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MISÈRE (du lat. f. miseria), n. f.

Ce mot prête souvent à confusion pour qui n'est pas habitué à l'ironie de certains mots français et à leurs multiples sens.

Le Dictionnaire Larousse donne, sur celui-ci , les indications suivantes : « État digne de pitié ; 1° par le malheur : LA MISÈRE de Napoléon à Sainte-Hélène ; 2° par la pauvreté : LA MISÈRE porte au désespoir (Pascal). - C'est une MISÈRE que d'avoir affaire aux gens de lois. - Que de MISÈRES l'on imprime. - La richesse a ses MISÈRES. - Poétiquement : La vile Oisiveté est fille de MISÈRE (A. de Musset). - La MISÈRE de l'homme se conclut de sa grandeur (Pascal). - La terre où les hommes sont livrés à toutes sortes de maux, est souvent appelée: Vallée de MISÈRES. »

MISÈRE et compagnie, est un terme populaire qui dit bien que la misère engendre la misère. Reprendre le collier de MISÈRE veut dire qu'après un repos, un congé, un répit, il faut retourner au travail forcé.

Crier MISÈRE n'est pas une solution au mal. C'est souvent un moyen hypocrite d'apitoyer ou de tromper les gens. Par des dehors misérables, un égoïste, un avare, un peureux cachent leurs biens assez souvent mal acquis, peut-être par des profits inavouables, une exploitation honteuse de leurs semblables. Ils craignent les envieux et les curieux.

Enfin, il y a encore la misère physiologique qui découle souvent de la MISÈRE elle-même, par l'hérédité, le surmenage, le manque d'hygiène. C'est la MISÈRE sociale qui s'affiche ainsi par ses victimes.

La vie large, naturelle, saine peut, seule, apporter remède à cette misère-là... Pourtant, bien qu'on parle beaucoup des bienfaits que verserait une existence moins douloureuse et délivrée de la privation, ce sont toujours les parasites sociaux qui profitent, jusqu'à crever de pléthore, des richesses acquises et accumulées par le travail de la multitude. Ce sont ceux qui ne travaillent pas et qu'aucun labeur utile ne lasse qui, chaque année, vont à la mer, à la montagne. Ils ont besoin de vacances, de repos, sans doute pour réparer les fatigues de ceux qui les entretiennent... Et la misère continue.

La misère, elle est le résultat de l' esclavage, sous la forme du salaire... Elle ne peut disparaître qu'avec la suppression du patronat et du salariat. Tant que le travailleur n'aura pas su s'éduquer, s'organiser et, par l'union des exploités, se dresser pour supprimer l'exploitation, la misère subsistera, se perpétuera, s'aggravera. Ce n'est pas avec des malheureux prostrés par le travail et l'ignorance qu'on peut espérer transformer le monde et rendre socialement bon ce qui trouble aujourd'hui la vie et les rapports humains. Ce n'est pas rêver, en mystique, à la perfection des hommes que de vouloir d'abord supprimer les causes de leur misère. Il n'y a dans nos projets rien de chimérique. Ce que nous voulons, avec ardeur, c'est instituer sur le monde prétendu civilisé, une organisation nouvelle du travail. Et nous trouvons tout naturel que les travailleurs soient les artisans essentiels de cette organisation.

Il n'y aura plus de MISÈRE quand les producteurs auront compris la nécessité de produire pour eux, de régler leur production sur leur consommation et celle des êtres qui, dans la société, ont un motif ou une excuse raisonnable de ne point collaborer à la production. Si, comme l'a écrit Musset, qui ne l'entendait pas ainsi : La vile Oisiveté est fille de Misère..., nous aurons fait disparaître la fille en n'entretenant plus la mère. 

- G Y.



