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MIRACLE (du latin: miraculum ; de mirari, admirer)

Si l'on s'en tient à la signification étymologique du mot, qui paraît la plus rationnelle et la seule digne d'être retenue, un miracle est un fait extraordinaire, en contradiction apparente avec ce que l'on observe habituellement, et qui, en raison de son extrême rareté, et de ce que l'on ne s'explique point ses causes, provoque l'étonnement, l' admiration, voire l'épouvante, parmi les ignorants et les fanatiques, toujours plus disposés à découvrir, en ceci, la marque d'une intervention divine qu'un phénomène dû à des circonstances encore mal définies.

À toute époque, les humains ont été portés à croire que la nature était limitée à ce qu'ils en observaient quotidiennement, ou à peu près, et à juger, par conséquent, comme d'ordre surnaturel, ce qui était pour eux à la fois incompréhensible et, sinon nouveau, du moins peu commun. Terrifiés par le fracas du tonnerre, et l'éblouissante clarté de la foudre, les Anciens ont fait de cette dernière le moyen d'expression de divinités diverses. Il s'agissait de la manifestation grandiose d'une force qui, de nos jours, sert à faire marcher les tramways. Aux premiers sauvages qui les virent se servir des armes à feu, pour semer autour d'eux la mort, les hommes de race blanche apparurent comme des magiciens, ayant soumis à leur volonté des puissances invisibles. Lorsque, dans des régions demeurées très superstitieuses, comme la Bretagne, se montrèrent sur les routes les premiers automobilistes, les paysans firent des signes de croix sur leur passage, parce que n'ayant jamais vu de voitures traînées autrement que par un âne, des bœufs, ou un cheval, ils ne s'expliquaient point qu'elles pussent avancer, sinon par un artifice du Malin. Lorsque, il y a quelque vingt-cinq ans, eut lieu une éclipse de Soleil, qui devait être particulièrement visible en Tunisie, quantité de savants se rendirent à Sfax, pour y observer à loisir un phénomène dont ils avaient méticuleusement prévu l'heure d'apparition, et qui, par conséquent – quelles que fussent leurs croyances religieuses, ou leur incroyance – pour être moins fréquent qu'un simple lever de Lune, n'offrait à leurs yeux avertis rien de plus mystérieux. Cependant la foule des indigènes illettrés, qui ne se rendait point compte de ce qui se passait, voyant en plein jour le Soleil, source de toute vie, progressivement disparaître derrière une grande ombre qui semblait devoir l'absorber en totalité, se livra à toutes sortes de manifestations ridicules, traduisant à la fois sa crainte de ne plus revoir la lumière, et son espérance de fléchir par ses supplications Allah le Dieu unique, souverain maître des destinées.

La croyance au surnaturel en présence de ce qui est, à la fois, anormal et inexpliqué, est une loi psychologique qui souffre peu d'exceptions, et qui a été, et est encore, très largement exploitée par le clergé de toutes les religions, notamment de la religion catholique qui, non contente d'attribuer au Dieu de la Bible le prodige de la création universelle, et ceux qui sont narrés dans les Écritures, prétend encore, grâce à la Vierge Marie, et à quelques saints spécialisés dans cet office, détenir le monopole des interventions miraculeuses en faveur des malades, ou des personnes en péril, soit par des médailles, des reliques, ou des objets bénits, soit par le pèlerinage en certains lieux réputés propices, tels la grotte de Lourdes.

