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NATURISME n. m. du latin natura


« Système ou opinion de ceux qui attendent tout des seules forces de la Nature ». Voilà ce qu'on lit en ouvrant à ce mot le dictionnaire Larousse.

C'est, en effet, à désigner la doctrine médicale d'Hippocrate, père de la médecine, que le mot Naturisme à été tout d'abord consacré. Deux principes dominent cette doctrine : 1° la phagys ou nature médicatrice ; 2° le théion ou puissance divine. La nature médicatrice régit l'organisme, le protège contre l'invasion des maladies. La puissance divine domine la nature médicatrice et, dans maladies de l'ordre surnaturel, paralyse en même temps ses efforts et ceux de l'art. Bien des siècles ont passé depuis Hippocrate ; la médecine et les doctrines médicales ont beaucoup changé, évolué et plus encore le sens du mot naturisme.

La médecine chimique et microbiologique a relégué dans l'ombre le mot naturisme avec son sens hippocratique et, repris aujourd'hui par quelques apôtres clairvoyants et audacieux, il rebondit avec un sens tout autre et beaucoup plus large. Un de ces apôtres parmi les plus qualifiés : le Dr André Durville, qui a créé la revue Naturisme, en donne la définition suivante : « La doctrine naturiste est la synthèse rationnelle et harmonieuse de tous les moyens naturels qui permettent à l'être humain de réparer ses tares, de se maintenir en santé, de devenir fort, équilibré et bien pensant. »

Pour ce qui est de ses origines, ceux-là errent gravement qui les prétendent allemandes. Ce sont, en effet, deux Français: le Dr Montennis, de Nice, et le Dr Pascault qui ont, les premiers, exposé les directives permettant de créer, sur des hases solides, la médecine de la Nature. Les premiers, ils attirèrent l'attention sur l'abus que l'époque moderne fait des drogues, montrèrent l'importance qu'ont, pour l'édification et la conservation de la santé, l'alimentation simple, saine, naturelle, surtout végétale et fruitarienne, les cures d'air, de soleil et d'eau. Ayant ainsi défini le naturisme - actuellement objet d'un grand mouvement - et bien fixé ses origines, le Dr André Durville ajoute qu'il ne peut être qu'une conception large, généreuse, impersonnelle ; il ne doit pas être une chapelle, il ne doit avoir ni pape, ni officiants ; il doit exclure l'idée religieuse. Il doit apprendre à vivre à ses adeptes, à vivre sainement, moralement et laisser au prêtre le soin de poser la question théologique.

C'est à tort également qu'on attribue à l'Autrichien Priesnitz et à l'Allemand Kneip, de Wiesbaden, les premiers traitements par l'eau ; car dès le XVIIIe siècle, le médecin français Pomme a été un défenseur enthousiaste des cures d'eau ; il fut suivi par Recamier, Lisfranc, Dupuytren, Beni-Barde (1878). L'Autrichien Racklin passe pour avoir le premier vanté la cure de soleil ; or 'I'urcla, médecin. français, l'avait pratiquée avant lui. L'Allemand Basedow a été l'apôtre de la médecine sportive et a, en 1771, essayé de recréer les Jeux Olympiques ; mais dès 1723, en France, Audry avait tout dit des bienfaits du sport. Tels sont ceux à qui revient le mérite d'avoir découvert et, les premiers, appliqué cette incomparable méthode. Ceci dit, dans l'unique souci d'une documentation exacte, il n'en reste pas moins vrai que le naturisme, ainsi défini doit beaucoup de ses progrès, de ses applications et de son développement aux médecins et hygiénistes d'un peu partout et, notamment aux Allemands. En France, le naturisme est resté synthétique, c'est-à-dire qu'il englobe :

1° La cure alimentaire ;

2° La cure d'eau (hydrothérapie) ;

3° La cure de soleil (héliothérapie) ;

4° La cure d'air (aérothérapie) ;

5° La cure de mouvement (kinésithérapie).

Après leur père, Hector Durville, les frères Durville y ont ajouté la cure mentale.

En Allemagne, on a cru bon de subordonner le tout à la partie, c'est-à-dire au nudisme, lequel supprime, ou à peu près, l'action de l'aliment et du mouvement, pour ne conserver que l'action de l'air, du soleil et de l'eau. Autre différence : tandis que, en France, le naturisme se tient, jusqu'ici, à l'écart de toute tendance politique ou sociale, en Allemagne, ces deux tendances paraissent dominer le mouvement nudiste et on pourrait presque dire qu'elles lui impriment ses directives : il y a, outre-Rhin, le nu socialiste et le nu réactionnaire, tandis que, en France, au point de vue spécial du nudisme, il n'y a que des nudistes intégraux et des mitigés, c'est-à-dire ceux qui proscrivent le slip, le simple caleçon et ceux qui l'admettent, voire l'exigent.

