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MICROBE n. m. (grec mikrobios, de mikros, petit et bios, vie)

Le mot microbe, créé par le Dr Sédillot en 1878, fut appliqué, d'abord, à des organismes très différents, bien que tous également invisibles à l'œil nu. Puis il devint presque synonyme de bactérie. Utilisant des microscopes encore très imparfaits, Leenvenhoeck, au XVIIème siècle, avait découvert un grand nombre de ces vivants minuscules, dans les infusions végétales et les matières en décomposition. En 1773, grâce aux progrès survenus dans la construction des instruments d'optique, Müller donne une étude détaillée sur eux, en les désignant sous le nom d'infusoires. Ehrenberg publie, à leur sujet, en 1833, un ouvrage remarquable ; mais il continue de considérer tous ces êtres microscopiques comme des animaux. Un peu plus tard, Cohn et Nœgeli devaient les classer dans le règne végétal. Enfin Pasteur et Tyndall (précédés par Raspail) montrèrent le rôle énorme de ces animalcules, tant au point de vue médical qu'au point de vue industriel. Et, dès lors, l'étude des microbes sera l'une des branches essentielles de la science expérimentale. Pasteur démontra que, dans l'état actuel, la vieille formule de Harvey : omne vivum ex ovo (tout vivant sort d'un œuf), reste vraie. Non qu'il ait déclaré l'homme radicalement incapable de produire de la matière vivante, comme on le laisse croire d'ordinaire pour l'édification des bien-pensants ; dans une conférence faite à la Société Chimique de Paris, le 22 décembre 1883, il donne à entendre qu'il a tenté cette suprême découverte. Mais il établit que les liquides organiques, même les plus putrescibles, sont incapables de donner directement des êtres vivants ; c'est aux germes, qui abondent dans l'air non calciné, que sont dues les altérations qu'ils subissent d'ordinaire. Un liquide, stérilisé au préalable, se conserve indéfiniment dans l'air privé de germes soit par simple filtration à travers une bourre de coton ou d'amiante, soit par une calcination à 130°, soit de tout autre manière. Il n'existe pas actuellement de génération spontanée. En fut-il toujours de même ? Pasteur n'a pas, ne pouvait pas trancher la question. Beaucoup pensent que les conditions physico-chimiques des époques primitives ou primaires ont rendu possible l'apparition d'un protoplasma (voir ce mot) rudimentaire mais vivant, qui n'impliquait point l'existence d'un œuf antérieur. Plusieurs estiment même qu'aujourd'hui encore la vie sort de l'inorganique et que la faible portée, aussi bien de nos instruments que de nos sens, est la seule cause qui nous empêche de le démontrer clairement. Quant à la théorie déjà ancienne des germes se propageant de planète à planète pour y faire éclore la vie, elle a recruté de nombreux partisans, depuis que l'on a mis en relief l'action propulsive des rayons lumineux sur les poussières cosmiques. L'intérêt philosophique, arbitrairement prêté par les penseurs spiritualistes aux expériences de Pasteur sur la génération spontanée, s'avère donc de médiocre importance. Mais elles conduisirent le célèbre chimiste à l'étude approfondie des ferments, puis des virus. De tout temps on avait rapproché les fermentations des maladies infectieuses ; mais alors que le milieu fermentescible est inerte, modifiable et déterminable à notre gré, l'organisme infecté s'avère vivant et d'une complexité impénétrable. Aussi Pasteur rechercha-t-il d'abord les causes profondes de la fermentation : « Depuis longtemps, a-t-il écrit, j'ai été conduit à envisager les fermentations (voir ce mot) comme des phénomènes chimiques corrélatifs d'action physiologique d'une nature particulière. Non seulement j'ai montré que leurs ferments ne sont point des matières albuminoïdes mortes, mais bien des êtres vivants, mais j'ai provoqué, en outre, la fermentation du sucre, de l'acide lactique, de l'acide tartrique, de la glycérine, dans des milieux exclusivement minéraux, preuve incontestable que la décomposition de la matière fermentescible est corrélative de la vie du ferment et que cette matière constitue un de ses aliments essentiels. Ce qui sépare les phénomènes chimiques des fermentations d'une foule d'autres, et particulièrement des actes de