Les prodiges décrits dans les Écritures, comme le passage de la Mer Rouge à pied sec par les Hébreux, la chute de la manne dans le désert, ou le voyage du prophète Jonas qui, sans dommage, demeura, dit-on, trois jours dans le ventre d'un poisson de belle taille, sont d'une invraisemblance grossière. Il s'agit, de toute évidence, sinon de récits dus entièrement à l'imagination de leurs auteurs, du moins d'enseignements symboliques, ou de faits amplifiés et déformés par la légende, tels que l'on en trouve dans les annales de tous les peuples, aux époques primitives, caractérisées à la fois par l'ignorance et par la crédulité. Depuis qu'il existe des méthodes de recherche positives, et que les classes populaires reçoivent quelque instruction, il n'est pas de pays civilisé dans lequel on puisse prétendre avoir enregistré, de façon récente, quoi que ce soit d'approchant. Il n'est pas illogique d'expliquer, par de simples coïncidences, les événements heureux qui surviennent contre notre attente, lorsque tant de satisfactions légitimes demeurent refusées aux croyants, malgré leurs prières ardentes et leurs persistants désirs. Quant aux guérisons dont Lourdes et des lieux semblables seraient de nos jours le théâtre, en admettant qu'elles ne soient pas toutes dues à des phénomènes d'autosuggestion, en admettant même – ce sur quoi nous faisons toutes réserves – qu'il en soit d'inexplicables par l'auto-suggestion, ceci ne serait pas de nature à nous faire accepter comme valable l'hypothèse d'une intervention céleste, sous prétexte que les connaissances scientifiques actuelles ne pourraient fournir d'explication immédiate, contrôlable, à l'égard de ces faits mystérieux. Ce n'est pas en un temps où la science expérimentale, par la découverte d'énergies jusque-là insoupçonnées, permet à l'homme des merveilles, comme celles de la télégraphie et de la téléphonie sans fil, qui jadis eussent été désignées comme d'essence surhumaine, qu'il pourrait devenir admissible de retomber dans de vieux errements, source d'innombrables superstitions, à la première annonce de quelques étrangetés, ou sur la référence de quelques observations de prime abord déconcertantes. Si pouvaient être reconnus véridiques les documents du Bureau des Constatations Médicales de Lourdes, ne serait-il pas, malgré cela, contradictoire et absurde d'attribuer, à un Être de suprême bonté, ces quelques bien faits, tout en supposant, d'autre part, cette personne assez cruelle pour obliger des milliers de malades à supporter les fatigues d'un long et douloureux voyage, dans l'espérance d'une guérison que la plupart n'obtiennent pas ? Ne demeurerait-il pas plus absurde encore d'attribuer ces faits à une divinité Toute-Puissante, alors qu'il est avéré que l'on ne guérit pas tout à Lourdes, et que jamais un amputé n'a vu se reconstituer au sortir de la piscine, son membre absent ?

Si, pour les croyants, un miracle est le résultat d'une intervention divine en contradiction avec les lois de la nature, pour les rationalistes, il ne saurait être question, dans ce domaine, jusqu'à nouvel ordre, que de faits rares, mal interprétés, ou encore insuffisamment mis en lumière, lorsqu'il ne s'agit pas, plus simplement de récits légendaires ou d'histoires inventées de toutes pièces, dans un but intéressé.


– Jean MARESTAN


MIRACLE

Fait contraire aux lois naturelles. Les lois naturelles sont conditionnées par la nature même des choses ; elles sont le résultat du rapport des choses entre elles et on ne peut concevoir d'événements qui leur soient opposes ou en dehors de leur logique.

Les lois naturelles qui portent avec elles leur agent d exécution, ou plutôt sont agent d'exécution, ne peuvent pas, comme les lois humaines, être violées. Rien n'échappe à leur rigueur. Si vous les négligez un moment, ou si vous tentez de les transgresser, la sanction ne se fait pas attendre. Oubliez que vous êtes pesant et laissez-vous choir d'une certaine hauteur ; oubliez que le feu brûle et mettez-y votre main, vous serez vite rappelé à la réalité. Les lois naturelles ne souffrent aucune dérogation. Or, c'est cette dérogation qui constitue le miracle.

Par exemple, l'eau doit, normalement, se transformer en vapeur à une température de 100°. Si, parvenue au point d'ébullition, elle se changeait en glace, je pourrais dire : Il y a miracle. Mais cela est tellement invraisemblable que n'importe qui, en voyant se produire un tel phénomène, soupçonnerait, il aurait même la certitude qu'il cache quelque supercherie, ou que le témoin est victime d'une illusion. D'ailleurs, pour constater qu'il y a miracle et tenir pour tel le fait signalé, il faudrait connaître, dans sa totalité, le jeu des lois naturelles, ce dont personne ne peut se vanter, et, ensuite, avoir pénétré dans leurs moindres détails, toutes les circonstances qui ont déterminé le miracle. Qu'il demeure la plus petite cause obscure et le miracle est contestable.