L'attitude des Pouvoirs publics, dans les pays où l'on pratique ou tente de pratiquer le nudisme présente de notables différences. C'est ainsi que, en France, les Pouvoirs publics se sont montrés, à l'égard du Nudisme, tantôt indifférents, tantôt hostiles, sans, du reste, avoir encore arrêté à son endroit leur ligne de conduite définitive ; chez nos voisins, le gouvernement, après quelques hésitations, devant les grands avantages que cette méthode semble lui offrir, pour l'avenir de la race, non seulement n'inquiète pas les nudistes intégraux, mais accorde ses encouragements aux divers centres où ils la pratiquent. Aussi, depuis quelques années, ces centres se sont multipliés surtout dans l'Allemagne du Nord. Parmi les plus importants, ou du moins les plus connus, on compte celui de Dornholzhangen, près Francfort, où s'est tenu, dernièrement, le premier grand Congrès dit des hommes nus ; un autre est celui de Nackendorf. Venus des quatre coins de l'Allemagne et de huit pays d'Europe, nombreux furent les nudistes qui se déplacèrent pour assister au congrès de Francfort et aider à la constitution des textes élaborés avec soin, pour former la future Association européenne de « libre culture » et de réforme de la Vie. Les nations représentées furent, avec l'Allemagne, l'Angleterre, la France, l'Autriche, la Grèce, la Hollande, l'Italie et la Suisse.

Pour la France, avaient envoyé des délégués : Paris, Lyon, Marseille, Nice, Nantes, Alger, Rabat, Toulon. On y constata la présence des deux naturistes qui dirigent les deux grandes revues françaises : Naturisme et Vivre intégralement ; M. le Dr André Durville, et M. de Mongeot.

Chaque nation exposa ses organisations différentes et, au cours des séances, les délégués français insistèrent pour que le nudisme allemand devînt vraiment le naturisme et se rapprochât du naturisme français, en faisant une part plus grande à l'alimentation et au mouvement. Ils furent très applaudis, surtout par les Allemands, et on vota sans retard la suppression de l'alcool et de la viande dans la mesure du possible, ainsi que le recours, en cas de maladie, à la médecine naturiste et naturelle. Furent votées également la gratuité et l'obtention d'un parc pour la « libre culture » dans chaque ville de chacun des pays représentés. Enfin on décida que la France serait chargée d'organiser les relations européennes entre membres des différents groupes libre-culturistes.

Ainsi, un grand pas fut fait pour que fût précisé en même temps qu'élargi le sens du mot « Naturisme ».

Compris dans le sens qu'il doit avoir, après intégration du Nudisme intégral, le Naturisme apparaît à certains, parmi les enthousiastes qui le pratiquent et méditent sur ses bienfaits, beaucoup plus qu'une méthode infaillible de bien se porter et de vivre longtemps en bien pensant, car ils y voient encore la Religion de l'avenir. La plupart des religions, en effet, et le christianisme surtout, sont nées des misères innombrables de l'humanité, de l'Universelle Douleur, comme dit Sébastien Faure. Elles sont et furent toujours pour elle des consolatrices faussement jugées par elle comme indispensables. En délivrant l'homme de ses tares tant physiques que morales, en lui donnant le mens sana in corpore sano qui est le dernier mot de tout, le Naturisme lui rendra la vie non seulement supportable, mais belle, douce, bonne et désirable infiniment. Et l'homme n'aura plus besoin d'être consolé, ni de rêver de chimériques paradis. Le Soleil, l'Air et l'Eau, voilà la véritable trinité qu'il jugera désormais digne de ses adorations.


- Paul VIGNE D'OCTON

NATURISME n. m. (du latin : natura)

Littré a défini le naturisme : « le système dans lequel la nature est considérée comme l'auteur d'elle-même ». C'est la base métaphysique du naturisme, celle qui le fait envisager comme « religion de la nature ». Mais, cherchons lui des explications moins doctrinales et moins sévères ; il en vaut la peine, comme tout ce qui est de la nature.

Entendons-nous d'abord sur le mot religion. Malgré toutes les interprétations qu'on lui a données pour lui attribuer des origines et des visages fort différents, la religion ne peut être expliquée autrement que l'a fait Elisée Reclus : « L'enfant, homme ou peuple, ne saurait admettre la moindre hésitation quant à la causalité de tout ce qui frappe ses sens : il exige une réponse à toutes les questions qui se posent devant lui ; mais n'ayant encore aucune science positive, il doit, pour comprendre l'univers, se contenter des hallucinations de sa vue, des rêves incertains de sa pensée, des interprétations que lui donnent sa peur ou son désir ; il ne sait pas, mais il croit, et se sentirait irrité si l'on émettait le moindre doute sur l'objet de sa foi que partagent avec la même assurance les amis et les compagnons de clan, tous ceux qui se trouvent sous l'action d'un milieu identique. Cet ensemble de croyances illusoires et d'espérances chimériques, ces légendes incohérentes sur le monde visible et invisible, ces récits primitifs que la tradition recueille et que la puissance de l'hérédité transforme en dogmes absolus, sont ce qu'on appelle la religion. »

Pour l'homme le plus primitif comme pour le plus savant docteur, la religion n'a jamais été autre chose en tous les temps et sous toutes les latitudes. Celui qui croit en la puissance thérapeutique des « Saintes Epines », fût-il un Pascal, celui qui s'agenouille devant une croix fût-il un Pasteur, porte en lui les mêmes sentiments primitifs que le nègre attendant sa guérison de son gris-gris, que le premier homme ayant dansé au clair de la lune pour implorer ce luminaire.