la vie commune, c'est le fait de la décomposition d'un poids de matière fermentescible bien supérieur au poids du ferment en action. Je soupçonne que ce caractère particulier doit être lié à celui de la nutrition en dehors du contact de l'oxygène libre. Les ferments sont des êtres vivants, mais d'une nature spéciale, en ce sens qu'ils jouissent de la propriété d'accomplir tous les actes de leur vie, y compris celui de leur multiplication, sans mettre en œuvre d'une manière nécessaire l'oxygène de l'air atmosphérique. » Plus tard, Pasteur étendra aux maladies contagieuses les propositions fondamentales établies pour les fermentations. Toutes deux résultent de la multiplication d'être vivants invisibles à l'œil nu, les microbes ; à chaque maladie infectieuse correspond un virus spécifique, comme à chaque fermentation différente un microorganisme particulier. Parasites capables d'une vie indépendante, les virus peuvent être cultivés hors de l'organisme, dans des milieux artificiels ; ce qui procure un excellent moyen d'investigation. Après des recherches approfondies sur les ferments et la maladie de la bière, Pasteur aborda l'étude du charbon, qui décimait alors les troupeaux, puis de la rage. Ses découvertes mémorables lui valurent une gloire dont nous ne contestons pas la légitimité. Mais s'il eut le mérite d'attirer l'attention sur le rôle des microbes, disons que ses successeurs modifièrent ses méthodes et ses idées sur bien des points. Après une phase de vogue extrême, le pasteurisme médical est fort malmené aujourd'hui ; l'explication microbienne des maladies contagieuses, ainsi que la fixité morphologique des microbes venus du dehors ou exogènes sont battues en brèche. On s'arrête de préférence à l'action des glandes endocrines et de leurs produits, à celle des doses infinitésimales, dont les homéopathes avaient déjà montré l'importance, à l'interprétation chimique des maladies et au rôle des équilibres ou arcs nerveux. Néanmoins l'on aurait tort de sous-estimer la place de la microbiologie ; elle reste et restera essentielle en médecine, en chirurgie et dans maintes branches de l'industrie.

Ainsi que nous l'avons dit précédemment, le terme microbe est devenu presque synonyme de bactérie dans le langage courant ; néanmoins certains champignons, des levures et des moisissures surtout, ainsi que plusieurs protozoaires sont à ranger parmi les microbes. Bien que dépourvues de matière colorante en général, les bactéries sont classées parmi les Cyanophycées ou Algues bleues, à cause de leur mode de reproduction. On distingue, d'après leur forme, les Microcoques, corpuscules arrondis tels que les ferments acétiques, les Bacilles, bâtonnets rectilignes comme les microbes du charbon, les Vibrions, filaments incurvés pareils à ceux du choléra, les Spiriles en forme de baguettes spiralées, les Spirochètes, aux spirales serrées, etc... Il existe des virus filtrants, invisibles même avec les meilleurs microscopes, tant leurs dimensions sont exiguës, et qui traversent les bougies-filtres Chamberland. Les virus de la fièvre jaune, de la rage, de la variole, de la scarlatine rentrent dans cette catégorie ; ce sont des bactéries semble-t-il, toutefois celui de la fièvre jaune paraît être un protozoaire. Ajoutons que la forme des microbes change avec le milieu nutritif et les variations de température, ce qui rend malaisé parfois leur détermination spécifique. Dans une solution de peptone, à 36°, les vibrions du choléra se transforment en petits bâtonnets, tandis que les bâtonnets du charbon donnent de longs filaments, quand ils sont cultivés dans un bouillon de poule. Nombre de bactéries possèdent des cils vibratiles qui leur assurent une grande mobilité ; on admet que chacune est composée d'une cellule unique, avec membrane et noyau réduit à des granulations éparses de chromatine, dans certaines espèces. Chez les microcoques, le protoplasme est peu volumineux ; toute la partie centrale semble occupée par un noyau. C'est par étranglements successifs que s'opère la multiplication des bactéries ; chaque cellule se coupe transversalement, et les deux parties ainsi engendrées, après avoir grandi, se sectionnent à leur tour. Si le milieu est favorable, la multiplication