Croire à un miracle parce que vous en avez eu le spectacle, spontané ou provoqué ? Mais, alors, pourquoi ne pas authentiquer le merveilleux que fera défiler sous vos yeux le premier prestidigitateur venu ? Pourquoi ne pas accorder sans réserve votre foi aux tours d'adresse et de subtilité, que la surprise et la rapidité d'exécution ne vous permettront pas de comprendre, et qui paraîtront apporter des résultats incroyables ? Et cependant, vous demeurerez sceptiques devant les tours de passe-passe prodigués pour votre amusement, alors que vous croiriez au miracle proclamé, enseigné par le religieux ? Pourquoi ? Parce que le prestidigitateur, tout en provoquant des faits, des enchaînements de faits aussi extraordinaires que le second ne fera pas intervenir au cours de ses présentations ingénieuses, un être imaginaire et ne vous inspirera pas de la crainte. Sauf le cas où il est, lui aussi, l'instrument de quelque théurgie, il ne cherche qu'à vous laisser l'impression qu'il est un homme extrêmement habile et doué de capacités qui vous manquent, à un tel degré du moins. Il ne s'entourera pas, pour frapper votre esprit de l'appareil rituélique des religions...

Mais qu'il introduise un peu plus de sérieux dans ses tours de physique, qu'il revête ses opérations d'un cérémonial approprié, qu'il vous dise que c'est l'esprit de Louis XIV ou de Voltaire qui fait tourner la table ou qui frappe des coups à la porte et voilà déjà que vous ne prenez plus la chose « à la rigolade », vous ne riez plus, car vous redoutez de paraître sot ou d'être irrévérencieux, ou de déplaire à l'esprit qui pourrait vous clouer sur place ou vous emporter avec lui dans le fond de la terre ou l'immensité de l'espace. Vous sentez que votre doute a quitté le persiflage et s'oriente vers l'acceptation. Vous ne parlez de ce que vous avez « vu » qu'avec précaution et respect. Vous ne savez pas encore si vous devez faire crédit au surnaturel, mais vous n'osez nier...

Les enfants, et aussi les peuples (qui sont, en grand, l'image de l'enfance dans la société), ont toujours aimé les réalisations merveilleuses, les événements qui s'accompagnent de quelque féerie. Ne pouvant arriver assez vite, à leur gré, à commander aux éléments par leurs découvertes et leur travail, ils aiment doter des êtres imaginaires d'un pouvoir qu'ils voudraient posséder eux-mêmes, et leur faire accomplir les choses les plus extraordinaires conçues par leur imagination. Aussi, les contes, les fables, les récits (voir fable, légende, mythologie, etc... ) qui narraient ces actions saisissantes, ces faits enchanteurs furent toujours goûtés des foules, et ils se les transmirent, avec plus d'embellissement encore que de fidélité, de génération en génération. Le fantasmagorique, l'irréel ont toujours bercé les peuples, endormi leurs misères ou flatté leur orgueil. Si puissante est la séduction exercée par le merveilleux que, même présenté sous forme de conte, on arrive sans peine à l'identifier au réel. On commence par désirer que les choses se soient passées ainsi ; puis, à force d'animer ce désir, on se range tout entier sous le charme et on finit par croire que c'est vrai. Ne voyons-nous pas des enfants, et même des grandes personnes, après la lecture d'un beau roman qui les a passionnés, arriver à dire : « Cela, a dû être vécu, ce doit être arrivé, les personnages de ce livre ont bel et bien existé ». Il en est de même pour le cinéma qui laisse de telles empreintes sur le cerveau des enfants qu'ils croient non seulement à l'exactitude, à la véracité (rien, ni personne d'ailleurs, ne fait, en général, pour leurs esprits neufs, la démarcation) des spectacles les plus fantaisistes qu'on leur fait admirer, mais en viennent, plus d'une fois, a tenter de les réaliser eux-mêmes.