D'autre part, Voltaire a écrit ce qui suit sur la religion des premiers hommes : « Pour savoir comment tous les cultes ou superstitions s'établirent, il me semble qu'il faut suivre la marche de l'esprit humain abandonné à lui-même. Une bourgade d'hommes presque sauvages voit périr les fruits qui la nourrissent ; une inondation détruit quelques cabanes ; le tonnerre leur en brûle quelques autres. Qui leur a fait ce mal ? Ce ne peut être un de leurs concitoyens, car tous ont également. souffert ; c'est donc quelque puissance secrète, elle les a maltraités, il faut donc l'apaiser. Comment en venir à bout ? En la servant comme on sert ceux à qui on veut plaire, en lui faisant de petits présents. Il y a un serpent dans le voisinage, ce pourrait bien être ce serpent ; on lui offrira du lait près de la caverne où il se retire. Il devient sacré dès lors, on l'invoque quand on a. la guerre contre la bourgade voisine qui, de son côté, a choisi un autre protecteur. D'autres petites peuplades se trouvent dans le même cas. Mais n'ayant chez elles aucun objet qui fixe leur crainte et leur adoration, elles appelleront en général l'être qu'elles soupçonnent leur avoir fait du mal, le Maître, le Seigneur, le Chef, le Dominant. » (Voltaire, Essai sur les mœurs.)

Espérances chimériques et terreurs superstitieuses, voilà les sources de toutes les religions et ce qui en est demeuré le fond. De la puissance mystérieuse attribuée à des dieux est née la domination de leurs prétendus délégués, les sorciers devenus les hommes d'église et de gouvernement (voir Sorcellerie).

Ces causes sont si profondes dans la nature que les animaux eux-mêmes possèdent le sentiment religieux pour les mêmes motifs d'ignorance, de curiosité, de crainte, et aussi pour le même besoin de bonheur, ou tout au moins de repos, qui fait rechercher ce bonheur et ce repos jusque dans des paradis artificiels. Le sommeil extatique du félin digérant au soleil, l'ivresse mystique de la vie monastique, celle excitante ou stupéfiante que procure l'usage de l'alcool, de l'opium, de la morphine, sont les mêmes produits, plus ou moins naturels, de ce besoin. Quatrefages a appelé l'homme un « animal religieux », voulant ainsi le distinguer, après Lactance, des animaux chez qui la religiosité n'existerait pas. Mais plusieurs philosophes, Tito Vignoli en particulier, reconnaissent « l'origine du mythe chez l'animal aussi bien que chez l'homme ». (E. Reclus.) On n'a pas encore su vérifier si l'animal ne se livre pas à des spéculations métaphysiques aussi transcendantes ou puériles que celles de l'homme, mais s' « il paraît évident que l'animal est moins porté que l'homme à la superstition, point de départ et signal de dégénérescence de toutes nos religions humaines, il n'est rien moins que prouvé qu'il n'ait pas les sentiments religieux qui forment, pour les spiritualistes, sinon la base, du moins la sanction de toute moralité et de toute sociologie ». (Dr Ph. Maréchal.) Cet auteur a cité des exemples démontrant que toutes les idées qui sont à la base de la philosophie et de la métaphysique se retrouvent chez les animaux : « idées de causalité, d'existence et de non existence, de temps, de lieu, d'espèce, etc ... ». E. Reclus a écrit : « Sans recourir aux fables, il suffit d'étudier les bêtes avec lesquelles nous vivons, pour \voir fonctionner en elles le sentiment religieux presque aussi nettement que chez l'homme. »

Il n'est pas douteux que l'homme primitif, qui apprit tant de choses des animaux, reconnut chez eux une supériorité et une perfection qu'il ne possédait pas, avant d'en arriver à se forger cette idée orgueilleuse et stupide qu'un Dieu l'avait fait à son image et l'avait placé au-dessus de la nature pour la dominer. Aussi, n'est-il pas de religion primitive qui n'ait fait une place plus ou moins grande aux animaux et n'ait vu en eux des personnifications de puissances supérieurs, des dépositaires de leur pensée subtile. Il n'est pas jusqu'au christianisme qui n'ait fait exprimer par des animaux la pensée divine et ne leur en ait attribué « la plus sûre connaissance ». La symbolique catholique, qui s'est efforcée de donner une explication religieuse à tous les fait naturels, est sortie su symbolisme primitif. Entre des centaines d'exemples, citons celui du Serpent. Symbole de I'Eternité pour des peuplades africaines, il est chez les Hébreux et chez les chrétiens celui de l'intelligence et de la science du Bien et du Mal (voir Symbolisme).

