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MINE n. f.

Avec le sens de physionomie, prestance, etc., ce mot (dont les langues du Nord offrent des for mes similaires) semble avoir des attaches germaniques ; il dériverait d'un verbe signifiant : extérioriser, faire paraître. Mine (bonne, mauvaise mine, faire bonne, ou grise mine, etc.), désigne l'aspect, l'expression du visage regardé comme le reflet de l'état physique ou des dispositions intérieures. La Fontaine nous met en garde contre le penchant – assez fréquent – à établir entre le caractère, les qualités internes et l'allure, les traits, l'apparence des corrélations rigoureuses :

Garde-toi, tant que tu vivras,

De juger les gens sur la mine.


MINE (de miner : origine controversée, mais qui paraît remonter au latin miniaria (mine de minium), terme qui se serait étendu à toutes les mines) désigne un gîte métallifère ou carbonifère que l'on exploite pour les besoins de l'industrie.

Mine (ou mieux trou de mine) s'applique, à une excavation creusée pour déposer un explosif : procédé courant des carriers pour faire sauter des fragments de rochers, des blocs de pierres. Ce sens s'étend aussi aux galeries souterraines, aux travaux d'approche auxquels a recours l'art militaire poursuivant la destruction d'ouvrages ennemis.

C'est à l'ensemble des travaux combinés en vue de l'extraction du charbon ou du minerai aux chantiers souterrains, où peine durement une catégorie particulièrement éprouvée du prolétariat que nous nous arrêterons plus longuement ici. Le charbon et les métaux jouent un tel rôle dans le développement précipité de l'industrie moderne et la prépondérance du capitalisme que la mine est pour nous d'un grand intérêt social.

Une mine est une série de carrières profondes aux quelles accèdent, par des puits verticaux communiquant avec des galeries horizontales, les ouvriers mineurs occupés à extraire à l'intérieur de la terre des minéraux comme la houille ou le sel, et des minerais (fer, cuivre, plomb, etc.).

Après avoir désigné d'abord les minéraux mêmes utiles à l'homme, et triés par lui pour ses besoins (le mot a donné naissance à minéral, minerai, minéralogie), puis le filon de minéraux, l'endroit où gisaient minéraux et minerais, on comprend, aujourd'hui, quand on parle d'une mine, une exploitation complète d'extraction des minéraux comportant des puits par où se fait la descente et la montée des ouvriers (les mineurs), l'évacuation des minéraux extraits, les galeries qui suivent les gîtes ou filon du minéral, galeries parfois assez larges et garnies de rails pour faire circuler les wagonnets, et galeries d'extraction ayant la même dimension que le filon à exploiter. Ces dimensions sont parfois si exiguës que le mineur doit y marcher courbé et replié, et doit se mettre à plat ventre ou sur le dos pour détacher, avec son pic, des blocs de houille ou de minerai. À la mine se rattache extérieurement une vaste cour où s'opère le triage du minerai ou du charbon et les différentes manipulations nécessaires pour le nettoyage du produit extrait : c'est le carreau de la mine. Divers bâtiments, et de nombreuses machines (ascenseurs pour descendre et mon ter les bennes, grues, rails, locomotives, etc) complètent cette importante organisation.

Une mine est une entreprise industrielle considérable. Elle nécessite un gros outillage mécanique et exige, tant pour l'installation que pour le roulage, un capital important. Aussi des compagnies minières, au capital de plusieurs millions, voire de centaines de millions, se sont-elles formées pour l'exploitation des gisements.

Depuis quelques années, l'industrie de l'extraction de la houille ou charbon a subi de grandes transformations, grâce à d'importantes découvertes chimiques. La mine de houille s'est augmentée d'industries annexes. Les sous-produits de la houille sont obtenus directement à la sortie même du puits. Et la fabrication de ces sous-produits a parfois pris davantage d'importance que le commerce brut du charbon.