Cette disposition des peuples à croire tout ce qui force leur admiration a grandement facilité les entreprises religieuses. Elles ont su s'implanter à leur faveur et, grâce à elles, se maintiennent encore ou à peu près. Elles ont dû faire accomplir à leurs dieux, des actions surnaturelles, des miracles pour donner à la croyance populaire un aliment. Un Dieu qui ne pourrait faire de miracles ne serait pas un Dieu. Il ne tarderait pas à être détrôné, « disqualifié ».

Si nous faisons une incursion dans la religion catholique, qui est davantage à notre portée, pour y examiner le « miracle » religieux, nous nous heurtons, dès l'abord, a la coexistence des lois naturelles et d'un Dieu à la fois créateur et omnipotent.

S'il est animateur de toutes choses, Dieu est également le créateur des rapports des choses entre elles, c'est-à-dire des lois naturelles. S'il a créé et s'il régit ces lois, il est maître, en effet, d'y faire des dérogations c'est-a-dire de faire des miracles. Mais on se demande quel besoin a un Dieu omnipotent, omniscient et omniprésent, de cette norme régulatrice que sont les lois naturelles. Puisqu'il peut tout, sait tout, voit tout et est partout, c'est là pour lui combinaison superfétatoire. Il lui suffit de dire : « Dans chaque circonstance de l'Univers, il arrivera ce que je voudrai qu'il arrive. Nul autre que moi n'a le droit de prévoir ni de savoir ce que je me réserve de faire, car je veux conserver ma toute-puissance ». L'établissement de « lois naturelles » est une abdication de sa puissance ; si d'autres que lui peuvent traiter la matière et savoir ce qu'ils en obtiendront dans des circonstances données, il n'est plus le maître absolu, il n'est plus le Dieu qui s'agite pour nous dans l'imprévisible. La constatation de l'existence de lois naturelles est ainsi une preuve de l'inexistence de Dieu. Mais, d'autre part, si les lois naturelles n'existaient pas, elles ne pourraient subir de dérogations ; il n'y aurait donc pas de place pour le miracle ou, ce qui revient au même, tout serait miracle. Cela montre que, pareil à tant d'inventions destinées à abuser les naïfs, le miracle se désagrège à l'analyse et qu'il n'a point de consistance pour l'homme qui pense.

Aussi la religion le sait-elle qui ne fait état de ses miracles qu'auprès de ceux que leur simplicité dispose à les accueillir quand, devançant la stratégie religieuse, ils ne vont pas eux-mêmes jusqu'à les inventer. Auprès des personnes réfléchies, les marchands de miracles sont plutôt embarrassés et ils se délesteraient volontiers des plus grossiers qui illustrent la Bible s'ils pouvaient les jeter par-dessus bord. De même que le Dieu exalté par l'Église, lorsqu'elle discute avec des incrédules, n'a pas grand chose de commun avec celui qui donna à Moïse les tables de la loi divine. Elle ne soutient pas les mêmes miracles avec les gens de libre examen qu'avec ceux qu'elle sait disposée à tout accepter sans contrôle. Mais aussi comme elle sait bien que la grande majorité des êtres humains ne réfléchit guère au pourquoi ni au comment des choses et qu'il lui faut du merveilleux, elle continue de lui servir périodiquement des « miracles » qu'exaltent, auprès de la clientèle religieuse, ou à masque de religion, les bulletins paroissiaux, les Croix, et autres feuilles sacrées.

