MÈRE n. f.(du latin : mater)
Femme qui a mis au monde un ou plusieurs enfants.
Dernier stade de l'évolution de la femme, tant dans le domaine physiologique que psychologique. La vierge, la femme stérile, sont des femmes incomplètes. Physiquement, la femme qui a été mère est plus belle et conserve sa fraîcheur plus longtemps que la femme qui n'a pas connu la maternité. Évidemment, il ne peut être question des femmes aux maternités trop souvent répétées, pour lesquelles la maternité ne signifie que gêne, restrictions et fatigues. Mais, à âge égal, la femme qui n'a jamais été mère est en général plus fanée que celle qui connut quelques maternités heureuses, assez espacées pour permettre au corps de se raffermir et de reprendre sa vigueur, et qui n'eut pas à connaitre les privations et le surmenage. La maternité est l'épanouissement de la femme, la mère est la femme dans la plénitude de sa force et de sa grâce. Le charme puéril et gracile de la vierge ne peut pas être comparable à la beauté de la mère. Qui n'a admiré le tableau d'une jeune mère allaitant son enfant ? C'est une image de vie d'une force saisissante, et devant laquelle le penseur est ému. C'est que la « Mère » est dans le sens de la vie. Dans l'ordre naturel aussi bien que dans l'ordre social, la femme qui n'est pas mère n'a pas de raison d'être. La mère est la fondatrice de la famille et de la société. À l'origine des âges, l'homme, nomade par instinct, ne s'est fixé au sol que parce que la mère l'y a fixé. Élie Reclus, dans son ouvrage sur Les Primitifs nous le dit éloquemment : « Nonobstant la doctrine qui fait loi présentement, nous tenons la femme pour la créatrices de la civilisation en ses éléments primordiaux. Sans doute, la femme à ses débuts ne fut qu'une femelle humaine ; mais cette femelle nourrissait, élevait et protégeait plus faible qu'elle, tandis que son mâle, « fauve terrible, ne savait que poursuivre et tuer. Il égorgeait par nécessité et non sans agrément. Lui, bête féroce par instinct ; elle, mère par fonction... »
C'est sur cette fonction de la mère que la civilisation s'est édifiée. La mère est aussi vieille que l'humanité. Les primitifs ignoraient la paternité, n'établissant pas de relation entre l'acte sexuel de la fécondation et la mise au monde d'un enfant par une femme. Mais le lien maternel était indéniable. Fécondée au hasard par l'un ou par l'autre, la mère seule existait. Ses enfants l'entouraient. La horde primitive ne connaissait pas le père. Elle allait sous la conduite du chef, auquel tous obéissaient, mâles et femelles ; les mères chargées des petits, les hommes chargés du butin. Quand la horde se fixa, la mère devint la créatrice du foyer. Dans la hutte grossière, elle était la gardienne et la protectrice des enfants, pendant que les hommes étaient à la chasse et à la pêche, ou s'occupaient à cultiver le sol, chez les peuples agriculteurs. Gardienne des enfants, elle devint également gardienne du butin et des récoltes, qu'elle dut conserver et administrer. De là ces fonctions qui sont devenues la consécration sociale de la femme, mais qui, ne l'oublions pas, lui ont été conférées parce qu'elle était la mère. Mais là ne s'est pas bornée la participation de la mère à l'œuvre civilisatrice. La civilisation lui est encore redevable de la plus noble des forces morales qui ait soutenu et consolé l'humanité et qui la conduira vers l'harmonie et le bonheur : l'amour. L'amour maternel est à l'origine de tous les amours. Fait sans doute d'instinct et d'animalité dans son expression première, il était cependant l'amour, et le seul amour qui fut. Ayant à protéger plus faible qu'elle, à soigner, secourir, consoler, la mère apprit le dévouement, la sollicitude, la tendresse patiente, la pitié, l'indulgence, le pardon. Toutes ces vertus qui, par la suite, se développeront d'âge en âge, et qui contiennent la rédemption morale du monde, c'est la mère qui les a apportées au monde. Ce n'est pas la femme, ainsi qu'on le dit couramment. La femme, prise en tant qu'individu au même titre que l'homme, est, comme lui, égoïste et comme lui recherche le plaisir et la jouissance. Elle ne s'élève à l'altruisme, au désintéressement, que par la maternité qu'elle porte en elle et qui domine toute sa vie, même lorsqu'elle n'est pas mère. Il est nécessaire de ramener toujours