« La façon dont l'être humain conquiert sa nourriture constitue l'axe de son ravissement religieux, aussi bien que de toutes ses pensées, de son genre de vie, de ses coutumes, de sa science et de son art. C'est principalement autour du gagne-pain que se meut le cercle de son activité mentale. Le chasseur et le pêcheur introduiront toujours dans leurs contes et poésies l'animal qu'ils poursuivent et le rangeront parmi leurs dieux. Le nomade cheminant sans cesse avec ses troupeaux se verra toujours, sur cette terre ou dans le monde lointain qu'il rêve, accompagné de ses chameaux, bœufs ou brebis, et maintiendra parmi eux l'ordre de préséance accoutumé. Enfin la parabole de l'immortalité de l'âme qui, depuis des milliers d'années, eut constamment pour élément primordial le grain nourricier jeté dans la terre, aurait-elle pu prendre naissance autre part que chez une nation d'agriculteurs ? Qu'un peuple change de patrie par refoulement de guerre ou par migration spontanée, aussitôt ses légendes, ses traditions s'accommodent au milieu nouveau, et même dans nos grandes religions modernes, bouddhisme ou catholicisme, le code des croyances officielles le plus strictement réglé par les prêtres finit par se modifier, tout en gardant son cadre antique de cérémonies. » (E. Reclus.) Sans tirer de ces observations des conclusions rigoureuses, comme celles du matérialisme historique par exemple, on peut affirmer que la question de subsistance, primordiale pour l'individu, homme, animal ou plante, est la grande loi de toutes ses activités, même les plus spirituelles. En même temps que la nature le faisait vivre, il trouvait en elle ses affinités, même les plus secrètes, Il fallut le parasitisme social pour que des classes d'hommes allégés du souci de leur subsistance, pussent montrer pour ce souci un souverain mépris et ériger les systèmes qui n'ont pas cessé de se dresser contre la nature dans une société de plus en plus artificielle et arbitraire. Ces « lys qui ne travaillent ni ne filent » seraient bien en peine si le travail des autres ne leur permettait pas de se mettre sous la dent autre chose que la viande creuse de leurs cogitations.

Autour de l'homme, tout était. vivant, livré à la même préoccupation et, dans l'activité voisine, il ne tarda pas à voir l'esprit de concurrence mêlé à des intentions bonnes ou mauvaises, dont il fut d'autant plus frappé qu'il n'en démêla pas les causes. C'est ainsi qu'il jugea bonne à son égard l'intention de l'herbe qui fut douce à ses pieds, de l'oiseau qui le charma de son chant, de la fleur qui l'enivra de son parfum ; il jugea mauvaise celle de la pierre qui vint l'atteindre, de la ronce qui le piqua, du fruit qui fut amer à sa bouche. En tout animal ou plante, en toute chose, il vit un esprit qui lui serait favorable ou défavorable, qui tiendrait son sort sous sa puissance et qu'il s'agirait de bien disposer son égard. Ainsi s'est formé le culte de tous les êtres jugés supérieurs et enclins à la sympathie qui a constitué le totémisme, religion de l'ancêtre et de la tribu engendrée par lui, qui porte son nom, à qui elle est attachée par les liens de la vie, renouvelés et rendus plus étroits encore par la transfusion du sang de l'animal totem dans les veines des jeunes gens à l'âge de la puberté, et par les échanges d'âmes avec ce totem au cours de cérémonies, comme celle de la danse qui met en état d'hypnose. Car en tout être, en toute chose il y a une âme comme il y a de la vie : il y a un esprit bienveillant ou malveillant pour l'homme. La plupart des animaux et des plantes ont été, quelque part, des totems et, si les cultes en sont disparus pour le plus grand nombre, la représentation ou le souvenir en sont demeurés dans les légendes et dans les usages papillaires qui se sont perpétués. Des origines totémiques sont certainement à la base du double mythe scandinavo-germanique d'Odin-Wotan, « Père des Loups », et latin des fondateurs de Rome nourris par une louve. Le loup a été l'ancêtre d'une infinité de tribus dans les régions où il a habité. Tous les animaux sont ainsi les pères des hommes suivant leur types les plus caractéristiques dans chaque pays. Le culte des abeilles a été longtemps celui de nombreux peuples, particulièrement en Italie. Il en a été des plantes comme des animaux. Là représentation totémique se retrouve dans les noms de pays et d'individus comme dans les symboles modernes. Celle des lys est dans le blason des rois de France, celle des abeilles dans les armoiries de Napoléon ; une foule d'animaux et de plantes sont dans les images héraldiques de tous les temps. « Le totémisme, a écrit P. L. Couchoud, est peut-être la plus naturelle des religions. Il a son origine dans l'admiration et la reconnaissance. Il est chargé d'expérience et de poésie. » Le champ d'observation très vaste et très varié qu'il a offert a été de plus en plus réduit par la disparition des peuples qui l'ont pratiqué où par leur assimilation à la civilisation actuelle. Mais il en reste encore des traces vivantes, notamment en Colombie Britannique où il est demeuré la religion des indigènes.

En face du totémisme, s'établit le fétichisme. Il fut plus particulièrement le produit de la terreur des esprits malfaisants multipliés par le pandémonisme, et du désir de les rendre favorables. Les forces naturelles sont à la fois amies et ennemies de l'homme. Le soleil qui réchauffe, le vent qui rafraîchit, les fleuves qui fécondent sont aussi les forces qui dessèchent, qui emportent l'humble toit, qui font pourrir les récoltes. La mer et la terre, adorables tant qu'elles donnent leurs produits, sont détestables lorsque sévissent à leur surface la tempête et la maladie. Du ciel, descendent tous les bienfaits et toutes les calamités. Mais ce sont les calamités qui frappent le plus vivement les hommes, car il lui faut les conjurer. Il n'a, dans son ignorance, que l'imploration, l'espoir de toucher l'ennemi par ses hommages. Aussi, l'être qui fait le plus de mal est celui qui reçoit le plus ; il est le plus grand fétiche, c'est pour lui qu'on fait les plus importants sacrifices. Quand les fétiches primitifs devinrent des divinités régnant sur des peuples entiers, il n'y eut jamais assez d'enfants jetés à la fournaise des Moloch, il n'y eut jamais assez de populations massacrées pour assouvir la colère des Jéhovah. Il n'y a toujours pas assez de meurtres d'hommes pour satisfaire le Dieu des chrétiens.

