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OBJET, OBJECTIF, OBJECTIVITÉ, OBJECTIVISME

Objet : Ce qui est distinct du moi et que nous percevons particulièrement.

Objectif : L’ensemble des perceptions que nous reconnaissons distinctes du souvenir et déterminées par les expériences sensorielles.

Objectivité : Caractère de ce qui n’est pas souvenir, ou imagination, mais réalité issue des faits.

Objectivisme : Comportement humain se référant à l’expérience comme moyen de connaissance et de détermination.

La distinction du moi et du non moi a été le sujet de nombreuses études philosophiques tendant à préciser ce qui peut différencier le sujet de l’objet et permettre une définition exacte de ces deux concepts.

Actuellement, l’accord entre quelques philosophes paraît s’être réalisé sur cette conception de l’objectif et du subjectif : est objective toute idée universellement valable pour tous ; est subjective toute idée valable seulement pour un individu (Poincaré, Lalande, etc.).

En examinant ces définitions, on remarque qu’elles ne donnent aucunement l’idée de l’objectif ou du subjectif, mais qu’elles font simplement un double classement des idées ; de telle sorte que, si tous les humains pensaient qu’il y a un pont entre la terre et la lune, cette pensée, ou représentation (quoique fausse) serait dite objective d’après cette définition. Les philosophes, auteurs de cette conception, diront que, précisément, pour qu’une telle pensée fût universelle, il faudrait qu’il y eût effectivement un pont entre la terre et la lune. Mais alors n’est-ce pas reconnaître que ce qui conditionne l’universalité d’une idée, c’est l’existence, hors du moi, de quelque chose non déterminé par ce moi, mais au contraire le déterminant ?

Or, cette façon de voir est rejetée par ces penseurs qui affirment que : « il n’y a pas de vérité possible pour le pur empirisme ». (J. Lachelier) et que toute vérité est une vérité de droit, non de fait.

On retrouve ici les éternelles erreurs de la vieille méthode introspective, appliquée par des hommes mûrs, chargésd’expériences vécues, et prenant pour de l’intuition ou de la raison pure, ce qui n’est que le fruit de l’empirisme même de leur vie passée.

Voici d’ailleurs ce raisonnement erroné : « Mais en quoi peut consister cette vérité de la chose ? Est-ce à être donnée, à être ? Mais d’abord c’est une grosse question (celle du rêve et de la veille, celle de l’idéalisme vulgaire) de savoir si la chose est réellement donnée, est réellement là. Mais supposons que la chose soit là, dans un espace ou réceptacle quelconque, hors de l’esprit, en sera-t-elle plus vraie pour cela ? Elle sera, si l’on veut, un fait ; mais une représentation qui est dans mon esprit et ne s’accorde pas avec cette chose est, elle aussi, un fait : lequel de ces deux faits a raison d’être ce qu’il est, et lequel a le tort de ne pas ressembler à l’autre ? Il faut donc bien en venir à l’idée d’une vérité intrinsèque, qui porte en elle-même sa raison d’être vraie, en un mot, à l’idée d’une représentation de droit ».

Nous voici ramené, avec cette absurde argumentation, à la raison pure de Kant, absolument inconditionnée et suspendue dans le vide par un miracle incompréhensible. Il appert pourtant immédiatement que le fait qui a incontestablement tort, c’est celui qui disparaît devant. l’autre. Nos pensées ne changent point les faits ; ce sont eux, au contraire, qui changent nos pensées. Cette vérité, cette évidence, ce concept axiomatique échappe aux raisonneurs subtilement ténébreux, qui, perdus en leurs chaires philosophiques, remâchent d’éternelles vieilleries scolastiques sans regarder la vie et sans la vivre.

Ce qui fait l’universalité d’une idée, c’est le fait que chacune de celles qui ne sont point d’accord avec l’expérience sont détruites par elle. La vérité est de nature essentiellement empirique. Elle ne s’adjoint le caractère d’absoluité, chère aux philosophes, que par l’absence d’échecs ou d’exceptions : ce qui est encore du domaine de l’empirisme. Ce critérium est infiniment plus sûr que la recherche d’une même et unique pensée chez les divers peuples de la terre, chose très difficile à établir et, en fait, ne prouvant rien.

L’exemple classique de la mort est amplement suffisant pour démontrer l’origine exclusivement empirique de la vérité. On n’a jamais, de mémoire humaine, connu d’hommes immortels. D’autre part, le phénomène de l’accroissement et du vieillissement de tous les êtres vivants, s’impose sans aucune exception, comme un acheminement inévitable vers la mort.

Ainsi donc la pensée de Poincaré définit plutôt la cause que l’effet de l’objectivité. Toute pensée objective n’ayant, en effet, l’universalité pour elle que par l’action de quelque chose s’imposant à tous les humains.

A ceux qui prétendent que cette universalité pourrait très bien provenir de la nature même de l’esprit (raison pure, intuition), on peut répondre que s’il en était ainsi, toutes les intelligences devraient s’accorder en tout. Le fait que, en dehors de l’expérience et des raisonnements mathématiques (tirés de l’expérience), les hommes ne s’accordent point, détruit nettement le concept de la vérité intuitive, antérieure à toute expérience.

D’ailleurs, l’objection, irréfutable que l’on peut opposer à la conception Kantienne, c’est que, si nos idées correspondent à la réalité, il y a un rapport quelconque entre cette réalité et nous ; soit le parallélisme miraculeux de Leibniz (harmonie pré-établie ; soit que nos idées conditionnent la réalité (thèse de 1a folie et thèse folle ; soit enfin que la réalité détermine nos idées. Ce que l’expérience démontre aisément, détruisant ainsi le concept de la raison pure.

