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MESURE n. f. (du latin mensura)

Mesurer une grandeur, c'est la comparer à une grandeur de même espèce prise comme unité. Le but primitif, et encore le but principal de cette opération, est de procurer aux hommes les enseignements nécessaires à l'identification des objets dont ils parlent, dont ils font usage ou qu'ils échangent entre eux. Le nombre des qualités soumises à la mesure, la précision exigée de celle-ci, croissent avec le progrès des sociétés.

Du jour où l'homme ne vit plus seulement de chasse et d'élevage, mais cultive la terre, le besoin de mesures de longueur et de superficie se fait sentir. C'est dans la vallée du Nil et dans les contrées comparables comme fertilité que prit naissance la géométrie. Dès que se développa le commerce, d'autres mesures furent indispensables. Selon M. Martin, inspecteur des poids et mesures de Grande-Bretagne, c' est alors qu'il devint indispensable d'avoir une mesure de capacité permettant d'acheter ou de vendre des marchandises, céréales, boissons, etc. La nécessité des mesures de poids ne se fit sentir que beaucoup plus tard avec les progrès de la civilisation, quand les hommes commencèrent à faire des affaires avec les pays voisins, pour les métaux et autres matières qui ne peuvent s'échanger exactement à l'aide de mesures de capacité.

Pour que les unités de mesure pussent fournir en toutes, circonstances les données requises pour la reconnaissance des objets énoncés, il était utile que chacun des contractants les eût à sa disposition. Il est donc naturel que les dimensions du corps humain aient servi de base pour l' établissement des unités de longueur ; leur avantage c'était que chaque homme les possédait sur lui partout où il allait et que, quand il le fallait, la moyenne des mesures prises sur plusieurs individus, donnait l'unité avec assez d'exactitude pour l'époque.

« La mesure principale prise sur le corps humain se prêtait particulièrement à la subdivision. La longueur du pied était presque la sixième partie de la hauteur d'un homme ou de la distance d'une extrémité à l'autre des bras étendus. La distance du coude à l'extrémité des doigts (coudée égyptienne de six palmes) était environ une fois et demie la longueur du pied. La longueur de l'extrémité du pouce était environ la douzième partie du pied, et celle du poing fermé environ le tiers. Chacune de ces mesures pouvait être fixée avec autorité comme mesure étalon et les autres pouvaient s'y référer ».

L'unité de capacité elle-même, équivalente à la pinte en de nombreux pays, fut, sans doute basée sur les besoins du corps humain ; elle représentait, pense-t-on, la quantité de boisson nécessaire à un repas.

Dès que les sociétés furent mieux organisées, les étalons de mesure durent être définis avec plus de précision. Au British Museum, on conserve des poids du temps de Nabuchodonosor, poids portant la mention de garantie de membres du sacerdoce. À Rome, les poids étaient frappés au sceau de l'État.

De nos jours une convention du 20 mai 1875 oblige 28 États qui se sont entendus pour adopter comme unité de longueur une barre métallique dite mètre déposée au Bureau international des poids et mesures, au Pavillon de Breteuil. Chaque pays adhérent en possède une copie et, périodiquement, on vérifie par comparaison avec le prototype que la longueur de celle-ci n'a pas varié. La barre déposée au Bureau de Sèvres, représente, environ, la dix-millionième partie du quart du méridien terrestre. (Voir système métrique.)

Les comparaisons faites jusqu'ici ont montré qu'il était infiniment probable que la longueur de la barre-type n'avait subi, avec le temps, aucune modification. Cependant, comme nos connaissances physiques actuelles jettent quelque doute sur la pérennité de la matière, on a jugé prudent d'adjoindre aux étalons métalliques d'autres susceptibles de contrôler leur invariabilité. « La fixité, dans le temps, de l'unité métrique déjà bien assurée par les remarquables propriétés du platine iridié dont sont faits le prototype international et ses témoins, avait trouvé un premier contrôle dans la détermination du rapport des longueurs d'onde fondamentales au mètre. Le Comité International des Poids et Mesures a voulu, cependant, se prémunir encore contre les possibilités d'une variation ultérieure de ce rapport, et pour cela constituer un troisième terme de comparaison par l'établissement et la détermination d'étalons en quartz cristallisé, substance offrant toutes garanties de stabilité et d'inaltérabilité. » En fait, la longueur dé référence, au lieu d'être un objet matériel serait la longueur d'onde d'une lumière monochromatique, celle de la raie rouge du Cadmium.

