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ONANISME n. m. (de Onan, personnage biblique)

On sait que le mot « onanisme » a sa source dans un passage d'un des livres sacrés des chrétiens (Genèse, XXXVIII, 8-10), où il est question d'un certain Onan « qui se souillait à terre lorsqu'il allait vers la femme de son frère, afin de ne pas donner de postérité à son frère ». On sait également que chez les anciens Hébreux la coutume voulait que la veuve du frère fût épousée par son beau-frère et que le premier né de leurs relations portât le nom du défunt. Pour une raison que nous ignorons, Onan s'insurgea contre cette règle et « comme ce qu'i1 faisait déplut à l'Eternel », celui-ci le fit mourir. Bien qu'à ce verset remonte tout l'opprobre dont l'onanisme a été l'objet dans le monde influencé par le christianisme, il n'y a aucune ressemblance entre l'onanie, l'onanisme, l'auto-satisfaction sexuelle et l'acte reproché à Onan, lequel relève du coït interrompu.

Aujourd'hui, on entend par « onanisme » toute satisfaction sexuelle qu'on se procure soi-même, soit sciemment, soit inconsciemment. On emploie comme synonyme - inexact - le mot « masturbation » (de deux mots latins : manus, main, et struprare, polluer). On se sert aussi du terme « plaisir solitaire ». Le Docteur polonais Kurkiewicz avait proposé le mot « Ipsation », du latin ipse (soi-même). D'une façon générale, tous les procédés employés pour se procurer des jouissances vénériennes, à l'aide de la main ou d'un objet quelconque sont englobés sous le terme « d'auto-érotisme », qui s'étend depuis les rêves voluptueux diurnes jusqu'à l'auto-manipulation sexuelle.

L'auto-érotisme n'est pas spécial à l'homme : cerfs, béliers, singes, éléphants même, se masturbent. Comme pour l'inversion sexuelle, l'opinion modifie son jugement selon les époques : les Grecs y attachent peu d'importance. Diogène le cynique fut même félicité par le philosophe Chrysippe (d'après Plutarque) pour s'être masturbé en plein marché. L'éthique chrétienne s'opposa à la masturbation, comme à tous les autres actes sexuels, ce qui eut pour résultat de l'accroître considérablement. D'ailleurs, la casuistique théologique est assez accommodante et quelques théologiens catholiques, comme le jésuite Gury, ont permis aux femmes mariées de se masturber. L'opinion moderne est celle de Rémy de Gourmont, écrivant qu' « après tout l'onanisme fait partie des gestes de la nature. Une conclusion différente serait plus agréable, mais des milliers d'êtres protesteraient dans tous les océans et sous les roseaux de tous les fleuves » - et du psychosexualiste italien Venturi qui démontrait que « l'apparition de la masturbation au moment de la puberté est un moment dans le cours du développement de la fonction de l'organe qui est l'instrument nécessaire à la sexualité ».

Le point de vue des peuples du Nord influencé par le puritanisme protestant est moins large, certes. Cependant les phénomènes auto-érotiques sont inéluctables, étant donné notre vie contre nature et, comme le rappelle Havelock Ellis, aussitôt que l'on commence à empêcher I'impulsion sexuelle de s'exprimer librement, les phénomènes auto-érotiques naissent forcément de toutes parts. Le plus sage donc, conclut l'éminent sexologue anglais, est de reconnaître l'inéluctabilité de ces phénomènes par suite de la perpétuelle contrainte de la vie civilisée.

Le Progrès Médical, du 10 janvier 1925, contenait une étude très substantielle de Raymond Hamet sur la masturbation, d'où il ressortait que, malgré l'opinion courante, « l'onanisme n'a pas les conséquences terribles qu'on lui attribue si communément » (Camus). Au point de vue de ses effets sur l'appareil uro-génital, « il est absolument semblable à ceux du coït » (Orlowski). « La masturbation est infiniment moins dangereuse que le coït interrompu ». « L'ébranlement nerveux est plus grand par l'emploi de la femme. » (W. Erb.) « La fatigue musculaire est beaucoup plus grande dans le coït que dans la masturbation. » (Hammond.) « La masturbation pratiquée, même avec excès, aux environs de la puberté n'a généralement aucune influence sur le développement des organes génitaux. » Bref, conclut l'auteur de cet article extrêmement documenté, « si cette perversion est regrettable au point de vue social, elle semble n'avoir aucun inconvénient sur l'individu ».