À titre indicatif, signalons les centrales électriques installées à proximité des mines, envoyant leur courant électrique sur un réseau englobant plusieurs départements. La lumière, la force motrice, le chauffage même sont ainsi transportés d'une façon plus rationnelle et hygiénique que le charbon. S'il n'y avait point les bénéfices abusifs des compagnies à monopole qui imposent des prix du kilowatt à des tarifs prohibitifs, lumière et chauffage électriques pourraient être obtenus à meilleur marché que la combustion directe du charbon dans les poêles. Et quel progrès au point de vue propreté et hygiène pour les habitations.

En distillant la houille on obtient d'une part du coke, qui est utilisé dans les hauts-fourneaux de la métallurgie, et du gaz d'éclairage qui, traité spécialement, fournit une grande quantité de sous-produits : le goudron, pour les routes et autres usages et entretiens, pour ses matières colorantes, telle l'aniline ; l'ammoniaque utilisé dans les usines et appareils frigorifiques ; des engrais chimiques pour l'agriculture, etc.

À la mine de houille s'est agglomérée toute une série d'industries annexes, ce qui donne à certaines exploitations minières modernisées, l'aspect d'une industrie complexe et gigantesque.

De même, les mines où l'on' extrait des minerais métalliques sont étroitement liées – souvent sous la gestion de la même firme industrielle – à l'industrie métallurgique. Le minerai de fer est traité à la sortie de la mine dans les hauts-fourneaux, transformé en fonte, puis en fer et en acier, et cette dernière industrie prend de plus en plus d'importance, au fur et à mesure du progrès de la mécanique.

Si la mine de houille est devenue le grand centre des industries chimiques, la mine de fer est le cœur de l'industrie métallurgique. Les régions où git le fer, comme celles où s'extrait la houille, sont des pays de production industrielle très intense, couverts d'usines de toutes sortes, qui groupent une population très dense.

Ces régions, on le conçoit aisément, sont âprement convoitées par les grosses firmes industrielles, les groupements financiers, lesquels, agissant sur les gouvernements à leur dévotion, provoquent au besoin les guerres pour mettre la main sur les concessions de telle contrée minière. Les convoitises allumées autour du bassin de Briey appartiennent à l'histoire de la dernière guerre. On sait qu'il était – à portée du feu de l'artillerie et des avions français – la réserve où l'industrie allemande, gênée par le blocus maritime, trouva jusqu'au bout un aliment pour ses fabrications militaires, mais qu'on évita de le bombarder afin de ménager le précieux avantage de le retrouver intact à la « victoire ». Ce sont des appétits de cette nature qui ont conduit à l'occupation de la Ruhr, lamentable fiasco de « récupération nationale », mais filon fructueux pour quelques affairistes...

Les expéditions et les conquêtes coloniales ont eu – et ont encore – presque toujours pour objet la main mise sur les richesses minières. Les indigènes n'extraient ni la houille, ni le fer, ni le cuivre, ni les autres minerais, ou l'extraient mal. Dès que des explorateurs ont prospecté ces ressources enfouies dans le sous-sol, on commence la campagne, on provoque ou l'on invente des incidents, et, le prétexte trouvé, c'est la conquête. Sitôt celle-ci terminée et le pays « pacifié » à coups de fusil, les concessions des mines sont octroyées aux financiers avides.

La propriété du sous-sol est devenue un monopole formidable, qui a permis à de nombreuses fortunes de s'échafauder. Le monde industriel actuel ne peut plus vivre sans les mines devenues une des parties fondamentales de l'activité humaine. Aussi la propriété des mines constitue-t-elle un monopole d'exploitation qui rapporte de fabuleux profits à ceux qui en sont les détenteurs.

On cite telle compagnie de mines dont les actions émises à mille francs, il y a un demi-siècle, lors de l'octroi de la concession, se négocient en bourse à des cotes atteignant plusieurs centaines de milliers de francs et dont les dividendes annuels représentent cent ou deux cents fois le capital initial versé. C'est la main mise éhontée grâce à la complicité de l'État (lequel laisse aujourd'hui accaparer de même la « houille blanche ») sur une incommensurable richesse naturelle, par une poignée de capitalistes bénéficiaires.

