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MOINE n. m. (latin monacus, grec monakhos, de monos, seul)

Religieux qui vit dans un couvent ; membre d'une communauté religieuse d'hommes. La vie monastique suppose le renoncement au monde et la pratique de la pénitence. Conséquence logique de la croyance aux vérités révélées, de la religion, à savoir : que l'âme seule a chez l'individu une vie réelle, une existence libre et immortelle, que le corps n'est qu'un phénomène, un accident, par conséquent une chose absolument négligeable. Le corps n'est qu'un moyen pour l'âme de mériter ou de démériter, de gagner l'infini des jouissances ou de sombrer dans les souffrances éternelles : le ciel ou l'enfer. Les tendances du corps sont comme lui-même, nécessairement matérielles, limitées, finies, et celles de l'âme, comme elle-même : spirituelles, illimitées, infinies. Les premières éloignent de Dieu, de sa loi, tandis que les seconds rapprochent de l'Être suprême. Il faut donc soumettre les tendances du corps (passions), aux tendances de l'âme (foi). On devra ainsi, pour faire son salut, éviter les occasions de pécher, sauvegarder le corps de tout ce qui peut éveiller ou exacerber les désirs et les passions, d'où cet éloignement du monde, cette retraite au désert ou dans les couvents. Et quand, malgré tout, le corps se rebelle et que grondent ses appels, il faut diminuer son emprise, l'affaiblir, le punir – d'où la pratique de la pénitence, de la macération, de l'ascétisme – afin de le rendre plus souple, plus docile à la volonté de l'âme... Le grand ennemi des religions, c'est la vie. Toute doctrine religieuse qui enseigne un au-delà de la vie, est une doctrine de mort.

Il est assez difficile d'indiquer à quelle époque les moines firent leur apparition ; toutefois on en trouve trace vers la moitié du troisième siècle de l'ère chrétienne, en Orient ; sous le nom d'ermites ou anachorètes, ils vivaient dans des cabanes solitaires. Il fut donné, en effet, au christianisme de produire cette espèce d'individus qui se faisaient une gloire de la vermine et de la crasse de leur corps, qui exaltaient la mort et maudissaient la vie.

Mais, pour une pareille existence, une foi robuste était indispensable ; nul doute ni sur la réalité de la Révélation, sur celle de l'existence d'un ciel et d'un enfer, ni d'un Dieu, ne devait effleurer l'esprit du moine. L'ignorance y devait pourvoir. Mais vinrent les siècles de doute ; la règle fut examinée, la vie reconquit en partie ses droits. Seuls les peuples continuèrent à accepter la loi de renoncement aux joies et aux richesses ; leurs conducteurs, reprenant la tradition païenne, s'essayèrent à faire de leur vie une perpétuelle jouissance. Les moines avaient été rassemblés en communautés par Saint-Pacôme qui, en 340, institua les premiers cénobites. Sa sœur, vers la même époque, ouvrait aux femmes les premiers couvents de nonnes.

Au IVème siècle, saint Basile, évêque de Césarée, avait composé la fameuse règle qui régit encore aujourd'hui les moines orientaux. Au VIème siècle, saint Benoît de Nursie, abbé du Mont Cassin, légiféra pour les moines de l'Occident. Sa règle forma les moines Bénédictins qui donnèrent naissance aux Camaldules, aux Chartreux, aux ordres de Citeaux et de Clairveaux.

Tant que dura la foi, les monastères furent de sévères retraites, de saints lieux de prières, de mortifications et de labeur. Mais les moines ne tardèrent pas à subir l'attrait du grand courant qui entraînait les princes et le pape lui-même vers les fêtes et les plaisirs. Dès lors, très souvent, le couvent est transformé en une vaste maison de débauche. Le travail y est délaissé, la « mortification » consiste à bien manger, boire et paillarder.

Cependant, l'Église a su répandre, dans le monde, une légende peu controversée qui consiste à nous présenter les monastères comme des maisons de science à qui nous devons la transmission de tous les trésors de l'antiquité. On cite les Bénédictins comme des modèles d'application, de patience et de savoir. Or, à de très rares exceptions près, la vérité est toute autre. La patience et l'application des moines copistes a été des plus néfastes. Certes, ils nous ont légué dés manuscrits parfaitement écrits et aux enluminures merveilleuses ; mais on y cherche en vain les œuvres profanes de la Grèce et de la Rome antiques. Mieux, les quelques œuvres qui sont parvenues jusqu'à nous et qui nous ont révélé le degré de civilisation atteint par ces ancêtres, ont subi de tels outrages – résultats de la patience et de l'application des moines altérateurs – qu'on a dû les soumettre à l'analyse chimique et critique, afin de séparer le faux du vrai, magistralement embrouillés pour les intérêts de la cause chrétienne.