La Bible est farcie de « miracles » tellement stupides que l'Église n'en fait plus guère état aujourd'hui tellement ils sont en contradiction avec les faits. C'est d'abord celui de la création en sept jours, puis celui du déluge, de la confusion des langues, et une foule d'autres où Dieu opère en personne. Fatigué sans doute de ces travaux d'Hercule, il délégua ensuite le pouvoir de faire des miracles à certains de ses prophètes. C'est alors Jonas, avalé par une baleine (au gosier distendu pour la circonstance), qui sort vivant le troisième jour ; c'est Josué arrêtant le soleil (!) pour lui permettre d'achever l'extermination de ses ennemis ; c'est Samson tuant mille Philistins avec une mâchoire d'âne (on ne dit pas si c'est la sienne ou celle de l'auteur du récit) et faisant écrouler un temple en en renversant les piliers ; ce sont les eaux de la Mer Rouge se soulevant pour laisser passer les Juifs poursuivis par les Égyptiens et se refermant ensuite sur ces derniers ; ce sont les murs de Jéricho qui, au siège de cette ville par les Juifs, s'effondrent au bruit des trompettes, etc., etc. On croirait lire les contes des Mille et une Nuits avec, en faveur de ceux-ci, cette différence qu'ils ne nous éblouissent que pour nous charmer, tandis qu'ailleurs on y poursuit, sans rire, des prétentions grotesques à la véracité.

Puis ce sont les miracles de Dieu le Fils : Jésus-Christ guérit les incurables, multiplie les pains, ressuscite le mort Lazare et se ressuscite lui-même trois jours après sa mort ; puis il monte enfin au ciel où il trône depuis ce temps à côté du Père et du Saint-Esprit, ne faisant qu'un Dieu à eux trois, entouré des anges et des saints.

De nos jours, la fabrique aux miracles, essoufflée sans doute par l'effort de tant d'œuvres d'art, ne sort plus de produits aussi sensationnels que ceux qu'a consignés la Bible. Nous sommes trop près pour les voir dans tout leur enjolivement. Nous n'avons pas le recul favorable au mirage. Les miracles, pour nous, n'ont pas eu le temps de s'embellir et de s'enfler comme toutes les légendes à mesure qu'elles s'enfoncent dans le passé, au point de nous méduser par leur importance.

L'Église moderne refrène habilement l'extravagance compromettante. Elle se contente de miracles plus modestes. Elle opère le plus souvent dans cette partie où la science est encore la plus imprécise : la médecine, où les cas, mal connus, apparaissent encore tellement variables avec les individus qu'on ne peut guère, jusqu'ici, formuler de règles générales. La plus grande officine de miracles est sans contredit celle de Lourdes, où les malades guérissent en se baignant dans la piscine aux microbes.

En psychologue avisé, c'est toujours aux êtres faibles que s'attaque surtout l'Église pour assurer sa domination et c'est sur ce terrain qu'elle arrive à circonvenir également les forts, car tout être est faible à un moment donné de sa vie. C'est sur les enfants, les femmes, les pauvres, qu'elle se jette pour inculquer ses principes ; aux vieillards, aux moribonds, qu'elle arrache les acquiescements de la terreur, en un mot c'est sur tous ceux qui ont besoin d'aide et ne peuvent guère lui résister qu'elle étend son dévolu. Il en cuit souvent à quiconque est faible et ne veut pas se plier aux exigences de l'Église. D'ailleurs la débilité mentale accompagne souvent la faiblesse physique et prévient même toute possibilité de résistance. Obstinez-vous au contraire à repousser les avances cléricales et ce peut être pour vous la perte du travail, le congédiement du maigre logis si vous êtes pauvre, et l'abandon, même par votre famille, si vous êtes malade et ne voulez pas vous prêter à la comédie de Lourdes ou autres pèlerinages et épreuves semblables. Car il n'y a pas que les croyants qui vont à l'Église et ont recours aux offices de la religion dans certaines circonstances de leur vie Les vrais croyants sont d'ailleurs très rares, presque aussi rares que les vrais athées dans un monde soumis à des milliers d'années de pression religieuse. Mais entre ces deux extrêmes il existe une multitude d'individus amorphes, sans opinion arrêtée ou indifférents, ou attentifs seulement aux avantages, ou sous l'empire de craintes vagues et persistantes. Ceux-là suivent la mode ou cherchent à se ménager les influences favorables : ils se rangent toujours du côté où les pousse leur intérêt ou leur lâcheté. Ils marchent dans la vie selon l'habitude ou la peur mais jamais par conviction. Ils restent fidèles aux religions sans y croire parce qu'ils savent que l'Église, force insinuante et bien organisée, peut leur nuire dans une foule de circonstances alors que les athées, les incroyants ne se vengeront pas sur eux, ni ne chercheront à leur nuire à cause de leurs pratiques religieuses. C'est là aussi une des raisons pour lesquelles les idées d'affranchissement et de liberté avancent si lentement. Mais revenons à Lourdes et à ses miracles.

