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NOBLESSE n. f. (du latin nobilitas ; de nobilis, illustre)

La noblesse est, dans un Etat monarchique; la classe qui, soit par droit de naissance, soit par lettres du souverain, est la plus élevée de la société, et, en récompense de services exceptionnels, bénéficie de privilèges qui se transmettent héréditairement.

On distingue entre la noblesse d'épée et la noblesse de robe. La première est celle qui a été acquise grâce à des prouesses d'ordre militaire. La seconde est celle qui a été conférée à des juges en conséquence de la situation occupée par eux. Beaucoup d'anoblis n'ont dû, et ne doivent leurs titres qu'à leur fortune, ou à des complaisance envers le pouvoir.

Au figuré, le mot noblesse sert à désigner le caractère de ce qui est élevé, digne, de belles manières, distingué, élégant de forme et d'allure. On dit couramment : la noblesse du cœur, de la physionomie, de la démarche, de la pensée, ou du style. Cette conception de la noblesse humaine est la seule qui soit digne d'intérêt et mérite d'être retenue ; car, en admettant que le titre dont se pare une haute lignée ait eu pour origine les vertus d'un ancêtre, celles-ci ne sont pas forcément transmissibles de père en fils et, d'autre part, de très remarquables qualités, au moral et au physique, se découvrent dans le peuple, sans que ceux qui les possèdent aient été jamais l'objet d'une distinction quelconque.

N'y a-t~il pas, chez les plus humbles, une noblesse dans le sacrifice sublime dé la mère à son enfant, l'héroïsme des sauveteurs, l'amour du travail bien fait qui caractérise l'artisan ? Il a fallu beaucoup de noblesse d'âme chez nombre d'humains pour que le monde parvînt au degré de relative civilisation qui est celui de notre époque ; il en faudra plus encore pour que soit édifiée la Cité nouvelle. Et, pour être conforme à la séculaire volonté de puissance des précurseurs, la tâche de cette Cité devra être l'ennoblissement de l'espèce, par le développement continu de l'intelligence et du savoir, le culte de la beauté des sentiments, la recherche de la plus grande esthétique dans la constitution humaine, débarrassée, par l'eugénisme, de ses difformités, de ses laideurs et de ses tares,

Le progrès social n'est point dans le nivellement par en bas, la généralisation de la pauvreté et de ce qu'elle entraîne de déchéances, mais dans l'accession du plus grand nombre à ce qui fut seulement l'avantage de quelques-uns.


-Jean MARESTAN



NOBLESSE (HISTORIQUE)


L'organisation des sociétés animales ressemble parfois beaucoup à celle des sociétés humaines. C'est ainsi qu'on l'encontre, chez les fourmis esclavagistes, une oligarchie guerrière et une classe laborieuse. De fréquentes razzias, entreprises contre les espèces voisines, fournissent les esclaves. Des caractères morphologiques déterminent le classement. La fourmi guerrière a les mâchoires très aptes à percer la tête d'un adversaire, mais incapables de saisir la moindre nourriture. Si une ouvrière ne lui donnait la becquée, elle mourrait rapidement de faim. Chez les fourmis, l'esclavage est d'ailleurs plus doux que chez les hommes et, dans bien des cas ; il conviendrait de parler de collaboration plutôt que d'esclavage. Des espèces qui précédèrent la nôtre, sur la route de l'évolution animale, les premiers hommes reçurent un penchant vers la servitude, probablement. Et, de bonne heure, des individus plus forts ou plus rusés domestiquèrent les faibles et les imbéciles, vécurent de leur travail, les commandèrent au nom des dieux. Ainsi naquirent les rois, les castes, les familles princières. La noblesse n'a pas d'autre origine si l'on remonte assez haut ; à l'inverse des fourmis guerrières, séparées des fourmis ouvrières par des caractères morphologiques bien tranchés, les nobles de l'Inde, de Rome, de l'Europe du Moyen Age, ne se distinguaient du populaire que par un prodigieux orgueil, un égoïsme renforcé, des préjugés monstrueux. Pour choisir cette fausse élite, on eut souvent recours à l'hérédité; un fils de noble obtint de droit une situation privilégiée