MISÈRE

La misère, dit-on, porte à la résignation, à la lâcheté, au désespoir. Elle s'oppose à la révolte... Écrasés sous le faix de leurs peines, accablés par les difficultés de la vie, le cœur broyé par la souffrance des leurs, les pauvres ne songent qu'à sauver un lendemain précaire, non à assurer un avenir meilleur. D'abord manger, tarir l'angoisse du manque ! Il suffit de voir les lamentables troupeaux qui guettent, regard morne et front bas, les miettes de la bienfaisance et de la charité, d'observer les files de chômeurs attendant quelque maigre secours, implorant, malgré leurs chaînes, un travail de salut, pour comprendre que les prisonniers de la misère sont des vaincus et que, d'eux-mêmes, ils ne pourront, en cet état, se redresser pour affirmer leurs droits. Une insurmontable dépression pèse sur leur conscience, le malheur obscurcit leur compréhension et broie leur volonté. L'homme qui a faim se livre pour un morceau de pain. Et le problème social ne dépasse pas pour lui l'appel de son estomac torturé...

Ce n'est qu'accidentellement, sous la poussée de courants qu'ils n'ont pas ébranlés, que les misérables apportent leur énergie dernière aux causes qui libèrent. Les révolutionnaires se doivent cependant de déposer dans cette masse leurs ferments de régénération. S'ils savent, à certaines heures, canaliser ces forces que le besoin commande et les jeter contre l'obstacle, leur élan personnel pourra s'en trouver élargi en poussée irrésistible. Mais c'est là l'inconnu des heures de crise que régissent tant d'impondérables. C' est déjà le vent des émeutes, la montée des révolutions qui, pour un temps, élève les hommes plus haut qu'eux-mêmes... Dans la vie quotidienne, la misère peut aiguiser quelques natures d'élite, elle enténèbre et rapetisse le grand nombre... 

- L.



MISÈRE

Il est des pages qui vivront aussi longtemps que l'organisation sociale que nous subissons et qui, même quand aura lui l'aube des temps nouveaux, serviront encore à marquer, du signe de l'infamie, les temps qui ne seront plus. Témoin celle-ci que Proudhon écrivait, il y a près d'un siècle, sur la MISÈRE : « Le phénomène le plus étonnant de la civilisation, le mieux attesté par l'expérience et le moins compris des théoriciens, est la misère. Jamais problème ne fut plus attentivement, plus laborieusement étudié que celui-là. Le paupérisme a été soumis à l'analyse logique, historique, physique et morale ; on l'a divisé par famille, genre, espèces, variétés, comme un quatrième règne de la nature ; on a disserté longuement de ses effets et de ses causes, de sa nécessité, de sa propagation, de sa destination, de sa mesure ; on en a fait la physiologie et la thérapeutique... Les titres seuls des livres qui ont été écrits sur la matière empliraient un volume. A force d'en parler, on est parvenu à en nier l'existence ; et c'est à peine si, à la suite de cette longue investigation, l'on commence maintenant de s'apercevoir que la misère appartient à la catégorie des choses indéfinissables, des choses qui ne s'entendent pas...