Parmi ceux qui vont chercher la guérison en la cité pyrénéenne, il en est qui sont véritablement, organiquement malades et incurables. Ceux-là en reviennent exactement dans l'état où ils étaient à leur départ, quelquefois avec une déception de plus, s'ils avaient quelque vague espoir, ou une aggravation due aux imprudences du voyage, des séances de piété et des immersions. L'eau de la piscine est sans pouvoir sur eux. Cependant la faillite du miracle ne laisse pas la religion au dépourvu : c'est parce que le malade n'était pas assez croyant, n'avait pas une foi assez profonde, n'était pas assez pur que la guérison ne s'est pas produite ou bien encore parce que Dieu veut prolonger encore l'épreuve du fidèle, s'il est vraiment croyant, afin de lui faire mieux mériter le paradis. Et ces explications trouvent toujours crédit...

Il en est, par contre, qui guérissent, et radicalement. Ceux-là sont montés en épingle et cités en exemple. Les feuilles catholiques publient leurs noms et leurs adresses et cela produit toujours son effet auprès de ceux qui les lisent sans en connaître les héros ou les héroïnes. Par contre, il est bien rare que ceux qui ont connu les miraculés avant leur guérison accordent crédit au miracle. Souvent ils ont remarqué quelque chose de louche dans la maladie et les allures du malade. Sa moralité, sa, ruse habituelle laissent supposer quelque chose d'anormal. Pas de doute, c'est un simulateur.

Certains simulent complètement une maladie : paralysie, rhumatisme, sciatique, etc. ; d'autres entretiennent et aggravent même intentionnellement des maux ou plaies qui, bien entendu, ne peuvent guérir que du jour où ils cessent de les alimenter. D'autres encore ont des maladies ou des maux qu'ils font soigner par un médecin mais dont on ne proclame la guérison, obtenue par la science, qu'au retour de Lourdes. Quelques-uns sont des névropathes que galvanise la suggestion mystique, mais que guérirait, plus sûrement, la suggestion clinique. Approchez d'un peu près les « miraculés » de Lourdes et vous doutez de suite du miracle. Contrôlez-les sérieusement et vous découvrez la supercherie.

Dans un livre fort instructif et documenté : « Lourdes et ses mystères », le docteur Pierre Vachet examine quelques-unes des guérisons miraculeuses les plus importantes, celles dont l'Église fait état avec le plus d'insistance et il montre la simulation indiscutable des miraculés les plus notoires.

Il cite des cas où les miraculés étaient vraiment trop intéressés pour que leur guérison, ou leur maladie, puisse être prise au sérieux. Et il explique aussi comment il peut se faire que des guérisons soient réellement obtenues à Lourdes, comme elles pourraient l'être n'importe où, si les mêmes circonstances étaient réunies. C'est le cas pour les névrosés, les hystériques, les malades par suggestion. Il n'est pas surprenant que, dans ces derniers cas, il soit obtenu des guérisons puisque tout est fait pour impressionner les malades, pour les persuader qu'ils vont guérir, etc. ; mais ces cas de guérison n'ont rien de miraculeux et il serait encore préférable pour ces malades d'être soignés dans des établissements de psychothérapie par des médecins capables d'étudier sérieusement leur cas, plutôt que d'aller à l'officine des charlatans de Lourdes... On peut affirmer sans crainte de se tromper que les guérisons, obtenues à Lourdes, de malades de cette catégorie (les malades plus ou moins imaginaires) ne comptent que pour un chiffre infime parmi les réussites proclamées, la plus grande partie, la presque totalité des « guérisons » obtenues étant celles de simulateurs ou de ceux qui entretenaient un mal jusqu'à leur passage à Lourdes ou cachaient une guérison obtenue par les médecins pour la faire proclamer à leur sortie de la fameuse piscine.

