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NORMAL adj. (de norma, règle)

Est normal ce qui reste conforme à la règle générale, ce qui ne sort pas de l'ordinaire. Est anormal ce qui contredit la manière d'être habituelle, ce qui ne cadre point avec. la marche suivie par la nature, dans l'ensemble, ou les coutumes admises par la société. Il est normal que la neige tombe en décembre, dans nos contrées ; il ne l'est pas qu'elle tombe en juillet ; il est normal qu'un homme se soumette aux caprices de l'opinion et de la mode, il ne l'est pas qu'il les bafoue ouvertement. Mais, dans la distinction entre ce qui est normal et ce qui ne l'est pas, il entre une part d'arbitraire qu'un peu de réflexion permet de découvrir aisément. Dès que la science parvint à formuler leurs lois de production, maints phénomènes physiques cessèrent de paraître extraordinaires ; et, dans l'ordre intellectuel ou moral, volontiers l'on déclare contre nature, des pensées ou des actes dont l'unique tort est de troubler la somnolence des dirigeants. Bigots protestants et catholiques n'ont-ils pas l'audace de ranger l'athéisme parmi les maladies de l'esprit ! Et les thuriféraires du capitalisme ne trouvent-ils pas utile que des parasites de haut rang dépensent beaucoup sans rien produire ! En matière de mœurs, de sentiments, de croyances, dans les multiples manifestations de la vie collective, l'anormal n'est souvent que l'exceptionnel. Résidu d'idées en vogue et de préjugés courants, la norme, qui sert de commune mesure, varie selon le temps et le milieu. Sauf un jour de carnaval, il serait pris pour un fou, l'individu dont les habits et les manières rappelleraient ceux des chevaliers du Moyen Age ou des bretteurs de la Renaissance ; les plus sensés de nos contemporains détonnerait singulièrement, s'ils devaient se réveiller brusquement, après un sommeil de plusieurs milliers d'années. Et, bien que le pouvoir de s'étonner soit en baisse chez tous les peuples, par suite du développement des communications internationales, un mandarin chinois, en costume de parade et fidèle aux rites de son pays, semblera extravagant dans un milieu européen ; il est vrai qu'un gentleman américain, transplanté brusquement dans le Céleste Empire, paraîtra, lui aussi, d'une originalité paradoxale aux jaunes qui l'entoureront. Mais, en physique, en biologie, normal et anormal sont des termes au sens mieux défini. Il est normal qu'un rosier fleurisse durant les mois chauds de l'année ; il est anormal qu'un veau naisse avec cinq pattes, un enfant avec des membres disproportionnés ou tordus. Quelle que soit leur rareté, tous les faits observés résultent de lois naturelles qui seront découvertes un jour par la science, si elles ne le sont déjà. Seulement des causes peuvent se rencontrer, qui modifient le processus qu'un phénomène suit d'ordinaire ; et l'anormal apparaît. Aux yeux du médecin, du biologiste, sera anormal tout vivant qui présente des caractères étrangers à l'espèce à laquelle il appartient. C'est en fonction d'un type commun, dégagé par des recherches antérieures, que sont jugés les individus. En démontrant que ce type peut varier, que l'espèce n'est pas fixe, comme le croyaient les anciens, la doctrine évolutionniste nous a conduit à voir souvent, dans l'anormal, soit une régression, soit un progrès. On en peut dire autant dans l'ordre moral et psychologique. Les discussions survenues concernant l'homosexualité montrent combien il est difficile de s'entendre, lorsqu'il s'agit de tracer les frontières de l'anormal, comme aussi d'apprécier les mérites ou les défauts de ce dernier. Et des affaires retentissantes ont montré que certains psychiatres étaient plus fous que les malades qu'ils soignaient. Parfois, c'est pour complaire à la famille ou à un personnage puissant qu'on interne un malheureux : l'asile devient alors l'équivalent de la prison ou du tombeau ; c'est l'in pace moderne à l'usage des gens comme il faut. Même lorsque la bonne foi du psychiatre est entière, l'erreur reste possible. Certains troubles mentaux sont extrêmement difficiles à diagnostiquer ; si des individus à l'esprit sain sont parfois enfermés, il arrive que des fous dangereux soient laissés libres ou relâchés. Ainsi, la prudence, une prudence toujours en éveil, s'impose dès qu'il s'agit de fixer des limites au normal et à ce qui ne l'est pas. Encore les jugements émis à ce sujet restent-ils constamment révisables, même en matière scientifique ; et, dans le domaine des habitudes sociales ou des mœurs, ils sont arbitraires le plus souvent.

- L. B