peut se faire avec une extrême rapidité ; un bacille rameux en donnera parfois quatre millions en douze heures ; mais elle s'arrête lorsqu'il devient contraire. Dans certaines conditions, des spores apparaissent, corpuscules sphériques entourés d'une membrane fort résistante. Protégées contre le froid ou la dessiccation, ces spores gardent longtemps leur vitalité ; elles germent pour se multiplier à nouveau dès que les circonstances redeviennent favorables. Les microbes aérobies ont un besoin absolu d'oxygène ; ils le puisent directement dans l'atmosphère ou le dégagent de combinaisons peu stables où il entre comme élément. Ainsi les bacilles du charbon décomposent l'oxyhémoglobine du sang pour absorber l'oxygène et provoquent l'asphyxie des tissus. Par contre, les microbes anaérobies cessent de se multiplier dès qu'ils sont en contact avec l'oxygène libre ; c'est le cas du bacille butyrique qui, atteint par l'air, devient immobile et meurt. Mais les anaérobies utilisent l'oxygène en combinaison ; ce qui conduit, en définitive, à des résultats identiques. Entre aérobies et anaérobies il existe d'ailleurs de nombreux intermédiaires ; le bacille de la fièvre typhoïde peut vivre sans air, il se développe mieux cependant au contact de l'oxygène. Pour la majorité des bactéries la température la plus favorable est comprise entre 35 et 40° ; beaucoup sont tuées lorsqu'elle s'élève de 60 à 80°. Mais la résistance de leurs spores est parfois très grande ; celles de la gangrène ne sont tuées qu'à 108°, celles du foin à 120° ; celles du charbon peuvent supporter 123° dans un milieu sec. Une température de 100° n'est donc pas suffisante pour obtenir une stérilisation parfaite ; elle tue néanmoins la majorité des germes. Quant aux basses températures, elles restent sans effet ; le microbe de la rage n'est pas tué à -20°, et celui du charbon continue de vivre après avoir supporté -130° pendant toute une journée. À la longue, l'air exerce une action destructive sur la majorité des bactéries, de même la lumière solaire, grâce aux rayons bleus, violets et surtout ultra-violets ; certaines substances dites antiseptiques sont également microbicides, ainsi le bichlorure de mercure, le permanganate de potasse, le formol, l'acide sulfureux, le lait de chaux, le sulfate de cuivre, le chlorure de chaux, l'acide phénique. Pour étudier les microbes on les cultive dans des milieux nutritifs appropriés : bouillons de viande ou de végétaux, peptones, sérum sanguin, tranches de pommes de terre ou de carottes, fruits, morceaux de gélatine ou de gélose. Ensemencées au préalable, ces substances sont conservées dans des tubes ou des ballons et maintenues à la température de 35°. Les laboratoires bactériologiques arrivent à disposer d'une collection de microbes très variés ; plusieurs toutefois n'ont pu être cultivés de la sorte jusqu'à présent. Veut-on obtenir un milieu liquide, un bouillon de viande par exemple, on commence par faire macérer à froid, dans un litre d'eau, 500 grammes de bœuf ou de veau que l'on a divisé, au préalable, en menus fragments. Après avoir exprimé ce mélange, on ajoute 5 grammes de sel marin, plus 1 gramme de phosphate de soude, au bouillon obtenu, que l'on maintient dix minutes dans un autoclave à 115° et que l'on passe sur un filtre mouillé. Une solution de soude au dixième permet ensuite de neutraliser ; puis le liquide est de nouveau maintenu quinze minutes dans un autoclave à 120°. La liqueur filtrée sera répartie dans des tubes ou des ballons, stérilisés au préalable, et refermés ensuite avec un tampon d'ouate. Pour obtenir un milieu solide à la gélatine, on ajoute 100 grammes de gélatine à 1000 grammes de bouillon ; on porte à l' ébullition et lorsque le mélange est ramené à 50°, on colle au blanc d'œuf et on alcalinise faiblement. Après quinze minutes d'autoclave à 110°, on filtre et répartit le produit dans des tubes stérilisés que l'on portera de nouveau à 110°, durant dix minutes. Plus tard, à l'aide d'une pipette ou d'une aiguille stérilisée, on introduira, dans le milieu liquide ou solide, une minime portion de substance contenant le microbe à cultiver. Par d'ingénieux procédés, l'on parvient à isoler une espèce de bactéries de toutes les autres qui