une question à son point de départ, et celle-ci plus que toute autre. On a tendance aujourd'hui à décrier la maternité, à rabaisser la mère, à l'inférioriser socialement et moralement. C'est une grave erreur des temps modernes. Le machinisme, qui enlève la mère à ses enfants et détruit l'harmonie du foyer, obnubile notre raison et nous porte à juger faux en subordonnant aux questions d'ordre secondaire les vérités primordiales et fondamentales de la vie. Le machinisme passera. La mécanisation à l'américaine n'est heureusement qu'une de ces erreurs comme l'humanité en commet dans sa marche au progrès, mais dont elle guérira. Et « la mère » survivra au mal moderne, comme elle a survécu à tous les bouleversements sociaux et économiques. Elle y survivra précisément parce qu'elle est la Vie, source de vie et d'amour, dispensatrice du bonheur humain, régulatrice des mœurs et de la morale. Toutes les vieilles religions du passé ont élevé sur le monde le mythe rédempteur d'une mère portant un enfant sur ses bras. C'est un symbole d'une haute signification, qui est encore l'espoir des penseurs et des moralistes, dans l'apparente confusion et contradiction des théories de l'heure présente. Mais la confusion n'est qu'apparente. L'ordre est la loi du cosmos et le rythme du temps. La « mère » restera la conception la plus parfaite de l'universelle vie et de l'universel amour, parce qu'elle est l'image la plus vraie du principe d'Universalité.
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Fonction physiologique. – Physiologiquement, la mère passe par trois phases distinctes : l'attente, l'enfantement, l'allaitement. Toutes les femmes ne ressentent pas de la même façon la première phase. Si l'enfant est désiré, conçu volontairement, s'il est aimé avant sa conception même, l'attente est une période heureuse. Il se produit alors, chez la future mère, un travail psychologique qui marche de pair avec la fonction physiologique et qui est du plus heureux effet sur l'intelligence et la pensée. Ramenée sans cesse vers le petit être qu'elle sent vivre en elle, la femme se trouve presque à son insu portée vers les graves questions de la vie. Cet enfant qui va naître lui révèle le monde. Si l'enfant n'était pas désiré, ou si la mère est déjà fatiguée par des maternités pénibles, cette période de l'attente pourra être, à ses débuts surtout, une source d'ennui et de mécontentement. Mais, même dans ce cas, l'apaisement se fait, surtout si la femme a déjà été mère, car il lui devient alors impossible de séparer celui qui va naître de celui ou de ceux qui l'ont précédé. En général, quand l'enfant naît, s'il est mal accueilli du père – ce qui arrive fréquemment dans la classe populaire, lorsqu'il vient s'ajouter à d'autres – il est déjà aimé par sa mère. Les hommes du peuple protestent contre la charge de nombreux enfants, mais n'apportent aucune prudence dans l'acte procréateur. Et il est remarquable que ce soit la mère, fécondée sans sa volonté, qui témoigne alors le plus de désintéressement, et accueille le pauvre petit non désiré, sinon avec joie, du moins avec une pitié tendre. L'homme peut mépriser son petit, l'insulter de noms grossiers ; mais la mère, dès l'enfantement, éprouve déjà le besoin de protéger et de soigner. Il y a certes des exceptions, mais nous n'avons à nous occuper ici que de la règle générale. L'instinct maternel est un fait indéniable. Il n'est ni miraculeux, ni sacré, ni infaillible. Il ne confère pas l'intelligence à qui ne la possède pas. Il repose tout entier sur la communauté physiologique. La mère aime son enfant parce qu'il fait partie d'elle-même, parce qu'il est le prolongement de sa vie, un peu de sa chair qui continue à vivre en dehors d'elle. Elle est unie à lui par la sensibilité qu'elle a d'elle-même. Les cris de souffrance de son enfant se répercutent en elle comme un écho de sa propre souffrance, ce qui explique cette clairvoyance maternelle, que nombre de médecins attesteront, et qui souvent sauve l'enfant malade. La nourrice-mercenaire, presque toujours avertie trop tard, réclame le médecin alors qu'il n'est plus possible d'intervenir. La mère, elle, peut exagérer dans le sens contraire ; mais le souci constant que lui inspire son petit, l'inquiétude permanente qui veille en elle, sont la sauvegarde même de l'enfant.
