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OCCULTISME n. m. (du latin Occultus, caché)

Ce mot est d'origine assez récente : il fut créé par Papus (pseudonyme du Dr Encausse), à la fin du XIXème siècle. Un mouvement spiritualiste, qui s'est accentué depuis, surtout pendant et après la grande guerre, se dessinait alors nettement, par réaction contre les foudroyants progrès du Matérialisme, dont les données positives ne fournissent pas un aliment adéquat aux esprits affamés de merveilleux. Ce mouvemcnt, caractérisé d'abord - et aggavé à la fois, car l'effet réagit comme cause - par1'étonnante diffusion du Spiritisme et de la Théophie, Papus, qui fut un moment le chef d'un brillant cénacle, dont l'originalité et la sincérité frisèrent souvent l'excentricité et le snobisme, et où se fit remarquer notamment l'étrange Sâr Péladan, tenta de l'orienter vers les sciences dites « occultes », fort délaissées depuis le XVIIIème siècle, et dont l'étude venait d'être rénovée par un des maîtres en la matière, Eliphas Lévy. Le succès fut vif, mais éphémère. Il y eut de nombreuses dissidences, et aujourd'hui le mouvement est très éparpillé, au gré des tendances individuelles. C'est donc à l'ensemble de ces sciences occultes, et des doctrines et pratiques qui s'y rattachent, que Papus donna le nom d'Occultisme. Mais qu'est-ce exactement qu'une science occulte, et en quoi se distingue-t-elle de la science tout court ?

La distinction est plus difficile qu'elle ne semble l'être au premier abord. Si je tente une définition générale, je m'aperçois qu'elle est tantôt trop large, tantôt trop étroite, faisant une trop grande part, tantôt au mot science, tantôt au mot occulte, sans qu'il me soit possible d'englober les deux idées qu'ils représentent en une synthèse précise. Trop large, elle peut s'appliquer à des sciences qui n'ont rien d'occulte, mais dont les solutions qu'elles apportent à maints problèmes restent hypothétiques (comme la cosmologie, I'anthropologie). Trop étroite, elle risque d'exclure à tort de son cadre des parties intéressantes de certaines sciences dites occultes (comme l'Alchimie), où la science véritable voisine avec un empirisme puéril, des rêveries déconcertantes, et d'absurdes superstitions. J'en arrive à cette conclusion qu'il n'y a pas, à proprement parler, de science occulte, les deux termes étant contradictoires. Il y a la science, qui étudie dans la réalité les faits et phénomènes vérifiables et explicables expérimentalement ou rationnellement ; et il y a des doctrines et pratiques basées sur une croyance irrationnelle à des causes ou influences occultes, mystérieuses, parfois ingénieusement imaginées, souvent ridiculement invraisemblables, dans tous les cas indémontrées, et inacceptables par la raison, jusqu'à ce qu'une preuve vienne les certifier, ou qu'une forte présomption, tout au moins, justifie leur prise en considération. Elles passeront alors du domaine de I'Occulte dans celui de la Science. Jusque-là, elles seraient plus idoinement désignées par le mot « art » que par le mot « science », et le terme général d' « Occultisme » me semble heureusement choisi pour une classification d'ensemble.

En ces temps derniers, quelques questions se rattachant à l'Occultisme ont été étudiées sous la dénomination, à l'allure plus scientifique, de Métapsychisme, ou Métapsychie (voir ce mot). Mais, comme beaucoup de problèmes étudiés par les métapsychistes rentrent dans le cadre de sciences bien définies (psychologie, psychiatrie, biologie, etc.), et comme, pour les cas réellement occultes, la plupart des métapsychistes, en dépit de leurs prétentions à l'esprit critique, restent sous l'empire des anciens errements ; comme, d'autre part, les occultistes actuels se réclament de méthodes non moins scientifiques, - non moins viciées d'ailleurs par d'analogues idiosyncrasies spiritualistes - la nécessité de ce nouveau terme n'apparaît pas clairement. Question de forme plutôt que de fond. Nouvelle chapelle plutôt que nouvelle église.