Tout cela n'est pas nouveau. Gallien avait déjà dit que, en se masturbant, Diogène évitait les inconvénients de la rétention séminale. « Gœthe, Gogol et nombre d'autres hommes de génie pratiquèrent la masturbation » et « l'expérience de tous les jours montre que des individus remarquablement intellectuels ont fait, dans leur jeunesse, un usage souvent immodéré de cette habitude prétendue si dangereuse ». « L'éclat intellectuel déployé par cette célèbre victime de la masturbation que fut Rousseau serait absolument paradoxal, si l'on ajoutait foi aux descriptions que quelques auteurs ont données de l'hébétude mentale et de la stupidité résultant de ce vice. » (G.-F. Lydston.) Toutes les préventions médicales contre la masturbation proviennent d'un livre intitulé ONANIA, paru d'abord en latin, en 1760, et dû au Docteur Simon-André Tissot de Lausanne, puis traduit en anglais et édité par un charlatan du nom de Bekkers, avec l'addition or the heinous sin of self Pollution : « ou le haïssable péché d'autopollution ». Cette traduction a été répudiée par Tissot, comme inexacte. Quoi qu'il en soit, ce livre attribuait à l'onanisme d'effroyables conséquences : affaiblissement de l'intelligence, perte de la mémoire, obscurcissement de la compréhension, état démentiel, pertes des forces corporelles, interruption de la croissance, douleurs physiques, apparition de tumeurs, de boutons vénériens, impuissance génésique, altération du sperme, dérangement des fonctions intestinales. Ce Bekkers proposait une drogue qui devait guérir de tous les maux dont ils étaient menacés, ceux qui en feraient l'emplette. Durant un siècle, de nombreux auteurs se contentèrent de copier servilement l'adaptation de Bekkers. Ce ne fut qu'en 1872, avec Christian, qu'on se mit à réexaminer la question dans son entier.

En 1929, les éditions « Universitas », de Berlin, ont publié un ouvrage intitulé Onanie, weder Laster noch Krankheit : « L'onanisme, ni vice, ni maladie », dont l'auteur, un médecin de Berlin, très documenté, le Docteur Max Hodann étudie le problème de l'auto-érotisme, en le dégageant des préjugés d'ordre religieux et médical, citant en épigraphe de son volume cette phrase du Docteur Wilhem Steckel, extraite de son ouvrage sur « l'Onanisme et l'Homosexualité » : « Tous les méfaits que l'on attribue à I'Onanisme n'existent que dans l'imagination des médecins ! Tous les torts qu'on lui impute sont des produits artificiels de la Médecine et de la Morale dominante, laquelle, depuis deux mille ans, mène un combat acharné contre la sexualité et toutes les joies de la vie. »

Nier la sexualité et les désirs sexuels de l'enfant, après Freud, Hirschfeld, Havelock Ellis, Mme de Randenborgh, Friedung, Pfister, etc..., est impossible. Et, à ces désirs, I'auto-érotisme fournit un exutoire. Le Docteur Félix Kauitz, de Vienne, a questionné 50 enfants suivant un cours d'éducation, de dix ans et au-dessus, sur les particularités de leur vie sexuelle. 42 ont répondu qu'ils se livraient à la masturbation ; en ce qui concerne 1es jeunes gens et les adultes, Mairowsky admet que 88/100 sont des autoérotes, Julien Markuse, 93/100 ; Dueck, 90/100 ; Oscar Berger, en 1876, écrivait que tout adulte, sans exception, a été un autoérote. Steckel affirme que tous les êtres humains pratiquent l'onanisme. « Cette règle ne souffre aucune exception, puisqu'il existe, comme chacun sait, un onanisme inconscient. » Selon Max Hodann, jusqu'à 20 ans, le nombre des onanistes du genre masculin dépasse celui du genre féminin ; après 20 ans, cette dernière catégorie l'emporte. Cela provient en partie des déceptions éprouvées par la femme dans le mariage ou son abstention de relations sexuelles, soit pour se conformer à la morale courante, soit par raison d'économie. Toujours d'après Max Hodann, les méfaits attribués à la masturbation ont pour cause soit l'abstinence sexuelle, soit une psychose dont l'origine est la condamnation dont l'ont frappée médecins irréfléchis et laïques sans conscience, par exemple les animateurs d'associations comme celles de la Croix Blanche ou autres ligues de pureté, où l'on considère la masturbation comme un péché ; alors que, selon le médecin berlinois, « l'onanisme, en tant que fait, est naturel et sans danger ». La pratique n'en présente de péril que si le cerveau obsédé, par la pensée que c'est un mal et une tare, crée un état d'anxiété auquel ne peut échapper celui qui, impulsé par la nature à certains gestes, les accomplit tout en s'imaginant qu'ils sont répréhensibles. Cette obsession est curable si, faisant table rase des livres, traités, sermons, recommandations d'hommes hostiles aux données de la physiologie moderne, on fait constater que l'onanisme n'a rien à voir avec la morale, que ce n'est ni un vice, ni une maladie, qu'il est le lot de tous les hommes et que, seul, l'abus est à éviter, comme dans tous les plaisirs sexuels (ou d'un ordre quelconque). 

- E. ARMAND.