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MISSION n. f. (du lat. mittere, envoyer)

Présentement le mot mission s'emploie dans les domaines les plus divers. Nous parlerons des missions religieuses surtout, un peu aussi des missions militaires et scientifiques.

C'est à évangéliser Israël, non à conquérir le monde entier que songeaient les premiers apôtres de Jésus. Mais les Juifs, ceux qui avaient émigré au dehors comme ceux de Palestine, mirent peu d'empressement à se convertir. Par contre les prosélytes venus du paganisme accueillirent avec joie la nouvelle doctrine, et Paul se tourna franchement vers eux. Malgré les récriminations de Pierre et des chrétiens de Jérusalem, attachés au particularisme juif, il abandonna la loi mosaïque et dispensa les gentils de la circoncision et des autres rites chers à la Synagogue. Ce coup d'audace assurera le triomphe du messianisme chrétien, qui, oubliant sa première origine, se muera en religion universaliste ; bientôt les résultats obtenus permettront toutes les espérances et l'esprit de prosélytisme deviendra l'une des caractéristiques de la nouvelle secte partie à la conquête du monde gréco-romain. À cette époque chaque fidèle se doublait d'un apôtre ; il y avait pourrait-on dire autant de missionnaires que de chrétiens.

Après la conversion de Constantin, lorsque l'Église devenue maîtresse se gorgea sans retenue de tous les biens terrestres, le zèle des propagandistes se ralentit naturellement. Lois, tribunaux, force armée étant à la disposition des prêtres, ceux-ci utilisèrent la violence de préférence à la persuasion, pour convertir les sujets, restés infidèles, des très chrétiens empereurs. Avec les barbares, qu'ils ne pouvaient menacer du préteur et des bourreaux, ils devront néanmoins procéder différemment ; alors se précisa le rôle particulier dévolu aux missionnaires, chargés de prêcher l'Évangile dans les pays où l'Église n'avait pour elle ni la faveur du peuple ni celle des souverains. Ce fut l'arianisme, exclu de l'empire, qui pénétra le premier chez les Germains, vers le milieu du IVème siècle ; parmi ses principaux propagateurs, il convient de citer l'évêque Ulphilas qui traduisit la Bible dans la langue des Goths. Vendales, Burgondes, Wisigoths étaient déjà ariens lorsqu'ils pénétrèrent sur les terres de l'Empire ; seuls les Francs, les Saxons et les Angles, restés plus longtemps païens, se convertirent directement au catholicisme. Clovis, chef fourbe et cruel, fit baptiser d'office ses guerriers francs, afin de gagner la bienveillance de l'épiscopat gaulois. À la fin du VIème siècle, le moine Augustin et ses compagnons, envoyés de Rome par Grégoire le Grand, réussirent avec l'appui de la reine Berthe à convertir les Anglo-Saxons. Très adroitement les papes et les évêques utilisèrent les princesses pour aboutir à leurs fins ; on sait le rôle joué par Hélène près de Constantin, par Clotilde près de Clovis ; c'est Théodelinde, l'épouse du roi Agilufe, qui fit disparaître l'arianisme du royaume lombard ; c'est Ingonde, la femme du malheureux Hermenégilde, qui prépara le retour des Wisigoths à l'orthodoxie romaine. Et Brunehaut, la sinistre reine d'Austrasie, reçut du pape Saint Grégoire le Grand de nombreuses lettres de félicitations pour la manière dont elle élevait ses enfants et gouvernait ses États. À cette ardente catholique il envoyait souvent des livres et des reliques, ne cessant de répéter, à qui voulait l'entendre, que les Francs devaient s'estimer heureux d'avoir une pareille souveraine. Mais l'Irlandais Colomban, fondateur du monastère de Luxeuil et qui devait mourir à Bobio, en Italie, après de multiples pérégrinations, ne s'étant pas trouvé du même avis et ayant parlé de Brunehaut sans ménagement, dut fuir pour échapper à la vengeance de cette implacable furie. Au VIIIème siècle, l'Anglo-Saxon Boniface évangélisa la Germanie ; il mourut en 755, assassiné par les Frisons. Au IXème siècle, les missionnaires poussèrent jusqu'en Danemark et en Suède, en même temps qu'ils étendaient leur action sur les bords du Danube. Conjointement avec Cyrille qui traduisit la Bible en langue slave, Méthode évangélisa la Bulgarie, puis il passa en Bohème, d'où le christianisme, gagnera la Pologne et la Hongrie, à la fin du siècle suivant. En 983, le chef russe Wladimir se convertit sous l'influence de sa grand-mère, la princesse Olga. Quant à l'Irlande, elle dut à Patrice d'être chrétienne dès le Vème siècle. De leur côté, les Nestoriens de Perse envoyèrent des missionnaires en Tartarie et en Chine, vers la fin du VIème siècle ; l'œuvre qu'ils accomplirent fut importante mais peu durable.