Avant de devenir ces divinités universelles et terribles, les forces malfaisantes étaient personnifiées par des monstres locaux qui sortaient de leurs antres pour répandre la dévastation et la terreur. Ce sont les dragons de la fable, les grenouilles et les tarasques, les Minotaure et les Fafner, devenus, dans leurs formes primitives, des monstres d'opéra, Ils sont restés dans leurs formes modernes, l'Eglise, la Patrie, l'Etat, le Capitalisme, des fétiches inassouvissables qui font peser leur puissance empoisonnée et autrement malfaisante sur les hommes toujours terrorisés. Tout l'univers a été et est resté un immense fétiche, jusque dans ses infiniments petits. Si l'homme primitif avait connu le microbe, il lui aurait dressé des autels comme au soleil et à la lune. Les Géorgiens, par leurs flatteries, cherchaient à séduire la peste pour qu'elle les épargnât. En 1720, lorsque ce fléau ravagea Marseille, on fit des processions et on promena des reliques de saints dans les rues pour le conjurer. On ne cesse pas de faire des processions semblables pour appeler la pluie sur les campagnes desséchées, de demander au ciel sa protection contre toutes sorte de calamités et de se lever pour la guerre au cri de « Dieu le veut », comme le primitif prenait les armes sur un geste du sorcier.

Ainsi, par le totémisme et le fétichisme s'exprimèrent les premières formes du naturisme, « religion née spontanément de la croyante aux génies innombrables représentant les forces de la nature ». (E. Reclus.) De cette croyance se formèrent les récits fabuleux, les légendes, les mythes dont les développements tireraient un caractère de plus en plus mystérieux de l'animisme.

L'animisme, non seulement fait vivre les esprits de la terre, mais il ressuscite ceux qui ont vécu. Il étend à tous les éléments le culte des êtres et des choses familières aux hommes. et il arrive à diviser l'univers entier dans le magnifique épanouissement du panthéisme. Celui-ci a trouvé sa plus remarquable expression clans le polythéisme grec qui ignora presque les castes sacerdotales et mit le citoyen à la place du prêtre, la politique au-dessus de la religion. Le polythéisme grec a pour principe « l'autonomie de tous les êtres et reconnaît implicitement que toute chose est vivante ». En même temps qu'il affirmait, trois mille ans avant la science moderne, « l'indissolubilité de la : vie sous tous ses -aspects, matière et pensée » (E. Reclus). Il était profondément attaché, avec une confiance et une reconnaissance qui font la grandeur de l'humanisme antique, à l'animisme primitif manifesté dans la nature toute entière. Ce polythéisme, d'une variété et d'une richesse poétiques incomparables, s'exprimait dans la plus admirable des régions terrestres ; aussi était-il presque complètement dépouillé de la terreur de l'inconnu, de l'inquiétude qu'entretiennent des menaces constantes dans une nature moins douce, et l'homme goûtait une sécurité qui rendait moins nécessaires les intercessions auprès des puissances divines. Mais on comprend combien les sorciers de toutes sortes : magiciens guérisseurs, chefs et rois dévorateurs, pouvaient user et abuser des superstitions fétichistes dans des pays moins favorisés et auprès de populations moins développées intellectuellement et socialement.

La crainte de la mort et d'un au-delà que l'idée du Bien et du Mal, de récompense et de châtiment, a rendue angoissante à l'homme, a fait de plus en plus dévier l'esprit religieux vers les abstractions où triomphent les charlatans rhétoriciens et, comme dit Bescherelle, le panthéisme fut « le dernier degré de généralisation dans l'ordre matériel ». On allait généraliser - et divaguer - de plus en plus dans l'ordre spirituel. Le sentiment grandissant chez l'homme de sa supériorité sur toute la nature lui faisait perdre celui de l'égalité de tous les êtres devant la divinité. Il le conduisait d'abord aux diverses formes du polythéisme alimentées par la multiplicité et la variété des mythes ; il le faisait arriver ensuite à l'anthropomorphisme, dont Victor Cousin a dit qu'il est « supérieur aux religions de la nature de toute la supériorité de l'homme sur la nature », ce qui demeure de plus en plus à démontrer par des arguments autres que ceux d'une orgueilleuse pétition de principe étayée de métaphysique théologique plus que d'observation scientifique.

