MOBILISATION
n. f. (rad. mobiliser)
En toute logique, mobilisation ne peut signifier autre chose que l'action de remuer des choses ou des êtres. Cela peut signifier aussi les faire remuer par un ordre, un sentiment, une poussée. Le vent fait acte de mobiliser les feuilles en les chassant sur les chaussées des villes ou dans les champs, après les avoir plus ou moins violemment arrachées des arbres.
Mobilisation peut signifier encore retenir une chose ou plusieurs ; des bestiaux, des outils, des meubles et immeubles. C'est ce qui se fait en temps de guerre. Ne pas confondre avec réquisitionner (voir ce mot), bien qu'il y ait une sorte d'analogie dans l'action de mobiliser et dans celle de réquisitionner : c'est une question de circonstances. Mais l'on se rend rapidement compte du sens différent : celui qui convient à l'un ne convient pas à l'autre de ces deux termes. La mobilisation se passe au début et la réquisition au cours de la guerre.
« EN DROIT : Mobilisation est l'action de déclarer dans un contrat qu'un immeuble sera considéré comme meuble et en prendra les caractères au point de vue juridique. On dit plutôt : ameublissement. »
« EN BIOLOGIE ET PHYSIOLOGIE : Mobilisation est « la transformation des réserves nutritives fixes en matières assimilables, ou directement utilisables, et leur transport au point où elles sont employées. »
« EN FINANCES : Mobilisation est l'action de mobiliser. Ex. : Les valeurs mobilisées réalisent la mobilisation des affaires de commerce et d'industrie. » (Larousse.)
Le contraire de mobilisation est immobilisation.
Au point de VUE MILITAIRE, on sait bien que la mobilisation est l'opération ayant pour objet, d'après un plan établi, de faire se réunir une armée ou une fraction d'armée susceptible de se mouvoir pour se mettre en campagne.
La mobilisation consiste à fournir tout ce qu'il faut pour composer et entretenir un nombre déterminé de combattants et à rassembler ces combattants eux-mêmes en certains points de concentration pour les opposer à des armées ennemies envahissant ou ayant envahi le territoire... À moins que ce ne soit pour les lancer à l'attaque du pays adverse. En un mot, comme en trois : la mobilisation, c'est la guerre !
Certes, on s'en souvient, de cyniques politiciens, après avoir tout fait pour ne pas éviter la guerre, ont cru utile d'afficher, sur les murs du pays, ce mensonge : La Mobilisation, ce n'est pas la Guerre ! Mais, en même temps, dans chaque commune, dans chaque village, partout on apprenait officiellement par le tambour de ville, par l'affiche blanche et par le journal, la proclamation gouvernementale suivante : « La mobilisation générale est déclarée. Le premier jour de la mobilisation est pour le dimanche 2 août. Aucun homme ne devra partir avant d'avoir consulté l'affiche qui sera apposée incessamment ». Déjà, depuis plusieurs jours, les soldats permissionnaires avaient été rappelés, les officiers de réserve convoqués, la presse de toutes nuances chauffait à blanc l'opinion publique ; les manifestations patriotiques, les phrases historiques et grotesques débitées par les parlementaires infâmes se succédaient aux tribunes officielles, se répétaient, s'imprimaient. La folie, le fanatisme étaient au paroxysme partout. Ce qui avait débuté par ce mensonge : « La mobilisation, ce n'est pas la guerre », se continuait par l'affreux démenti, cruel en sa réalité : « La mobilisation, c'est la guerre ! »
Voilà donc ce qui se passa en ces inoubliables journées de 1914.
La Mobilisation s'opéra sans qu'il y ait eu de manifestations particulières ou collectives bien marquantes. Il y eut bien quelques-uns de nos camarades anarchistes qui osèrent revendiquer hautement leur droit de refuser de tuer. Il y eut bien quelques manifestations révolutionnaires contre la guerre, par des jeunes syndicalistes et par des antimilitaristes convaincus. Mais on étouffa tout sous la grandiloquence des professions de foi patriotardes et humanitaires. On faisait, disaient les uns, la guerre à la guerre en courant à la frontière. On la faisait, disaient les autres, pour donner la liberté à nos frères de tous les pays du monde... Que sais je ? Enfin, les troupeaux humains, bêlant pour la guerre du Droit, ou bêlant contre la guerre des Peuples, obéissant tous à leurs mauvais bergers, de chaque côté des frontières, opérant la Mobilisation, partirent à la boucherie.
