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MERCENAIRE adj. et subst. (du latin mercenarius, même sens, fait de merces, salaire)

Qui se fait pour le gain, pour un salaire convenu : labeur mercenaire, occupations mercenaires. Les sociétés humaines, en détournant l'effort productif de ses voies droites et légitimes, en l'assujettissant au service de la force, de la jouissance oisive et de l'ambition, en monopolisant ses fruits entre des mains privilégiées, ont fait du travail (voir ce mot) une tâche avilie et mercenaire. Elles en ont voilé le but naturel et tari les joies normales. L'équilibre est constamment faussé entre le quotient d'énergie exigé du producteur et la part qui lui revient des richesses obtenues.

Les conditions mercenaires dans lesquelles s'accomplit le labeur ont fini par en faire perdre de vue au plus grand nombre l'objet véritable. Le travail humain, écarté de sa ligne simple et logique, donne bien davantage l'impression d'un sacrifice incessant à quelque Moloch-Argent, entité insatiable, que d'une œuvre utilitaire rythmée aux exigences des besoins. Le gain, le salaire sont au premier plan du travail des masses laborieuses ; c'est vers eux que l'effort est tourné comme s'ils étaient son unique fin. La plupart des hommes en sont venus à ne plus regarder dans leur besogne autre chose que cet aboutissement ; plus d'activité qui ne soit monnayée : l'effort est tout entier mercenaire. Dépouillé de sa nécessité directe et de sa grandeur native, corrompu par une philosophie frelatée qui en « justifla » les déviations, il se traîne, lui aussi, parmi les mensonges conventionnels du social.


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On appelle troupes mercenaires les troupes étrangères dont on achète le service ; cette qualité peut s'étendre aux troupes indigènes. Dès l'antiquité empires et républiques commerçantes de la Méditerranée, colonies phéniciennes, ioniennes, Athènes même, la république romaine enfin firent appel à des auxiliaires thraces, gaulois, asiatiques, celtibériens, etc. La Rome impériale, après avoir levé des légions sur les terres asservies par ses conquêtes, enrôla des mercenaires empruntés aux peuplades barbares riveraines. Jusqu'au moyen-âge d'ailleurs routiers et condottieri, brabançons et navarrais vinrent chercher solde auprès des maîtres des nations. Reîtres et lansquenets allemands, compagnies suisses passaient tour à tour des bannières des évêques ou des rois de France sous les pavillons des princes impériaux. Ces marchés de soldats s'étendirent, chez nous, jusqu'au seuil de la Révolution française sous forme de gardes attachés aux palais royaux. Tels les Suisses d'argent qui furent le rempart de la cour du dernier des Capets.

L'introduction de l'esprit démocratique dans la vie moderne a modifié le caractère des armées. Le XIXème siècle a marqué une tendance toujours plus accentuée à répudier les armées de métier, les troupes vénales rendues suspectes d'ailleurs par quelques trahisons célèbres. Il leur a substitué les armées nationales, de souche évidemment populaire, les nobles se réservant les hauts grades et les bourgeois aisés s'achetant des remplaçants. Puis les républiques sont venues, proclamant l'obligation militaire générale, instituant le service dit obligatoire. Elles ont amené dans les casernes multipliées les différentes couches sociales, séparées néanmoins par le choix des armes, car cavalerie, artillerie, sont demeurées le refuge de l'aristocratie et de sa jeunesse fortunée, embrigadant quelques gars dociles des campagnes, l'infanterie ouvrant ses rangs aux contingents massifs de la ville et des champs.

Mais le développement de l'industrialisme a donné naissance à de fréquentes revendications collectives des travailleurs rassemblés dans les ateliers et les usines. Cessant par moment, d'ensemble, le travail, les salariés se sont mis en grève. Ces mouvements, parfois violents au point de donner des inquiétudes aux patrons, aux manufacturiers, ont provoqué, de la part des gouvernements, des meures « d'ordre ». Contre les ouvriers révoltés on a appelé, au secours des gendarmeries débordées, les soldats détournés de leur rôle officiel. Mais, d'abord docile et prompt à servir la répression, le peuple sous l'uniforme a fini par prendre conscience de la solidarité qui l'unit au travailleur luttant pour le pain quotidien. Il s'est, çà et là, refusé au rôle de briseur de grève. En dépit des mensonges qui troublent ses affinités de classe et d'une discipline qui châtie durement ses élans, l'armée du service obligatoire a cessé d'être la sauvegarde assurée de l'ordre privilégié. On se méfie de ses répugnances croissantes, on craint ses fraternisations susceptibles de s'amplifier en complicités révolutionnaires...

Et la bourgeoisie régnante revient, par l'extension de sa police, par la création de gardes mobiles – corps salariés – par d'alléchantes primes d'engagement et de rengagement qui entraînent la formation d'importants noyaux de militaires payés au sein même des troupes régulières, la bourgeoisie revient, pour sa suprême défense, aux groupes mercenaires. Ultime carte d'une classe favorisée qui range ses derniers esclaves autour du butin amoncelé. La mesure ne la sauvera pas des crises et de la, défaite finale. Comme l'empire romain décadent, confiant sa garde aux guerriers sans âme du mercenariat, le capitalisme verra fléchir, à l'heure critique, le dévouement payé des défenseurs qui ne retiennent à ses côtés que des intérêts momentanés et d'ailleurs équivoques. Les mercenaires retarderont peut-être sa chute. Ils marqueront de quelques pauses sanglantes la marche douloureuse du prolétariat. Mais ils ne sauveront pas le régime que minent de foncières incompatibilités et dont la forme agglomère, facticement, l'organisme.

– LANARQUE.


Par analogie, mercenaire se dit de ce qui a pour essence, pour mobile ou pour but un intérêt sordide, servi par une basse flagornerie ; il désigne des manœuvres intéressées, parfois soudoyées : âme mercenaire, louanges mercenaires.

Hist. Ecclés. : Se disait de prêtres qui n'étaient attachés à aucune paroisse.

Au fig. Homme intéressé, facile à corrompre pour de l'argent : « les ambitieux qu'on loue tant sont des glorieux qui font des bassesses, ou des mercenaires qui veulent être payés » (Fléchier),


Histoire : Guerre des mercenaires : guerre terrible que Carthage eut à soutenir en Afrique contre ses troupes mercenaires, qui s'étaient révoltées parce qu'elles n'étaient pas payées. Elle eut lieu pendant l'intervalle de la première à la deuxième guerre punique (241-238). Mathos et Spendius furent les principaux chefs des rebelles ; Amilcar, chargé de les combattre, réussit à enfermer dans un défilé un corps d'insurgés, et les fit tous massacrer à mesure qu'ils en sortaient ; de 40.000 hommes, pas un n'échappa. On nomma cette guerre la Guerre inexpiable, à cause des fureurs auxquelles elle donna lieu. G. Flaubert s'en est inspiré pour écrire Salammbô.