Et quand on leur reproche ces faux ignobles que, grâce à la science, ils ne peuvent plus nier, voici comment ils se défendent, par la voix du grand catholique Joseph de Maistre : « De ce vague qui régnait dans les signes cursifs, ainsi que du défaut de morale et de délicatesse sur le respect dû aux écritures, naissait une immense facilité et, par conséquent, une immense tentation de falsifier les écritures ; et cette facilité était portée au comble par le matériel même de l'écriture ; car, si l'on écrivait sur la peau, in membranis, c'était pire encore, tant il était aisé de ratisser et d'effacer ».

C'est principalement au moyen-âge, et spécialement au VIIème siècle, que les moines, manquant de papier à l'heure où les chicanes religieuses battaient leur plein, et ne pouvant plus compter sur les fabriques d'Égypte détruites par Omar, se ruèrent sur les manuscrits que l'on avait enfermé dans les monastères pendant les invasions des barbares, les grattèrent, les lavèrent et y couchèrent leurs élucubrations. « Le papyrus, dit G. Itasse dan son étude sur les « faux » (C. Delagrave, 1898), même malgré son peu d'épaisseur, n'échappa point à cette exécution. Véritable armée de destructeurs, enrégimentés sous les ordres de docteurs irascibles et vindicatifs, les moines saccagèrent toutes les richesses bibliographiques des temps anciens, et ne laissèrent échapper à l'étreinte de leurs doigts crasseux et repoussants que quelques débris d'une littérature qu'ils ignoraient ou qu'ils considéraient comme néfaste... Un ou deux fragments d'un véritable intérêt littéraire ont été surpris de la sorte sous l'écriture plus récente de quelques ouvrages de piété ou de controverse. Les recherches d'une érudition patiente, aidées du secours de la chimie, sont parvenus à rétablir des morceaux, même d'une certaine étendue, comme, par exemple, la République de Cicéron, retrouvée en grande partie par M. A. Maï. »

Voici ce que nous dit Michelet, à ce sujet : « S'il est vrai, comme s'efforcent de nous le persuader les écrivains prévenus en faveur du monarchisme, que les rescriptions aient sauvé quelques ouvrages importants, il est bien plus certain que le grattage en a fait périr un nombre qui ne se peut calculer. Plût au Ciel que les Bénédictins n'eussent jamais su ni lire ni écrire ! Mais ils eurent la rage d'écrire et de substituer d'ignobles grimoires aux chefs-d'œuvre sublimes qu'ils ne comprenaient point. Sans eux, la fureur des barbares et des dévots eût été à peu près stérile. La fatale patience des moines fit plus que l'incendie d'Omar, plus que celui des cent bibliothèques d'Espagne et de tous les bûchers de l'Inquisition. Les couvents où l'on visite avec tant de vénération les manuscrits palimpsestes, ce sont ceux où s'accomplirent ces idiotes Saint-Barthélémy des chefs-d'œuvre de l'antiquité. »

Vers le XIIIème siècle, fleurissent les ordres mendiants. On ne se cache plus ; la règle consiste à accomplir le vœu de pauvreté et à ne vivre que d'aumônes. Il y avait quatre ordres de moines mendiants : les franciscains, les dominicains, les carmes et les augustins, chacun de ces groupes donnant naissance à d'autres catégories. On comptait : 1° Les frères mineurs ou franciscains ; 2° Le second ordre ou les clarisses, instituées par sainte Claire, en l'année 1212 ; 3° Le tiers-ordre ou les tertiaires, à qui le même fondateur donna une règle en 1221 ; 4° Les capucins, l'un des ordres les plus nombreux de l'Église ; 5° Les minimes, fondés par saint François-de-Paul ; 6° Les frères prêcheurs ou dominicains, établis vers 1216, sous les auspices et la conduite de saint Dominique de Guzman ; les religieux de cet ordre furent appelés Jacobins en France ; 7° Les carmes, venus de la terre sainte, en Occident, pendant le XIIIème siècle ; 8° Les ermites de saint Augustin, dont l'Institut fut mis au nombre des ordres mendiants par le pape Pie IV, en 1567 ; 9° Les servites ou ermites de saint Paul, les hiérolymites, les cellites, etc... ; 10° Enfin l'ordre du Sauveur et celui de la pénitence de la Madeleine.

