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NATION n. f. du latin natio

Le Larousse définit ainsi la nation : « Réunion d'hommes habitant un même territoire et ayant une origine et une langue communs ou des intérêts longtemps communs ». Définition simpliste et inexacte. Lamartine disait plus justement : « Nations, mots pompeux pour dire barbarie ... » En fait, nation est. synonyme d'Etat. « L'Etat est la personnification juridique d'une nation : c'est le sujet et le support. de l'autorité publique. Ce qui constitue en droit une nation, c'est l'existence, dans cette société d'hommes, d'une autorité supérieure aux volontés individuelles. Cette autorité, qui naturellement ne reconnait point de puissance supérieure ou concurrente quant aux rapports qu'elle régit, s'appelle la souveraineté ... Le fondement même du droit public consiste en ce qu'il donne à la souveraineté, en dehors et au-dessus des personnes qui l'exercent à tel ou tel moment, un sujet ou titulaire idéal et permanent qui personnifie la nation entière ; cette personne morale c'est l'Etat, qui se confond ainsi avec la souveraineté, celle-ci étant sa qualité essentielle. Esmein. - Elément de Droit constitutionnel comparé.

Autrement dit, hors du charabia des juristes : Nation : réunion d'hommes courbés sous le joug d'un appareil étatiste.

Supprimons l'Etat, et la nation s'évanouit : Pologne (époque du démembrement). Empire Austro.Hongrois (1918). Par contre, la Tchéco-Slovaquie, la Pologne, la Lithuanie, etc., sont devenues des nations dès que l'on a permis que se constituent, dans ces pays, des gouvernements propres. On ne conçoit pas une nation d'anarchistes ; mais les juifs, dispersés par le monde, qui obéissent à la Loi de Moïse, forment, aux yeux de beaucoup, la nation juive.

Par la volonté des trusts ou cartels mondiaux, après les périodes de crise, comme la dernière guerre, des nations surgissent comme des champignons, et d'autres disparaissent. L'Europe actuelle en est une preuve. Si les empires centraux eussent été vainqueurs, nul doute que les nations européennes se fussent réparties autrement. Peut-être connaîtrions-nous une nation Provençale, ou Bretonne, ou Algérienne. II n'existerait probablement plus de nation belge, comme il n'existe plus de nation monténégrine. Les groupements d'intérêts font et défont les nations comme châteaux de cartes ; et tout ce qu'on peut. dire ou tout ce qu'on a pu écrire pour justifier l'existence des nations ne sont que subtils arguments de sophistes.

a) D'aucuns ont confondu nation et race ; il y aurait par exemple une nation française parce qu'il y a une race française, une nation allemande parce qu'il y a une race germanique, etc ... Or, «  il n'y a pas de race pure, et faire reposer la politique sur l'analyse ethnographique, c'est la faire porter sur une chimère ». (Renan).

« Même à l'âge de Néanderthal, l'homme était déjà une chose très vieille et, depuis des centaines et des milliers de siècles, il y avait eu des millions d'hommes courant à travers la terre, et se mêlant il d'autres millions d'hommes.

... Cette vieillesse de l' homme, pensez-y lorsque vous serez tentés de croire qu'il est possible .de retrouver dans le sous-sol des indices de races primitives. Songez, même en étudiant les débris du Moyen Age paléolithique ... songez à tous les millénaires antérieurs dont il ne reste aucun vestige humain, et à tout ce que l'humanité, pourtant, a fait durant ces millénaires : chasses, batailles, marches, courses, conquêtes, alliances de tribus, unions sexuelles, et tout cela, en combinaisons innombrables. Même les temps moustériens, si reculés pour nous, et qui nous semblent des points de départ, ne sont que des termes d'un passé prodigieux et insaisissable. » Jullian. - L'ancienneté de l'idée de nation.

Et comme pour corroborer ces dires voici qu'on vient de découvrir dans une caverne calcaire, proche de Pékin, dix squelettes humains pétrifiés remontant au commencement de l'époque glaciaire ! Ils vivaient, ces hommes, il y a 500.000 ou un million d'années !

