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OBSESSION n. f.

L'homme est une mécanique joliment articulée, mais c'est une mécanique. Le rôle joué par l'automatisme dans sa biologie est énorme. N'en déplaise aux partisans de la Liberté, les faits les plus banals, ceux qui n'échappent pas même à l'observateur le moins sagace, contredisent ce dogme. Les billevesées de la métaphysique sont incompatibles avec les faits scientifiques. Les songe-creux et les rêveurs ont un langage auquel les observateurs du fait brutal ne peuvent s'accoutumer. Celui qui ne veut voir que le fait et qui ne se permet point les interprétations que l'imagination ou la poésie lui suggèrent, peut donner l'impression du prosaïsme, il n'en reste pas moins dans la seule vérité accessible. Nous laissons l'Au-delà aux gens pressés, à ceux que l'appétit du mystère accable de sa hantise. Existe-t-il ? Le sage répondra toujours qu'il n'en sait rien. S'il existe, en tout cas, il faudra qu'il se révèle sous une forme compréhensible. Bon gré mal gré, il lui faudra le contrôle de la science, plus ou moins armée des admirables progrès qu'elle entasse à pas de géant.

Ce prélude n'est pas un hors-d'œuvre. Car, le mot obsession recouvre précisément ce phénomène biologique qu'on a appelé l'automatisme, et cela dans sa forme psychologique la plus nettement caractérisée. Toute cellule faisant partie du formidable agrégat qu'est le corps vivant a sa vie propre et indépendante. Mais déjà il n'y a qu'apparence, car sa vie, autrement dit ses réactions, est intimement liée au fonctionnement des molécules et atomes qui la composent. Et, quand elle-même s'est constituée en communauté avec les milliards de cellules disséminées qui végètent sous une enveloppe unique, elle n'a été que domestiquée par les exigences de ses congénères. Les cellules supérieures du système nerveux central, malgré leur apparence de liberté, n'échappent pas à la règle. Il apparaît même en fait, qu'elles sont, par leur plus grande irritabilité, plus esclaves que les autres.

Mais puisque nous posons, forcé par les circonstances, le problème de la liberté, expliquons-nous un peu mieux sur son compte. En définition pure et simple, le mot et l'idée d'automatisme seraient antinomiques et antithésiques de liberté. Qui dit automate dit, en fait, un agent qui ne relève que de soi-même dans son activité, Nous ne ferons point de paradoxe pour le plaisir d'en faire, mais il convient de reconnaître que l'automatisme ainsi considéré dans son essence est la vraie liberté.

Mais j'ai, à l'avance, montré que l'automatisme lui-même n'est qu'une fiction. Si l'on analyse à fond le phénomène, on reconnaît très vite qu'il est lui-même un agrégat de phénomènes reliés entre eux comme les effets à leurs causes immédiates, ce qui nous ramène à la notion de déterminisme universel.

Et pourtant (et puisqu'il faut vivre avec la relativité pratique) nous emploierons le mot automatisme dans son sens courant désignant, psychiquement parlant, le fait de la spontanéité.

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Pour en bien comprendre le mécanisme, d'où résultera le concept de l'obsession, il me faut rappeler ce qu'est la réflectivité.

Que l'on veuille bien se représenter le névraxe essentiellement composé d'une superposition de grosses cellules grises qui sont autant de centres vers lesquels convergent des conducteurs de sensations et d'où divergent des conducteurs de motricité. Ces cellules communiquent, d'autre part, entre elles et l'on peut dire que toutes ou chacune prise à part constitue un relais dans le sens de l'aller comme dans le sens du retour entre les impressions et les cellules des étages plus élevés, comme entre ces dernières et les agents du mouvement. Plus nombreuses sont les associations, les voies de grande ou petite communication, plus les opérations se compliquent et surtout plus lent est le cheminement de l'influx nerveux.

En principe, toute impression s'arrête au premier relais et produit son effet immédiat. Tel est le simple réflexe, à quoi se résoud dans ses éléments premiers toute opération dévolue au névraxe. Vous recevez une gifle, tout aussitôt votre bras, mu comme par un ressort, se détend et riposte. Votre entendement n'a pris connaissance de cette révolte défensive qu'après son accomplissement. Vous recevez une escarbille dans l'œil, celui-ci se ferme aussitôt, convulsivement. Le mouvement est si rapide qu'il ne vous appartient pas de l'interdire.