Déjà, les anciens ordres religieux avaient permis aux dignitaires ecclésiastiques de recruter, à bon compte, les missionnaires dont ils avaient besoin. Les moines irlandais et les bénédictins affectionnèrent la prédication en terre lointaine, du moins tant qu'une corruption effrénée ne s'installa pas à demeure dans la majorité des couvents. Sur l'orgie monastique, Saint Ber nard a écrit des pages que nos journaux de gauche, toujours soucieux de respecter la religion à ce qu'ils disent, refuseraient d'imprimer. La fondation des ordres mendiants, franciscains et dominicains, au XIIIème siècle, fournit au pape des serviteurs fanatiques et bénévoles, qui remplacèrent avantageusement les bénédictins défaillants. Sans négliger les missions lointaines, ils s'adonnèrent particulièrement à ce que l'on dénomme aujourd'hui les missions intérieures, s'efforçant de ranimer le zèle des chrétiens attiédis, prêchant, confessant, dénonçant aussi aux rigueurs de l'autorité civile les fidèles suspects d'hérésie. Cette dernière besogne fut chère aux dominicains, ces infatigables pourvoyeurs des bûchers de l'Inquisition. Mais, à leur tour, les ordres mendiants sombreront, soit dans les excès d'un mysticisme délirant, soit dans la paresse et la goinfrerie.

Au XVIème siècle, la création des Jésuites donna un regain de vie aux missions catholiques. François Xavier, l'un des premiers compagnons d'Ignace de Loyola, évangélisa l'Extrême-Orient ; d'autres jésuites iront vers l'Amérique, si cruellement traitée par les Espagnols, et s'installeront en maîtres dans le Paraguay, doté par eux d'une organisation économique souvent rappelée par nos socialistes. Toutefois l'affaire des rites chinois, un peu plus tard, montrera que les disciples d'Ignace faisaient bon marché des dogmes et de l'autorité épiscopale, dans les régions malaisément accessibles aux occidentaux, quand ils en tiraient richesses et profits. En Europe, par contre, ils se donnaient pour les champions d'une stricte orthodoxie, luttant sans merci contre le protestantisme et pour le triomphe des orgueilleuses prétentions du pontife romain.

Afin de centraliser les résultats obtenus par les missionnaires et de leur imposer les vues que lui dictait son ambition, Grégoire XV fonda en 1622 la Congrégation de la propagande, de propaganda fide. Cette institution subsiste toujours ; elle est devenue l'un des rouages essentiels de l'administration papale. Plusieurs cardinaux la dirigent, assistés d'un personnel nombreux ; elle dispose de ressources formidables, l'or drainé dans l'univers entier, sous prétexte de missions, aboutissant à ses coffres-forts. De là partent des instructions impératives à destination des pays les plus reculés, car, pour les bureaucrates du Vatican, le monde catholique n'est qu'un vaste échiquier dont ils manœuvrent les pions au gré des intérêts politiques et financiers du saint-père. La Congrégation de la Propagande possède une imprimerie capable d'éditer des livres et brochures dans plus de cinquante langues ; pour avoir des fonctionnaires dociles, elle a fait construire un collège où sont formés de futurs missionnaires. Un décret de Clément XI, en 1707, obligea d'ailleurs les supérieurs d'ordres religieux à destiner un certain nombre de leurs sujets aux missions lointaines. Aussi toutes les congrégations quelque peu importantes d'hommes et même de femmes possèdent-elles des succursales dans les pays qui échappent à la domination du catholicisme romain. Les Lazaristes, dont la création remonte à Vincent de Paul, puis le Séminaire des Missions Étrangères de Paris, qui date de 1663, donnèrent une impulsion nouvelle à l'œuvre des missions. De nombreuses congrégations, nées depuis, surtout au XIXème siècle, ont associé leurs efforts à ceux des ordres anciens : Rédemptoristes, Marianites, Maristes, Picpusiens, Oblats de Marie, Assomptionistes, Salésiens, Pères du Saint-Esprit, Pères Blancs, etc. D'abondants subsides leur sont fournis par l'œuvre de la Propagation de la Foi, commencée il Lyon vers 1804 et officiellement approuvée en 1822, par l'œuvre de la Sainte Enfance, par le produit de quêtes périodiquement renouvelées et aussi par maints gouvernements occidentaux, Dans certaines régions, les missionnaires ont acquis d'immenses domaines, même des fabriques ; et, comme ils donnent aux travailleurs indigènes un salaire de famine, leurs bénéfices annuels atteignent des chiffres prodigieux. Malheur à leurs locataires s'ils paient tardivement, dans les ports d'Extrême-Orient dont ils possèdent, en notable partie, les magasins et les maisons ! C'est à des milliards que s'élève, en Afrique, la fortune des Pères Blancs et des autres missionnaires. Sans parler des commissions versées par les entreprises coloniales et les négociants d'Europe, dont ils favorisent les rapines et les déprédations. Dans nos colonies, juges et fonctionnaires sont leurs plats valets ; qu'une contestation éclate entre un infidèle et un chrétien, c'est eux qui dictent la sentence toujours inspirée d'un parti-pris évident. Et, dans les pays non encore accaparés pat les occidentaux, il suffit qu'ils se plaignent pour que l'Europe expédie, à leur aide, des diplomates, ses cuirassés, ses militaires. Mais beaucoup sombrent dans l'alcoolisme ou dans une débauche sexuelle effrénée ; l'autorité ecclésiastique ferme les yeux pourvu qu'ils travaillent à grossir le trésor du pape et à lui recruter des partisans.