L'anthropomorphisme fit aboutir le sentiment religieux au monothéisme, source des plus féroces et des plus sanglantes aberrations humaines. Il fait douter que Kant n'ait pas voulu railler quand il à dit : « Nous ne pouvons concevoir, pour un être raisonnable, d'autre forme convenable que celle de l'homme ». Cet être « raisonnable » a imaginé toutes les folies, toutes les stupidités, pour enlever la religion à la tutelle naturelle, pour en faire un objet spirituel en dehors et au-dessus de la nature ; or, on ne le répétera jamais assez : en voulant faire l'ange, il est tombé plus bas que la bête. Il n'a jamais eu, quelles que soient ses affirmations imposteuses, aucune révélation d'un Dieu qui serait cet esprit, et qui serait d'ailleurs un véritable monstre s'il existait. Ses méditations les plus éthérées, ses plus sublimes extases n'ont jamais pu lui apporter des lumières seulement suffisantes pour concevoir un merveilleux représenté sous d'autres formes que celles de la nature. Quand on se trouve en présence d'une conversion, il n'est pas douteux qu'elle a été déterminée, soit par l'intérêt, soit par la sénilité mentale, soit par un mauvais fonctionnement stomacal ou intestinal. Les quatre grains d'ellébore du bon La Fontaine sont plus efficaces pour l'équilibre de l'esprit humain que toutes les casuistiques.

C'est « le mortel qui a fait l'immortel n, dit le Rig-Veda. Ce sont les hommes qui ont créé les dieux, en même temps que les mythes dont ils sont les héros plus ou moins compliqués, depuis celui dont la puissance est dans le fétiche protecteur du primitif africain, depuis les innombrables esprits de la féerie panthéiste, jusqu'à l'Etre Suprême, le Grand Horloger, l'Eternel, l'Unique. « La création des dieux est la plus naturelle, la plus secrète, la plus lente, la plus haute des œuvres de l'homme. C'est le suprême achèvement des expériences profondes. C'est le fruit mystérieux des sèves cachées. » (P.-L. Couchoud.) Mais c'est aussi, quand l' homme arrive à la conception monothéiste, la manifestation de son orgueilleuse personnalité, l'instauration de son propre culte, l'adoration de lui-même, l'exacerbation mégalomane de l'individu qui ne se contente plus d'être une unité dans le Grand Tout, mais veut être l'Unité dominante, et qui lui fait créer cette divinité monstrueuse qui est pour l'humanité et pour toute la nature la plus épouvantable des calamités.

Toutefois, l'instinct primitif, naturel, est demeuré si profondément enraciné dans l'homme ; il porte si indélébilement le besoin d'une divinité particulière, d'un fétiche qui lui soit personnellement attaché, qu'il ne cesse de voir dans ce Dieu unique le protecteur spécial de sa race contre les autres races, de sa patrie contre les autres patries, de sa famille contre les autres familles, de lui-même contre autrui. Le monde entier sera peut-être frappé des pires catastrophes ; il a la certitude secrète que lui-même y échappera. De même que le totem protégeait ses ancêtres, le Dieu-Unique le protégera, lui, entre tous. Et souvent, même s'il n'est plus un primitif fétichiste « impuissant à concevoir une cause générale réglant les phénomènes naturels » (Nouveau Larousse), s'il paraît s'élever au-dessus de l'idolâtrie par une conception plus haute du divin, il ne comprend plus quand il est frappé comme les autres, et il s'effare, il proteste, il perd la foi. Jean Lorrain a raconté l'histoire de la prostituée toulonnaise qui va noyer dans le port la statuette de la Vierge à qui elle a vainement demandé de lui rendre « son homme » emprisonné à la suite de quelque vilaine aventure. De vieilles dames donnent le fouet à l'image de saint Antoine de Padoue et la mettent en pénitence dans les cabinets, parce que le saint ne leur a pas ramené le toutou échappé de leur giron. La littérature du moyen âge, les contes et le théâtre de la Vierge en particulier, abondent en naïvetés de ce genre. Une foule de pères et de mères ont eu besoin que la guerre leur tuât leurs propres fils pour comprendre l'abomination de cette ignominie que d'autres ne cessent pas de trouver « fraîche, joyeuse et divine » ! Quelle différence y a-t-il entre les solliciteurs de la Vierge, de saint Antoine de Padoue, du « Dieu des Armées », et ceux des fétiches ? Dent de singe ou médaille bénite, l'explication, si subtile qu'elle soit, des sorciers qui en font commerce, ne montre aucune distinction à faire parmi ceux qui les portent et en attendent protection. .

Il n'est aucune religion qui n'ait son origine dans le naturisme et qui n'en continue les traditions lorsqu'elle veut atteindre les foules humaines. Maury, quand il disait que « le naturalisme a été le point de départ de la religion brahmanique et aussi des religions grecque, latine, gauloise, germaine, slave », constatait que le naturalisme - en l'espèce le naturisme - est à la base de toutes les religions. Renan a vérifié que « les premières intuitions religieuses de la race indo-européenne furent essentiellement naturalistes », Le bouddhisme, en particulier, a conservé ce naturisme qui éveille « le désir de se perdre dans l'infini des choses ». (E. Reclus.)

L'animisme, dont on a. fait une philosophie ayant pour principe l'âme qui est en tout être vivant, a été la première doctrine métaphysique expliquant la vie ; il est toujours celle qui l'explique le plus simplement. Les études physiologiques contemporaines sont de plus en plus en concordance avec l'animisme polyzoïque qui voit, dans chaque organisme vivant, d'autres organismes également vivants. « Notre corps est une république de vies », a dit Fonsegrive résumant l'ouvrage de V. Perrier : Les Colonies animales. La science, d'accord avec la philosophie animiste, ne fait plus de distinction entre la force animatrice et la matière. Tout est âme et tout est esprit ; spiritualisme et matérialisme, animisme et organicisme, se confondent dans la vie universelle. L'animisme philosophique rejoint ainsi l'idée naturiste « d'une ressemblance originaire des conceptions chez tous les êtres organisés » et d'une égalité entre eux, hommes ou animaux, ceux-ci étant de par la définition même du mot : animal, les « possesseurs du souffle », ceux qui « ont une âme », tout comme ceux-là.