Mais une foule d'actes revêtent des formes plus compliquées, selon que l'entendement, saisi par les impressions, en fait l'analyse, les apprécie, les classe, les atténue ou les renforce, les modifie ou les aggrave, en fait, en fin de compte, un acte apparemment raisonné, par suite spontané. Cette série d'opérations demande du temps, parfois un temps très long. L'acte final peut même être suspendu, devenir latent, virtuel, et attendre une réalisation.

Dans ces cas compliqués, le réflexe simple a laissé place à des réflexes associés. Plus ils s'affinent, plus ils méritent le nom de réflexion, lequel mot fait illusion sur la spontanéité de l'opération qui, en fait, ne désigne qu'une succession de réflexes. De l'extrême bout effilé de la moelle jusqu'aux majestueux territoires de l'écorce du cerveau, ce n'est qu'une série de chaînes et de chaînons entre lesquels n'existe aucune solution de continuité.

Une loi physiologique domine la. biologie, c'est le sens de l'épargne, l'économie de l'effort. Ce n'est point par paresse innée que l'on recherche le moindre effort, c'est uniquement parce que le gaspillage des forces est une atteinte à l'ordre et à l'harmonie naturels qui sont des éléments nécessaires de perfectionnement. Cette thèse est de mise sur tous les plans : le social s'en inspire. Le désordre et la prodigalité seront toujours des causes de troubles.

Or, cette loi du moindre effort s'applique à l'activité du système nerveux. Une impression première se heurte à un relais. Si elle ne produit pas son effet utile, elle grimpe d'échelon en échelon jusqu'à des relais plus élevés, provoquant de-ci de-là sur son passage, des réactions appropriées, jusqu'à ce qu'elle s'éteigne. Est-elle perdue pour cela ? Point du tout. La mémoire organique est utilisée et c'est grâce à elle qu'une impression nettement différenciée suivra toujours la même voie organique, voie qu'elle connaît pour l'avoir parcourue déjà, qu'elle reconnait. Plus d'effort de pénétration à faire. Il n'y a qu'à suivre le sentier battu, sans effort. Tel est le secret des habitudes, qui sont le meilleur exemple qu'on puisser donner du moindre effort et de l'automatisme. Si nous analysons bien toute notre activité quotidienne nous parvenons à discerner que les neuf - dixièmes de nos actions sont machinales, irraisonnées. Aucune attention de notre part n'est plus nécessaire pour marcher, monter à cheval, mastiquer nos aliments, saluer, applaudir, que sais-je encore ! Sully-Prudhomme a fort bien dit : l'habitude est une étrangère qui supplante en nous la raison. En fait elle ne la chasse point ; elle se contente de ne plus requérir son concours. Que de gens ne sont que des automates, ceux chez qui les étages supérieurs du névraxe ne sont jamais utilisés. L'habitude est un lit si moelleux que nous tendons à tout transformer en habitude.

Pour penser, associer et conclure, il faut faire effort. En son langage imagé et populaire, Richepin disait du penser : c'est sot et ça fait mal à la tête.

Pour penser il faut emprunter de nouvelles voies, inaccoutumées ; il faut s'enfoncer dans la brousse inextricable de l'écorce cérébrale, dans le réseau des fibrilles qui unissent les cellules géantes les unes aux autres. C'est un plaisir de dilettante, mais c'est un travail, une fatigue, cependant que nous aurons confié les trois quarts de notre vie à l'activité sans éclat des cellules basses, vouées à un travail incessamment répété dont nous n'avons plus conscience.

Raccourcir le chemin à parcourir, exploiter habilement les routes de grande communication, telle est l'habileté normale de la plupart des gens. Faut-il s'étonner que la pensée neuve soit chose si rare, quand la pensée habituelle, automatique est une si grande ressource qu'elle fait illusion au penseur lui-même qui s'étonne parfois d'être aussi brillant pour peu qu'il n'ait point conscience de ses éternelles redites ? C'est ici que les poisons stupéfiants, comme le tabac, l'opium, le vin et l'alcool sont de merveilleux réactifs. Les enseignements qu'ils fournissent à ceux qui savent observer sont un des meilleurs arguments en faveur de l'abstention totale.

