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MONISME n. m. (de monos, seul)

Doit être dit moniste tout système, matérialiste ou spiritualiste, il n'importe, qui prétend expliquer l'univers à l'aide d'un seul élément. Dès l'origine, les penseurs s'efforcèrent de simplifier l'apparent fouillis que constituent les phénomènes, de ramener le multiple à l'un, le particulier à l'universel. Pour les premiers philosophes grecs, il n'existait qu'une substance fondamentale, la matière, force vague et mal définie qui engendrait tout ensemble et les êtres vivants et les corps inorganiques. Plus tard, la matière supposée passive et inerte fut opposée à l'esprit, essentiellement actif, et l'on aboutit au dualisme cher aux scolastiques, ainsi qu'à Descartes. Dans l'homme se rencontreraient deux principes hétérogènes, l'âme, d'une part, le corps de l'autre ; dans l'univers à côté de la matière coexisterait un esprit éternel, infini, nécessaire : Dieu, qui en fut le créateur ou l'ordonnateur. Mais Spinoza revint à l'idée d'une substance unique. Étendue et pensée, en d'autres termes matière et âme, sont pour lui deux attributs, les seuls que nous connaissions, de la substance divine constitutive de toute réalité. Aussi ancien probablement que la philosophie, puisque nous le retrouvons dans les premiers livres de l'Inde, le panthéisme, aux formes très variables et que le christianisme ne parvint pas à tuer définitivement même en Europe, confond d'ordinaire le monde et dieu en un être unique.

Nombreux furent les penseurs du XIXe siècle qui admirent de même que les substances dites individuelles et contingentes étaient des déterminations, des modalités, d'une substance simple, immuable, infinie. Dieu serait immanent et dans l'ensemble de l'univers et dans chacun des êtres qui le composent ; non seulement il n'existerait pas sans les individus, mais il n'aurait d'être et de réalité que dans et par les individus. Aujourd'hui, le monisme, dont la vogue fut si grande au début du XXème siècle, continue de désigner des systèmes absolument irréductibles. Celui de Haeckel par exemple, tout à fait matérialiste, s'oppose à l'idéalisme moniste des penseurs protestants. Selon Haeckel, matière et énergie sont les deux attributs inséparables d'une substance unique, qui explique la vie et la pensée au même titre que les phénomènes inorganiques. Elle est la raison d'être de notre, univers pris dans sa totalité, comme dans ses détails ; aussi point de science véritable qui ne repose sur l'expérience. Les prétendues révélations divines sont de vaines illusions ; c'est du travail de nos sens et des cellules nerveuses de notre cerveau que résulte la connaissance ; les sciences de l'esprit sont en conséquence un simple chapitre de la biologie. Bien d'autres philosophes, dont les idées varient par ailleurs, voient dans la matière le fond commun d'où tout sort, même la pensée. Et la majorité des savants actuels, de ceux à qui l'intérêt ne ferme pas la bouche, semble s'être ralliée à cette conception radicalement contraire aux fallacieuses suppositions des théologiens catholiques. Mais il existe un monisme spiritualiste, qui fait de la pensée le principe primordial de tout, même de la matière. Le système des monades, soutenu par Leibniz, en fut l'annonciateur dans les temps modernes ; d'autres doctrines sont nées depuis, qui s'inspirent plus ou moins de Pythagore, de Platon, des Alexandrins. Une même pensée animerait l'univers ; et, sous des formes différentes, une intelligence assez forte percevrait un thème identique, et dans le monde sensible, et dans le monde moral, et dans le monde des idées. Malheureusement, ces traductions en langages différents de l'idée divine, génératrice de l'univers, restent indéchiffrables pour nous ; c'est une sorte d'instinct qui d'ordinaire nous avertit qu'en définitive le multiple se ramène à l'un. Pour le monisme idéaliste, qui fut très florissant dans les universités anglo-saxonnes, le monde n'est pas une collection de faits, mais un grand fait unique, qui renferme tout. Un esprit absolu, Dieu crée les faits particuliers par cela même qu'il les pense, comme le romancier crée les personnages de ses livres, comme le rêveur crée l'objet de ses songes. L'univers et l'absolu sont un seul fait ; les deux se compénètrent, car être, pour une chose finie, consiste à être un objet pour l'absolu, et, pour l'absolu, être c'est penser l'ensemble des objets particuliers, le tout. Une revue de Chicago, The Monist, se donna comme mission de répandre ces idées parmi les protestants : elle avait comme maxime cette pensée, que l'on déclare admirable et qui est simplement absurde : « Imitons le Grand Tout ». Ces rêveries métaphysiques qu'aucune preuve n'étaie, que la science positive contredit à chaque instant, sont à ranger parmi les mythes dépourvus de tout fondement. S'il est moins poétique, le monisme matérialiste apparaît infiniment plus vrai.

À l'opposé du monisme se place le pluralisme qui proscrit la recherche de l'unité et considère chaque fait comme pouvant être seul de son espèce. William James « admet comme possible que la somme totale absolue des choses ne fasse jamais l'objet d'une expérience positive, ou ne se réalise jamais ni en aucune façon sous cette forme, et qu'un aspect de dispersion ou d'incomplète unification soit la seule forme sous laquelle cette réalité s'est constituée jusqu'à présent ». Ce philosophe a mis le pluralisme au service du spiritualisme et de la religion, ce qui explique l'immense succès obtenu par ses écrits. Mais le pluralisme s'accommode aussi du matérialisme et de l'athéisme le plus complet, ainsi que l'ont montré des penseurs de très grand mérite. (Voir pluralisme.)

C'est dans le plan expérimental que doit être placé le problème du monisme, à notre avis ; fantaisies théologiques, chimères métaphysiques peuvent seulement nous divertir. Or, dans toutes les branches du savoir positif, on tend à rattacher les faits à des lois, et les lois particulières à des lois plus générales. De là les grandes théories, celle de l'unité de composition des corps en chimie, les doctrines électromagnétiques et les thèses d'Einstein en physique, etc. Et les découvertes qui résultent de ce besoin d'unité démontrent, semble-t-il, qu'il répond à la réalité des choses, autant qu'à une inclination subjective. Mais si le monisme est admissible au point de départ, c'est le pluralisme qui convient au point d'arrivée. Partie de l'un, la nature aboutit au multiple ; et de même que le modèle l'emporte sur l'image, l'individu l'emporte sur les abstractions idéologiques auxquelles on s'efforce de le rattacher. Excellente pour établir la filiation des causes, la tendance à l'unité deviendrait régression dangereuse si elle voulait interdire l'infinie diversité dont témoignent et la vie et la pensée. « Un sanglant désir d'unité aveugle certains esprits. Il ne comprennent pas que l'harmonie totale doit résulter de la diversité individuelle, non d'une impossible et néfaste uniformité. »

- L. B.

BIBLIOGRAPHIE : E. Haeckel : Le Monisme ; les Énigmes de l'Univers, etc...