Une fois définie l'unité de longueur, on a intérêt à en faire dériver toutes les autres. On constitue ainsi un système de mesures rationnelles, tel que notre système métrique, qui, depuis le développement de la science et de l'industrie, est complété par le système C. G. S. dont les unités sont : une unité de longueur, le centimètre ; une unité de masse, le gramme ; une unité de temps, la seconde.

Signalons que depuis une loi du 2 avril 1919, l'unité de force a été changée. Cette unité, le Sthène, est la force qui, en une seconde, communique à une masse égale à une tonne, un accroissement de vitesse de un mètre par seconde. Comme unité de force tolérée demeure le kilogramme-poids ou kilogramme force, force avec laquelle une masse de un kilogramme est attirée par la terre. Le kilogramme poids est pratiquement égal à 0.98 centisthène.


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On dit quelquefois qu'il n'y a science que des choses mesurables. Cela serait vrai de la science parfaite, si elle était possible, mais non de la science qui se fait ; ou, si l'on veut, on doit reconnaître des degrés dans la mesure.

Toutes les grandeurs sont-elles mesurables, comparables a une autre de même espèce prise comme unité ? Nullement. Deux conditions sont indispensables. Pour qu'au nombre exprimant une mesure corresponde un caractère fixe et défini d'une grandeur, il convient que celle-ci soit, au préalable, analysée qualitativement et réduite à la simplicité.

Il faut, comme première condition, que deux corps, objets de mesure équivalents à un troisième par rapport à la propriété étudiée, soient encore équivalents, par rapport à la même propriété, vis-à-vis de tout autre corps. Cela ne se réalise pas pour certaines grandeurs complexes et mal définies. Sous le nom de dureté nous comprenons à la fois la résistance à la rayure et la résistance à la déformation. Si l'on mesure la dureté des différents corps à l'échelle de Mohs (rayures) ou à la bille de Brinell (surface de l'empreinte laissée par une bille d'acier de 10 m/m de diamètre sous 3.000 kg.), le classement n'est pas le même. La dureté, grandeur susceptible de plus et de moins, est sujette à l'appréciation et non à la mesure. Cette simple appréciation est cependant une connaissance scientifiquement indispensable à l'industrie. Au contraire, deux corps qui produisent le même effet sur une balance se comportent de même vis-à-vis d'un peson à ressort. La grandeur poids est mesurable.

Une seconde condition est encore obligatoire : l'additivité. « La juxtaposition de plusieurs corps semblables doit permettre de constituer un système équivalent, par rapport à une propriété donnée, à un autre où cette propriété est plus développée. »

Par exemple une longueur de 22 centimètres peut être constituée par l'adjonction de 22 éléments de un centimètre. La longueur est mesurable. Au contraire une température de 22° ne peut être obtenue par la réunion de 22 corps à un degré. La température n'est pas directement mesurable, au sens strict du mot. On ne peut même pas dire qu'une température est le double ou le triple d'une autre. C'est pour cela, par exemple, que la réfrigération devient de plus en plus coûteuse à mesure qu'on se rapproche du zéro absolu. B. Brunhes disait que la difficulté qu'il y aurait à descendre de 10° à 5° absolus est du même ordre que celle qu'il y aurait à obtenir à l'autre bout de l'échelle une température double (comme chiffre) de la plus haute température obtenue jusqu'ici.

Mais la température est repérable ; on peut en effet la caractériser d'une façon univoque par l'intermédiaire d'une propriété mesurable qui varie dans le même sens ; par exemple la dilatation d'une barre de métal, d'un gaz, d'une colonne de mercure.

Les grandeurs qui satisfont à la deuxième condition sont des extensivités. Celles qui se comportent comme la température sont des intensités.