Un grand physiologiste suédois, Overton, a démontré que les cellules sont normalement protégées par une enveloppe graisseuse qui interdit à certaines substances nuisibles de faire irruption dans la cellule. Mais cette enveloppe protectrice est justement dissoute par les poisons dits stupéfiants. C'est alors que la cellule envahie par le poison s'engourdit, cesse de fonctionner laissant tout l'empire aux cellules de qualité moindre, celles qui sont disséminées sur le parcours des voies habituelles. L'habitude triomphe aisément et tout narcotisé devient un automate. Jugez un buveur au commencement et à la fin d'un dîner et mesurez la valeur intrinsèque de ses propos, la précarité de ses créations au profit de ses acquisitions machinales. Les ponts ont été coupés entre les cellules des pensées neuves. Le moindre effort est réalisé. Le buveur se croit plus fort, plus vaillant, plus intelligent au moment précis où il est victime de ses facultés mineures.

Le voilà donc l'automatisme. Il sera défini cette activité en apparence spontanée des centres ou groupes de centres de la pensée coutumière échappant au contrôle, souvent même à la connaissance du conscient. Ce qu'on appelle le subconscient et l'inconscient est constitué par la masse énorme des automatismes, dont nous sommes capables. Quoi de plus désirable pour les natures inertes que de s'automatiser ! C'est dans ce fait très simple que gît toute l'explication des narcomanies. C'est si bon de voir s'agiter, se trémousser en quelque sorte notre moi élémentaire, qui, par surcroît, nous donne l'illusion de la liberté ! L'habitude des sentiers battus nous dispense de penser. La routine devient la règle du comportement chez les habitués du vin, de la cigarette ou de la pipe d'opium.

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Que sera donc l'obsession au regard de I'automatisme ? On la définira l'apparition plus ou moins soudaine dans le champ de la conscience d'une idée, d'un besoin, d'un désir, qui obstruent momentanément le cours normal des opérations psychiques. Quelle est son origine ? Les partisans de la spontanéité diront : elle s'est formée sur place, sans cause appréciable. Les déterministes diront : ce n'est qu'un souvenir, une exhumation.

J'ai été fort impressionné par un air d'opéra. Je rentre chez moi et tente de m'endormir. Impossible. L'air d'opéra surgit quoi que je fasse, et ce n'est qu'après un temps plus ou moins long, que mes voies psychiques redeviennent libres. L'idée étrange de mettre le feu à une meule surgit tout à coup de mon esprit. Elle est absurde, ne rime à rien ; elle me tourmente ; je la chasse, elle revient. Je la chasse encore. Tel un moustique qui m'obsède, l'idée s'attache à moi en parasite jusqu'à ce que surviennent d'autres idées qui me possèdent avec plus d'autorité.

Pour peu que l'obsession se répète un grand nombre de fois, elle prend la forme du tic, qui est le type parfait et simple de l'obsession et, du même coup, l'habitude est créée. Tel est le rapport entre l'obsession et l'habitude. Elle est une habitude qui s'impose en tyran.

L'inverse est aussi curieux : on peut définir l'habitude une obsession plus ou moins sympathique et supportée. L'étude de nos mœurs nous entraînerait trop loin, mais il n'est pas difficile d'y trouver cette démonstration formelle que l'homme est une extravagante machine et qu'il a bien tort d'en être si fier. Un peu plus d'humilité siérait à un être dont la vie entière se ramène, le plus souvent, à des accoutumances et à des automatismes où il se complaît. Celui-là est un rare privilégié qui, par l'entraînement au travail, devient un Créateur, car création et automatisme s'opposent. Combien, du reste, de créations, en matière littéraire notamment, ne sont que des réminiscences malaxées dans le subconscient et par le subconscient ? Le génie consistera en des combinaisons nouvelles de faits déjà connus. Mais rien ne fera que l'histoire ne soit un perpétuel recommencement.