Quoi qu'en prétendent certains adversaires de la maternité, la mère ne se remplace pas. La maternité, étant fonction de vie, de pensée et d'amour, ne s'industrialisera jamais. « Toutes les précautions qui doivent entourer un enfant, dit le Dr Vatrey, ne sont vraiment bien prises que par la mère ». À l'appui de cette déclaration, il donne les statistiques suivantes, établies par lui-même, d'après ses propres observations :
Enfants nourris au sein par la mère, mortalité, 11,9 p. 100 ;
Enfants nourris au biberon par la mère, mortalité, 30,6 p. 100 ;
Enfants nourris au sein par une nourrice, mortalité, 36 p. 100 ;
Enfants nourris au biberon par une nourrice, mortalité, 77 p. 100.
Ainsi donc, l'enfant élevé par sa mère au biberon a plus de chances de vivre que l'enfant élevé au sein par une nourrice.
L'instinct maternel et l'instinct sexuel. – Qu'il y ait dans l'attachement de la mère pour l'enfant un souvenir de l'instinct sexuel, c'est évident et explicable par la physiologie même de la maternité qui a son point de départ dans l'ovaire, lequel est également l'organe sexuel féminin.
Le plaisir de l'allaitement est analogue au plaisir sexuel surtout masculin : c'est une sécrétion non spontanée, mais arrachée.
Mais prétendre, comme Freud, qu'il y ait dans la tendresse de l'enfant vers la mère une préformation de l'instinct sexuel, c'est mythologie pure. C'est mettre la charrue avant les bœufs. La sensualité de l'enfant n'est rien d'autre qu'un mouvement pour reformer la communion alimentaire qui existait dans la vie intra-utérine. Tout au contraire, c'est l'instinct sexuel qui, lorsqu'il se produira, conservera quelque chose de l'amour de l'enfant pour la mère.
« Il rêvera partout à la chaleur du sein », dit Vigny. Le principe positif qui doit nous guider ici, est le suivant : tout le passé est conservé dans le présent ; mais l'avenir physiologique n'y est pas annoncé. Supposer le contraire est le fait d'un esprit mal dégagé des vieilles croyances religieuses.
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Évolution de l'amour maternel. – L'amour maternel est un thème universel. La littérature, la poésie, l'art, y ont puisé au travers les siècles.
Fait d'héroïsme et de clémence,
Présent toujours au moindre appel,
Qui dira jamais où commence
Où finit l'amour maternel ?
SULLY-PRUDHOMME.
Force aussi vieille que le monde, au-dessus de tout ce qui passe et se transforme, l'amour de la mère est resté l'amour qui ne passe pas. Seul, il sait faire abstraction des formes de la matière pour aimer seulement l'être que cette matière enferme. Pour l'amour maternel il n'y a pas de difformité, de laideur, d'infériorité. Il donne sans espoir de retour. Il n'attend pas la prière, il la devance, il la rend inutile. Il est à la mesure même de la nécessité ; il descend aux plus infimes détails et s'élève aux plus hautes conceptions de la pensée. Il est puéril et sublime. Il est la faiblesse et la force. Il est la vie qui passe et pourtant demeure. Il est patient comme Dieu parce qu'il est éternel comme lui. Il est Dieu matérialisé et vivant. Au demeurant le seul Dieu, puisqu'il est le seul amour, source de tout amour et de toute vie.