Les prétendus miracles de Lourdes, comme tous les miracles d'ailleurs, ne sont qu'astucieuse tromperie. Mais ils servent à entretenir le prestige de l'Église auprès des simples d'esprit... Comme la maladie est une bonne chose à exploiter et qu'il n'y a pire que ceux qui ont la promesse d'un paradis pour avoir peur de la mort, il n'y a pas qu'à Lourdes qu'on obtient des guérisons miraculeuses. Un peu partout il existe des guérisseurs qui, avec des signes de croix, de l'eau bénite et des prières, s'attaquent à toutes les maladies. Nombreux sont encore ceux qui s'adressent à ces gens tout en se faisant soigner, d'autre part, par un médecin. Il est bien entendu que s'il y a guérison, c'est le « toucheux », comme on l'appelle vulgairement, qui l'a obtenue. Et lorsqu'on revient sans être guéri, on ne s'en vante pas, de sorte que ces croyances perdurent longtemps. C'est comme dans une baraque foraine où l'on s'est fait « rouler » ayant payé très cher pour ne rien voir : on ne manque pas de dire en sortant à ceux qui vous demandent des renseignements que c'est « épatant », afin de cacher sa propre déconvenue et de savourer, en compensation, la jobardise des imitateurs.

On constate cependant que malgré les éclaircissements de la science, la tendance à croire au miracle ne recule que très lentement. À peine une croyance « usagée » passe-t-elle au rebut qu'une autre « à la mode » lui est substituée... Il faut dire que presque toutes les superstitions favorisent trop les desseins de la classe dirigeante pour qu'elle ne fasse pas l'impossible pour en assurer la survie ou en faciliter le développement. La croyance a ses vogues, ses courants. Elle se porte comme les fétiches et les amulettes. Et il est de bon ton d'afficher celles que l'opinion consacre. Ne va-t-on pas au pèlerinage à Lourdes ou ailleurs, comme il est à la mode d'aller voir le spirite ou la somnambule ! On se moque de l'Arabe ou du Sénégalais qui se croient perdus s'ils n'ont pas sur eux leur « grigri » porte-bonheur et l'on ne partirait pas en auto sans son fétiche protecteur et sa médaille de Saint Christophe, sauvegarde contre les accidents ! (Que serait-ce donc s'ils n'en avaient pas ?)

La science (nombre de savants du moins qui ont partie liée avec la classe dont ils sont issus) feint de planer au-dessus de ces superstitions puériles. Elle évite, pour diverses raisons, de les attaquer de front. D'abord la bourgeoisie ne tient pas à ce que la science dessille les yeux de ceux qu'elle berne avec tant d'avantages. Ensuite elle préfère s'attacher les sympathies des trafiquants de la crédulité qui opèrent autour de toutes les croyances et tirent influence ou monnaie des miracles de Lourdes, de ceux de la communion ou de l'âme éternelle. Aujourd'hui que tout est commercialisé, où les actes ne sont que des jalons du bénéfice, il est de bonne tactique d'annexer à sa fortune les bonnes dispositions de M. Mercanti, qu'il soit marchand de médailles, de couronnes, de chapelets, d'eau bénite, bazardier ou régaleur public.

La croyance au miracle disparaîtra lorsque les hommes, au lieu de chercher sottement les solutions dans l'invraisemblance, auront la sagesse de réserver leur adhésion jusqu'au jour où les investigations méthodiques d'une science désintéressée auront mis en lumière les vérités explicatives, dont l'absence momentanée favorise de barbares superstitions.

– E. COTTE.