Il suit de l'observation que maintes habitudes dont nous ne pouvons nous défaire (impuissance absolue ou relative mais réelle) encombrent notre vie, constat important car nous touchons au point précis où l'obsession va devenir morbide. L'obsession passagère, momentanée, aiguë en quelque sorte, va devenir habituelle, chronique par conséquent, et gênante. Trouverai-je un exemple plus démonstratif que le geste et par suite l'habitude de fumer ? Inutile, ridicule, grotesque même, elle devient une chaîne que nous rivons chaque jour davantage. Plus nous fumons, plus nous voulons fumer. Bien plus tyrannique que le vin est la nicotine. Chose étrange, la stupéfaction devient si profonde que le stupéfié, libéré de toute initiative, y prend plaisir et en jouit. Jouir d'un mal est le comble de l'esclavage. Mais vient un temps où I'obsession répétée a provoqué des désordres inquiétants et où le problème de la libération va se poser. Ils font pitié les êtres humains ainsi obsédés qui s'abandonnent à de cruels et inutiles efforts pour dominer l'obsession, qui se montre plus dominatrice qu'eux. Les réactions dites volontaires subissent alors une véritable paralysie. Paralysie consciente, entraînant à sa suite une souffrance morale avec un sentiment d'humiliante capitulation. C'est un fait, du reste, que l'obsession devient par définition même un état machinal et indifférent (la seconde nature qu'est l'habitude), tant que le conscient n'en prend pas connaissance et n'en fait point l'analyse. Le fait de l'intervention de la conscience amène, en général une lutte, car il est rare que l'obsession ne soit pas quelque peu nuisible par son objet même. Le moins que puisse désirer alors le sujet est de se défaire d'une habitude qui fait de lui un esclave. L'amour-propre lutte alors avec la tyrannie. Les armes ne sont point égales. Mais, sauf dans les cas, hélas ! si communs de stupéfaction, le triomphe reste assuré à l'amour-propre.

Chacune trouvera dans la vie de son voisin, dans sa vie propre, des échantillons nombreux et variés d'automatisme obsédant. J'engage mes lecteurs à le faire comme un excellent exercice de volonté qui s'exprime finalement par la conquête d'un peu plus de liberté. On trouvera, par exemple, dans la pratique des professions, des exemples innombrables d'obsessions. Elles ont, du reste, un énorme avantage : celui de constituer pour le praticien une véritable adresse. La répétition du même geste passant par les routes connues du système nerveux, répétition qui permet de penser à autre chose pendant que l'on agit, conquiert à l'ouvrier une sorte de supériorité, bien relative d'ailleurs, car elle ne saurait exister dans sa plénitude, sans une abnégation de soi-même. On sait que c'est justement à cela que tend le capitalisme moderne dans les industries grandement productrices : réduire l'ouvrier à l'état d'une machine parfaite en vue d'un grand rendement. La fabrication d'une aiguille de montre occupe 35 ouvrières différentes, chacune fabriquant une pièce, toujours la même pièce. Ce que l'on a appelé la division du travail a été l'apothéose de l'Habitude, de l'Obsession et de l'Automatisme. On sait ce qui reste de la liberté au bout de l'expérience. L'Amérique a triomphé dans ce genre de servitude et, chose étrange, nombre de travailleurs se montrent satisfaits de ce système.

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Examinons maintenant l'obsession dans ses causes, dans son mécanisme et dans l'état psychologique qui l'accompagne.

La cause générale est, nous l'avons vu, le moindre effort, l'économie de forces. C'est aussi la réflectivité défensive. Le cerveau est un peu comme M. le Préfet dans son cabinet, entouré d'une foule d'organes qui tamisent sa besogne, la répartissent, la simplifient et l'accomplissent finalement en tout ou en partie, ne livrant à son intervention que les problèmes qui échappent à l'habitude. La routine des bureaux est l'image de l'activité des relais nerveux qui s'échelonnent entre l'impression et les centres psychiques. Ceux-ci sont, en quelque sorte épargnés, soignés, dorlotés par les postes subalternes auxquels sont accordés par la nature une sorte d'initiative sommaire, plus ou moins consciente. J'ai dit que le modeste réflexe qui représente le circuit minimum était éminemment l'automate protecteur. C'est le garçon de bureau, l'agent de police, le chien vigilant dont l'humble besogne a plus de portée qu'on ne le croit. Ils jouent le rôle d'un barrage.