Pour expliquer cette force de l'amour maternel, il faut comprendre que la grandeur de l'amour se mesure à sa puissance de renoncement. Or, l'amour maternel est fait de renoncements successifs, de déchirements répétés. C'est d'abord la déchirure de l'enfantement, physiquement la plus cruelle, et cependant celle qui est la plus rapidement oubliée. Car le petit est là. La communion intra-utérine, un moment détruite par la rupture du cordon ombilical, se reforme dans l'allaitement qui prolonge l'union de la chair. Mais avec le sevrage le lien du sang est définitivement brisé. Pourtant le tout-petit est encore étroitement uni à sa mère, dont il lui faut les soins incessants, la surveillance continuelle. Puis, il apprend à marcher, il s'en va seul, sans son aide. Nouvelle rupture et nouveau déchirement. Il en sera de même à chaque phase de la vie enfantine : l'école, les départs de vacances, l'apprentissage, les amitiés qui se noueront en dehors du foyer familial. Un jour ce sera l'éloignement définitif. Ainsi se développe et s'accroît l'amour maternel. Il a puisé ses racines premières dans le lien physiologique. D'abord instinct presque animal, égoïste dans ses manifestations, il s'élève peu à peu au sentiment le plus pur, parce qu'il conserve, à sa base, la sensibilité primitive, sensibilité sans cesse renouvelée par la série des déchirements imposés par la loi de nature. Fortifié par les craintes, les absences, les inquiétudes, par l'habitude prise de donner gratuitement, il devient alors capable des plus grands renoncements, compréhensif jusqu'à l'acceptation de rester incompris. Arrivé à ce stade il est devenu altruiste.
Ainsi la mère, par le fait même de sa maternité, touche au sublime humain. Restée sensible par la déchirure jamais cicatrisée de ses entrailles, elle reste davantage vivante, soumise aux nécessités de la vie, capable de répandre autour d'elle la sollicitude généreuse dont elle a enveloppé ses enfants. Si, dans le domaine physiologique, la mère est la femme parvenue à son complet épanouissement, dans le domaine psychologique la mère est la femme intégralement développée. Ce sont précisément les qualités maternelles que la femme porte potentiellement en elle qui font d'elle la dispensatrice du bonheur humain et la régulatrice des mœurs. Une telle femme peut avoir une influence morale profonde et bienfaisante sur son milieu. C'est pourquoi ce serait commettre une faute irréparable que de réduire la femme à n'être plus qu'un rouage du mécanisme industriel, une machine à écrire ou à calculer, une femelle à laquelle on arracherait ses petits pour les élever comme des troupeaux, parqués dans des internats. La mécanisation, si nuisible à l'homme, est néfaste à la femme, dont elle détruit les forces créatrices, lui enlevant ainsi toute signification dans la société humaine. La femme a mieux à faire qu'à s'épuiser pour la production de richesses fictives, en des besognes qui tariraient en elle la source de la sensibilité. Où la sensibilité manque, la vie manquera toujours. Et quel bénéfice tirerait l'humanité d'une richesse acquise au prix même de la vie ?
