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MÉRITE n. m. (latin meritum, chose méritée)

Au sens général le mérite c'est ce qui rend digne d'estime ou de considération, c'est la valeur. Aussi parle-t-on des mérites d'un objet, d'un instrument, d'une plante, d'un animal. Le même terme s'applique aux qualités physiques ou intellectuelles de l'homme ; fréquemment il est question, dans la conversation ou dans les livres, du mérite d'un écrivain, d'un artiste, d'un orateur etc, C'est pour apprécier la valeur et le savoir des jeunes gens que l'Université a établi des examens d'ailleurs très mal compris en général. De même que la vigueur physique peut s'apprécier objectivement, de même le mérite intellectuel semble aisément constatable à l'ensemble des hommes. Il en va autrement lorsqu'il s'agit du mérite moral. Au point de vue moral le mérite suppose un accroissement volontaire de perfection ; c'est une notion connexe à celle de la responsabilité. L'homme qui pratique le bien verrait croître ses mérites ; la pratique du mal au contraire le diminuerait. Ainsi compris le mérite apparaît comme une entité métaphysique invisible pour l'homme et perçue seulement par Dieu et les esprits désincarnés ; en d'autres termes c'est une création imaginaire des prêtres et ds philosophes. Mais de théologique cette idée devait devenir positive comme tant d'autres. L. Barbedette a soutenu que le mérite moral était mesurable tout comme les dispositions physiques ou les capacités intellectuelles ; il pense qu'un jour il existera des laboratoires spéciaux pour l'étude et le développement des qualités morales. À l'aide de piqûres, d'instruments, de procédés scientifiques ordinaires, on pourra modifier les tendances, opposer ou faire naître les passions, traiter les dispositions mentales dépendantes à l'heure actuelle dans ce qu'on nomme la morale. Une telle conception heurte trop les idées courantes pour être admise de sitôt. Néanmoins des expériences ont déjà été faites en ce sens ; elles ont donné de bons résultats.

Pour le plus grand nombre des moralistes, le mérite demeure l'entité occulte des théologiens. En obéissant aux prêtres, en leur donnant beaucoup d'argent, le catholique s'imagine ainsi des mérites invisibles, des grâces célestes qui lui vaudront une éternité de bonheur. Mais comme beaucoup veulent une récompense dès ici bas, les gouvernements ont créé des titres, des médailles, des rubans pour les citoyens méritants. Il va sans dire que, par citoyen méritant, l'autorité entend, l'homme servile toujours disposé à obéir aux chefs ou l'esprit rusé qui dupe les autres et les exploite. On anoblissait avant la Révolution ; sous la République, les hommes politiques disposent de kilomètres de ruban rouge, vert ou violet. L'industriel, le financier, le négociant qui surent amasser une fortune, en volant selon le code, finissent en général dignitaires de la Légion d'honneur ; de même l'écrivain respectueux de la tradition et de l'ordre établi. On voit ce qu'il faut entendre par mérite au sens des autorités actuelles, c'est le comble de l'immoralité, le sacrifice de l'indépendance à des intérêts inavouables, la platitude devant les exploiteurs de l'humanité. Presse, écoles, églises, opinion ne reconnaissent et n'honorent naturellement que ce mérite-là.