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MONARCHIE n. f. (latin, monarchia : de monos, seul, et arkhein, commander)

La monarchie, cette vieille souillure de notre planète, date de l'anthropophagie. Elle a pour emblème un oiseau de proie et constitue un recul monstrueux, une honte et une dégradation ignominieuse de l'espèce humaine sur sa propre préhistoire.

De nombreuses recherches historiques attestent que l'homme primitif vivait relativement heureux dans la promiscuité sexuelle et la communauté de la cueillette et de la pêche au bord des grands fleuves de la forêt vierge.

Mais les intempéries et les attaques des bêtes sauvages, l'insécurité et la pénurie créèrent, stimulées par l'ignorance et la peur : Dieu, le règne de la ruse, de la force et la notion antisociale du tien et du mien qui enfantèrent, avec le prêtre, le guerrier et le trafiquant, l'inique société humaine, basée sur la Religion, la Propriété et la Famille.

La Religion, cela veut dire la croyance en un Dieu de justice, de bonté et de toute-puissance qui, en créant l'homme à « son image », le tire du néant et le condamne férocement à mort en lui donnant la vie. La Religion, c'est encore le dualisme du Corps et de l'Esprit au lieu du monisme de la nature.

La Propriété, cela signifie la division de l'humanité en classes rivales et ennemies, en riches et en pauvres, en exploiteurs et en exploités, en gouvernants et en esclaves travaillant depuis des millénaires, sans répit ni espoir, « à la sueur de leur front » pour engraisser une minorité infime de parasites malfaisants.

La Famille, hypocrisie suprême ; c'est la paternité physiologiquement incertaine dont la loi fait le pivot du groupe affectif au lieu de la maternité qui ne saurait être douteuse. C'est l'enfant à tout âge qui doit, d'après le § 371 du Code, respect à ses parents et de la femme, que les § § 212 et 213 du même Code condamnent à obéir à son mari, seigneur et maître, qu'elle doit suivre où bon lui semble. La famille, embryon de monarchie, c'est l'inégalité des sexes, la discorde à domicile et la flétrissure de l'amour libre, qui est seul conforme à la sélection naturelle.

La monarchie est la forme politique la plus cyniquement arbitraire qui ait jamais reflété le tréfonds d'antagonismes et d'iniquités des sociétés humaines. Rien que son caractère héréditaire constitue la consécration de l'esclavage du régime. (V. État, société, etc.)

Mais la monarchie, en dépit de son nom, n'a jamais été, au sens absolu du mot, le gouvernement d'un seul. Partout et toujours le roi absolu partageait le pouvoir avec une hiérarchie restreinte, héréditaire, et aristocratique, gouvernant et exploitant la foule des travailleurs, parias et esclaves, au profit de ses privilèges.

Le gouvernement d'un seul, dans le sens exact du mot, n'a jamais été qu'un pieux désir des faibles et des impotents à la recherche d'un homme, incarnation suprême de leur Dieu, qui se chargerait de gouverner la société en comblant de ses bienfaits les bons et en châtiant les méchants.

Même les Républiques historiques qui sont des progrès indéniables – moralement – sur l'abjection monarchiste, comme le Salariat l'est sur l'esclavage antique, ne sont, elles aussi, qu'un moyen de gouverner et d'asservir le peuple producteur, sous le voile hypocrite de la souveraineté nationale, aux élus de la naissance et de la fortune.

L'histoire de l'humanité, a dit Büchner, est un épouvantable cauchemar d'où émergent trois points lumineux : la Grèce antique, la Renaissance et la Grande Révolution Française, c'est-à-dire l'aspiration vers le beau, la prise de possession de la Terre avec la conquête du Ciel, et l'affirmation des Droits de l'Homme, complétée par le Manifeste des Égaux réclamant l'égalité de fait, l'égalité économique.

Le reste de l'histoire humaine appartient, hélas ! aux rois et aux prêtres, à ce cauchemar sinistre dont parle le philosophe matérialiste allemand et qu'éclairent seuls les bûchers des suppliciés. La royauté, l'empire, la monarchie... un long cri d'angoisse répond il cette évocation, à cette horreur des horreurs !

Comme Jéhovah, d'après la Bible, n'a pu trouver un juste à Sodome et Gomorrhe, nous ne voyons pas un monarque, mais pas un seul – Marc Aurèle, l'empereur philosophe y compris –, qui, en bonne justice, n'aurait pas dû être mis à mort en vertu de cette loi d'hygiène et de préservation sociale qui dit que celui qui se met au-dessus de l'humanité doit être extrait du nombre des vivants.

Les antiques monarchies de l'Orient, l'égyptienne, l'assyrienne, la mède et la persane étaient des despoties pures. L'assyrienne et la chaldéenne, avec sa somptueuse capitale Babylone, aux jardins suspendus de Sémiramis et aux cent tours, est caractérisée par la légende qui veut que, pendant une orgie qui eu lieu au palais du roi, des lettres de feu apparurent sur les murs formant les mots mane, thecel, phares, c'est-à-dire pesé, compté, divisé... et Babylone fut détruite et rasée.

Au pays des Pharaons, la vanité des monarques sacrifiait la vie de milliers d'hommes, de fellahs, pour se faire construire des monuments funéraires, vieux comme la pyramide de Chéops de 6000 ans et atteignant 150 mètres de hauteur. Pour excuser les Pharaons on a prétendu que les pyramides avaient été édifiées pour faire des observations astronomiques. Elle y ont été partiellement affectées, mais ce goût des Pharaons constructeurs pour l'astronomie semble tout de même douteux.