Le domaine de l' Occultisme est très vaste. Il constitua longtemps, sous les noms de Kabbale et d'Hermétisme (de Hermès Trismégiste trois fois saint, personnage légendaire et dieu égyptien), le fonds des connaissances humaines ésotériques, réservées aux Initiés ; et les sciences véritables ne se sont formées qu'en dégageant de son fatras, petit à petit, ce qui peut être démontré par l'expérience ou étudié rationnellement. L'ésotérisme occulte est également la source de toutes les métaphysiques et de toutes les religions, qu'il englobait aussi jadis, et ces dernières en restent fortement imprégnées, surtout de magie (les prières ne sont que des formules magiques, et les cérémonies - notamment la messe et le baptême -, ainsi que l'usage des divers vêtements sacerdotaux, ne sont que des rites magiques. Or, rites et formules, c'est toute la magie).



Les principales branches de l'Occultisme sont : l'Alchimie, l'Astrologie, la Kabbale, la Magie, et la Mancie ou Arts Divinatoires. Nous allons les examiner rapidement. (Voir aussi les mots Kabbale, Magie, et Nécromancie).

ALCHIMIE (du grec Chemela avec l'article arabe al - le ou la). Les anciens peuples n' eurent en chimie que des connaissances empiriques et pratiques. Ils savaient faire du verre, du savon, des teintures, etc. ; travailler les métaux, embaumer les corps, préparer des poisons, etc. Mais leurs recherches ne s'appuyèrent pas sur l'expérimentation scientifique, pas plus d'ailleurs que les conceptions, purement intuitives, de certains philosophes grecs et latins, comme Empédocle, Démocrite, Aristote, Lucrèce, sur la matière et ses transformations. Ce furent les Arabes, héritiers des traditions hermétiques après le déclin des civilisations grecques et latines, qui, pour la première fois, eurent recours à cette expérimentation, et donnèrent une vive impulsion à la chimie et à la médecine sur ces nouvelles bases. C'est à l'occasion des croisades que les Européens eurent connaissance de leurs travaux, et s'y livrèrent à leur tour. Et l'étude de la matière s'appela alors « l'alchimie », mot absurde (comme quelques autres d'étymologies analogues) en raison du pléonasme que forment les deux articles « la » et « al ». D'ailleurs, à quelle époque aurait fini l'alchimie pour faire place à la chimie ? La délimitation n'existe pas. La vérité, c'est que la chimie a évolué constamment et progressivement, qu'elle s'est perfectionnée, lentement (surtout au Moyen Age, en raison de l'obstruction de l'Eglise Catholique, pour qui toutes les découvertes scientifiques étaient œuvres de sorciers ou d'hérétiques, et comme telles passibles du bûcher), et qu'elle ne s'est débarrassée que petit à petit du mysticisme, de l'empirisme et du charlatanisme. Et ceux qu'on appelle péjorativement et dédaigneusement des alchimistes étaient, en réalité, des chimistes ; quelques-uns de grands chimistes, comme Paracelse, Agricola, Van-Helmont, etc. Ils commirent des erreurs ? Mais les chimistes actuels n'en commettent-ils pas ? La principale fut la recherche obstinée de la chrysopée (de chrusos, or, et poein, faire) ou pierre philosophale, qui devait être une panacée universelle, et, en outre, transformer en or tous les métaux. C'est ce qu'on appela le Grand Œuvre. Mais il ne faut pas oublier que cette erreur elle-même était basée sur une idée très scientifique, l'unité de la matière, et la possibilité des synthèses. C'est la méthode de réalisation qui seule était erronée. On leur doit d'ailleurs d'importantes découvertes en chimie : acides sulfurique, chlorydrique, nitrique, etc. ; ammoniaque, alcali, éther, phosphore, etc. De très remarquables esprits ont cru à la transmutation des métaux. Outre ceux cités plus baut, je nommerai : Avicenne, Averroès, Albert le Grand, Roger Bacon, Tycho-Brahé, Képler, Leibnitz, et Spinoza lui-même.

