuve à l'égard du riche, l'ouvrier à l'égard du patron, le vulgaire citoyen à l'égard des autorités et, à l'inverse, leur arrogance à l'égard d'un plus misérable qu'eux-même, d'un plus faible, d'un plus persécuté. Il suffit de parler de condamné, de détenu, de bagnard pour qu'aussitôt les bien-pensants fassent les dégoûtés ; de malheureux forçats du travail, qui triment sans répit pour arrondir le magot d'un usinier millionnaire, affecteront des allures méprisantes à l'égard de l'irrégulier, du vagabond qui vivent en marge des oppressions collectives ; et la femme, qui eut besoin du maire et du curé pour s'unir à un homme qui la trompe quotidiennement, passera hautaine près de celle qui ne demande à personne la permission de vivre avec celui que son cœur a choisi. Dans les administrations, le chef semble d'ordinaire se croire d'une essence supérieure à celle de ses subalternes ; le professeur de faculté dédaigne le professeur de lycée qui, à son tour, le rend au primaire, trop porté lui-même à se considérer comme infiniment supérieur aux ouvriers dont il instruit les enfants.

Par une adroite distribution de titres, de médailles, de galons, la société entretient soigneusement la croyance en des mérites imaginaires qui élèvent l'individu au-dessus du vulgum pecus et, par contre-coup, provoquent le mépris pour toute existence qui se résigne à rester obscure. « En toutes matières et sans répit, dans nos écoles, le maître classe, numérote, hiérarchise, coupant des cheveux en quatre, s'il le faut, afin d'avoir un premier et un dernier. Travail malaisé, je vous assure, quand les copies se valent à peu près ou que l'appréciation garde un caractère subjectif comme en devoir français. La manie du classement éclate jusque dans les manuels scolaires ; en histoire, en littérature, les personnages sont disposés par ordre de grandeur, tels des poupées de cire dans la vitrine d'un musée ; et ce sont d'interminables querelles pour savoir qui l'emporte de Corneille ou de Racine, de Robespierre ou de Danton. Mais foin de la masse anonyme : on ne s'intéresse qu'aux hommes à qui l'on dresse des statues. Ainsi germent les désirs de gloire, de richesses ou d'aventures dans le cerveau de nos enfants, incapables désormais de comprendre la noblesse des taches obscures ». « Observez les enfants pendant qu'on lit un palmarès ou qu'on donne les résultats d'une composition : la flamme qui brille dans la prunelle des bien-casés, les éclairs de haine, les lèvres balbutiantes des autres ; quand l'attitude de l'ensemble ne témoigne pas d'un mépris souverain pour le correcteur. Et peut-être croirez-vous moins aux bienfaits de l'émulation ! On dresse de petites idoles, infatuées de leur personne, jalouses des concurrents sérieux, méprisantes pour les camarades étiquetés médiocres ou nuls ; prodiges à quinze ans, fruits secs à quarante, munis de parchemins peut-être, dénués pourtant du pouvoir créateur qui caractérise l'homme de génie. » (Le Règne de l'Envie). Et, si les maîtres méprisent les serviteurs qui peinent quotidiennement pour les engraisser, ces derniers, à défaut de plus malheureux qu'eux-mêmes, se vengeront sur les animaux. Les coups, la fatigue, avec les maigres joies d'une pauvre pitance, voilà, pensent-ils, qui suffit à leurs compagnons douloureux ; point de survie pour ces derniers, point de justice par delà la tombe; cet espoir, les prêtres le réservent aux hommes. Aux yeux d'un catholique c'est chose ridicule d'être bon pour les bêtes même domestiquées. Du haut en bas doit régner le mépris pour ce que nous estimons des formes inférieures de vie.

À l'inverse, nous pensons que le mépris n'est légitime qu'à l'égard des exploiteurs de l'ignorance et de la sottise humaine. Dans tous les autres cas, c'est la pitié, une pitié sans borne, qui doit nous guider, lorsqu'il s'agit de malheureux humains victimes de l'injustice sociale, de la nature ou du sort, et même en présence du plus humble des organismes vivants. « Fils de la terre, frères de tout organisme en voie d'évolution, inclinons-nous avec douceur vers la fleur entrouverte, n'écrasons pas sans raison le vermisseau gisant à nos pieds. Qu'une infinie pitié nous soulève devant la souffrance imméritée de l'homme et des autres vivants ses compagnons ; opérons l'œuvre rédemptrice que les dieux n'ont pu faire. » (Par delà l'Intérêt). Le fouet de notre mépris réservons-le aux vendeurs du temple, aux potentats que les peuples bernés adorent, aux faux savants, aux larbins de l'Académie, aux parlementaires tripoteurs, aux institutions et aux hommes qui oppressent les consciences et les volontés. Aux autres, même coupables, même peu intéressants, distribuons les trésors d'une compassion aussi universelle que la souffrance. 

– L. B.