coexistent avec elle dans le milieu ambiant et l'on arrive à des cultures pures permettant de démontrer, par inoculation, que tel ou tel microbe est l'agent d'une maladie donnée. Le même milieu ne convient pas à toutes les espèces indifféremment ; le bacille tuberculeux qui prospère dans le sang gélosé ou glycériné, ne pourra vivre dans la gélose pure. Ajoutons que la virulence d'un microbe pathogène peut s'accroître ou diminuer, selon les conditions de culture ; elle s'aggrave, pour le microcoque rabique, en passant par l'organisme du lapin ; elle s'atténue à 42° 5, pour le bacille charbonneux qui, inoculé impunément aux animaux, constitue alors un vaccin.

Fermentations et maladies sont deux manifestations particulièrement étudiées de l'activité microbienne. La fermentation alcoolique est provoquée par des champignons, les levures, dont la multiplication s'opère par bourgeonnement et qui vivent, soit au contact de l'air en se comportant comme une plante ordinaire, soit dans un milieu privé d'oxygène libre où elles doivent résister à l'asphyxie. Dans ce dernier cas, la levure de bière secrète l'invertine et la zymase, deux diastases dont la première transforme la saccharose en glucose et la seconde détermine la fermentation du glucose. Levure ellipsoïde et levure apiculée secrètent seulement la zymase. C'est sous l'influence du mycoderma aceti que s'accomplit la fermentation acétique ou transformation de l'alcool éthylique en acide acétique. La bactérie lactique, essentiellement aérobie, utilise les lactoses et les glucoses pour donner l'acide lactique. Quant au ferment butyrique, le bacille amylobacter, très l'épandu dans la nature, il est l'agent habituel de décomposition des tissus végétaux, mais reste sans action sur les tissus lignifiés ou subréfiés, ainsi que sur certaines variétés de cellulose. Il se substitue souvent à la bactérie lactique, quand l'oxygène est épuisé ; à l'état libre, ce dernier gaz le tue rapidement.

La science chirurgicale fit aussi une heureuse application des principes de Pasteur. Peut-être lui procura-t-elle son plus grand triomphe dans l'ordre médical, car on a reconnu que l'obscur travail des infiniment petits n'entre pour aucune part dans l'origine de nombreuses maladies. L'infection des plaies rendait souvent mortelles des opérations considérées présentement comme anodines. On ignorait la cause de cette infection, et les microbes les plus virulents, introduits par l'opérateur, pullulaient bientôt, provoquant des complications fatales. Elles ont à peu près disparu et, avec elles, le principal danger des interventions chirurgicales : septicémie, érysipèle, tétanos, infection purulente sont de lointains souvenirs. Les plaies faites au cours des opérations guérissent seules, maintenant, en quelques jours. Dès 1830, un humble médecin de campagne, Jean Hameau, avait eu l'intuition géniale des méthodes qu'il fallait employer ; Hœberlé, Le Fort et d'autres attribuaient une énorme importance aux soins de propreté ; Alphonse Guérin, vers la fin de 1870, songeait à préserver les membres amputés du contact de l'air. Mais c'est un chirurgien d'Edimbourg, Lister, qui, s'inspirant des travaux de Pasteur, créa vraiment la méthode antiseptique. Aujourd'hui, nouveau perfectionnement, tous les objets mis en contact avec la plaie sont, au préalable, stérilisés par la chaleur : instruments, aiguilles, agrafes passent dans des étuves sèches ; ouate, fil, objets de pansement dans des autoclaves. L'opérateur porte des gants, un masque, une blouse stérilisés ; malheureusement, malgré les lavages et brossages de la peau à l'endroit que le bistouri doit attaquer, malgré la teinture d'iode dont on la recouvre, des germes peuvent subsister, et l'air des salles d'opération n'est, lui aussi, que bien difficilement purifié des poussières qui voltigent partout. Ces derniers progrès se sont accomplis sous l'impulsion de Terrier qui, à la méthode antiseptique de Lister, substitua la méthode aseptique ; la première luttait contre l'infection des plaies par des moyens chimiques ; la seconde vise à l'éviter par l'emploi généralisé de la stérilisation préalable. On voit quelles prodigieuses répercussions les recherches microbiennes ont eu sur la chirurgie.