ASTROLOGIE (du grec astron - astre -, et logos - science). On comprit longtemps sous cette dénomination l'étude des astres à tous les points de vue. Puis le mot « astronomie » (de nomos - loi), s'appliquant à cette étude au point de vue strictement scientifique, le mot « astrologie » fut réservé à celle des influences astrales sur les êtres et les choses de notre terre.

Elle comprend deux parties : l'astrologie naturelle et l'astrologie judiciaire.

L'astrologie naturelle se subdivise en astrologie météorologique et astrologie médicale.

La première traite de l'influence des astres sur les phénomènes physiques et les intempéries, les semailles, plantations, coupes de bois, etc. Il s'agit ici surtout de l'influence de la lune. Elle est niée par la science officielle, mais cette négation est peut-être trop catégorique. Nous ne connaissons pas, il est vrai, les lois suivant lesquelles s'exercerait cette influence. Ce n'est pas une raison pour la nier purement et simplement.

La seconde étudie l'influence des astres sur les maladies. Elle eut pour adeptes presque tous les médecins de l'antiquité (pour Hippocrate les influences prépondérantes étaient celles des trois constellations du Chien, des Pléiades et d'Acture, et pour Gallien c'était celle de la Lune), et ceux du Moyen Age et de la Renaissance, notamment Paracelse.

L'astrologie judiciaire, qui traite des influences astrales sur les destinées humaines, a beaucoup plus d'importance, car elle est encore en grand honneur aujourd'hui. Ces influences sont déterminées par la place du Soleil et des planètes, dans les douze signes du Zodiaque (division imaginaire du ciel en douze parties, auxquelles une constellation donne à chacune son nom). Ces douze signes sont : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, les Balances, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons. A l'équinoxe du printemps, le soleil entre dans le Bélier, puis passe dans le Taureau, et ainsi de suite. L'application la plus fréquente de l'astrologie est l'horoscope (de hora - heure - et scopein - examiner), qui consiste à prédire la destinée d'une personne par l'examen des astres au moment de sa naissance.

Ces théories astrologiques remontent à la plus haute antiquité, et sont sans doute originaires de l'Egypte ou de la Chaldée. De là elles passèrent à la Grèce, à Rome, puis aux Arabes, qui nous les transmirent. Elles eurent une vogue étonnante au Moyen Age et jusqu'au XVIIème siècle. Chaque prince avait son astrologue particulier. Charles V créa une Faculté pour l'enseignement de l'astrologie. Catherine de Médicis était entourée d'astrologues, dont les plus célèbres sont Ruggieri et Nostradamus (les prédictions de ce dernier, les fameuses Centuries, ont encore leurs croyants). Louis XIII fut surnommé « Le Juste », non à cause de son amour de la justice, comme on le croit généralement, mais parce qu'il était né sous le signe de la Balance. Pendant l'accouchement d' Anne d'Autriche, un astrologue se tenait dans une chambre voisine, et était tenu au courant de toutes les phases de l'opération, pour lui permettre d'établir avec précision l'horoscope du futur Louis XIV. On pourrait citer des milliers de faits analogues, dans le monde entier, témoignant de la croyance générale à l'influence des astres. Le scepticisme du XVIIIème siècle calma cet engouement. Mais de nos jours l'astrologie a retrouvé quelque faveur ; et certains occultistes, comme P. Choisnard, se sont efforcés de lui donner un caractère réellement scientifique, en se basant surtout sur des données statistiques. Mais l'établissement de ces statistiques - comme celui de beaucoup d'autres et plus encore - comporte trop d'incertitude pour justifier une affirmation.

KABBALE. - (On écrit aussi Cabale). Il y a deux sortes de Kabbales : la Kabbale ésotérique, qui est surtout une conception métaphysique, et la Kabbale magique. Pour la première, voir au mot Kabbale. Quant à la Kabbale magique, elle est d'une prodigieuse complication, et comprend à peu près tout l'occultisme. Voici ses traits essentiels au point de vue magique proprement dit :

Les pratiques magiques des Kabbalistes, comme celles de tous les magiciens, avaient pour but de commander aux forces mystérieuses de la nature, inconnues du vulgaire, et d'obtenir des phénomènes dits surnaturels. Ces forces sont aux mains d'innombrables êtres invisibles : les anges, bons ou mauvais, et les esprits des éléments. Les occultistes modernes appellent ces derniers « Elémentals ». Les Kabbalistes juifs les appelaient « Schedim ». Il y en avait quatre espèces : les Schedim du feu, de la terre, de l'eau et de l'air, que l'on considérait comme les quatre éléments.