Nous voyons que notre connaissance des grandeurs comporte des degrés : Appréciation, repérage, mesure. Et tous ces modes de connaissance d'une précision croissante et tous utilisables peuvent être qualifiés de scientifiques. En fait, les sciences les plus complexes, la biologie, la sociologie, la psychologie ne sont pas celles qui nous intéressent le moins et si elles ne sont guère encore accessibles à la mesure mais seulement à l'appréciation ce n'est pas une raison pour les considérer comme restant en marge de la science et pour manifester trop de scepticisme à l'égard des enseignements qu'elles nous offrent aujourd'hui. 

– G. GOUJON.


MESURE

Les hommes se sont toujours efforcés de connaître leur milieu de vie pour s'y adapter et surtout pour l'adapter à leurs besoins.

Ils ont connu ce milieu, grâce il leurs organes des sens ; à leurs oreilles, à leurs yeux, etc. Mais ces organes ne leur ont permis d'avoir que des connaissances imparfaites et fragmentaires. « L'œil, par exemple, ne perçoit pas la dixième partie du spectre lumineux ; s'il pouvait distinguer les radiations émanées de tous les êtres vivants en raison de leur température, il les verrait clairement pendant la nuit. L'être que nous percevons est une forme fictive créée par nos sens. Si nous parvenions a le contempler tel qu'il existe réellement entouré de la vapeur d'eau qu'il exhale, du rayonnement que sa température engendre, ce même être nous apparaîtrait sous l'aspect d'un nuage aux changeants contours. » (Dr Gustave Le Bon.)

Même dans le domaine qui leur est accessible, nos organes des sens nous induisent souvent en erreur ; lorsque nous nous ennuyons le temps nous paraît plus long ; si, avec notre main, nous voulons comparer les poids d'une boîte de carton et d'une balle de plomb, nous risquons fort de nous tromper car les objets plus gros paraissent plus légers que les objets de même poids, mais plus petits, etc.

Il est un premier moyen de nous préserver contre les erreurs dans les rapports que nous font nos organes des sens, c'est d'éduquer ces organes. Par l'exercice nos sens se perfectionnent : « Un marin distingue la forme et la structure d'un navire sur la mer, quand le passager ne voit encore qu'un point trouble et informe. Un Arabe dans le désert distingue un chameau et peut dire à quelle distance il se trouve, alors qu'un Européen ne voit absolument rien. » (Dr E. Laurent.)

Il est d'autres moyens de nous garder contre les erreurs et d'accroître nos connaissances ; ce sont d'abord : le contrôle du rapport d'un organe des sens par le rapport d'un autre organe (ou de plusieurs) : l'œil, par exemple, en nous renseignant sur la nature d'un objet peut nous prémunir contre l'illusion de poids que nous venons de signaler ; la comparaison plus minutieuse grâce au calcul et à l'expérimentation : Jean et Pierre ont chacun un sac de billes, ils voient bien qu'ils en ont autant ou presque autant, en les comptant ils seront plus exactement renseignés ; ces mêmes bambins viennent à l'école en suivant des sentiers et des chemins différents, quel est celui qui a la plus longue distance à parcourir ? Pierre est convaincu que c'est lui, mais Jean fait observer que sur son chemin à lui il y a des arbres, des maisons, une mare, etc. qui attirent l'attention, distraient l'esprit et font paraître plus court le temps passé a parcourir ce chemin comme aussi ce chemin lui-même, enfin nos bambins, pour la même raison, décident de mesurer leur chemin, comme ils ont mesuré le contenu de leurs sacs de billes ; chacun d'eux comptera le nombre de pas qu'il doit faire pour venir à l'école. Ces deux cas suffisent pour nous montrer que la mesure est une opération imaginée par l'homme pour rendre ses comparaisons moins imprécises et moins subjectives.