Depuis bien des années, pourtant, une propagande incessante, acharnée faite chez tous les peuples pouvait donner l'impression de l'impossibilité d'une guerre européenne. Mais, en 1914, la Mobilisation presque parfaitement accomplie, nous a dessillé les yeux sur la grande illusion. Qu'étaient devenues toutes les créatures si hautement conscientes ? Dans les congrès ouvriers, dans les congrès socialistes, en toute occasion, en toutes circonstances, on avait proclamé notre haine de la guerre et fait voter des ordres du jour, selon les formules audacieuses suivantes : « L'ouvrier n'a pas de patrie ! » « À l'ordre de mobilisation, nous répondrons par la grève générale ! », avaient affirmé les syndicalistes... « À une déclaration de guerre, nous répondrons par l'insurrection », avaient proclamé les révolutionnaires. « À la Mobilisation, nous opposerons l'Immobilisation », disaient les travailleurs, en mesure d'arrêter tout trafic, dans chaque pays. S'ils avaient été capables de s'entendre et d'oser le geste salutaire, ils auraient déclenché la révolution sociale et internationale et l'auraient opposée à la guerre, puisqu'elle était déclarée. De tout cela, hélas ! rien ne fut réalisé, ni même sérieusement tenté, il faut bien le reconnaître.
La Mobilisation fut une réussite inespérée, surprenante pour les gouvernants.
Après cela, il n'y avait plus qu'à attendre les résultats d'un si joli début. Ce fut la guerre horrible, interminable, faisant des millions de victimes et laissant partout des vides immenses, reculant pour longtemps les frontières de la Raison, de la Justice sociale et de l'Humanité...
Après une telle hécatombe, il ne devrait plus y avoir, semble-t-il, de propagande à faire contre l'Idée de Patrie, contre le Militarisme, contre la Guerre ! La misère des vainqueurs et des vaincus ; le sang versé, les cadavres enfouis, les larmes désespérées, les deuils, les pertes irréparables, les milliards dépensés durant ces quatre années de meurtre collectif entre pauvres gens qui ne se connaissaient même pas ! Un tel résultat ne devrait-il dessiller à jamais tous les yeux ? Ceux qui croyaient se battre et mourir pour une idée sont morts pour le profit de bandits internationaux et, aussi, dans chaque nation, pour la vanité de quelques guerriers à galons et à décoration, pour la gloire aussi de fourbes politiciens...
C'est
l'acte initial de la Mobilisation qui a mis au tombeau les
millions de nos frères abusés ou peureux, que les profiteurs
traitent de héros. ...Après tout cela, est-ce qu'une nouvelle
Mobilisation devrait être possible encore parmi les peuples
tant éprouvés ?
– G. YVETOT
NOTA. – On sait que, faussant le caractère des idées et des méthodes exposées par Jaurès dans l'Armée Nouvelle (système d'ailleurs contestable encore qu'il vise des nations à régime socialiste), le Robespierre en simili – Paul-Boncour – a tenu à attacher son nom à une conception, soi-disant nouvelle, de la mobilisation, qui n'est, au fond, qu'une consécration légale et une extension à des catégories jusque-là tenues en dehors de l'activité pro-guerrière. En vertu de la législation inaugurée sous ses auspices, seront mobilisés, « pour la défense de la patrie, tant au titre civil qu'au titre militaire, tous les individus valides, sans distinction d'âge ni de sexe ». Cette emprise des préoccupations et des exigences guerrières étendue à toute la population d'un pays (et assimilée, par habile démagogie, aux milices levées pour la défense des conquêtes socialistes) n'est, en fait, que la mise à discrétion, pour le soutien des intérêts ploutocratiques, de toutes les forces disponibles de la nation. C'est à cette abdication de principe stupéfiante, à cette précipitation des masses trompées sous la bannière du capital, aux armes prises et au travail donné pour le soutien de ses compétitions qu'aboutit la phraséologie réformiste qui se décore pompeusement de l'étiquette socialiste. Elle conduit, non seulement à la lutte pure et simple, « à son corps défendant » pour les biens de la bourgeoisie, ses convoitises et ses provocations, mais à une défense pour ainsi dire volontaire, zélée, dévouée des richesses et des institutions d'un capitalisme dont l'idéologie socialiste prétend poursuivre la disparition. Par les soins de Paul-Boncour et autres Renaudel, les troupes disciplinées du « socialisme » viendront lier leur sort à celui d'un régime théoriquement abhorré. Elles se prêteront, avec la masse du peuple ignorant, à « cette mobilisation totale pour la guerre totale » qui sera le tombeau de leurs espérances bafouées... Stratégie singulière, au surplus, que cette mobilisation qui sera, tout à l'encontre d'une accélération rêvée, une paralysie générale et frappera au cœur la vitalité du pays. Il est vrai que les rafales scientifiques de la guerre des gaz – massive et sans avertissement – se chargeront, sur une autre échelle, de la panique et de la désorganisation.