...La MISÈRE, selon E. Buret, qui a. préféré généraliser moins afin de saisir mieux, la misère est la compensation de la richesse. Que de plus habiles expliquent cela, s'ils peuvent ; quant à moi ma conviction est que l'auteur ne s'est pas lui-même compris. La cause du paupérisme, c'est l'insuffisance des produits (c'est-à-dire le paupérisme) : opinion de Chevalier. La cause du paupérisme, c'est la trop grande consommation (c'est-à-dire encore le paupérisme) : opinion de Malthus. Je pourrais, à l'infini, multiplier les textes sans tirer jamais des auteurs autre chose que cette proposition, digne de faire pendant au premier verset du Coran : « Dieu est Dieu » la misère est la misère et le mal est le mal. La conclusion est digne de ces prémisses : Augmenter la production, restreindre la consommation et faire moins d'enfants en un mot, être riche, et non pas pauvre... Voilà, pour combattre la misère, tout ce que savent nous dire ceux qui l'ont le mieux étudiée, voilà les colonnes d'Hercule de l'économie politique !... Mais, sublimes économistes vous oubliez qu'augmenter la richesse sans accroître la population, c'est chose aussi absurde que de vouloir réduire le nombre des bouches en augmentant le nombre des bras. Raisonnons un peu, s'il vous plait, puisqu'à moins de raisonner nous n'avons plus même le sens commun. La famille n'est~elle pas le cœur de 1'économie sociale, l'objet essentiel de la propriété, l'élément constitutif de l'ordre, le bien suprême vers lequel le travailleur dirige toute son ambition, tous ses efforts ? N'est-ce pas la chose sans laquelle il cesserait de travailler, aimant mieux être chevalier d'industrie et voleur ; avec laquelle, au contraire, il subit le joug de votre police, acquitte vos impôts, se laisse museler, dépouiller, écorcher vif par le monopole, s'endort résigné sur ses chaînes, et pendant les deux tiers de son existence, semblable au Créateur, dont on nous a dit qu'il est patient, parce qu'il est éternel, ne sent plus l'injustice commis contre sa personne ? Point de famille, point de société, point de travail ; au lieu de cette subordination héroïque du prolétariat à la propriété, une guerre de bêtes féroces : telle est, d' après la donnée économique, notre première position. Et si vous n'en découvrez pas en ce moment la nécessité, permettez que je vous renvoie aux théories du monopole, du crédit et de la propriété. Maintenant, le but de la famille, n'est-ce pas la progéniture ? Cette progéniture n'est-elle pas l'effet, nécessaire, du développement vital de l'homme ? N'est-ce pas en raison de la force acquise, et pour ainsi dire accumulée dans ses organes par la jeunesse, le travail et le bien-être ? Donc, c'est une conséquence inévitable de la multiplication des subsistances, de multiplier la population ; donc, enfin, la proportion relative des subsistances, loin de s'accroitre par l'élimination des bouches inutiles, tendrait invinciblement à dominer, s'il est vrai qu'une semblable élimination ne puisse s'effectuer que par la destruction de la famille, objet suprême, condition sine qua non du travail. Ainsi, la production et la population sont l'une à l'autre effet et cause ; la société se développe simultanément et en vertu du même principe en richesse et en hommes : dire qu'il faut changer ce rapport c'est comme si, dans une opération où le dividende et le diviseur croîtraient toujours en raison égale, vous parliez de doubler le quotient. Quoi donc! Économistes, vous osez nous parler de misère ! Et quand on vous démontre, à l'aide de vos propres théories, que si la population se double, la production se quadruple ; qu'en conséquence le paupérisme ne peut venir que d'une perturbation de l'économie sociale au lieu de répondre, vous accusez ce qu'il est absurde d'appeler en cause, l'excédent de la population ! Vous nous parlez de misère ! Et quand, vos statistiques à la main, on vous fait voir que le paupérisme s'accroît en progression beaucoup plus rapide que la population, dont l'excès, suivant vous, le détermine ; que, par conséquent, il existe là-dessous une cause secrète que vous n'apercevez pas, vous dissimulez et ne cessez de mettre en avant la théorie de Malthus ! Mais nous vous signalerons à la défiance des travailleurs ; nous redirons partout, avec un éclat de tonnerre : L'Economie politique est l'organisation de la misère ; et les apôtres du vol, les pourvoyeurs de la mort, ce sont les économistes. Il est prouvé désormais que cette nécessité de la misère, qui tout à l'heure nous a plongés dans la consternation, n'est point absolue ; c'est, comme dit l'école, une nécessité de contingence. Contre toute probabilité, la société souffre de cela même qui devrait faire son salut. Toujours la misère est prématurée, toujours le paupérisme anticipe. A l'encontre du sauvage, à qui la disette vient par l'inertie, elle nous vient à nous par l'action, et notre travail ajoute sans cesse à notre indigence. L'équilibre n'ayant pu être atteint, il ne reste d'espoir que dans une solution intégrale qui, synthétisant les théories, rende au travail son efficacité, et à chacun de ses organes sa puissance. Jusque-là, le paupérisme reste aussi invinciblement attaché au travail que la misère l'est à la fainéantise, et toutes nos récriminations contre la Providence ne prouvent que notre imbécillité. Depuis cinquante ans, observe E. Buret et, après lui, Fix, la richesse nationale en France a quintuplé, tandis que la population ne s'est pas accrue de moitié. A ce compte, la richesse aurait marché dix fois plus vite que la population. D'où vient qu'au lieu de se réduire proportionnellement, la misère s'est accrue ? Les crimes et délits, comme le suicide, les maladies et l'abrutissement, sont les portes par où s'écoule la misère. D'après les chiffres officiels, l'accroissement moyen de la population étant 5 p. 1.000 celui de la criminalité, somme totale, 31.2, il s'ensuit que le paupérisme arrive sur nous six fois et un quart plus vite que, d'après la théorie de Malthus, on n'avait lieu de l'attendre. A quoi tient cette disproportion ? La même chose se prouve d'une autre manière.