Mais l'on ne passe pas tout d'un coup de l'imprécision à la précision, de la subjectivité à l'objectivité... Imaginons que les enfants, dont nous parlions tout à l'heure, réalisent leur projet et que Pierre et Jean nous disent le lendemain combien chacun d'eux a fait de pas pour venir à l'école ; si les nombres sont quelque peu rapprochant nous resterons dans le doute, car nous savons que le pas du premier est plus (ou moins) long que celui du second. Nous arriverions à un peu moins d'imprécision si un seul de ces enfants, s'efforçant de marcher d'un pas égal, comptait le nombre de pas qu'il doit faire pour parcourir chacune de ces deux distances, la mesure en ce cas serait ainsi moins subjective que dans le cas précédent. Cette mesure serait pourtant loin d'être précise, il est difficile de marcher d'un pas égal, surtout s'il se trouve un bout de chemin accidenté, pierreux ou creusé d'ornières. En définitive, les mesures naturelles – le pas, le pouce, le pied, la brassée, la poignée, la pincée etc. – suffisantes pour certaines nécessités de la vie pratique et qui, à cause de cela, sont encore utilisées journellement, n'apportent qu'une documentation tout approximative. Et leur précision devient de plus en plus insuffisante à mesure que la civilisation se développe.

Un progrès fut réalisé par l'étalonnage de ces mesures naturelles. Si, pour en revenir à notre exemple, ni Pierre, ni Jean ne peuvent marcher d'un pas exactement égal, ils peuvent convenir de couper une baguette de la longueur du pas de l'un d'eux et de s'en servir d'instrument de mesure. Si nous négligeons les erreurs subjectives résultant d'un emploi plus ou moins attentif et habile de cet instrument, nous pourrons dire que Pierre et Jean vont pouvoir comparer objectivement, grâce à cet instrument de mesure, les distances qu'ils ont à parcourir pour se rendre en classe. Ils pourront même prêter leur baguette à quelques camarades désireux de suivre leur exemple. Si quelques-uns de ces derniers sont pressés, ils pourront encore imaginer de couper d'autres baguettes, chacune de ces baguettes ayant, aussi exactement que possible, la même longueur que la baguette primitive. Celle-ci sera ainsi devenue une baguette étalon qu'on pourra utiliser comme instrument de contrôle pour la confection de baguettes analogues.

Il est possible aussi que, dans un autre lieu, d'autres enfants, plus grands ou plus petits, imaginent d'autres mesures naturelles, qui pourront être les mêmes que celles imaginées par le groupe précédent mais qui pourront aussi être différentes. Ce pourra être, par exemple, non plus la longueur du pas mais celle de l'avant-bras et de la main étendue qui servira de mesure pour les longueurs... Dans ce cas encore les nécessités de la vie groupale amèneront les individus qui veulent se comprendre, œuvrer ensemble ou échanger, à éclairer et régulariser leurs données et leurs comparaisons, bref à étalonner une mesure choisie. La fantaisie de chacun ne peut apporter la rigueur nécessaire aux échanges, il faut qu'un accord intervienne sur une mesure-type et que la convention acceptée devienne d'observation courante. Discipline finalement bienfaisante et qui, si l'on en pénètre intelligemment les vertus, peut être amiable, tacite, libérée de la contrainte d'une codification tyrannique. Mais là encore il apparaît que la vie sociale n'est pas possible sans une certaine restriction de la liberté, sans un certain effort de chaque individu pour se mettre à la portée des autres en adoptant même langage, mêmes mesures, mêmes mœurs, etc.

Imaginons maintenant que deux enfants appartenant à nos deux groupes différents se rencontrent et évaluent des longueurs, l'un en pas, l'autre en coudées ; les nombres qui exprimeront ces longueurs ne permettront pas des comparaisons précises puisqu'ils s'appliqueront à deux unités de mesure différentes et nos deux enfants devront choisir entre ces deux unités de mesure ou en imaginer une troisième.

Pour les mêmes raisons les hommes vivant en société ont, successivement, utilisé des mesures naturelles ; puis créé des étalons de mesure ; enfin – dans un effort pour plus d'objectivité, de simplicité et de logique – recherché un système international de mesures.