Pour se concilier ces puissances invisibles, on avait recours à divers procédés, dont les principaux étaient : l'accaparement, par des moyens plus ou moins bizarres, de la puissance solaire, qui constituait une sorte d'aimant pour attirer, fasciner les Schedim ; l'usage de talismans : naturels, comme certaines pierres précieuses et les plantes magiques (telles que la mandragore, dont il est question dans un amusant épisode de l'histoire de Jacob), ou artificiels, comme les phylactères (versets de la Bible portés dans un sachet) et les mézazoths (versets placés dans le seuil des maisons) ; et surtout les incantations et conjurations au moyen de formules magiques. Ces formules étaient réunies dans d'énormes recueils appelés au moyen âge des grimoires, dont les plus célèbres sont : Les Clavicules de Salomon, et les deux Enchiridions, attribués aux papes Léon III et Honorius. Certains mots valaient à eux seuls les plus merveilleuses formules, tels que : abracadabra (origine de notre mot « abracadabrant »), infaillible contre les maladies, et surtout Agla (formé des initiales des mots Athah, Gabor, Leolam, Adonaï - Tu es puissant, éternel, Seigneur) qui mettait en fuite les pires démons. Toutes ces formules, ainsi que tous les rites magiques, avaient pour objet, soit d'obtenir quelque avantage matériel, soit de nuire à quelqu'un. Beaucoup de ces croyances sont encore vivaces aujourd'hui, notamment celle aux talismans, amulettes, fétiches de toutes sortes. Les religions les encouragent toujours, d'ailleurs, avec leurs scapulaires, médailles, etc ... Sous un scepticisme de surface, d'innombrables gens sont profondément superstitieux, et il ne semble pas que l'humanité ait beaucoup progressé à ce point de vue : le fétiche de l'automobiliste moderne n'est pas moins ridicule que le phylactère du Juif contemporain de Salomon.

MANCIE (du grec Manteia). (Voir aussi les mots Nécromancie et Spiritisme.) - De tout temps, les hommes ont été tourmentés de la crainte, ou tout au moins de l'inquiétude de l'avenir, et du désir de le connaître. Et, comme on croit aisément ce qu'on craint ou ce qu'on désire, de nombreux illuminés et de plus nombreux charlatans n'ont pas eu de peine à exploiter de mille façons l'inépuisable filon de la crédulité générale.

Les méthodes de divination peuvent se ramener à deux types :

Certaines personnes, tantôt se croyant, ou se prétendant inspirées par Dieu (devins, pythonisses, sybilles, prophètes ou prophétesses, etc.), ou en communication avec des esprits (médiums spirites), tantôt doués, ou s'imaginant l'être, de facultés métagnomiques qui leur permettent de déchiffrer, sur un plan dénommé généralement « astral », les mystérieux enchaînements des causalités, et de voir, dans le passé les causes, dans l'avenir les effets, annoncent, avec une imperturbable assurance, les événements futurs intéressant, soit des individus, soit des collectivités.

On tire des présages, favorables ou défavorables : de nombreux objets, plantes et animaux ; de faits accidentels, ou provoqués à cet effet ; de phénomènes naturels ; de certains nombres (notamment du nombre 13, superstition toujours très répandue) ; de diverses parties du corps humain (main, crâne, etc.).

Tous ces arts divinatoires sont désignés par le nom de l'objet, fait, etc ... employé ou interprété, auquel on ajoute la désinence « mancie », ou quelquefois « logie », ou « scopie » (de Skopein, examiner). Certains ont eu une importance et une influence considérables dans l'antiquité, et sont abandonnés aujourd'hui, ou presque, tandis que d'autres sont plus en faveur que jamais. Les plus connus sont :

La Cartomancie, divination par le moyen des cartes à jouer, ou des tarots, cartes spéciales d'un usage très ancien, car on s'en servait dans les temps les plus reculés en Egypte, berceau probable de tout l'occultisme, ainsi que des religions. C'est la méthode de divination la plus en vogue de nos jours.