Jadis, les mines étaient propriété du souverain, et leurs revenus allaient à lui exclusivement. Mais le régime capitaliste s'étant développé, les hommes d'argent ont fini par faire glisser entre leurs mains cette richesse devenus inestimable avec le développement de l'industrie moderne. Les métiers mécaniques, la machine à vapeur, le chemin de fer, toute la métallurgie grosse ou petite, ont considérablement enrichi les propriétaires de mines. Fait très significatif et très important dans l'histoire économique et politique, c'est à l'époque précise où l'industrie prenait naissance, au début de son essor, aux premières années du XIXème siècle, que les capitalistes ont mis la main sur l'industrie minière.

La loi du 21 avril 1810 a consacré cette substitution, ou plutôt cette prise de possession. Elle créait deux sortes de propriété, celle de la surface de la terre – propriété foncière – et celle du sous-sol, propriété minière, et elle donnait au gouvernement le pouvoir de concéder la propriété minière à qui lui plairait. Mais le gouvernement ne pouvait exploiter directement une mine qu'en vertu d'une loi spéciale.

En fait, il n'a jamais exploité que de misérables concessions de mines de sel gemme. L'extraction du fer et de la houille, a été partout abandonnée à des compagnies financières, montées la plupart par actions.

L'État prélève un impôt sur les bénéfices, c'est-à-dire partage une part – la plus petite – du profit ; tout le reste va aux actionnaires et aux administrateurs.

L'histoire des mines est certainement la plus scandaleuse des escroqueries faites à la collectivité par le capitalisme, dominant les pouvoirs politiques. Ce résultat tangible de l'ère dite républicaine et démocratique n'est guère à son honneur.

Après avoir parlé des propriétaires, voyons le sort des ouvriers mineurs. Le travail de la mine est, certes, un des plus fatigants, des plus malsains et des plus dangereux qui existent. Le mineur doit rester huit heures dans son trou, à peine éclairé par une lampe, respirant un air méphitique. La chaleur augmente au fur et à mesure que l'on s'enfonce dans les entrailles de la terre. L'ouvrier mineur, couvert de sueur et de poussière de charbon, ou de poussière de minerai, presque nu, suant, haletant dans une atmosphère lourde – l'aération, malgré les progrès apportés, est souvent défectueuse, c'est toute une science pour l'ingénieur en mines d'aérer suffisamment, et les compagnies lésinent sur les crédits et les travaux – travaille, en outre, bien souvent, dans des postures torturée, plié, courbé, sur le ventre, sur le dos, agenouillé, enveloppé de poussière, recevant de l'eau boueuse qui suinte à travers la terre, et qui provoque parfois l'inondation des galeries lorsque la couche qui sert de fond à une nappe d'eau souterraine a été crevée.

C'est un des métiers les plus pénibles. Et aussi un des plus dangereux. On reconnait, au premier coup d'œil, l'ouvrier mineur de houille ; il porte à la face, sur le corps, les mains, des sortes de tatouages bleuâtres, ce sont les blessures occasionnées par la chute des blocs : le charbon, pénétrant dans la chair, y a laissé des marques indélébiles. De cette masse de houille amoncelée sous terre se dégage sournoisement un gaz carbonique, incolore, qui s'accumule et emplit l'atmosphère, et qui s'allume, explose au premier contact avec une flamme quelconque. C'est le coup de grisou. C'est par milliers que des mineurs ont été les victimes du terrible gaz. On connaît la catastrophe, en France, de Courrières, en 1906, où périt un millier de mineurs, et, plus près de nous, en Allemagne, celle d'Alsdorf qui a fait 282 victimes. Il n'est pour ainsi dire pas de semaine où, de l'Europe à l'Amérique, et de l'Afrique du Sud à l'Orient colonisé, la mine n'alimente de quelque hécatombe tragique la chronique des journaux à sensation. Combien d'ensevelis, murés dans les boyaux souterrains, qui ont connu les affres d'interminables agonies... Ailleurs, ce sont les poussières de charbon condensées qui déflagrent, c'est l'inondation, les éboulements, l'effondrement du plafond des galeries, le wagonnet qui vous coince et vous broie dans le passage étroit, le câble de la cage de descente qu'on « oublie » d'entretenir et qui se rompt, etc., etc. La mine offre le plus fort pourcentage d'accidentés du travail.