En général, les nations occupent, sur l'échelle de la misère, le même rang que sur l'échelle de la richesse. En Angleterre, on compte un indigent sur cinq personnes ; en Belgique et dans le département du Nord, un sur six ; en France, un sur neuf ; en Espagne et en Italie, un sur trente ; en Turquie, un sur quarante ; en Russie, un sur cent ; l'Irlande et l'Amérique du Nord, l'une et l'autre placées dans des conditions exceptionnelles et tout opposées, présentent, la première, la proportion effrayante d'un et même plus sur deux; la seconde un et peut-être encore moins sur mille. Ainsi, dans tous les pays de population agglomérée, où l'économie politique fonctionne régulièrement, la misère se compose exclusivement du déficit causé par la propriété à la classe travailleuse. »

Les tendances de l'économie politique, si vigoureusement fustigées par Proudhon, n'ont fait que s'accentuer. Plus un pays est riche et plus la grande partie de ses habitants vit dans la misère : vols, meurtres, suicides, « portes par où s'écoule la misère » vont sans cesse en augmentant. Périodiquement, la grande presse fait écho aux angoisses capitalistes et déplore que le blé, le vin soient abondants. L'industrie, comme l'agriculture, souffre de pléthore. Il y a de toute marchandise en trop grande quantité. La vente n'est jamais suffisante pour compenser la production. Bientôt, tous les marchés seront accaparés, et il s'établit autour du moindre petit peuple, client possible, des concurrences inouïes, brutales, déclenchant parfois et de plus en plus souvent des guerres atroces. Faute d'acheteurs pour leurs produits, des industries jettent sur le pavé pour des mois, des centaines de mille de travailleurs qui vivront dans la misère la plus féroce.

Le machinisme se développant sans cesse augmente au centuple la production, supprime la main-d'œuvre, jette sur le marché du travail des bras en quantité qui s'offrent, nécessairement, au plus bas prix, avilissant encore des salaires cependant bien minimes, enlevant à la classe la plus importante de la société tout moyen de consommer ces produits qui manquent de consommateurs. Et cependant, malgré la misère qu'il crée et les embarras qu'il suscite aux gouvernements et aux capitalistes, le machinisme ne peut être repoussé sous peine de voir péricliter puis disparaître toute industrie sous la concurrence des industries étrangères capables, dans la misère de leurs ouvriers, de trouver des produits coûtant si peu et pouvant, par conséquent, se vendre au minimum. En vain, on garantira l'industrie ou l'agriculture par un système de douane : protectionnisme ne vaut pas mieux que libre-échange (voir ces mots).

Le grand mal dont souffrent les sociétés modernes, c'est la propriété. On produit uniquement pour vendre et non point pour consommer. Devant des filatures qui ferment leurs portes pour cause de mévente, des centaines de mille de prolétaires défilent, vêtus de hardes infâmes, faute de pouvoir en acheter d'autres. Et ainsi pour le cultivateur, le mégissier, le chausseur, l'éleveur, etc.

Une société où la misère existe en permanence, au milieu de richesses parfaitement inemployées, est une société d'abrutis, d'ignorants ou de fous. Seul un renversement total des valeurs, seule une Révolution pourra supprimer la misère en soumettant définitivement la production à la consommation, en ne produisant plus pour négocier, mais pour satisfaire des besoins. 

- A. LAPEYRE.