Les ordres et les monastères se multiplièrent. Le nombre des moines s'accroissait avec une rapidité inouïe. On comprend facilement que dans les pays de la chrétienté, tous pauvres, les paysans immensément miséreux, proie inoffensive des seigneurs, victimes des guerres ininterrompues, ne faisaient pas volontairement l'aumône suffisant à satisfaire toute cette racaille d'inutiles, d'oisifs, ayant bonne gueule et le reste. Il y eut des moines pillards, quand les menaces de l'enfer ne produisaient pas l'effet attendu. Potter rapporte que : « lors de l'enquête faite par ordre du Parlement de Paris, et à la demande des syndics et consuls de la ville d'Aurillac (22 avril 1555), plus de 80 témoins déposèrent que les moines et les religieuses des deux couvents de la ville se livraient à tous les excès de la débauche. Chaque moine avait une ou plusieurs maîtresses, filles enlevées ou débauchées à leurs parents, femmes ravies à leurs maris ; 70 bâtards étaient nourris, avec leurs mères et les moines, dans le couvent, des offrandes des fidèles. Les moines s'emparaient des filles et des femmes qu'ils trouvaient à leur convenance, en plein jour, au vu et au su de tout le monde, et les chassaient devant eux à grands coups de poings et de pieds jusqu'à leur repaire. Les plaintes continuelles des bourgeois et surtout les violences que les moines commettaient à leur égard, et les assassinats même dont ils s'étaient rendus coupables, firent séculariser le couvent. Dans la maison abbatiale, on découvrit un cabinet chargé de peintures obscènes et qui était appelé le lupanar de M. d'Aurillac. »

« Presque toujours, nous dit le Lachâtre, les moines ont mérité la réprobation qui les a frappés, notamment au XVIème siècle, quand Rabelais et toute la pléiade des écrivains leur faisaient une si rude guerre d'esprit et de bon sens. Voici le portrait du moine, d'après H Estienne :

Pour nombrer les vertus d'un moine,

Il faut qu'il soit ord (sale) et gourmand,

Paresseux, paillard, mal-idoine (malpropre),

Fol, lourd, yvrogne et peu sçavant ;

Qu'il se crève à table en buvant

Et en mangeant comme un pourceau.

Pour peu qu'il sache un peu de chant,

C'est assez, il est bon et beau...

D'un autre côté, un abbé, Bois-Robert, décrit ainsi les moines de son abbaye :

Mes moines sont cinq pauvres diables,

Portraits d'animaux raisonnables;

Mais qui n'ont, pas plus de raison

Qu'en pourrait avoir un oison.

Mais ils ont grosse et large panse,

Et par leur ventre je connoy

Qu'ils ont moins de souci que moy.

Sans livre, ils chantent par routine

Un jargon qu'à peine on devine.

On connait moins dans leur canton

Le latin que le bas-breton.

Mais ils boivent, comme il, me semble,

Mieux que tous les cantons ensemble.

Voici comment Sanlesque peint ceux de son époque :

Les moines, dirait-il, ont d'étranges défauts ;

Ceux qui ne sont qu'oisifs sont les bons de Clairvaux.

Dès qu'un Célestin tousse, il lui faut de la viande ;

La jambe du Feuillant sent la pâte d'amende.

Le Capucin voyage un mois pour un sermon ;

Le Fontevrault s'occupe à tripler son menton ;

Le Carme est devenu marchand de scapulaire.

Parmi les Jacobins, point de foi qu'au rosaire ;

La guêtre au Récollet donne un air cavalier ;

Le Cordelier, enfin, est toujours cordelier.

Rabelais plaisante ainsi les moines de son temps : « Semblablement ung moine ne laboure, comme le paysan ; ne guarde le pays, comme l'homme de guerre ; ne guarit les malades comme le médecin ; ne presche ny endoctrine le monde, comme le bon docteur evangelicque et pédagoge ; ne porte les commoditez et choses nécessaires à la républicque, comme le marchant. C'est la cause pourquoy de tout sont huez et abhorryz. Il n'y ha rien si vray que le froc et la cagoule tire à soy les opprobes, injures et malédictions du monde, tout ainsi comme le vent dict Cecias attire les nues. La raison péremptoire est parce qu'ils mangent la merde du monde, c'est-à-dire les péchez... Si entendez pourquoi un cinge en une famille est toujours mocqué et harcelé, vous entendez pourquoy les moynes sont de tous refuys et des vieulx et des jeunes. Le cinge ne garde point la maison, comme ung chien ; il ne tire pas l'aroy (charrue), comme le boeuf ; il ne produit ny lait, ny laine, comme la brebis ; il ne porte pas le faix, comme le cheval. Ce qu'il faict est tout conchier et de guaster, qui, est la cause pourquoi de tous receoipt mocqueries et bastonnades. »

Toutes les productions de l'époque nous présentent le moine gros, gras, franc licheur et trousseur de servantes. En vain quelques papes voulurent endiguer le flot qui soulevait tant de railleries, de dégoûts, de haines, les moines furent plus forts que les papes.