On pourrait, certes, améliorer les conditions de travail du mineur, et réduire considérablement les causes d'accidents. Mais il faudrait, pour cela, engager des dépenses, ne plus exiger un rendement aussi intensif, transformer l'aération, boiser à mesure et plus consciencieusement les galeries, etc... Mais l'on conçoit que cela ne fait pas l'affaire des exploitants. Qu'importe la santé ou la vie des ouvriers, ce qui compte, avant tout, c'est le profit des propriétaires !

La législation du travail a bien créé le corps des délégués mineurs, élus par les ouvriers. Mais comme ils sont, d'une part, des fonctionnaires dépendant plus ou moins du préfet et, d'autre part, que leur élection est presque toujours une manifestation politique, ce remède n'a pas apporté grande amélioration. D'ailleurs, qui tient compte de leurs avertissements ? La catastrophe de Courrières et l'impuissance du délégué Simon nous en a fourni un exemple typique.

Les premiers ouvriers de la mine furent des forçats, au sens réel du mot. Dans la Grèce antique et à Rome, les esclaves qui avaient déplu à leurs maîtres, ou commis quelque grave délit, rébellion ou désobéissance, étaient condamnés aux mines. Après la peine de mort, c'était la plus grave condamnation qui venait frapper la plus basse des castes sociales. De même, aujourd'hui, les travaux forcés viennent immédiatement après la guillotine ou la chaise électrique. La peine des mines est devenue, plus tard, la peine des galères ou des travaux forcés. Mineur, galérien, forçat, telle fut l'évolution. La Russie des Tsars a conservé la peine des mines jusqu'à la Révolution. Les forçats allaient travailler dans les mines de Sibérie. Est-ce cette origine qui a pesé, de tout le poids d'un passé séculaire, sur la condition des mineurs ?

Certes, la profession de mineur a suivi l'évolution générale. Le mineur est, lui aussi, théoriquement, un homme libre. Mais, en fait, les Compagnies, à qui l'on avait concédé le sous-sol, ont réalisé, on le conçoit, assez de bénéfices pour acheter le sol. Les sociétés minières, partout, détiennent le terrain ; l'ouvrier loge dans les maisons de la compagnie, dans l'alignée morne des « corons », s'approvisionne à ses économats va à son cinéma ou à son église. Des enquêtes suggestives ont montré cette dépendance. C'est le régime de la féodalité moderne qui contrôle jusqu'aux échappées intermittentes d'une illusoire activité politique.

On n'a pas oublié les longues et parfois violentes révoltes des esclaves de la mine, leurs sursauts courageux et comme désespérés, les grèves acharnées et tenaces. C'est le choc d'un prolétariat surexploité, dominé, surveillé, ligoté contre une lies plus formidables puissances d'argent soutenue par les forces du pouvoir politique.

À notre époque de vie industrielle intense, la mine est indispensable au fonctionnement économique de la société. La captation des forces hydrauliques peut diminuer la nécessité des mines de houille, mais les autres mines conservent, pour l'instant, leur indispensabilité sociale.

Or, l'exploitation des mines exige, comme personnel et connue matériel, une organisation industrielle étendue et compliquée. À moins de revenir en arrière de plusieurs siècles et de renoncer à ses bienfaits, il faudra, de toute nécessité, sous n'importe quel régime social, conserver l'organisation industrielle de la mine. Et son fonctionnement n'est possible que par la formation de grands groupements collectifs de travailleurs, remplaçant les compagnies minières.

L'individualisme économique ne peut faire fonctionner la mine. Seul, le communisme libertaire, mettant à la place des exploitants l'organisation des producteurs associés, sur une très large échelle, peut continuer la production minière, sans laquelle la civilisation ne peut vivre.

La mine aux mineurs ! Ou plutôt le travail de la mine organisé par les mineurs associés, traitant sur les bases fédéralistes avec les autres corporations, adoucissant ensemble, au maximum, les conditions de travail : voilà le mot de libération que nous devons lancer continuellement aux forçats qui peinent dans leurs sombres galeries.

– Georges BASTIEN.