En médecine pure, après avoir voulu tout expliquer par les bactéries, on a constaté que bien des maladies étaient d'ordre biologique et soulevaient des difficultés qui ressortissent tant de la haute physique que de la chimie transcendante. Néanmoins, lorsqu'il s'agit de maladies transmissibles, c'est à la microbiologie qu'il faut recourir pour en connaître et les causes et les remèdes. Tuberculose, syphilis, diphtérie, fièvre typhoïde, choléra, charbon, rage, peste, fièvre jaune, fièvres paludéennes, tétanos, dysenterie, teignes, fièvre récurrente, maladie du sommeil, variole sont du nombre ; et l'on sait que plusieurs de ces affections comptent parmi les pires fléaux du genre humain. Koch découvrît, en 1882, le bacille de la tuberculose, mais ni lui ni aucun chercheur n'a pu trouver, jusqu'à présent, de sérum d'une efficacité indiscutable contre cette maladie si répandue. C'est dans les poumons, dont il détruit les tissus en formant de petits corps grisâtres et durs, les tubercules, qu'il s'installe de préférence ; ces tubercules s'amolliront plus tard et se transformeront en crachats, laissant à leur place des excavations ou cavernes qui s'agrandissent avec les progrès de la maladie. Le bacille de Koch possède cette particularité d'avoir une membrane imprégnée de cire. Nous dirons peu de chose du tréponème, producteur de la syphilis, dont on parlera ailleurs ; il est très difficile à étudier parce que sa culture est impossible dans nos milieux artificiels, soit liquides, soit solides. On sait les ravages causés en Afrique par la maladie du sommeil qui atteint les animaux domestiques et les hommes ; elle est due, à un protozoaire, le trypanosome, inoculé dans le sang par la piqûre de la mouche tsé-tsé. Contre nombre d'affections microbiennes, le charbon, la rage, la diphtérie, la fièvre typhoïde, la peste, par exemple, on a trouvé des vaccins efficaces. Ce fut le médecin anglais Jenner qui, en 1796, découvrit le premier vaccin ; la variole faisait de grands ravages en Europe ; Jenner avait observé que les personnes ayant eu aux mains la vaccine ou cow-pox, maladie bénigne qui produit des pustules sur le pis des vaches, étaient immunisées contre la variole humaine. Il eut l'idée de pratiquer méthodiquement l'inoculation de la vaccine ; et les résultats obtenus confirmèrent ses suppositions. Depuis les découvertes de Pasteur, la liste des vaccins ne cesse heureusement de s'accroître d'année en année. Si le cancer, ce mal effroyable, était d'origine microbienne, on pourrait espérer qu'un jour un sérum serait découvert contre lui. Mais beaucoup ne l'attribuent point à l'action des infiniment petits ; ses causes véritables seraient d'une toute autre nature, et l'on devrait chercher dans un sens différent pour obtenir sa guérison. Disons qu'à ce sujet, l'on ne peut hasarder aucune affirmation sûre. A côté des microbes pathogènes, il en existe un grand nombre qui n'exercent aucune action nocive sur l'homme ou les animaux ; quelques-uns sont utiles, on le remarque à propos de la digestion. C'est le bacille amylobacter qui, dans notre estomac, décompose la cellulose des végétaux tendres, dans une proportion de 25 à 50 p. 100 ; proportion qui devient plus considérable chez les herbivores.