La Chiromancie (de cheiros, main), divination par les lignes et autres signes de la main ; la métoscopie, par les rides du visage ; la phrénologie, par les bosses du crâne.

L'Ornithomancie (de ornithos, oiseau), divination par le moyen des oiseaux (leur vol, leur chant, I'appétit des poulets sacrés), et l'Entéromancie (de entéros, intestin) par les entrailles des victimes. Cet examen était confié, à Rome, à des prêtres formant d'importants collèges : les Augures pour les oiseaux, et les Aruspices pour les victimes. Ils jouissaient d'un pouvoir occulte très grand, car aucune décision d'intérêt public n'était prise sans les consulter, et il est évident qu'ils pouvaient généralement provoquer, à leur gré, les réponses dans un sens ou un autre.

Si répandues que fussent ces superstitions, il est certain néanmoins que la plupart des gens cultivés n'y ajoutaient pas foi, ainsi qu'en témoignent, par exemple, les ironiques remarques de Caton et de Cicéron, supposant qu'il était impossible à deux augures de se regarder sans rire ; et celle de ce sceptique athénien qui, constatant que les oracles de la Pythie de Delphes étaient énoncés en fort mauvais vers, s'étonnait qu'Apollon, dieu de la poésie, dictât de semblables vers à sa prêtresse. L'amusante anecdote du général Claudius Pulcher n'est pas moins significative : voulant livrer bataille à Asdrubal, il consulta, selon l'usage, les poulets sacrés, qui refusèrent de manger. (Ils étaient sans doute gavés intentionnellement !). Mauvais présage. Mais Pulcher, qui tenait à sa bataille, fit jeter à la mer les poulets récalcitrants en s'écriant: « Eh bien ! s'ils ne veulent pas manger, qu'ils boivent ! ». Malheureusement il fut battu, ce qui renforça la croyance populaire dans la sagacité prophétique des poulets sacrés. Ces coutumes n'étaient évidemment conservées que par politique gouvernementale : en amusant ou effrayant le peuple, on alimentait et renforçait ses croyances religieuses, qui ont toujours été un des plus fermes appuis de l'autorité.



Parmi les nombreuses autres mancies, je signalerai seulement, pour leur bizarrerie, les quelques suivantes :

L'omphalomancie. - Divination par l'examen du nombril.

La parthénomancie. - Par celui de l'hymen, avant ou après la défloraison.

L'amniomancie. - Par celui de la membrane amniotique, dite coiffe. Quand l'enfant la portait sur la tête en sortant du sein maternel, c'était pour lui un signe infaillible de bonheur. C'est l'origine de I'expression, toujours courante : « Il est né coiffé ».

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Que faut-il penser de l'Occultisme ?

C'est une question qu'il faut examiner avec d'autant plus d'impartialité et d'objectivité que le bas charlatanisme des uns, la naïve crédulité des autres, sont de nature à pousser les esprits positifs à quelque parti pris négateur. Mais il faut se garder de toute dénégation systématique non moins que des affirmations injustifiées ou prématurées. C'est avec une calme et attentive raison qu'il faut juger, et non avec passion, légèreté ou dédain, si l'on veut avoir quelque chance de juger sainement.

Il y a lieu tout d'abord, évidemment, de déblayer le terrain et de débarrasser l'occultisme du parasitisme exotérique qui l'encombre, des grossières superstitions qui le déconsidèrent. Cet énorme déchet écarté, que reste- t- il ?

Les occultistes invoquent en faveur de leurs conceptions : l'ancienneté et l'universalité de ces croyances, la Sagesse antique et la Sagesse orientale, la Tradition, et les noms de nombreux hommes remarquables qui ont été occultistes.

Tous ces arguments sont d'une extrême faiblesse, mais ils sont si souvent présentés et si énergiquement défendus qu'il faut bien en parler.