L'inutilité, la vilenie, l'inconduite, les crimes des moines facilitèrent beaucoup l'éclosion, puis le développement du protestantisme. Soumis dès lors à une sorte d'examen public, obligés de se défendre contre les attaques qui leur venaient de toute part, parfois désavoués par Rome qui sentait la domination lui échapper, les moines furent soumis à une règle extérieure un peu plus sévère. Beaucoup émigrèrent aux pays nouveaux, où ils apportèrent leurs vices et y furent souvent d'une âpreté et d'une férocité inouïes. Ils furent dans les pays latins les inquisiteurs qui ont inscrit dans l'histoire les pages les plus sombres.

Incapables d'enrayer le vaste mouvement d'émancipation spirituelle, intellectuelle et politique qui, du protestantisme, allait au siècle des encyclopédistes, de la Révolution d'Angleterre à la Révolution française, ils durent s'adapter pour ne pas disparaître. Et il faut avouer qu'ils y ont réussi pleinement. L'aumône et la vente des indulgences nourrissant peu les moines, ils se firent marchands, commerçants, industriels. Ils se formèrent en congrégations (voir ce mot) et raflèrent de par le monde des fortunes considérables. Tous les moyens leur furent et leur sont bons : captations d'héritage, comme exploitation d'usines ou de commerces.

Sous sa forme originelle, le monachisme était une folie, sous sa forme actuelle, il est une ignominie, ce que Diderot, avec son grand talent, a ainsi exposé : « Les monastères sont-ils donc si essentiels à la constitution d'un État ? Jésus-Christ a-t-il institué des moines et des religieuses ? L'Église ne peut-elle absolument s'en passer ? Ne sentira-t-on jamais la nécessité de rétrécir l'ouverture de ces gouffres où les races futures vont se perdre ? Toutes les prières de routine qui se font là valent-elles une obole que la commisération donne au pauvre ? Dieu, qui a créé l'homme sociable, approuve-t-il qu'il se renferme ? Dieu, qui l'a créé si inconstant, si fragile, peut-il autoriser la témérité de ses vœux ? Toutes ces cérémonies lugubres qu'on observe à la prise d'habit et à la profession, quand on consacre un homme ou une femme à la vie monastique et au malheur, suspendent-elles les fonctions animales ? Au contraire, ne se réveillent-elles pas dans le silence, la contrainte et l'oisiveté, avec une violence inconnue aux gens du monde, qu'une foule de distractions emporte ? Où est-ce qu'on voit des têtes obsédées par des spectres impurs qui les suivent et qui les agitions emporte ? Où est ce qu'on voit des têtes obsédées pâleur, cette maigreur, tous ces symptômes de la nature qui languit et se consume ? Où les nuits sont-elles troublées par des gémissements, les jours trempés de larmes versées sans cause et précédées d'une mélancolie qu'on ne sait à quoi attribuer ? Où est-ce que la nature, révoltée d'une contrainte pour laquelle elle n'est point faite, brise les obstacles qu'on lui oppose, devient furieuse, jette l'économie animale dans un désordre auquel il n'y a plus de remède ? En quel endroit le chagrin et l'humeur ont-ils anéanti toutes les qualités sociales ? Où est-ce qu'il n'y a ni père, ni frère, ni sœur, ni parent, ni ami ? Où est le séjour de la haine, du dégoût, des vapeurs ? Où est le lieu de la servitude et du despotisme ? Où sont les haines qui ne s'éteignent point ? Où sont les passions couvées dans le silence ? Où est le séjour de la cruauté et de la curiosité ?... Faire vœu de pauvreté, c'est s'engager par serment à être paresseux et voleur ; faire vœu de chasteté, c'est promettre à Dieu l'infraction constante de la plus sage et de la plus importante de ses lois ; faire vœu d'obéissance, c'est renoncer à la prérogative inaliénable de l'homme, la liberté. Si l'on observe ces vœux, on est criminel ; si on ne les observe pas, on est parjure. La vie claustrale est d'un fanatique ou d'un hypocrite. »

En France, les vœux ne sont pas reconnus par les lois, ils ont été supprimés par l'Assemblée Constituante le 13 février 1790 ; cependant le christianisme sait provoquer les vocations et quand l'expérience paraît mauvaise, bien peu osent s'affranchir. Dans une société où la vie est sans cesse diminuée, appauvrie, limitée à quelques manifestations strictement codifiées ; où tous les généreux élans sont brisés, il est normal que des individus insatisfaits, par réaction, parce qu'ils n'ont pas le courage de vivre quand même, contre ou hors les lois, trouvent un goût étrange, agréable même, à cette mort partielle qui, pensent-ils, les délivrera des laideurs de la vie. Les réveils de la chair sont parfois terribles et les disciplines n'ont d'autre effet que de développer les passions anormales.

Les lois ne peuvent rien contre cet état déplorable ; seule une organisation sociale meilleure y apportera remède en redonnant tout son sens à la vie.

– A. LAPEYRE.