Parler de la race française est une plaisanterie. « Le nom de la France, que tous les patriotes prononcent avec une vibrante fierté, une émotion filiale, ce nom commémore l'invasion des Francs qui, venus d'entre le Mein, l'Elbe et l'Elster, étaient de purs germains. Ce pays avait accueilli successivement des Gaulois, des Celtes, des Ibères, des Ligures, des Kymris, des Wisigoths, des Vandales. Il avait été envahi par des Latins venus de Rome, des Normands venus de Scandinavie, des Maures venus d'Afrique, des Huns venus de la Caspienne. » (Michel Corday). De même pour l'Allemagne dont le peuple est. un mélange de Slaves, de Celtes, de Germains, de Scandinaves, de Finnois, d'Espagnols, etc... De même pour tout autre peuple.

b) On a prétendu que le climat, la constitution géographique d'un lieu sont facteurs déterminants de la formation des nations. L'existence de grandes nations comme la Russie, la Chine, les Etats-Unis, réuit à néant cette théorie. Il y a, dans ces pays, une infinité de climats, et une infinité de sols. Mais, en France même que de dissemblances entre la Provence et la Bretagne, l'Auvergne et les Landes ! On parle parfois de « frontières naturelles ». Quelle dérision, au siècle de l'auto, du chemin de fer et de l'avion ! Ni mers, ni montagnes, ni fleuves ne comptent plus ; et, s'ils existent, c'est pour unir, non pour diviser.

c) L'unité nationale est fondée sur la langue commune, dit-on encore. Or, en France, on parle, outre le Français de l'Académie (plus ou moins purement, bien entendu), le basque, l'allemand, les langues d'oc, le breton, le flamand. La Belgique a deux langues, la Suisse trois, etc ...

Puisque les nations par elles-mêmes n'existent. pas, on est à se demander comment il se fait qu'elles se soient créées. Et, en remontant aux origines, on trouve toujours l'abdication des individus devant l'autorité..

Dans la tribu primitive, le plus malin ou le plus fort s'impose ; on lui obéit. Par la suite, plusieurs tribus se fédèrent et se laissent imposer une hiérarchie de chefs, des lois laïques et religieuses, des juges. Que l'autorité se renforce encore un tout petit peu ; que la gent bêlante qui applaudit et qui paie clame son orgueil d'être battue, et le sentiment national s'épanouit, et la nation existe. Et cela peut aller jusqu'aux plus absurdes aberrations de l'esprit chez les nationalistes forcenés. C'est le sentiment national qui pétrit des Français prêts a se faire tuer pour la rive gauche du Rhin ou pour sauver la « civilisation » menacée, des Yankees qui se croient prédestinés à coloniser le monde, des Italiens qui se masturbent l'esprit pour essayer de se persuader qu'ils sont les héritiers de la Rome antique.

La nation est la résultante d'un long travail d'abrutissement des peuples auxquels on arrive à faire accepter jusqu'au délire les pires absurdités. Les peuples ont été triturés de mille manières avant d'accepter de vivre en nations « policées ». Ce sont tantôt les rois, empereurs ou républiques qui annexent ou fédèrent telles ou telles provinces (France, Italie, Prusse), tout cela dans les fleuves de sang de guerres sans nombre ; tantôt des groupes d'aventuriers qui s'emparent de pays dit « neufs » (Etats-Unis). Ce sont les religions qui, parallèlement à la force, proposent les bourreaux à l'adoration des victimes (Empereur romain, Louis XIV, Tsar) et prêchent la résignation aux malheurs du temps.

C'est le patriotisme, religion d'Etat, qui grandit d'autant plus que l'ancienne religion s'estompe dans les esprits. Et le patriotisme se cultive comme toute religion, par des sacrifices humains : guerres ou fusillades des incrédules. Et les bonzes : littérateurs, politiciens, arrivistes de tout poil, se sont fait les auxiliaires de tout ce long travail d'oppression.