Pour faire comprendre un autre aspect du progrès dans le choix des unités de mesure nous pouvons prendre à nouveau des enfants en exemple. Il suffit de les observer dans leurs jeux. Comptent-ils toujours les longueurs, qu'ils doivent mesurer dans certains jeux (billes, bouchons, etc.), en pas ? Ceci devient impossible lorsque les longueurs à comparer sont inférieures à un pas, il leur faut alors imaginer d'autres unités de mesure : pied, pouce, etc., qui leur permettent de mesurer avec assez de précision et de rapidité. De même la ménagère qui fait sa soupe n'emploie pas la même mesure naturelle pour mesurer le poivre (pincée) que celle qu'elle utilise pour la mesure du sel (poignée). Pour satisfaire tout à la fois leurs besoins de précision et de rapidité dans la mesure, les hommes vivant en société emploient, suivant les cas, des unités différentes de mesure dont les unes sont dites unités principales et dont les autres sont des unités secondaires : pour les longueurs l'unité principale est le mètre mais si je mesure la largeur d'une planche, par exemple, j'exprimerai le plus souvent cette dimension en centimètres ; le centimètre est l'une des unités secondaires de longueur.


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Ainsi ce sont les besoins de la vie pratique, surtout sociale qui sont à l'origine de la mesure et qui ont tout d'abord, et avant toutes autres causes, provoqué un perfectionnement des moyens de mesure. Mais la mesure a acquis aussi, peu à peu, une importance considérable à l'égard des recherches scientifiques. « Les rapports entre les phénomènes, rapports dont la découverte est l'objet même de la science, sont le plus souvent tellement marqués par divers facteurs connexes, qu'il est nécessaire, pour les mettre en lumière, d'une mesure délicate. Ce n'est qu'en mesurant deux phénomènes dans des circonstances différentes qu'on peut établir si leurs variations sont concomitantes, et par conséquent s'il existe entre eux une certaine relation. » (Claparède). « La mesure n'est au fond qu'un artifice employé par l'intelligence humaine pour s'aider dans l'analyse délicate des phénomènes complexes. » (Decroly). On ne mesure pas pour le plaisir de mesurer mais pour analyser, pour voir s'il y a, ou s'il n'y a pas, une relation – et laquelle –entre deux phénomènes. « Il n'y a pas de science sans mesure. » (Ch. Féré). Comme Goujon, nous croyons que cette affirmation est un peu trop catégorique. Certes, pour être réellement mesurable, les grandeurs doivent obéir aux lois d'équivalence et d'additivité et il est des phénomènes, ceux de conscience par exemple, qui sont des qualités, c'est-à-dire des valeurs plutôt que des grandeurs, qui ne peuvent se réduire à un continu homogène et n'ont par conséquent rien de quantitatif. Les sciences les plus complexes doivent se contenter du repérage, indiqué par Goujon ; de la sériation, ou mise en ordre d'un groupe de grandeurs discontinues et des mesures indirectes. Ainsi que l'indique Goujon la température n'est pas mesurable mais repérable bien qu'une loi sur les unités de mesure (2 avril 1919) veuille définir l'unité de mesure des températures.

Les savants ne sont pas d'accord en ce qui concerne la mesure du temps. « Le temps psychologique n'est pas continu parce que les instants qui le composent sont formés de phénomènes perçus l'un après l'autre. » (Euriques). Cependant « nous avons la sensation du rythme de certaines séries acoustiques que nous appelons isochrones ; les différentes séries de sons, que nous percevons comme isochrones, nous fournissent des mesures de temps comparables entre-elles, et nous amènent ainsi, bien qu'avec une exactitude restreinte à une même appréciation des durées égales, et, par conséquent, à, une même mesure naturelle du temps. » (Euriques). L accord des horloges entre elles – des horloges de précision s'entend – et avec les observations astronomiques, nous paraît prouver la possibilité de la mesure du temps physique. Le langage populaire ne s'embarrasse pas de toutes ces difficultés et de toutes ces distinctions ; le commerçant parle du « poids » de ses marchandises alors que pour le savant il s'agit, en réalité, de leur « masse ». Le poids d'un corps est une grandeur qui varie selon la latitude et l'altitude ce mot « poids » doit éveiller en nous l'idée de l'attraction des corps par la terre. La masse ou quantité de matière des corps est par contre une quantité invariable qui ne dépend ni de l'altitude, ni de la latitude. Des savants eux-mêmes emploient le mot mesure lorsqu'il s'agit en réalité dune sériation, d'une comparaison aussi objective que possible, c'est ainsi que l'on parle de la mesure de l'attention, de la mémoire, de l'intelligence, etc.