« L'humanité, dans sa radieuse jeunesse, créait. des mythes ; spontanément elle animait la nature entière, personnifiait, humanisait toutes choses. Elle donnait une émotion, une pensée, une voix à cette goutte d'eau, à cette plume, à cette feuille que la froideur de notre raison nous fait paraître inanimée. Les poètes, alors, traduisaient en paroles humaines toutes les voix de l'univers, composaient ce que nous appelons les fables et qui est la plus vraie des vérités. » (Anatole France.) Toutes les fables, les légendes, les traditions du naturisme se retrouvent dans les religions. Les mythes forment le fond de leurs dogmes et de leurs cérémonies, quelles que soient les transformations qu'ils ont subies. « Quand on parle des religions antiques, on dit mythologie. Quand on parle de la religion chrétienne, on dit théologie. Au fond, les deux termes sont synonymes. Mythologie : théologie à laquelle on ne croit plus. Théologie : mythologie à laquelle on a foi. » (Couchoud.)

L'idée de Dieu est sortie du culte du feu. Le feu, élément supérieur de la vie chez tous les peuples qui ont évolué, adoré dans le Soleil, est demeuré l'image de la fécondation et de la purification ; fécondation de la Terre et des intelligences, purification de la vie et des âmes en marche vers le progrès d'une vraie civilisation. Tous les dieux qui ont pris forme humaine sont nés au solstice d'hiver, quand le soleil recommence à monter vers le Zénith. Il en est de Jésus, « l'Agnus dei », comme des païens Mythra, Moloch, Horus, Apollon, Bouddha. Les paysans des Andrieux, dans les Alpes françaises, qui pratiquent encore l'offrande au Soleil comme leurs ancêtres préhistoriques, font les mêmes gestes que les mages bibliques à l'étable de Bethléem ..

Le dogme abracadabrant de la Trinité, exploité par l'Eglise, n'a d'explication compréhensible que dans son origine naturiste. Sa première conception, la plus naturelle et la plus simple, est dans la représentation de la famille : le père, la mère et les enfants. Elle commença à être métaphysique, mais resta naturelle, dans l'unification du ciel, de la terre et de l'ensemble des êtres. Elle fut plus métaphysique avec les trois figures d'Aristote : le commencement, le milieu et la fin, de même avec la trimourdi indoue : la naissance, la destruction, la renaissance. Compliquée par les prêtres qui en ont fait un galimatias, elle a été dans le plus ancien culte védique la triade de Savitri, Maya et Vayou, dans le brahmanisme celle de Brahma, Shiva et Vischnou, dans le bouddhisme celle de Bouddha, Dharmas et Sanghas, dans les légendes chaldéènnes celle de Anou, Bel et Ouah, en Perse celle d'Ormuzd, Ahriman et Mythra, en Egypte celle d'Ammon, Month et Rhons, ou d'Osiris, Isis et Homs, ou encore de Khnou­ pis, Sats et Amouké. On la retrouve dans toutes les mythologies jusqu'à celle du christianisme du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Celle-ci est la plus incompréhensible de toutes, parce qu'elle n'a plus que des explications théologiques où les gens d'Eglise eux-mêmes perdent leur latin. On connaît l'anecdote de ce bon curé de campagne qui, ne sachant comment expliquer la Trinité a ses ouailles, leur dit : « La Trinité est comme un morceau de lard ; le gras, c'est le Père, le maigre, c'est le Fils, et la couenne, c'est le Saint-Esprit », traduisant ainsi l'assimilation primitive de la divinité avec les objets de subsistance des hommes.

La Purification et la Rédemption par le sacrifice sont aussi dans la religion naturiste. D'abord, un animal ou un être humain fut chargé du fardeau des autres pour les alléger. L'idée de purification s'y ajouta et le sacrifice du bouc émissaire lava l'homme de ses fautes. On en arriva à sacrifier le dieu lui-même après l'avoir fait homme. Jésus fut mis en croix pour laver les péchés des hommes, et son sacrifice se continue dans la communion chrétienne où, comme dans le totémisme, le fidèle s'assimile le sang de son dieu sous les espèces eucharistiques. « Jésus-Christ est en personne dans l'Eucharistie et nous y donne son corps en substance », a dit Bossuet. De nombreux primitifs sacrifient encore des animaux et mêmes des hommes. La guerre est demeurée l'image des hécatombes à la gloire du « Dieu des armées » dans ses formes plus positives de sacrifice au Dieu des affaires et des coffres-forts. On apaise toujours le Seigneur comme on apaisait Moloch et Jéhovah, et des drapeaux demeurent les emblèmes du sacrifice patriotique dans les temples du Dieu qui mourut pour la fraternité universelle !...