parce qu'il avait pris la peine de naître. L'Inde fournit un exemple typique des aberrations où conduit le principe d'hérédité, quand il règne en maître. Dès leur naissance, les Hindous sont rangés dans des castes réputées d'institution divine. A l'origine, Brahma, le dieu créateur, fit sortir les brahmanes de sa bouche, les kchatriyas de son bras, les vaicyas de sa cuisse et les soudras de son pied ; d'où quatre grandes castes. « En venant au monde, affirment les livres sacrés, le brahmane est placé au premier rang ; souverain seigneur de toute chose, il veille à la conservation des lois civiles et religieuses. Un brahmane âgé de dix ans et un kchatriya parvenu à l'âge de cent ans doivent être considérés comme le père et le fils : c'est le brahmane qui est le père. » Un brahmane possédant le Rig-Veda tout entier, c'est-à-dire connaissant les livres sacrés, ne serait souillé d'aucun crime, même s'il tuait tous les habitants du monde. Par contre, on doit brûler la bouche et couper la langue à l'impur qui se permet d'insulter un prêtre. Si la caste des kchatriyas ou guerriers est encore respectable, celle des vaicyas, agriculteurs ou commerçants, l'est déjà beaucoup moins, et celle des soudras doit être obligatoirement livrée à l'abjection, Quels que soient son savoir et sa moralité, le soudra est un homme infâme, voué à la servitude ; son costume même le désigne au mépris des prêtres et des guerriers. Dans l'ancien Japon, les nobles de haut rang jouissaient aussi d'un prestige religieux. Suivant une croyance très répandue, les édifices devaient. être construits sur des corps humains pour être à l'abri de tout accident. Or un grand trouvait toujours des serviteurs zélés qui se jetaient volontairement dans les fondations, quand il faisait bâtir. Par contre, mikado et siogoun les tenaient dans la plus étroite dépendance : ils choisissaient leur femme légale et s'emparaient de leurs enfants légitimes comme d'otages. Auprès de chaque grand vassal se trouvait un surveillant attitré, « un observateur inébranlable », qui avait le droit de tout voir et tenait journal des moindres actions de son hôte. En Chine, point de noblesse héréditaire, il n'y avait qu'une noblesse personnelle et acquise, celle des lettrés. Les titres des mandarins répondaient. à des grades obtenus par voie de concours ; ils s'éteignaient avec l'individu, sans se transmettre aux descendants. Aussi, l'idée d'acquérir des titres universitaires hantait-elle le cerveau d'un grand nombre de célestes ; une infinité de gens, de quinze à quarante ans, briguaient les grades même les plus modestes. Cette expérience donna des résultats déplorab1es. Les partisans de l'Ecole Unique qui veulent instituer une noblesse scolaire du même genre, sans tenir compte des qualités de coeur et de volonté, feraient bien de méditer cet exemple. Mais les pontifes ferment les oreilles quand on s'avise de déclarer la sélection morale non moins importante que la sélection intellectuelle. A Rome, une aristocratie de naissance, composée des familles sénatoriales, repoussait avec un dédain superbe les hommes nouveaux qui prétendaient aux charges et aux honneurs sans avoir d'aïeux. Pour augmenter sa fortune et sa puissance, elle ne se lassait pas de susciter des guerres dont elle avait la direction ; comme nos professionnels du patriotisme, elle ramenait l'intérêt national à son propre intérêt. Les chevaliers, exclus des fonctions publiques, mais enrichis par le négoce et l'affermage des revenus publics, se situaient encore bien au-dessus de la plèbe méprisée. Chez les Gaulois, on trouvait aussi des nobles qui possédaient presque partout le gouvernement des cités. Riches, entourés de clients, disposant de nombreux esclaves, ils dominaient la masse des hommes libres qui vivaient de chasse et d'agriculture. Mais c'est dans l'Europe du moyen âge que nous rencontrons le type le plus remarquable d'une noblesse héréditaire. L'importance de son rôle historique nous oblige à l'étudier d'un peu près. Déjà, au début de l'époque carolingienne, se dessinent, dans la société franque, les changements qui aboutiront à la féodalité. Ce régime, implanté fortement dès le Xe siècle, s'épanouit pleinement au XIIe.