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« Dans les mesures proprement dites, le choix arbitraire de l'unité est en principe indifférent, mais il est indispensable d'arriver à une convention uniforme, afin que les chiffres donnés par différents expérimentateurs soient comparables, sinon la confusion serait extrême. Cela est cependant difficile pour deux raisons. En premier lieu, il ne convient pas d'employer la même unité pour des grandeurs très différentes de la même propriété, sans quoi les mesures seraient exprimées par des nombres ayant trop de chiffres figuratifs. Pour éviter ce premier inconvénient, on peut prendre des unités différant dans le rapport de 1 à 1000 ; de cette façon les confusions ne sont guère possibles. On emploie ainsi pour les longueurs le kilomètre, le mètre et le micron ; pour la quantité de chaleur la grande et la petite calorie.

Une seconde difficulté résulte de traditions anciennes difficiles à déraciner.

Jusqu'à la Révolution on employa, en France, des mesures qui présentaient deux inconvénients principaux : 1° une confusion extrême : un même mot pouvait désigner plusieurs unités de valeurs différentes ; 2° les subdivisions des différentes unités n'étaient pas en rapport avec notre système de numération qui était et est encore décimal. En 1790, la Constituante adopta un projet d'unification des unités de mesure. De 1792 à 1799 un arc du méridien de Paris, entre Dunkerque et Barcelone fut mesuré, on en déduisit la longueur totale du méridien et la quarante millionième partie de cette longueur fut prise pour unité de longueur et reçut le nom de mètre. Le mètre servit de base à toutes les autres unités du nouveau système dit système métrique et ce système dit aussi système des poids et mesures – à tort car les poids sont des mesures, comme les longueurs, les surfaces, etc. – employa le système décimal pour les multiples et les sous multiples.

Ce n'était pas là le terme du progrès. En 1881 un congrès d'électriciens adopta le système C. G. S. ayant pour bases le centimètre, le gramme et la seconde. Un troisième système connu sous le nom de système M. K. S. prend comme unités de mesures le mètre, le kilogramme et la seconde.

Enfin une loi sur les unités de mesure, du 2 avril 1919 (Journal officiel, 4 avril 1919) impose un nouveau système, dit système M. T. S., parce qu'il a comme unités fondamentales le mètre, pour les longueurs ; la tonne, pour les masses et la seconde, pour le temps. Cette loi était justifiée par les progrès scientifiques et industriels ; l'énergie électrique, par exemple, est aujourd'hui de vente courante et exige l'emploi d'unités spéciales qu'il était utile de fixer comme l'étaient les unités de longueur, de surface, de volume, etc. De cette loi qui n'apportait nul changement à notre système monétaire, nous extrayons le tableau des unités principales :

Longueur. L'unité principale de longueur est le mètre. L'étalon pour les mesures de longueur est le mètre, longueur définie à la température de 0 degré par le prototype international en platine iridié qui a été sanctionné par la conférence générale des poids et mesures, tenue à Paris en 1889, et qui est déposé au pavillon de Breteuil, à Sèvres.

L'unité de longueur, de laquelle seront déduites les unités de la mécanique industrielle, est le mètre.

Masse. L'unité principale de masse est le kilogramme. L'étalon pour les mesures de masse est le kilogramme.

L'unité de masse, de laquelle seront déduites les unités de la mécanique industrielle est la tonne, qui vaut 1000 kilos.

Temps. L'unité principale de temps est la seconde. La seconde est la fraction 1/86400 du jour solaire moyen.

L'unité de temps, de laquelle seront déduites les unités de la mécanique industrielle est la seconde.

Électricité. Les unités principales électriques sont l'ohm, unité de résistance, et l'ampère, unité d'intensité de courant, conformément aux résolutions de la conférence des unités électriques, tenue à Londres en 1908.

L'étalon pour les mesures de résistance est l'ohm international qui est la résistance offerte à un courant électrique invariable, par une colonne de mercure à la température de la glace fondante, d'une masse de 14,4521 grammes, d'une section constante et d'une longueur de 106.300 centimètres.