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La Mère éducatrice. – De tout ce qui précède, il s'ensuit que nul n'est qualifié comme la mère pour être la première éducatrice de l'enfant, l'initiatrice à la vie, à ses nécessités et à ses lois. Cette première éducation, toute de douceur et de patience, demande comme condition essentielle la compréhension et la tendresse. Or, la mère a appris à connaître son enfant dès que la vie s'est manifestée en lui. Elle sait distinguer dans ses cris, la joie, le besoin, la souffrance. Dans ses premiers essais de langage, elle devine l'esquisse des mots, elle en aide l'articulation en les lui répétant inlassablement. Ensuite, elle lui apprendra à assembler les mots pour en faire des phrases. Elle lui révèle les vérités élémentaires : le feu brûle, la lumière éclaire, le couteau coupe, l'eau mouille, la boue salit. Elle lui apprend les premières prudences pour éviter les accidents ; l'acceptation des choses inévitables ; l'accoutumance à l'effort. Elle le console de ses échecs, l'invite à la persévérance. Elle l'initie à l'endurance et au stoïcisme en le faisant sourire après une douleur : « Allons, n'y pense plus », dit-elle en lui donnant un baiser. Tout cela peut paraître mesquin à qui regarde superficiellement ; tout cela, pourtant, c'est l'apprentissage de la vie, et la formation du caractère. Et ce n'est pas, ainsi qu'on a pu le prétendre, une œuvre niaise et abêtissante. Au contraire, c'est une œuvre qui réclame toutes les vertus et tous les dévouements ; une œuvre où la sensibilité joue le rôle essentiel. Des mercenaires en seront toujours incapables. Et quelle mercenaire voudrait accepter pareille tâche, fastidieuse si l'amour ne l'éclaire pas ? Jamais une étrangère ne remplacera la mère, à quelques exceptions près. Socialiser la maternité est chose impossible. L'éducation première réclame une présence, toujours la même, une vigilance inlassable, ne se mesurant ni à l'heure, ni à la journée. L'œuvre maternelle ne peut ni se chronométrer, ni se tarifer. Et réjouissons-nous qu'il en soit ainsi, dans cette folie de standardisation qui sévit aujourd'hui.
Si la mère, ai-je dit, est la dispensatrice du bonheur humain, n'est-ce pas parce qu'elle en fait l'apprentissage en donnant à son enfant la science du bonheur ? Elle la lui donne par sa présence, par sa gaîté, par ses caresses, par les chansons qu'elle lui chante, par les promenades où elle lui fait observer le vol des papillons et la beauté des fleurs, par la quiétude dont elle l'entoure. Elle la lui donne en apaisant ses colères et ses inquiétudes, en lui enseignant à dominer ses petites passions. Elle la lui donne par ces premières initiations que j'énumérais tout à l'heure. Elle lui enseigne la grâce de vivre, lui apprend à être heureux, ce qui est peut-être la science la plus difficile à enseigner, et pourtant celle dont l'humanité a le plus besoin. Cet enseignement commence avec la vie. L'enfant qui n'a pas connu le bonheur dans ses premiers ans, conservera toujours une ombre sur son caractère, une inquiétude dans sa pensée, nuisibles à son développement. La confiance et la générosité pourront, de ce fait, lui faire défaut.
Cette éducation de la mère n'est ni didactique, ni livresque. C'est une éducation faite de gestes et d'échange de tendresse, inspirée par l'heure et les circonstances. Dans cet échange, la mère, à son tour, puise des ressources nouvelles d'amour, de patience, de compréhension de la vie. Elle se pacifie, s'élève à la sérénité, acquiert une philosophie naturelle où le bon sens s'alimente à la source sensible qu'elle porte en elle, et qui, si souvent, lui fait voir juste et raisonner sainement.
La mère n'a pas à donner l'éducation intellectuelle. Elle peut y aider, à la maison, si l'enfant fait appel à ses connaissances, demande un renseignement, un éclaircissement. Mais l'instruction proprement dite devra être donnée en dehors. Je l'ai maintes fois répété : il faut, à l'éducation rationnelle de l'enfant, la coopération du foyer et de l'école. « L'idéal éducatif, ai-je dit, c'est l'enfant élevé dans sa famille, par ses parents, près de ses frères et sœurs, avec comme point de contact social l'école en commun plusieurs heures par jour en compagnie d'enfants de son âge ». Je ne puis que le redire encore. L'école donne l'enseignement ; la famille développe le sens moral. Mais l'éducation morale doit avoir précédé tout enseignement, et la première éducation maternelle est essentiellement morale, non pas par des préceptes, mais par l'exemple, et par l'ambiance qui enveloppe l'enfant. C'est pourquoi l'école ne devra pas commencer trop tôt ; mais seulement vers la sixième année. Le caractère, alors, étant formé, la société des autres enfants deviendra nécessaire à l'enfant pour lui permettre d'acquérir les qualités de sociabilité, d'endurance, de tolérance, d'urbanité, qui lui seront indispensables pour la conduite de sa vie. L'enfant qui serait exclusivement instruit dans sa famille deviendrait un tyran, à tout le moins un incapable de vie sociale. Mais, près de l'école où il puise les notions d'égalité civique et de fraternité humaine, le foyer restera le refuge toujours ouvert où il retrouvera la paix, le bonheur, la tendresse, et cette liberté individuelle dont chacun a besoin ; le foyer où la mère fera rayonner la bienfaisante influence de sa douceur, accrue et augmentée par l'expérience qu'elle-même aura acquise pendant l'accomplissement de sa tâche maternelle.