A mesure que l'impression monte vers le cerveau, le nombre des barrages se multiplie. Largement et fréquemment visités, ils soulagent les centres supérieurs.

Les chemins que se sont frayés les impressions sont rapidement adoptés par elles ; elles y sont à l'aise, s'y attardent, y séjournent et peuvent même s'y arrêter. Le travail de sélection raisonnée, réfléchie, se trouve ainsi épargné. Si nous nous rendons d'un point à un autre, il nous est plus facile d'emprunter toujours le même sentier que d'en tracer de nouveaux chaque jour. L'économie est évidente et nos opérations ainsi confiées à l'habitude sont de tout repos. Il en est de même pour nos habitudes mentales, déjà infiniment plus compliquées. Chacun adopte sa façon de travailler et les opérations supérieures de notre entendement sont réalisées par des voies d'association déjà expérimentées. Personne ne complique son travail avec plaisir. Partout où l'effort simple est suffisant, l'on s'en contente. Tout autre est le cas de la découverte ou le cas où apparaît une situation nouvelle inaccoutumée: C'est alors que le penseur est obligé de colporter I'idée nouvelle dans le maquis inexploré de l'écorce et de lui circonscrire un habitat où, à la seconde expérience, i1 la retrouvera facilement.

L'obsession résulte d'une irritation première de la cellule, irritation forte, agréable ou utile.

Forte elle laisse une trace profonde en utilisant la mémoire cellulaire.

Agréable elle suscite sa reproduction dès qu'interviendront les mêmes agents provocateurs.

Quant à son utilité, elle suscite sa répétition automatique, dans des ciconstances identiques, par esprit d'économie.

Quand une cellule a été fortement impressionnée, elle rumine en quelque sorte cette impression, à la façon d'un écho intérieur, jusqu'à épuisement de l'excitation initiale.

L'irritation est assez forte pour échapper pendant plus ou moins longtemps à l'action d'arrêt des relais supérieurs. L'autorité de ces relais n'est ressaisie qu'au fur et à mesure de l'épuisement de l'irritation et dans la mesure également où le pouvoir d'inhibition est resté normal, car il arrive que, par voie de propagation, l'obsession forte inhibe à son tour l'initiative des relais voisins.

Une fois constituée, l'obsession revêt les allures du parfait automatisme en ce sens que 1a cellule, par l'emmagasinement seul de son énergie reproductrice, n'a plus besoin d'un excitant extérieur pour réaliser son travail. La nécessité d'une provocation extérieure marquera la fin du paroxysme obsessionnel.

Le propre d'une obsession est d'irradier. Une opération cellulaire n'a raison d'être que par son effet. Aucune ne se suffit à soi-même, qu'il s'agisse d'une sécrétion, qu'il s'agisse d'un dynamisme quelconque, toujours le travail cellulaire retentit par ailleurs, dans un sens quelconque du névraxe. C'est ici le lieu de prononcer le mot d'lmpulsion, corollaire fréquent de l'obsession dont elle partage les caractères psychologiques.

L'impulsion est la réponse à l'invite centripète qui met en jeu la cellule, Elle alerte tout simplement un groupe de muscles et un acte est la fin momentanée de l'obsession. Ce sera, par exemple, l'érection qui répondra à une excitation du centre génito-spinal, excitation résultant elle-même d'une action centripète de cause extrêmement variée (action endocrinienne d'origine testiculaire, provocation sensorielle, visuelle, auditive, olfactive, etc...). Ce centre pourra être mis en œuvre à l'insu ou malgré les centres supérieurs de contrôle, réalisant ainsi une des nombreuses formes de l'automatisme sexuel.