Les hommes libres deviennent des vassaux, liés à un personnage plus élevé, le suzerain ; les terres se transforment en fiefs, cessant d'être la propriété complète de leurs possesseurs. Au sommet de la hiérarchie féodale, qui comporte plusieurs degrés, se place le souverain ; il reçoit de grands honneurs, mais ne jouit d'une autorité sérieuse que sur ses domaines personnels. Suzerains et vassaux forment la noblesse : des grands feudataires de la couronne, elle descend jusqu'aux châtelains et aux vavasseurs, titulaires de minuscules seigneuries. Comme la possession des fiefs, la qualité de noble est héréditaire. D'où la formation d'une caste orgueilleuse et pleine de mépris pour quiconque ne sort pas de son sein. Guerre, chasse, tournois, festins constituent les occupations essentielles du seigneur ; il a des serfs qui travaillent pour subvenir à ses fantaisies. Au premier le droit héréditaire d'opprimer ses administrés « à tort ou à droit, sans en rendre compte à d'autres qu'à Dieu », selon l'expression d'un code d'alors ; aux seconds le devoir, également héréditaire, d'obéir au maître, s'ils veulent éviter d'effroyables tortures dans ce monde et l'enfer dans l'autre. Nombre de seigneurs sont, en outre, des brigands et des bêtes de proie ; ils détroussent les voyageurs, pillent les marchés et les terres sans défense. Certains font crever les yeux, couper les pieds ou les mains de leurs prisonniers ; avec une joie sadique, ils arrachent les ongles et les seins des femmes. Dans leurs châteaux forts, ils se livrent à de monstrueuses orgies. Parmi les droits singuliers que plusieurs possèdent, signalons celui de coucher avec la mariée pendant la nuit des noces. C'est en vain que les historiens catholiques ont voulu nier l'existence de ce droit ; incontestablement il exista dans maintes régions, et les seigneurs ecclésiastiques ne furent pas ceux qui le revendiquèrent avec le moins d'âpreté.

Vers la fin du XIIIe siècle, l'édifice féodal se détraque. Les royautés modernes se forment et, après des siècles de résistance plus ou moins ouverte, la noblesse se résigne à n'être que la servante des souverains. Richelieu doit encore lutter contre les grands, mais sous Louis XIV, ils sont complètement domestiqués. Gavés d'honneurs et de pensions, les nobles détiennent les hauts emplois de cour, les gouvernements des provinces, les ambassades, les commandements aux armées ; ils ont perdu toute autorité politique. Encore les faveurs ne vont-elles qu'à ceux qui vivent près du roi, aux courtisans. Pour les descendants des fiers seigneurs du moyen âge, c'est le comble de l'honneur, d'offrir sa chemise à Louis XIV, de lui passer sa culotte, de le servir à table, de porter son bougeoir à l'heure du coucher. A Versailles, on trouve des gentilshommes panetiers, échansons, écuyers tranchants, etc. ; les chefs de service sont même de la plus haute noblesse. Et la plupart remplissent réellement leur charge ; Condé, premier prince du sang et chef des services de la bouche, apporte les plats, fait office de larbin. Quiconque ne vient pas à la cour, n'a rien à attendre du souverain. Vivre à l'armée, sur ses vaisseaux, dans sa domesticité ou du moins à Versailles, voilà les seules occupations de la noblesse. Pour elle, l'oisiveté devient la première des vertus ; sous peine de déroger, c'est-à-dire d'être exclu de son ordre, un noble ne peut exercer aucune profession lucrative, sauf celles qui concernent le commerce de la mer ou l'art du verrier. Pour avoir engraissé et revendu des bœufs, des gentilshommes campagnards sont dégradés. Ajoutons que haute noblesse et gentilshommes campagnards, noblesse de robe et noblesse d'épée se méprisent ou se jalousent ; les questions de préséance, d'étiquette prennent une importance démesurée. Devenue parasite et sans influence, la noblesse sera durement frappée par la Révolution française.