C'est l'Académie qui a la prétention de fixer la langue. Ce sont les poètes et écrivains nationaux qui battent la grosse caisse pour saturer les cœurs de leur poison grossier : Déroulède, Barrès, d'Annunzio, Mickiewicz ... Chaque nation a ses Botrel et sous-Botrel ; et cela descend jusqu'aux créateurs de chansons de café-concert, ranimateurs de la flamme pour citoyens conscients de base. Ce sont les rhéteurs du forum qui persuadent à l'individu, couvert de chaînes, qu'il a librement consenti au pacte social. C'est enfin l'école, toujours au service des maîtres, qui perpétue et renforce cet état d'esprit dans les générations nouvelles.

L'idée de nation ne repose donc sur rien de positif ; elle nous apparaît comme un colossal mensonge destiné à aider à mieux dominer, opprimer et exploiter ceux qui peinent et qui souffrent. Plus ou moins consciemment, la classe ouvrière l'a compris, qui essaie de s'organiser internationalement, Les groupements d'hommes, en effet, ne s'effectuent pas en cloisons etanches, par nations, où tous les membres auraient des intérêts communs ; ils se font par couches sociales. Et il y a seulement deux groupes : 1° Ceux qui dominent, qui pressurent : les maîtres ; 2° Ceux qui se courbent ou qu'on brise par la force : les esclaves.

L'idée de nation. doit trouver, en tout anarchiste, un adversaire résolu.

-CH. BOUSSINOT



NATION n. f. latin natio

L'agglomération de personnes vivant sous les mêmes lois, dans un pays limité par des frontières, ayant des intérêts communs, une langue commune et des droits plus ou moins communs constitue une nation.

Il arrive qu'on emploie le mot peuple à la place de celui de nation, mais il parait plus logique de réserver le nom de peuple (v, ce mot) aux multitudes unies par une communauté d'origines et d'idées, et de qualifier de nations les peuples régulièrement constitués en Etat politique et souverain.

Chaque nation a ses coutumes, ses mœurs et souvent des religions diverses. Des prérogatives qui s'attachent aux diverses branches de l'activité nationale se constituent un droit national qui coordonne l'action individuelle à l'action collective, pour l'intérêt général. Parmi les nations les unes sont belliqueuses, puissantes, civilisées ou barbares, sauvages, prospères, commerçantes, industrielles, agricoles, riches ou pauvres. Ainsi par les nations naissent les rivalités, la concurrence, les alliances et les guerres qui constituent les plus tristes fléaux qui puissent affliger l'Humanité.

En théorie, et en époque d'ignorance sociale sur la réalité du droit, tout le monde est peuple et souverain ; en pratique, sont seuls souverains dans la collectivité nationale ceux qui détiennent les richesses ; et ils le sont : soit directement, soit par interposition de mandataires défendant plus ou moins bien leurs intérêts. Rationnellement, la nation, à notre époque, représente une circonscription humanitaire déterminée par une certaine communauté d'idées sur le droit spécial de chacune d'elle, Aussi les mœurs, les coutumes, les institutions varient dans chaque nation, Ce qui est vérité dans l'une est erreur dans l'autre. Avec cette diversité de méthodes particulières et collectives, il est Impossible d'obtenir une harmonie réelle clans les rapports sociaux.

C'est de l'ignorance du droit réel, du droit social que les nations sont faites. Quand l'idole qui résume les idées dominant la nation tombe, la nation déchoit et meurt plus ou moins rapidement. . .

Les nations sont en quelque sorte des incarnations du Dieu personnel et leurs mœurs s'inspirent des idées qui se rattachent au culte du Créateur : Elles s'évanouiront au fur et à mesure que le droit passera du domaine national à celui de l'Humanité. Quand la Société se substituera à la Divinité, le Droit aura une valeur morale réelle, c'est-à-dire commune pour tous et pour chacun et la vérité sera la même partout, aussi bien que l'erreur. C'est de ce moment, c'est-à-dire de la connaissance de la vérité, de l'application de la justice égale pour tous, que le droit aura une autorité incontestée parce qu'incontestable. Nous n'en sommes pas là, mais la nécessité sociale amènera les nations à ne former qu'une Société comprenant tous les peuples. A notre époque d'ignorance sociale, le besoin d'harmonie se fait empiriquement sentir ; cependant chaque nation se dit autonome, croit à son indépendance et s'attribue une souveraineté toute puissante dans la pratique de la justice spéciale qu'elle propose.