Les irradiations du dynamisme cellulaire ont lieu, dans le cas d'obsession simple, dans des voies où la réponse à l'incitation ne provoquera point le mouvement. C'est le cas où toute une série d'associations purement psychiques répond à la sollicitation initiale de la cellule. C'est ainsi qne l'obsession d'un mot anodin par lui-même provoquera, comme par échos déclenchés, toute une série d'autres mots pénibles, désagréables, obscènes, ou autrement toute une série de sensations agréables, voluptueuses, dont la répétition mentale automatique sera, par exemple, pour une dame pieuse, dévote, une source de scrupules, de reproches, d'auto-accusations. Les obsessions ne sont une peine, le plus souvent, que par leurs irradiations, motrices ou psychiques.

Le mécanisme de l'obsession repose donc sur l'irritation forte d'un centre, suivie d'irradiations dans des voies connues où, agissant sans frein ni correctif, elles provoquent une surprise pour la conscience.

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L'étude sommaire du processus psychologique de l'obsession va nous conduire sur le terrain de l'obsession pathologique.



Ce phénomène suppose une cellule jouissant d'une irritabilité particulière ou, inversement, une impression d'une puissance inaccoutumée : Sensibilité exagérée d'une part, énergie excitatrice démesurée d'autre part. L'importance et la durée de l'obsession seront corrélatives de ces deux qualités. En photographie il y a des plaques plus sensibles que d'autres, retenant fortement les impressions les plus fugaces et il est, d'autre part, des sources lumineuses d'une intensité considérable, capables d'impressionner très vite les plaques sensibles. La comparaison est tout à fait exacte. Il arrive que la sensibilité individuelle acquière des proportions telles que les sujets s'en trouvent disposés plus que d'autres à l'émotion forte, par suite à l'obsession, par suite à l'automatisme. Les deux territoires, le normal et le pathologique, sont séparés par une simple zone de transition. Le tempérament nerveux, la surémotivité des névropathes (voir ce mot) sont à la base de l'obsession,

Normale ou pathologique (simple degré d'intensité entre les deux), l'obsession s'accompagne forcément de troubles d'ordre émotif. Ils sont ordinairemeut passagers et sont facilement domptés, mais exagérez l'émotion, celle-ci peut aller jusqu'à l'angoisse. Tant que dure l'obsession, les sujets sont haletants, inquiets, ils souffrent visiblement : des désordres vasomoteurs (sueurs, battements de cœur, rougeur, pâleur) trahissent cet état émotionnel.

L'obsession est, d'autre part, un phénomène conscient. C'est justement parce que le sujet se sent impuissant en face de l'automatisme obsessionnel qu'il est porté à souffrir et que son émotion s'intensifie. Simplement ennuyeuse ct gênante, l'obsession, devenue morbide, est une véritable torture. On assiste à une lutte parfois dramatique que l'on ne saurait mieux comparer qu'à celle du lion de la fable contre le moucheron. Petite cause, gros effet, si le moucheron n'est pas congrument écrasé.

Souffrance cruelle, l'obsession est plus cruelle encore quand elle est suivie d'une impulsion, c'est-à-dire d'une réalisation extérieure tangible, capable d'alerter les témoignages. L'obsession peut rester à l'état de tension dynamique pendant longtemps sans éclater, mais la menace seule de l'éclat met les sujets aux champs. Ils ne savent qu'entreprendre pour se protéger, se garantir contre 1'exécution qni pourrait avoir de dangereuses conséquences ; l'obsédé conscient demande alors fréquemment le secours de l'aliéniste et de la maison de santé.

L'obsession réalisée procure en manière de compensation une véritable jouissance organique, quel qu'en soit l'objet, comme il arrive chaque fois qu'un besoin a reçu satisfaction. Cet heureux résultat n'est qu'un trompe-l'œil, car I'obsession recommence jusqu'à l'épuisement.

Telle est la psychologie de l'obsession. Elle est facile à généraliser aux hahitudes, banales ou morbides. L'angoisse du fumeur cède à la cigarette ; la seringue à morphine calme le besoin factice du narcomaniaque.

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Il me reste à cataloguer un certain nombre d'obsessions morbides souvent décrites comme autant de maladies séparées, alors qu'elles ne font que reproduire un seul et même état fondamental, sous des aspects variés.