On rétorquera : « Mais comment concevoir une réalité objective, puisque tout est pensée et subjectif ? Comment distinguer le subjectif de l’objectif, le moi du non moi, puisque nous ne pensons qu’avec des représentations qui sont toutes en nous et que nous ne pouvons être dans les choses extérieures a nous, sortir de notre sensibilité, sans cesser d’être nous-même ? »

Remarquons que, intuitivement, chacun de nous sait ce qui est, lui et ce qui n’est pas lui. Spontanément tout être sensé différencie clairement le moi du non moi. Tout raisonnement, cherchant à établir démonstrativement cette distinction nous apparaît infiniment plus obscur que cette intuition précise.

C’est, donc qu’il y a une différence organique entre les représentations emmagasinées par la mémoire et celles fournies présentement par les sens. Les premières se présentent à notre conscience (sous forme de souvenirs), sans participation motrice de notre organisme, tandis que les deuxièmes nécessitent un accommodement musculaire de nos organes sensitifs. L’écart, si faible soit-i1, entre ces deux états, suffit amplement a les différencier subjectivement l’un de l’autre.

La discrimination originelle du moi et du non moi naît avec la vie, avec le mouvement, créateur de l’espace et de la durée. Il est probable que, primitivement, l’être ne distingue point ses sensations cœnesthésiques des sensations venues du dehors ; mais avec les mouvements, les déplacements, les efforts musculaires et l’adaptation des gestes à la conservation vitale, la notion de distance et d’espace se crée, contribuant lentement a former cette intuition si précise et si sûre, pour l’homme adulte. Ainsi, c’est l’effort musculaire qui crée l’espace et différencie le moi du non moi par la formation des deux représentations liées à des états organiques différents. Cet effort lui fait connaître des choses nouvelles, différentes de celles qu’il possédait antérieurement, qu’il ne peut extraire de lui-même, et qui, par conséquent, ne viennent point de lui.

Le présent est un contact perpétuel du moi avec le non moi. C’est le point de séparation du subjectif et de l’objectif. C’est le heurt, la rencontre des deux états de l’être conscient qui différencie ainsi le souvenir de la réalité.

A cette acquisition, infaillible pour l’être vivant, s’ajoute le spectacle des choses qui ne se confondent point entre elles et se différencient perpétuellement sous ses yeux. C’est ainsi que, par déduction logique, il peut, du spectacle des êtres distincts les uns des autres, conclure a l’existence des choses également distinctes de soi.

Nous comprenons maintenant pourquoi la notion d’objet est si précise, intuitivement, à notre conscience et pourquoi elle se présente spontanément à nous avant tout essai de démonstration logique. C’est qu’un raisonnement est le résultat d’un effort cérébral utilisant des mécanismes compliqués qu’il faut lier ensemble plus ou moins péniblement, tandis que la séparation du moi et du non moi, effectuée depuis notre naissance, par notre effort conquérant, et adaptatif, se présente immédiatement à notre conscience par le seul effet du contact de notre sensibilité avec la réalité présente. En un mot, nous ne pouvons penser le présent qu’en séparant nettement, et organiquement, le moi du non moi.

Cette étude analytique de la formation, sensorielle de nos pensées, nous montre l’inutilité des subtilités psychologiques embrouillant la question des réalités objectives et subjectives : est réalité objective toute sensation présente ; est réalité subjective toute sensation passée. L’homme ne vit pas dans le passé, mais dans le présent et tous les souvenirs passés ne peuvent devenir conscients qu’en redevenant du présent, autrement dit l’homme ne pense qu’au présent. La raison qui fait qu’un souvenir passé ne peut, présentement, se confondre avec la réalité vient, nous l’avons vu, de ce que, lors de la formation du souvenir, l’état d’adaptation de l’organisme a 1a réalité objective, créatrice de ce souvenir, était différent de ce qu’il est dans notre état de reviviscence actuel. Nous n’avons jamais deux états adaptatifs organiques, créateurs de présent, identiques, car toujours les moments présents se différencient les uns des autres par une modification du milieu.

Si ces moments étaient identiques nous n’aurions aucune notion du temps et probablement aucune conscience de notre existence.

Cette explication nous fait comprendre la supériorité de la méthode objective sur la méthode subjective. Ce1le-ci dans ses efforts pour définir rationnellement l’objectif, en ignorant les sensations, source première de toutes pensées, s’enferme dans des formules verbales variant au gré de l’imagination des philosophes sans parvenir à expliquer pourquoi l’homme distingue si nettement l’objectif du subjectif, tandis que la méthode objective y parvient aisément.

Cette méthode appliquée dans tous les domaines de l’activité humaine est l’unique moyen de connaître la réalité, car elle se base sur l’expérience, donc sur les faits, c’est-à-dire dans le temps présent, seul aspect véritable de la réalité.

L’objectivisme est, donc une manière de penser et d’agir, se référant toujours à des observations et des faits expérimentaux et non à des concepts établis soit sur de prétendues révélations divines, soit sur des préceptes moraux transcendants, arbitraires et malfaisants ; soit encore sur la mystérieuse et incompréhensible intuition des philosophes, variable d’un homme à l’autre ; le tout créateur de discordes et d’une infinité de maux.

Les faits s’imposant indiscutablement à tous les humains, il est évident que la seule harmonie possible entre eux, et la seule morale leur convenant, ne sera réalisée que par le rejet des inventions subjectives et l’adoption des connaissances biologiques particulières à l’espèce humaine, favorisant son évolution et sa durée.

Ixigrec