L'atténuation de la virulence, lorsque le microbe pathogène est soumis à certaines conditions, a permis la création de vaccins artificiels. Maintenue huit jours à 42° 5, une culture de bacille charbonneux devient inoffensive. Elle est, de plus, capable de conférer l'immunité, comme le démontrèrent les expériences faites par Pasteur, le 5 mai 1881, à la ferme de Pouilly-le-Fort, près de Melun. L'immunité que confère l'inoculation résulte d'une réaction humorale de l'organisme, productrice d'anticorps qui agglutinent et dissolvent les corps étrangers. Chez le cobaye, vacciné au préalable contre le choléra, l'on constate après une injection du bacille virgule, cause de la maladie, que le liquide péritonal agglutine les microbes en amas granuleux puis les dissout. De délicates expériences ont même prouvé que cette action dissolvante est due à deux substances : une substance sensibilisatrice développée par le sérum (elle est spécifique et n'agit que sur les microbes de l'espèce injectée) ; une substance complémentaire existant dans le sang normal et qui agit sur les microbes les plus divers. Quand certaines espèces animales jouissent d'une immunité naturelle, qui les protège contre des maladies microbiennes déterminées, c'est qu'elles renferment normalement, dans leurs humeurs, les anticorps qui lutteront contre les germes de ces maladies. Le sérodiagnostic utilise la formation de sensibilisatrices spécifiques pour se prononcer sur l'existence ou non de telle ou telle affection. On peut, d'ailleurs, conférer l'immunité avec des toxines microbiennes atténuées. Si l'on filtre un bouillon de bacille diphtérique, le liquide obtenu sera privé de microbes, mais contiendra toujours les toxines que secrétèrent ces derniers ; toxines fort dangereuses et dont l'inoculation, à des doses infinitésimales, provoquera les accidents paralytiques de la diphtérie ordinaire. Or, atténuées par une chauffe à 37°, pendant trois semaines, en présence d'une petite quantité de formol, ces toxines n'ont pas d'effet nocif et prémunissent contre la maladie. De plus, l'entraînement développe l'immunité ; grâce à des injections graduées et successives, un cheval arrive à jouir d'une super-immunité. Pour obtenir le sérum qui sauvera l'enfant atteint de diphtérie pure, il suffira dès lors de saigner ce cheval, et de mettre en réserve, dans des flacons stérilisés, le sérum recueilli après coagulation. Vaccins et sérums sauvent les patients grâce à des antitoxines ; mais la vaccination conduit l'organisme à les produire lui-même et confère ainsi une immunité durable, tandis que le sérum les introduit du dehors et ne provoque qu'une immunité passagère : le premier est préventif, le second curatif. Le nombre des sérums ne cesse de croître comme celui des vaccins ; il en existe contre le tétanos, le choléra, le charbon, et la sérothérapie est devenue une branche importante de la médecine.

Mais l'introduction, dans l'organisme, de colloïdes microbiens vivants ou non-vivants n'a pas toujours pour effet de le rendre réfractaire à la maladie ; parfois, au contraire, elle le rend plus sensible à une atteinte ultérieure. Ce phénomène est appelé anaphylaxie ; il oblige à des précautions dans l'emploi des sérums curatifs. Personne ne peut soupçonner quelles découvertes futures nous réservent les recherches micro-biologiques ; nous avons assez parlé de celles qui sont acquises aujourd'hui, pour montrer combien utile, et aussi combien complexe, est l'étude des infiniment petits.

– L. BARBEDETTE.