On prétendra peut-être que j'ai donné là une définition de la mère idéale. Sans doute. Mais toute mère peut et doit réaliser cet idéal. Il lui suffit d'apprendre et de comprendre la grandeur de sa tâche, sa vraie tâche, celle que lui assignent la nature et la vie. Je ne prétends pas qu'elle ne puisse pas en remplir d'autres ; mais les autres tâches peuvent se passer d'elle, alors qu'elle est irremplaçable dans sa mission maternelle. Il faut qu'elle sache qu'en la désertant, c'est l'humanité qu'elle voue à la misère morale.
Les Mères et la Paix, l'Universelle Maternité. – Puisque la mission maternelle est une mission d'amour, il faut que les mères comprennent qu'elles ont à remplir un devoir auquel jusqu'à présent elles ont insuffisamment songé. Il faut qu'elles deviennent des éducatrices de paix. Cette science du bonheur qu'elles donnent à leurs enfants, il faut qu'elle soit orientée vers le bonheur universel. Cette paix des gestes, du langage, de la vie familiale, il faut qu'elle contribue à former chez l'enfant un esprit pacifique.
La mère, qui a d'abord aimé son enfant égoïstement, a appris à l'aimer pour lui-même, en acceptant les ruptures naturelles, les séparations imposées par la vie. Mais, en l'aimant assez pour le voir libre et éloigné d'elle, elle ne l'entoure pas moins d'un amour exclusif. Elle veut son bonheur sans songer aux conditions mêmes de ce bonheur. Il faut qu'elle fasse un pas de plus sur ce chemin de l'altruisme. Il faut que sa maternité s'élève au principe d'universalité ; il faut qu'elle veuille non seulement le bonheur des siens, mais encore le bonheur de tous. Ce principe d'universalité, elle le trouvera dans l'amour de son enfant, si elle songe qu'elle-même n'est qu'une fraction de l'Universelle maternité, et que l'amour qui l'anime est celui de toutes les mères. Quand les mères auront compris cela, elles seront des éducatrices splendides, car elles auront également compris qu'en élevant leurs enfants dans le souci des autres, elles augmentent pour eux-mêmes les chances de bonheur. Elles auront compris que le bonheur d'un seul n'est pas possible dans une humanité rongée par l'orgueil et l'égoïsme.
La guerre, épouvantail des mères, serait impossible demain, si ce principe de maternité universelle était reconnu, si les mères savaient étendre l'amour qu'elles ont pour leurs fils à tous les fils, si elles se sentaient vraiment les « mères de tous les hommes ».