Chez les peuplades restées primitives, en Afrique, en Océanie, les missionnaires trouvent sans peine des adeptes, car la mentalité fétichiste s'accommode fort bien des pratiques superstitieuses du catholicisme romain. Par contre, Arabes, Hindous, Chinois, Japonais ne mordent pas à l'hameçon qu'on leur tend ; en général les Orientaux qui se convertissent sont des voleurs, des assassins, désireux de fléchir les juges européens, ou des pauvres qui reçoivent une grosse sommes pour prix du baptême. Jusqu'à ces derniers temps, les dignitaires ecclésiastiques étaient toujours choisis parmi les blancs, dans les pays infidèles, mais, afin de mieux capter la confiance des jaunes, Pie XI vient récemment d'élever à l'épiscopat des Chinois et des Japonais.

Naturellement, les prêtres cachent les abus et la situation véritable aux adolescents qu'ils embrigadent pour les missions du dehors. Parmi ces jeunes gens, les convaincus sont beaucoup moins rares que parmi les Séminaristes ordinaire, et l'on s'efforce de les tenir en haleine, jusqu'au jour où, expédiés à l'autre bout du monde, leurs yeux fatalement s'ouvriront. Trop tard ; pour revenir en arrière, il faudrait un mépris du bien-être et de l'opinion, une volonté de fer, qui se rencontrent rarement. Je parle par expérience d'une situation que je connais bien. Pour les missions du dedans, celles qui visent à fanatiser les fidèles par une série de conférences et d'exercices de dévotion, elles n'exigent qu'un bon gosier, joint à une forte dose d'hypocrisie, de la part des prédicateurs. Ces derniers sont souvent des religieux, dont l'accoutrement baroque et les allures patelines ou cavalières, selon le milieu, impressionnent favorablement l'auditoire. Sous la Restauration ces missions furent particulièrement nombreuses ; dans maintes paroisses, elles ont lieu tous les cinq ou dix ans. Malgré la triste besogne que Rome leur impose, malgré un goût des richesses que leurs aînés ne connurent pas, les prêtres qui se destinent à la prédication lointaine sont, en général, nettement supérieurs à ceux qui restent en Europe ; ils ont une largeur de vue, un amour du risque, un dédain pour les mesquineries dévotes et les préceptes d'une morale étroite, qui les rendraient parfois sympathiques, si l'on ne savait qu'ils propagent de sinistres erreurs.