Il en est ainsi parce que toutes les attributions nationales reposent sur l'idée de droit que les classes dirigeantes et possédantes se font du pouvoir qu'elles disent détenir : soit de Dieu, soit du peuple souverain. Ces espèces de souveraineté ne reposent sur aucune preuve, mais simplement sur la foi et l'illusion ; toutes aboutissent au despotisme d'un seul ou de quelques-uns et nullement à l'application de la Justice.

Mais ces deux espèces de souverainetés qui ont nom théocratie et démocratie conduisent au désordre ; la seconde directement comme c'est le cas actuel, avec le despotisme de la finance et la première y conduit aussi en cédant le pas à la seconde.

Nous sommes loin de la justice, par l'application de ces souverainetés, que la nécessité sociale, le besoin d'ordre rationnel, obligeront de réaliser et qui donneront naissance à la souveraineté de la Raison, seule possible pour avoir un ordre durable.

Sans être à la veille de la fusion les souveraineté existantes, appliquées nationalement, chacun comprend, plus ou moins empiriquement, le besoin d'une rénovation sociale qui situerait les nations sous la dépendance du droit humanitaire.

La mission historique des nations, la grande prestation morale des peuples ont pour but de créer un ordre social nouveau où l' homme sera libre réellement. A la souveraineté de la force qui est la seule que l'Humanité ait connue et connaisse, (et par suite chaque nation) succédera nécessairement la souveraineté de la Raison, De nos jours il se produit pour les nations ce qui se produit pour les individus : chaque homme est nécessairement souverain par sa raison pendant toute l'époque de doute social, de même que les peuples l'ont été, le sont encore quant aux droits de chacun et le seront jusqu'à ce que la connaissance de la vérité du droit ait substitué l'Humanité aux nations, le droit réel et logique à la force individuelle.

En résumé, l'existence des nations implique celle de l'ignorance sociale et l'ignorance sociale de la vérité de la réalité du droit commun à tous a pour conséquence inévitable l'application nécessaire de la force au maintien de l'ordre, de sorte que les mandements et ordonnances, pour, parler comme Proudhon, qui partent d'une nation n'offrent pas pour toutes la même garantie.

Hypocritement ou ouvertement deux nations souveraines en contact ne peuvent pas ne pas être, économiquement, en état de guerre déclarée ou sournoise tout comme le sont, dit Colins, deux familles qui vivent isolément tout en étant voisines. La fraternité la solidarité entre ces familles ne peut être qu'illusoire et non réelle. Sans la reconnaissance d'un droit supérieur à toutes les nations, il ne peut exister entre elles de paix véritable.

Nous approuvons l'idée d'une Société des Nations comme nous approuvons tous les pactes qui auront pour but de fusionner, ne serait-ce que sentimentalement, les intérêts particuliers avec l'intérêt général. Pour l'heure et tant que le Droit n'est que l'expression de la force, une nouvelle Tour de Babel pointe à l'horizon. C'est tout de même un heureux symptôme de voir les grands de la Terre aussi bien que les exploités du travail s'intéresser à l'interpénétration au sein des nations, d'un DROIT souverain.

Il saute aux yeux et au cerveau que : lorsqu'il n'y aura plus qu'un Droit pour tous les peuples, pour toutes les familles, pour tous les hommes ; du moment, enfin, que la nécessité de la justice en imposera l'application, le Droit réel qui en est l'expression obligera les nations à disparaître et à fusionner dans l'Humanité pour ne former qu'une seule société rationnelle. Les nations seront alors dans la Patrie universelle ce que sont, de nos jours, dans chaque nation, les départements et les provinces, où chacun jouira pareillement de la liberté, du bien-être par le travail et, enfin, de la justice réelle en conformité des actions autant individuelles que sociales.

- Elie SOUBEYRAN.