L'ancienneté et l'universalité ? - Ce peut être tout aussi bien celles de l'erreur que celles de la vérité. Exemple : les théories cosmogoniques acceptées par tous jusqu'à Copernic et Galilée ... et même plus tard. Ce n'est pas parce qu'une idée a été absurde pendant dix mille ans qu'elle en devient sensée.

La Sagesse antique et la Sagesse orientale ? - Pur verbiage. Ce qui importe, ce n'est pas de savoir si une sagesse est antique ou moderne, orientale ou occidentale, si elle est née entre les pattes du Sphinx, dans les lamaseries du Thibet, dans une mansarde de Paris ou de Londres, ou ailleurs, mais si elle est réellement une « Sagesse ». Il nous faut des preuves, et non des mots.

La Tradition ? - Avec quelle bêlante admiration on nous en rebat les oreilles, de cette prétendue tradition, transmise de siècle en siècle à de rares initiés ! Que peut-elle signifier cependant ? Simplement ceci - et encore à la condition, fort problématique, qu'elle n'ait pas été trop déformée en cours de route - : que, à telle ou telle époque, telle ou telle personne, ou tel groupement humain, ont pensé de telle ou telle façon ; mais nullement que cette façon de penser soit la meilleure, ni même qu'elle soit bonne ou mauvaise. Elle a bien eu un commencement en effet. Or, le premier de cette longue chaîne d'initiés, comment a-t-il connu la « vérité » transmise ? Soit par intuition - valeur subjective, donc nulle scientifiquement, car nous n'avons pas les moyens de vérifier si elle peut saisir l'absolu, quoiqu'en dise Bergson en de jolies pages qui ne sont que des jolies pages, si ses données ont leur source dans les réalités de la « nature naturante ». pour parler comme Spinoza, ou si elles ne sont que des concepts de notre imagination, créatrice ou déformatrice ; soit par révélation - ce qui est pire, car il n'y a plus alors de science ni de philosophie, mais de la Foi. Ce qui ne se discute pas sérieusement.

Quant à l'argument basé sur le grand nombre d'hommes remarquables qui ont cru, ou croient encore, à l'astrologie, au grand-œuvre, etc., il n'a pas plus de portée. C'est en effet raisonner d'étrange et sophistique façon qu'invoquer les mérites certains d'un homme pour justifier ses erreurs. Elles s'expliquent aisément, pour les hommes d'autrefois surtout, par l'influence de l'époque, de l'ambiance, où ils ont vécu, et par l'état rudimentaire ou l'inexistence des sciences naturelles ; dans les temps modernes, par la tenace persistance des vieux errements, qui, comme un virus d'une prodigieuse vitalité, imprègnent l'esprit humain depuis des millénaires, et surtout par l'indépendance, souvent presque étanche, des diverses formes de l'intelligence dans le même individu, et les différences, énormes parfois, de leurs développements respectifs. Toute la puissance cérébrale des grands savants (comme aussi des grands écrivains et artistes) étant accaparée par la spécialisation de leurs travaux, et comme hypertrophiée dans une ou plusieurs branches de la pensée, leur insuffisance, voire leur nullité, en d'autres branches résultent du manque d'équilibre dû à cette hypertrophie.

Quelques occultistes récents, notamment Paul Choisnard pour l'astrologie, comprenant bien l'insuffisance de ces preuves, en ont cherché de plus scientifiques, basées sur des statistiques et sur le calcul des probabilités. Les statistiques fournies, je l'ai déjà signalé, sont fort incomplètes. Et il ne semble pas possible, à vrai dire, d'en établir de justes et probantes en pareille matière, vu l'énorme difficulté d'obtenir, en quantités utiles, des renseignements incontestablement exacts. Quant au calcul des probabilités, il ne peut évidemment avoir de valeur que si l'on considère de très grands nombres. Or, ce n'est certainement pas le cas ; et les faibles taux des écarts de fréquence signalés par Choisnard dans les horoscopes peuvent parfaitement être dus au hasard. Il convient donc, pour le moins, d'attendre les résultats d'une expérimentation plus prolongée pour y trouver des preuves, ou des présornptions intéressantes.