Longtemps les Églises protestantes se préoccupèrent peu d'envoyer des missionnaires au dehors. La première société anglaise constituée dans ce but remonte à 1647, la seconde à 1698 ; Frédéric IV de Danemark dota richement celle qui se fonda dans son pays en 1704 ; à partir de 1732, les frères moraves se mirent aussi à l'œuvre, ne craignant pas de pénétrer jusque dans les régions polaires. Pendant deux siècles c'est à l'émigration surtout que le protestantisme dut de se répandre hors de l'Europe. Mais, depuis le XVIIIème siècle, il fait une rude concurrence à l'Église romaine. De nombreuses sociétés fournissent, aux pasteurs qui consentent à s'expatrier, les ressources dont ils ont besoin : l'Angleterre et les États-Unis viennent au premier rang pour les sommes recueillies à cette intention. Parce qu'il n'a point la prétention de garder le célibat et parce qu'il fait une petite part à la raison, en proclamant la doctrine du libre examen, le missionnaire protestant nous semble moins dangereux que le missionnaire catholique. Toutefois les bonnes relations que les Églises réformées entretiennent de plus en plus avec celle de Rome, et l'esprit étroit de certains protestants ne sont pas faits pour nous rassurer. Ajoutons que si les prêtres catholiques travaillent pour le plus grand profit du Vatican, les pasteurs n'oublient pas en général de servir les intérêts du pays qui les envoie. Les missions intérieures, comprises assez différemment selon les sectes et les contrées, sont bien connues des protestants d'Europe et d'Amérique. Le pasteur Bodelschwingh les développa en Allemagne, au XIXème siècle, avec une ardeur comparable à celle que Vincent de Paul avait déployée pour les implanter chez les catholiques, deux cents ans plus tôt. On connaît les exhibitions de I' Armée du Salut, fondée à Londres en 1872 par William Booth ; elles ne surprennent pas dans les pays anglo-saxons où les revivals ou réveils de la conscience religieuse font surgir quotidiennement de nouvelles sectes et des prédicants inspirés. Église grecque, bouddhisme, mahométisme envoient, eux aussi, des propagandistes au loin ; avec des ressources infimes, les musulmans obtiennent des résultats que pourraient envier les prêtres catholiques et les pasteurs protestants.

Les missions chrétiennes, et ce sera leur honte éternelle, ont souvent préparé la voie aux missions militaires. Le Père Huc, explorateur de la Chine et du Tibet, l'Anglais Livingstone, qui resta en Afrique australe de 1852 à 1873 et mourut de fatigues, après avoir fait connaître le lac Ngami et parcouru le vaste bassin du Zambèze, firent preuve d'un courage extraordinaire. On ne peut oublier qu'un assez grand nombre de missionnaires sont morts dans des tortures effroyables et que d'autres ont montré un amour de la science et des hommes qui contraste avec l'égoïsme et la mauvaise foi des prêtres ordinaires. Mais pourquoi faut-il que derrière leur silhouette apparaisse presque toujours celle des soldats européens ; c'est la guerre et non la paix qu'annoncent les messagers de l'Évangile. Les persécutions de Tu-Duc contre les missionnaires servirent de prétexte à la France pour s'installer en Cochinchine. Et, si les Chinois détestent foncièrement les chrétiens, ce n'est certes pas sans raison, tant les peuples occidentaux ont molesté l'Empire Céleste sous le couvert des intérêts catholiques ou protestants. De même, soi-disant pour sauvegarder l'indépendance des chrétiens, les grandes puissances européennes sont fréquemment intervenues dans l'administration intérieure de la Turquie ; sans Mustapha-Kemal, elles auraient continué indéfiniment. Avec une hypocrisie, bien caractéristique de la mentalité actuelle, les nations dites civilisées ont, d'ailleurs, pris l'habitude d'appeler « missions militaires » les envois de troupes qu'elles effectuent sans déclaration de guerre officielle, les expéditions destinées à châtier des tribus rebelles ou à soumettre des contrées jusque-là indépendantes. Ce vocable euphémique fait oublier aux citoyens d'Europe ou d'Amérique que la ruse, l'injustice et la cruauté sont à la base des entreprises coloniales et des impérialismes contemporains.

Quant aux missions scientifiques, qui tendent à faire progresser le savoir humain, nous les approuvons volontiers, à condition bien entendu qu'elles ne camouflent pas des visées nationalistes inavouées. Mais alors, sauf l'idée de voyage en terre lointaine, elles n'ont rien de commun avec les missions religieuses ou militaires ; seuls les caprices du langage ont pu les réunir sous un vocable commun. Si Marco Polo, au XIIIème siècle, ne se désintéressait pas du commerce, ses voyages contribuèrent néanmoins au progrès de la navigation et de la géographie. Nous ne pouvons rappeler tous les explorateurs qui l'ont suivi, parfois simples aventuriers, parfois aussi animés des intentions les meilleures. L'histoire de ces missions se confond avec celle de la découverte du globe et du progrès scientifique.

– L. BARBEDETTE.