Les cultes funéraires, célébrés spécialement par le christianisme les 1er et 2 novembre, sont nés de l'idée d'apaiser l'esprit des morts par des offrandes et des cérémonies commémoratives sur leurs tombes. Lorsque le christianisme primitif voulut s'élever contre ce culte et dit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts », il rencontra une immense résistance populaire et il dut adopter cette pratique en contradiction avec la foi nouvelle qu'il apportait et qui faisait mépriser les corps. Le christianisme s'est adapté au point qu'il a organisé le culte des reliques et qu'il en a fait l'objet de la simonie la plus impudente (voir Simonie.) L'idée de purification et de rédemption se retrouve dans la confession des péchés que les religions primitives pratiquèrent dans des cérémonies magiques d'expulsion du malin et dans le baptême. Le christianisme a fait de la confession, du baptême et de la communion les moyens de domination qu'on connaît.

Mortifications, macérations, pénitences de toutes sortes ont toujours été pratiquées pour ressembler au totem, pour se rapprocher du dieu dans un état de plus grande pureté, pour en avoir une connaissance et en recevoir des communications plus profondes et plus particulières. Les sorciers ont encouragé et multiplié autant qu'ils ont pu, au lieu de les combattre, les formes de vésanie les plus imbéciles, au point qu'elles prirent la gravité d'épidémies. Les flagellations, qui faisaient partie des exercices dévôts de l'antiquité païenne, se continuèrent au moyen âge chrétien avec une véritable fureur collective, et on en voit encore aujourd'hui. Les sorciers avaient imaginé que la castration était agréable aux puissances divines. Les prêtres d'Athys se mutilaient pour ressembler à leur dieu. Les chrétiens Origène et ses disciples firent de même pour affirmer leur volonté de chasteté. Jusqu'à ces derniers temps on châtrait les enfante destinés aux chœurs de la Chapelle Sixtine ; tout dernièrement, le pape a décidé qu'il serait mis fin à cette pratique odieuse. Les exorcismes de l'Eglise pour combattre les maléfices sont restés dignes du fétichisme le plus primitif. Toutes sortes de pratiques charlatanesques, explicables parfois à l'origine, sont demeurées par la sorcellerie des prêtres ou de thaumaturges clandestins. Ces derniers paient parfois en correctionnelle, non le fait d'avoir exploité la sottise publique, mais celui d'avoir fait une concurrence « déloyale » et « impie » aux d'église !

Forêts et sources enchantées voyaient jadis les cortèges des lutins, les ébats des faunes, des nymphes des dryades, les danses du sabbat (voir Sorcellerie). Les foules geignantes des éclopés du corps et de l'esprit venaient demander à la plante magique et à l'eau miraculeuse la guérison de leurs maux, les vertus curatives de certaines plantes et de certaines eaux ayant été éprouvées. Les sorciers intervinrent pour créer des régions de miracles. Chaque village avait vu des prodiges divins qui justifièrent des pèlerinages. La Vierge apparut à des Mélanie et Bernadette, comme jadis les fées à l'entrée de grottes merveilleuses, et des N. D. de la Salette, des N. D. de Lourdes renouvelèrent les prétendus prodiges des fontaines de Jouvence. Elles en font trop et pas assez pour la raison humaine, car si elles ramènent à la vie des gens qui passaient pour morts, elles n'ont jamais été capables de rendre son bras manquant à un manchot. Cela leur est aussi impossible qu'à leurs sorciers de démontrer que un égale trois.

Toutes les constatations des rapports entre le naturisme et les religions les plus modernes démontrent que celles-ci, bien loin d'employer les connaissances acquises par la raison et la science pour faire progresser l' humanité, ne s'efforcent que d'aggraver sous des formes nouvelles les vieilles superstitions en les érigeant en dogmes. Malgré toutes les aberrations des religions primitives, il y avait en elles une pureté de sentiment, une préoccupation de moralité qui n'existent plus dans les religions modernes flétries par l'hypocrisie et déshonorées par leur adhésion à toutes les turpitudes dirigeantes, à tous les dols, toutes les fourberies, tous les crimes. Le primitif est le plus souvent criminel par ignorance ; le civilisé l'est sciemment, volontairement, par calcul. C'est pourquoi les religions sont de plus en plus immorales. M. Monod-Hersen, dans un récit de voyage au Niger, a écrit : « Le prêtre fétichiste croit à sa religion. Aussi est-il très rarement le profiteur de sa foi. S'il en vit, il en remplit aussi les devoirs en faisant pénétrer dans le peuple ses enseignements. L'essentiel, pour le fétichiste, est le respect de certaines règles morales. Trois vertus notamment sont requises de l'homme pour son salut : la justice, la bonté, l'aide aux faibles. Notez qu'il n'est pas nécessaire d'être fétichiste pour être sauvé. L'observance des trois vertus suffit. » Comparez cette morale primitive à celle des gens qui disent : « Hors de l'Eglise, point de salut ! » ~ » et dites où se trouve la vraie morale.

De nombreux auteurs ont « démontré surabondamment qu'il n'y a rien de sage dans les évangiles qui n'ait été connu et pratiqué par les rabbins » (P.-L. Couchoud.) De même, il n'y a rien de sage que les rabbins aient connu et pratiqué, qui n'ait été avant eux et avant toutes les religions dans la religion naturelle, source spirituelle de l'humanité comme la Terre en est la nourricière, la « terre chérie » que le primitif indou ne séparait pas, dans ses sentiments, de la « femme bien aimée ».

- Edouard ROTHEN