Les Romains, sur lesquels nous avons pris modèle pour les lois, ont été un grand peuple, mais féroce, le peuple des cirques, du panem et circenses, des combats des gladiateurs et du fameux : Christianos ad leones !

César – ave Cesar morituri te salutant ! – se tenait dans sa loge et donnait le signal du combat et il pouvait, si tel était son bon plaisir, ordonner la mort ou faire grâce au vaincu. Police verso, police recto ! César, le modèle des dictateurs, qui frayait la voie à l'Empire, à Rome avait été « l'amant de toutes les femmes et le mignon de tous les hommes ». Il fut aussi l'amant de la célèbre Cléopâtre qui, après « s'en être servis » jeta ses amants en pâture aux crocodiles.

À ce César nous devons les mots ailés : À son batelier : « Tu portes César et sa destinée ». Au Sénat romain, le message : « Veni, vidi, vici ». (Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu). Et aussi le fameux : Si vis pacem, para bellum. (Si tu veux la paix, prépare la guerre)... et le monde, pendant des siècles, a saigné par tous les pores.

Et les successeurs de César, les empereurs romains ? Une collection de sadiques et de monstres, depuis Tibère et Néron en passant par Caracalla jusqu'au chrétien Constantin !

Voici le moyen-âge. Si ce n'est pire, ce n'est guère mieux. Comme levée de rideau sur le moyen-âge, voici d'abord Attila et l'invasion des Huns, « sous les chevaux desquels l'herbe ne repoussait plus » ; puis celle des Normands ; ensuite cette parole consolatrice, pendant le massacre de Béziers : « Dieu reconnaitra les siens ! » Les Croisades, les guerres et les déchirements de l'Allemagne éternellement morcelée par ses princes et ses grands. L'invasion des Mongols, en Russie, Ivan le Terrible. L'Inquisition en Espagne !...

En France, la monarchie élective – dit-on – cède la place à la monarchie héréditaire qui s'établit avec Hugues Capet en 987. Louis VIII fait encore sacrer son fils. Saint Louis en fait autant pour le sien et les rois se maintiennent en équilibre entre la noblesse et la bourgeoisie en lutte.

Mais, avec les Bourbons, commence la royauté absolue : toutes les libertés meurent à la fois, la liberté politique dans les États, la liberté religieuse par la prise de La Rochelle et la liberté littéraire par la création de l'Académie française.

Sous Louis XIII, Richelieu achève la consolidation monarchiste de la France et Louis XIV, le « roi soleil », ose dire en 1661 « L'État c'est moi ! », mot qui a trouvé son pendant dans la parole qu'un courtisan adressait à Louis XV, en lui désignant la foule : « Sire, tout ce peuple est à vous ! »...

Sur le tout, se brochent des guerres de succession et des guerres religieuses, jusqu'au jour où le couperet de la guillotine met fin à l'effrayante mascarade royaliste... Mais, hélas ; pour un temps seulement. Car le jeu sinistre a recommencé de plus belle avec le grand assassin, Napoléon 1er, restaurateur de l'esclavage des Noirs et de la marque infamante et qui disait cyniquement, après la bataille d'Austerlitz : « Ce n'est rien, une nuit de Paris réparera tout cela ! »...

Contrairement à ce qui s'est passé en France dans la seconde moitié du moyen-âge, où la royauté tenait la balance entre la noblesse et la bourgeoisie, en Angleterre la royauté absolue fut vaincue, parce que nobles et bourgeois firent cause commune contre elle...

À l'heure où nous sommes, en l'an de grâce 1931, la royauté, après avoir passe par toutes les variantes de l'hypocrisie « constitutionnaliste », semble définitivement vaincue, mais le fascisme, qui n'est qu'un bonapartisme vêtu à la moderne, guette la Révolution au premier tournant de l'histoire qui se présentera. Cela ne saurait faire le moindre doute.

La situation mondiale est périlleuse, angoissante au premier chef. La vieille société décomposée né veut pas mourir et la nouvelle ne sait pas naître.

Il n'y a plus de parti monarchiste proprement dit parce qu'il n'y a plus de mouvement foncièrement républicain égalitaire et libertaire. Droite et Gauche, discréditées toutes les deux, se confondent – tout en se combattant, – dans la défense de l'ordre social actuel.

Les partis révolutionnaires (socialistes de gauche, communistes et anarchistes) sont chaotiques et manquent de plate-forme nette, précise pour le combat révolutionnaire. Et cependant cette plate-forme, qui rallierait toutes les bonnes volontés révolutionnaires, serait facile à trouver.

Le Droit n'est rien sans la Possibilité de s'en servir. La République politique, pour aussi radicale qu'on la suppose, n'est rien si elle n'est doublée de la République économique.

SOCIALISER LA PRODUCTION À LA RUSSE SANS SUPPRIMER LE SALARIAT ET SANS ÉTABLIR LE DROIT ÉGALITAIRE DE CHACUN SUR LE RENDEMENT SOCIAL N'EST QU'UNE DEMI-MESURE.

Laissons dire ceux qui prétendent que le progrès ne peut s'accomplir que par étapes. Compter là-dessus, c'est se condamner à tourner éternellement sur place.

Ce n'est qu'en brisant la chrysalide que le papillon prend son vol. Ce n'est qu'en renversant l'État et en tuant le régime de la propriété que nous pourrons établir la République Sociale, la société sans Dieu ni maîtres dans laquelle tous les hommes et toutes les femmes seront économiquement égaux, intellectuellement affranchis et moralement solidaires.

– Frédéric STACKELBERG.