L'ampère international est le courant électrique invariable qui, en passant à travers une solution de nitrate d'argent dans l'eau, dépose de l'argent en proportion de 0,00111800 grammes par seconde.

Température. Les températures sont exprimées en degrés centésimaux.

Le degré centésimal est la variation de température qui produit la centième partie de l'accroissement de pression que subit une masse d'un gaz parfait quand, le volume étant constant, la température passe du point 0° (température de la glace fondante) au point 100° (température d'ébullition de l'eau), tels que ces deux points ont été définis par la conférence générale des poids et mesures de 1889 et par celle de 1913.

Intensité lumineuse. L'unité principale d'intensité lumineuse est la bougie décimale dont la valeur est le vingtième de l'étalon Violle.

L'étalon pour les mesures d'intensité lumineuse est l'étalon Violle, source lumineuse constituée par une aire égale à celle d'un carré d'un centimètre de côté prise à la surface d'un bain de platine rayonnant normalement à la température de solidification, conformément aux décisions de la conférence internationale des électriciens, tenue à Paris en 1884 et du congrès international des électriciens, tenu à Paris en 1889. »

Nous avons cité intégralement ce tableau pour en tirer quelques remarques. D'abord la loi a suivi, avec assez de retard même, des progrès dans la mesure résultant de progrès industriels et commerciaux comme aussi des accords scientifiques internationaux réalisés par des savants. La loi sur les unités de mesure a sanctionné des mesures adoptées, tout comme la loi sur les syndicats ouvriers a sanctionné des libertés conquises par la classe ouvrière.

Une deuxième remarque s'impose. Alors qu'on s'est efforce et qu'on s'efforce encore de montrer aux écoliers la logique du système métrique en faisant dériver les unités des mesures de surfaces, de volumes, de capacités, de poids, et des monnaies, d'une seule unité principale, le mètre, dont la longueur serait elle-même déterminée avec précision par notre globe, le tableau précédent ne laisse pas apparaitre un tel enchaînement. C'est que cet enchaînement était en grande partie artificiel et que ses données étaient légèrement inexactes : un décimètre cube d'eau, aux conditions indiquées ordinairement ne pèse pas tout à fait un kilogramme ; la différence est inférieure à un trentième de gramme mais n'en existe pas moins. Ainsi les unités des mesures de poids, de masse, etc., sont indépendantes de l'unité des mesures de longueur. Ce n'est pas tout. En mesurant le méridien on a commis des erreurs, de nouvelles mesures seraient sans doute plus précises ; mais cependant on ne pourrait pas affirmer trouver la mesure de ce méridien à un dix millionième près ; or, on peut construire actuellement des mètres qui ne diffèreront du mètre déposé au pavillon de Breteuil que d'une quantité inférieure à un dix-millionième de la longueur de ce dernier et cette construction peut être faite en bien moins de temps qu'il n'en faudrait pour recommencer la mesure d'une fraction suffisante du méridien de Paris. La définition du mètre par une barre type est donc plus précise. L'unité de mesure initiale ne peut qu'être arbitraire et ceci est sans importance, l'essentiel est que cette unité (le mètre pour les longueurs) « puisse être réalisée par des types comparables entre-eux et dont chacun reste comparable à lui-même ».

Un autre gros avantage de nos systèmes actuels, c'est que les multiples et sous-multiples des unités principales suivent la méthode décimale – ce qui n'est vrai que parce que notre système de numération est décimal – les multiples de l'unité portent les noms de l'unité précédés des préfixes : déca (da, en abrégé) qui veut dire dix ; hecto (h) = 100 ; kilo (k) = 1 000 ; myria (ma) = 10 000 ; hectokilog (hk) = 100 000 ; méga (rn) = 1 000 000. Les sous-multiples portent les préfixes : déci (d) = 0,l ; centi (c) = 0,01 ; milli (m) = 0.001 ; décimilli (dm) = 0,0001; centimilli (cm) = 0,00001 ; micro = 0,000 001.

Cette multiplicité des multiples et des sous-multiples s'explique par le perfectionnement de nos appareils et de nos méthodes de mesure. Pour des mesures qui diffèrent tellement, nous employons des appareils différents ; par exemple, pour les longueurs le fil d'Invar sert à mesurer le kilomètre, le palmer est employé pour mesurer le millimètre et on mesure les microns avec l'appareil à franges de Fizeau.