Je dois mentionner, avec l'impartialité qui me guide ici, une hypothèse du même Choisnard qui mérite l'attention. C'est qu'il n'y aurait peut-être pas rapport direct de causalité entre les positions des astres et les destinées humaines, mais une simple concordance provenant d'une source commune aux deux ordres de phénomènes : les astres fourniraient seulement le signe du déterminisme. Il est à craindre qu'il n'y ait là quelque tendance finaliste. Reconnaissons toutefois que l'astrologie côtoie ici la science. Qu'elle y entre un jour par cette porte, ce n'est pas impossible. Mais ce qui est certain, c'est qu'elle n'y est pas encore entrée.

Résulte-t-il de ces considérations qu'il faille rejeter en bloc et définitivement tout l'occultisme? Je ne le crois pas. Je crois que la plus sage attitude, en cette question, est une prudente et patiente expectative. La science continuera sans doute à « désocculter » l'occultisme, suivant la claire expression d'un de ses adeptes actuels, à séparer de l'ivraie abondante le possible bon grain. Il y a eu déjà, en effet, plus d'un passage de l'occultisme à la science ; il n'y a pas de raison pour qu'il n'y en ait plus d'autres. Les deux principales lois de l' occultisme : la loi d'analogie - du macrocosme et du microcosme, - et la loi d'affinité, ont eu récemment des applications que semblent avoir entrevues les anciens hermétistes, notamment dans la théorie de l'allotropie et dans la théorie atomique ; de nombreuses synthèses chimiques, même organiques, ont été réalisées, qui confirment certaines vues des chimistes du moyen âge, dits alchimistes, à la recherche de la synthèse de l'or - pas plus invraisemblable, en principe, que celles de l'urée, des hydrocarbures, etc .. ; enfin il est évident que le déterminisme est à la base de l'occultisme : tous nos actes étant déterminés, existent en germe dans les précédents ; tous les événements, passés ou futurs, forment une chaîne ininterrompue, et sont ainsi inscrits, pour employer une métaphore qui facilite l'intelligence de la question, dans le grand livre du Cosmos. Quand l'astrologue ou le devin l'affirment, ils sont en somme d'accord avec le philosophe déterministe. Seulement, ils vont beaucoup plus loin que lui - trop loin - en prétendant qu'ils savent lire dans ce livre. Il se peut qu'ils le lisent correctement quelquefois, et de nombreuses expériences personnelles m'inclinent à le croire, mais cette lecture est encore purement empirique, ce qui enlève tout caractère de certitude à leurs interprétations, car ils peuvent prendre de simples concomitances pour des effets et des causes. Est-ce à dire que nous ne saurons jamais lire ce livre ? Une telle affirmation ne serait guère moins absurde que celle des occultistes. Les merveilleuses découvertes de la science moderne nous ont révélé des forces mystérieuses qui, il n'y a pas bien longtemps, étaient inconnues, même insoupçonnées. Il en reste à découvrir ou à expliquer. La sagesse est d'y travailler méthodiquement, au lieu de se contenter d'une foi stérile, ou de se retrancher dans une dédaigneuse dénégation, non moins stérile, sinon plus. Il peut exister entre certains faits ou phénomènes des rapports que nous ignorons, - comme hier nous ignorions la radioactivité - : ce n'est pas une raison pour les nier a priori ; mais c'est folie de les affirmer sans preuves. Rappelons-nous ce mot d'un des écrivains les plus judicieux, La Bruyère : « Il y a un parti à trouver entre les âmes crédules et les esprits forts ». Et méditons aussi cette remarque profonde de Darwin : « L'ignorance entraîne la certitude plus souvent que la connaissance. Ce sont ceux qui savent peu, et non ceux qui savent beaucoup, qui affirrnent que tel ou tel problème ne sera jamais résolu ». (The descent of man.)

En conclusion, s'il faut bien se garder de croire inconsidérément les affirmations des occultistes, il convient toutefois, certains de leurs concepts méritant d'être pris en considération à titre d'hypothèses, de leur faire un prudent crédit, et d'attendre les possibles « désoccultations ». 

- E. FOURNIER.