L'état névropathique qui domine tous ces syndromes par sa gravité et sa tyrannie est la folie du doute, type de névrose consciente, obsessionnelle, torture morale d'autant plus cruelle que, par définition même, elle ne reçoit jamais satisfaction complète. Comme son nom l'indique, elle désigne tout ce qui, parmi les opérations psychiques, d'ordre intellectuel, mais surtout d'ordre affectif, provoque l'état de doute, exagération du doute et du scrupule normal, dont elle ne diffère que par la solution. Avez-vous quelque doute au sujet de l'existence de Dieu ou de l'Ame, recherchez-vous la solution d'un problème philosophique ou moral quelconque, si vous n'avez point satisfaction aujourd'hui peut-être l'aurez-vous demain, et si vous ne l'avez point, elle reste à l'état de simple désir anodin. Mais si vous êtes un émotif, vous n'aurez point de repos que la solution ne soit trouvée et, comme elle est du domaine des impossibilités, vous resterez incessamment dans un état d'angoisse pénible, plongé dans une sorte de rumination perpétuelle où les interrogations succèderont aux interrogations, lesquelles ne feront que grossir le problème et ses inconnus. Torture indicible, épuisant les malades dont l'état lamentable est à la merci seule des narcotiques.

Le pire est que le doute surgira sous une forme angoissante, mais ridicule, pour des objets insignifiants. Ai-je bien fermé ma porte en sortant de chez moi ? Ai-je bien timbré la lettre que je viens de jeter à la boîte ? J'en suis bien sûr et pourtant je doute, etc., etc...

La folie du doute est la vraie névrose d'angoisse. On la retrouve sous des aspects plus ou moins atténués dans d'autres obsessions : je cite, au hasard, la pyromanie ou impulsion à mettre le feu, l'impulsion au suicide, l'impulsion au meurtre, l'obsession des mots et de toutes les superstitions qui peuvent en découler, l'obsession des chiffres : chiffres fatidiques comme le chiffre 13, l'obsession irrésistible de compter; je n'en finirais pas. Ce qui caractérise la plupart de ces obsessions-torture, c'est l'inanité de leur objet, vanité que le sujet conscient est le premier à reconnaître. Il en rit tout en en souffrant. Il y succombe tout en protestant. L'automatisme nous guette, pour peu que nous affaiblissions nos centres de résistance et je ne rn'en voudrai pas en mettant une fois de plus en garde mes lecteurs contre les stupéfiants dont quelques traces suffisent pour ravaler les êtres les plus énergiques et les plus déterminés au rôle d'automates voués à l'activité incontrôlée des centres inférieurs. Mieux vaut l'esclavage de la pensée consciente et claire que la servitude mécanique de nos facultés mineures.

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Les quelques mots qui précèdent en disent suffisamment sur le chapitre final qui doit, en tout état de cause, traiter des remèdes.

Le triomphe de la thérapeutique est ici d'ordre préventif. L'hygiène cérébrale et mentale, fonction de l'hygiène générale, peut prémunir les sujets d'une façon certaine contre le supplice de l'obsession. L'homme doit apprendre à être un sage s'il ne veut point disloquer l'admirable machine nerveuse qu'il possède et la ravaler au fonctionnement isolé, incohérent et quasi déshonorant de ses parties composantes. Tout candidat à un peu plus de liberté peut conserver le gouvernail de sa vie, sans jamais abdiquer aux mains des infiniment petites fonctions qui le rapprochent de la bête.

Prévenir n'est point guérir le mal quand il est réalisé, objectera-t-on. J'en conviens. Mais que l'on n'attende pas de moi dans ces courtes colonnes, l'enseignement de panacées qui n'existent point. Le maniement de la psychothérapie, seule méthode de traitement applicable à l'obsession, appartient au seul psychiatre capable d'analyser un syndrome mental, d'en démêler les causes lointaines ou prochaines et d'acquérir une honnête autorité substitutive sur les patients, dont la vie est empoisonnée par de subtiles préoccupations, sans aucune valeur intrinsèque. Se souvenir seulement que la rééducation nécessite une patience persévérante. 

- Dr LEGRAIN.