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La Mère dans la société et devant la loi. – L'importance du rôle maternel n'est pas une vérité nouvelle. Les penseurs de tous les temps ont honoré la maternité. Dans tous les pays et à toutes les époques le rôle de la mère a été particulièrement respecté. Les premières civilisations scandinave et germanique admettaient la mère dans leurs assemblées, tenaient compte de ses conseils, et dans les circonstances graves – particulièrement en ce qui touchait la famille – s'en remettaient à son jugement. Dans l'Inde, la mère prenait le titre de djajaté, « celle qui fait renaître ». Chez les Juifs, la maternité conférait à l'épouse des droits particuliers. En Grèce, l'épouse était soumise à la même réclusion que la vierge tant qu'elle n'avait pas enfanté. À Rome, la maternité donnait à l'épouse le droit d'hériter, non seulement de son mari, mais encore d'un étranger. Les sénateurs romains se découvraient devant la femme enceinte. L'antique Égypte divinisait la mère. Les exemples abondent. Et on a pu être frappé, à juste titre, de la contradiction qui, existait entre ce respect de la maternité et la sujétion dans laquelle les mères étaient légalement tenues. Libres par leurs enfants, elles n'avaient le droit ni de les élever, ni de les diriger, ni de les marier. Cette, ancienne législation se retrouve encore aujourd'hui dans notre loi française. Le Code assimile la mère aux mineurs, aux repris de justice et aux fous. La maternité, cette plus haute fonction humaine puisqu'elle est créatrice, cette première fonction sociale puisqu'elle est la base de la société, la maternité est ravalée au rang de la servitude par l'obligation faite à l'épouse d'obéir à son mari. Or, la noblesse même de la maternité est atteinte par cette obligation de servitude. Qu'il n'en soit pas tenu compte dans les unions heureuses, c'est exact ; mais il n'en est pas moins vrai que la loi qui consacre cette servitude existe, et que tant qu'elle ne sera pas abrogée, elle blessera la dignité de la mère. La maternité ne doit pas seulement être libre dans l'accomplissement de l'acte, elle doit encore conférer à la mère la liberté légale et sociale. Si la mère est la protectrice et l'éducatrice naturelle de l'enfant, celle qui le comprend le mieux, celle dont l'amour constitue la sauvegarde des jeunes générations, on ne peut pas admettre qu'elle soit maintenue légalement dans une situation humiliante pour sa fonction d'éducatrice. Il faut à l'enfant, tant que la raison ne peut pas encore lui permettre de diriger sa vie, des protecteurs naturels. Notre Code le reconnaît ainsi : « L'enfant reste, jusqu'à sa majorité ou son émancipation, sous l'autorité de son père ou de sa mère ». Ce serait bien si le Code ne s'empressait d'ajouter ; « Le père exerce seul cette autorité ». C'est là une injustice flagrante. Sans que l'autorité soit exclusivement accordée à la mère (comme certains le demandent) puisque la responsabilité du père lui confère à lui aussi des droits, il serait pour le moins équitable que la loi établît l'égalité des droits du père et de la mère pour la tutelle et la direction des enfants. Actuellement, une mère ne peut pas autoriser sa fille à s'inscrire aux examens du baccalauréat ; elle ne peut pas l'autoriser à contracter un mariage que son cœur désire. Le père peut être violent, despote, alcoolique, malade, c'est lui qui détient tous les droits. Même disparu (si sa mort n'est pas enregistrée) il exerce encore son autorité. On peut être surpris qu'à notre époque il faille encore insister sur ce qu'une telle législation conserve de barbarie et de caducité.
La mère, si justement appelée la gardienne du foyer, devrait avoir sa place marquée dans les institutions sociales où ses qualités particulières l'appellent. Pour tout ce qui touche l'éducation, la protection de l'enfance abandonnée, les œuvres de solidarité, la cause de la paix, les tâches de réconciliation humaine, son concours serait précieux, parce qu'elle y apporterait ces dons de clairvoyance et de sensibilité que la maternité lui confère. Le machinisme est l'ennemi de la mère parce qu'il lui fait perdre ces qualités essentielles de sa nature. Mais il n'en est plus de même en ce qui concerne les fonctions sociales. Une femme qui a été mère et éducatrice est devenue de ce fait un individu évolué, en pleine possession de toutes ses facultés. Quand sa tâche maternelle ne la réclame plus, la vie active de la femme est loin d'être terminée. C'est alors qu'elle deviendra, dans la société et la coopération humaine, une collaboratrice précieuse, mère encore, mère toujours, en apportant à la communauté les vertus qui firent d'elle la providence familiale.
– Madeleine VERNET
Voir aussi maternité, paternité (sentiment paternel), paix (point de vue éducatif et moral), etc.