Les méthodes de mesure peuvent être divisées en deux catégories : les mesures directes qui sont celles dans lesquelles on applique directement la définition de la mesure, c'est-à-dire dans lesquelles on recherche le nombre de corps unité qu'il faut juxtaposer pour constituer un système équivalent à la grandeur étudiée ; les mesures indirectes sont celles qui ne satisfont pas à cette condition. Nous faisons directement la mesure d'une longueur ; nous faisons une mesure indirecte lorsque nous calculons une surface après avoir mesure ses dimensions. Il est des mesures plus indirectes encore « consistant à ramener la mesure d'une grandeur à celle d'une autre qui soit une fonction déterminée de la première, c'est-à-dire qui lui soit rattachée par une loi dont nous connaissions la formule exacte. Parfois même, on est obligé de superposer l'intervention de plusieurs lois ».

La mesure se compose ainsi souvent de deux opérations : l'une physique, expérimentale, accompagnée de dénombrement ; l'autre qui est un calcul, l'application d'une ou de plusieurs formules. Ces deux opérations entraînent des erreurs que l'on s'efforce de rendre aussi minimes que possible, au moyen de procédés opératoires et de calculs, souvent fort compliqués et que nous ne pouvons exposer ici.


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En pédagogie l'emploi de la mesure – qui est plutôt une sériation – a surtout pour but de parvenir à une appréciation moins subjective du rendement scolaire et de la valeur des procédés didactiques. L'emploi des tests (voir ce mot) est cependant encore loin d'être généralisé bien que les examens actuels soulèvent depuis longtemps des critiques nombreuses. Nous sommes encore éloignés de ce que Claparède a appelé « l'école sur mesure » (voir au mot : École). La plupart des ouvrages qui traitent de ces sujets s'adressent à des spécialistes de la pédagogie et sont ignorés de la grasse masse des instituteurs. J'en signalerai quelques-uns à la fin de cette étude ne pouvant m'attarder sur un sujet ardu qui n'intéresserait que peu de lecteurs de l'Encyclopédie.


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Je serai presque aussi bref en ce qui concerne l'emploi de la mesure par l'enfant. Actuellement à l'école primaire quelques défauts sont à signaler.

D'abord on ne mesure pas assez. Les enfants font trop de calculs sur les longueurs, les surfaces, etc., sans opérer de mesures effectives.

On veut, en ce faisant, aller vite et éviter toute perte de temps ; en réalité, on enseigne des notions qui sont mal assimilées et on ne forme pas l'esprit. Pour former l'esprit il faut être moins pressé et, sans vouloir faire passer les enfants par toutes les étapes du progrès, il est bon de procéder à une récapitulation abrégée. Il est utile que les enfants se rendent compte, en les employant, de l'inconvénient des mesures naturelles, même étalonnées, et avant de leur faire calculer des surfaces, il est utile de leur en faire mesurer (avec un centimètre carré en papier pris comme unité de mesure, par exemple).

Enfin il faut éviter d'enseigner des erreurs (nous en avons signalé quelques-unes au cours de cet article) et s'efforcer de bien faire comprendre quels sont les avantages principaux de notre système actuel de mesures. 

– E. DELAUNAY.


BIBLIOGRAPHIE. – Sur la mesure en général, nous conseillons de lire : H. LE CHATELIER : Science et Industrie ; Ch. GUILLAUME : Initiation à la mécanique.

Sur l'emploi de la mesure en psychologie et en pédagogie : DUMAS : Traité de psychologie(1er vol.) ; CLAPARÈDE : Psychologie de l'Enfant et pédagogie expérimentale ; CLAPARÈDE : Comment diagnostiquer les aptitudes chez les écoliers ; PRESSEY : Initiation à la méthode des tests ; DEÇROLY BUYSSE : Introduction à la pédagogie quantitative ; BINET : Les idées modernes sur les enfants ; SIMON : Pédagogie expérimentale ; Mlle RÉMY : Un essai d'enseignement sur mesure ; J. GAL : Des faits à l'idée. – E. D.