Dans la nuit du 4 août 1789, les ducs de Noailles et d'Aiguillon, suivis par la plupart des membres de leur ordre, renoncent à leurs privilèges, proclament l'égalité de tous devant l'impôt, se résignent à redevenir de simples citoyens. On a voulu y voir un acte de générosité ; de récentes recherches démontrent qu'il n'y eut là qu'une manœuvre habile, doublée d'une comédie. Le sacrifice demandé était plus apparent que réel, car il s'agissait seulement du rachat des droits féodaux. Les nobles continueraient de percevoir leurs rentes ou leur équivalent. « Ils ne perdraient rien ou presque à l'opération, écrit Mathiez, et ils y gagneraient de reconquérir leur popularité auprès des massés paysannes. » Ayant compris, de même que le clergé, ce qu'on pouvait attendre de cette savante manœuvre, « ils se livrèrent à l'enthousiasme ». Mais c'est en vain qu'ils crurent s'en tirer à si bon compte. L'abolition de la noblesse fut inscrite dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : « Il n'y a plus ni noblesse, ni pairie, ni distinctions héréditaires, ni distinctions d'ordre. Il n'y a plus ni vénalité, ni hérédité d'aucun office publique. Il n'y a plus pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilège ni exception au droit commun de tous les Français ». Sous l'Empire, puis sous la Restauration, la noblesse regagnera de son prestige et obtiendra des honneurs ; jamais elle ne rentrera en possession de ses privilèges d'antan. Car une nouvelle noblesse s'était substituée à l'ancienne, une noblesse recrutée, non d'après la naissance, mais d'après la fortune. Confisquée à leur profit par les bourgeois, la Révolution ne donna finalement satisfaction qu'aux riches et aux propriétaires. Pendant tout le siècle dernier, le pouvoir fut aux mains d'une o1igarchie financière ; de nos jours rien n'a changé. Pour être électeur, il fallait payer 300 francs de contributions directes, et pour être éligible 1.000 francs, d'après la loi de 1817 ; ce qui réduisait à 91.000 le nombre des électeurs pour la France entière. Après la révolution de 1830, on exigea encore 200 francs de contributions directes pour être électeur et 500 francs pour ^tre éligible ; le pays légal se composa de 200.000 Français, pas davantage. Depuis que fonctionne le suffrage universel, la féodalité d'argent n'a rien perdu de sa force ; grâce à la presse, au clergé, à la haute administration, elle fait élire des Chambres à' sa dévotion et trompe, sans vergogne, l'électeur. Elle installe au pouvoir ses hommes de paille, achète les parlementaires, les juges, les fonctionnaires importants. Dans notre république des camarades, que le parti qui triomphe soit de gauche ou de droite, les banquiers commandent toujours en dernier ressort. Ducs, marquis, comtes sont remplacés par les princes de la finance ; et les barons, les simples châtelains ont fait place aux possesseurs de coffres-forts garnis plus ou moins abondamment. A notre époque, les titres de rente sont préférés aux titres de noblesse. Pour mieux tromper les naïfs, quelques politiciens demandent qu'on spiritualise l'or en accordant une place au mérite scolaire. Mais personne ne parle en faveur de ce qui fait la vraie dignité de l'homme : sa pitié pour les humbles, l'énergie de sa volonté, la puissance créatrice de son cerveau.


L. BARBEDETTE.