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NÉCESSAIRE, NECESSITE (du latin necessarius)

Voici quelques-unes des meilleures définitions de ce qui est nécessaire, empruntées au dictionnaire philosophique de Lalande :

1° Est dit « nécessaire » l'être qui ne dépend, pour exister, d'aucune autre cause ou condition ;

2° Est dit « nécessaire » (par rapport à un ensemble de causes données), l'effet qui en résulte infailliblement ;

3° Est dit « nécessaire », l'enchaînement des causes et des effets dans un système déterminé ;

4° Est dit « nécessaire » le rapport d'un moyen à une fin, d'un condition à un conditionné, si cette fin ne peut être atteinte que par ce moyen, ou si ce conditionné ne peut être réalisé que sous cette condition.

Remarquons que, sauf la première des définitions, toutes les autres ne prennent leur caractère de nécessité que a priori : après expérience. Ce qui les ramènerait en somme à ceci : « Est nécessaire ce qui est, ce qui existe et se passe dans le présent ». Ce caractère de nécessité se rapporterait donc aux faits présents que l'on subit, que rien ne peut modifier et contre lesquels on ne peut rien. Ce qui n'est donné que par les faits tirés de l'expérience. D'après cela, tout événement futur ne serait pas absolument nécessaire, tant qu'il ne s'est pas complètement réalisé, qu'il ne s'est point imposé par l'existence même. D'où vient alors que certains phénomènes futurs prennent pour nous le caractère de la nécessité absolue, par exemple la chute d'une pierre jetée en l'air, ou même notre propre mort ? Cela vient d'une particularité psychologique créée par l'expérience qui fait qu'une série de phénomènes dont la succession et la répétition s'effectuent toujours avec la même invariabilité, sans aucune exception connue, se présente à notre esprit avec le même degré de certitude pour le futur que pour le passé. Le futur « est comme déjà joué » (pour employer l'expression assez heureuse de Bergson). Cela nous ramène à l'éternelle question du déterminisme, à la nécessité en soi et à la première définition, citée plus haut, de ce qui est nécessaire. Il est évident qu'il y a quelque chose qui existe par soi-même, car ce n'est ni nier, ni expliquer l'existence d'une chose en soi, c'est rendre toute existence intelligible. Il y a donc quelque chose dont les attributs propres ne dépendent point du dehors (ne serait-ce que le mouvement), car il faudrait encore reporter au dehors, à un autre quelque chose, les attributs que l'on nie à cette première chose, ce qui est reculer l'explication.

Ces attributs peuvent-ils être considérés comme libres on comme nécessaires ? Nous sommes, ici, au cœur même de la question du déterminisme. Remarquons que les attributs ne tiennent l'existence que d'eux-mêmes ; quant à leur origine et leurs particularités, ils sont libres, bien que se modifiant mutuellement et perpétuellement dans leurs mouvements ; mais l'esprit répugne à admettre une telle possibilité car si le vieil anthropomorphisme nous fait douer ces attributs de la faculté d'être facultativement ceci ou cela, sans raison, une chose ne peut être (pour notre compréhension habituelle) qu'une chose à la fois et non plusieurs choses différentes ou contradictoires. Si donc elle est ce qu'elle est, et non autre chose, c'est qu'elle ne peut être cette autre chose. Nous voyons là encore un caractère de nécessité. Il nous est impossible de concevoir qu'une chose puisse être plusieurs choses en même temps ni changer d'elle-même sans motif. Tout porte donc le caractère de la nécessité.

Cela vient de ce que nous ne pouvons concevoir de changements, de variations sans causes antérieures les déterminant. Ce qui recule indéfiniment le problème des causes déterminantes, sans le résoudre.

En réfléchissant suffisamment, il n'est pas plus pénible d'admettre qu'une chose puisse être, sans motif antérieur, soudainement, autre chose que d'admettre que, sans autre motif antérieur, cette chose soit actuellement ce qu'elle est. L'incompréhensible n'a pas de mesure. Si l'on admet une chose incompréhensible, on peut en admettre une quantité indéfinie.

Le caractère de la nécessité ne serait donc pas exclusivement le fait de l'invariabilité et de la répétition, mais, plutôt, celui de l'existence même : Est nécessaire ce qui est. En réalité, nous sommes, ici, en dehors du champ de l'expérience, dans le pur domaine de l'imagination, avec le seul guide de notre logique, tirée de l'expérience sensorielle; laquelle n'a plus aucune mesure avec des faits qui se passent à une échelle de grandeur qui n'affecte plus notre sensibilité.

Les seules explications que nous puissions nous donner, dans ce domaine extra-sensible, sont plutôt des inventions, des jeux de notre esprit, auxquels nous ne pouvons que demander certaines conditions de logique pour ne point heurter notre bon sens, Ce qui porte, pour nous, le caractère de la nécessité, ce sont surtout les faits prévisibles s'appliquant aux phénomènes se déterminant les uns les autres. La logique humaine, notre raison issue des réactions de la substance vivante contre les forces du milieu, nous fait connaître ces nécessités qui sont comme les bornes mêmes de toute vie, hors desquelles notre existence est compromise ou en danger. La seule morale possible et acceptable pour les humains ne devrait être qu'une morale basée sur ces nécessités inéluctables, imposées par les lois naturelles à tous les êtres vivants. C'est en connaissant exactement ces nécessités que l'homme pourra triompher de la nature et l'utiliser à son avantage, pour son bien-être et sa conservation.


- IXIGREC

NECESSITE n. f.

Je veux bien qu'un très grand nombre des acquisitions de l'homme aient été faites sous l'empire de la croyance à la liberté métaphysique. On a même prétendu que ces acquisitions auraient été moins rapides si cette croyance n'avait pas dominé l'horizon de la pensée humaine. C'est une question qui demande il être discutée à fond et sérieusement. Pour ma part, je crois que la nécessité, dans la plupart des cas, est à l'origine des conquêtes ou des « progrès de l'esprit humain », pour parler comme Condorcet. D'ailleurs, le problème n'est plus là. Puisqu'il est entendu que l'unité humaine n'est pas libre, mais qu'elle possède, dans une certaine mesure, la faculté d'opposer son déterminisme personnel au déterminisme ambiant, de le combattre même, - éthiquement et socialement s'entend - il appartient à l'animateur, à l'initiateur, au propagandiste d'insister avec puissance sur le rôle dévolu à la volonté de résistance et d'affirmations personnelles, à l'action de l'association des déterminismes individuels dans la lutte pour la conquête d'acquis nouveaux, de nouvelles utilisations, de connaissances nouvelles, de nouveaux procédés ou modes d'existence permettant à l'être humain d'évoluer avec plus d'aisance. En deux mots, il appartient à l'éducateur - si l'on préfère ce mot - de démontrer que la nécessité n'est pas un générateur de crainte ou de résignation, mais un facteur d'évolution, d'épanouissement, dans tous les cas.


- E. ARMAND