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ONTOLOGIE n. f. (du grec ôn, ontos, ce qui existe, et logos, discours)

Pour beaucoup, ontologie et métaphysique sont deux termes synonymes. Aristote définissait la métaphysique : « la science de l'être en tant qu'être » ; or l'ontologie c'est aussi la science de l'être. Cosmologie, psychologie, théologie rationnelles ne seraient alors que des chapitres particuliers de l'ontologie. D'autres en font seulement une introduction à la métaphysique, sa première partie ; elle s'opposerait à la métaphysique spéciale qui traite du monde, de l'âme, de dieu, et constituerait la métaphysique générale qui étudie l'être et ses qualités, indépendamment de leurs réalisations particulières. Dans les deux cas, la parenté reste essentielle entre la métaphysique et l'ontologie : la seconde s'identifie avec la première, au moins partiellement. Or les philosophes ont fait, jusqu'à présent, fausse route en ce qui concerne la métaphysique, à mon avis du moins.

Toutes les doctrines métaphysiques élaborées jusqu'à présent, celle de Platon comme celles de Descartes, de Leibnitz ou de Spinoza, pour ne citer que quelques très grands noms, sont absolument dénuées de valeur. Ce sont des jeux d'esprit, des écheveaux d'idées que l'on enroule avec plus ou moins de logique et d'art. Rien d'objectif dans ces systèmes qui dépendent pour une large part de l'imagination, du tempérament physique, des aspirations mentales du constructeur. Ne nous étonnons pas qu'ils croulent lamentablement, dès qu'on les considère sous l'angle non du beau, mais du vrai. De la métaphysique, simple collection de chimères et de vains rêves, on ne saurait dire trop de mal ; sa valeur est d'ordre littéraire et subjectif, alors qu'elle prétend nous renseigner, de façon effective, sur ce qui existe hors de nous. Mais Kant et les Positivistes se trompent singulièrement lorsqu'ils prétendent qu'aucune solution certaine ne pourra jamais être apportée aux problèmes posés par la métaphysique. Incapables de saisir autre chose que des apparences, d'après le philosophe de Kœnigsberg, nous ne pouvons atteindre la réalité dans sa nature propre. Nos impressions sensibles, base de toutes nos connaissances, sont ordonnées dans l'espace et le temps, formes a priori que l'esprit impose aux choses ; elles ne ressemblent pas aux excitants extérieurs qui les provoquent. De plus elles sont organisées en objets, associées par le jugement, d'après les catégories de l'entendement qui répondent, non à la réalité, mais à nos besoins intellectuels. Il est vain de chercher à savoir ce que sont les choses en elles-mêmes ; dès qu'il veut résoudre les problèmes concernant dieu, l'âme et le monde, l'esprit tombe dans d'insolubles contradictions. Ajoutons qu'après avoir déclaré la métaphysique impossible, au nom de la Raison Pure, Kant la rétablira au nom de la Raison Pratique. Pour d'autres motifs, les positivistes estiment, eux aussi, qu'on ne saurait élucider les problèmes transcendants de l'origine première et de la fin suprême. La métaphysique, dira Littré, est un océan pour lequel nous n'avons ni barque ni voile ; c'est l'inconnaissable, le domaine des problèmes à jamais insolubles. Un seul objet est accessible à l'homme, la nature telle qu'elle apparaît à nos sens, avec les lois qui la régissent. Ajoutons que si de nombreux positivistes rejettent l'idée de dieu comme antiscientifique, d'autres la considèrent seulement comme extrascientifique, c'est-à-dire placée en dehors des limites de la science : en conséquence ils ne la défendent, ni ne l'attaquent, ils se déclarent neutres. Quelques-uns même, peu sérieux il est vrai, admirent que la foi parvenait à explorer l'au-delà fermé à l'expérience ; ils proclamèrent que la science ne saurait contredire le dogme, puisqu'ils portent sur des réalités différentes.

N'en déplaise à Kant et aux positivistes, nos successeurs pourront répondre avec certitude aux problèmes posés par les métaphysiciens. Nous-mêmes pouvons déjà dire ce qu'est la matière, comment elle se génère, et comment elle s'évanouit, pour renaître éternellement. D'où venons-nous, où allons-nous, quelle est l'origine des mondes et quelle fin les attend ? A cela nous répondons de façon satisfaisante, sans recourir à un créateur ou à un principe spirituel quelconque. Concernant la vie, sa nature et sa raison d'être, les chercheurs avancent rapidement dans la voie des explications rationnelles ; dès aujourd'hui, nul besoin de l'intervention divine pour expliquer ses plus mystérieuses manifestations. Et, si peu développée que soit la physiologie cérébrale, elle a chassé l'âme, cette vaine entité dont s'enorgueillissaient les humains. Quant à dieu, tout démontre qu'il s'agit d'une baudruche agitée par les prêtres, mais dont les gens sensés se moquent depuis longtemps. Astronomie, physique, chimie, biologie, psychologie, nous éclairent ainsi sur des questions que l'on disait réservées à la métaphysique. Cette dernière doit faire place à la science, ou mieux, elle doit se résigner à n'être qu'une synthèse des renseignements fournis par les diverses branches du savoir positif sur les plus hauts problèmes que se pose l'esprit humain. Il n'y a pas de réalités inaccessibles à notre entendement ; tout ce qui existe est connaissable, lorsqu'on cherche assez longtemps. Ce qui reste mystère pour nous cessera de l'être pour nos descendants, s'ils délaissent les creuses spéculations de la métaphysique traditionnelle, pour interroger la science expérimentale. Certains spiritualistes ont bien compris qu'il fallait faire quelque chose en ce sens : ils nous ont servi les expériences des spirites et des mystiques comme base d'une nouvelle philosophie transcendantale. Les naïfs continuent d'y croire ; les chercheurs impartiaux constatent l'avortement complet de ces tentatives. Sans parler des supercheries découvertes lorsqu'on exerce un contrôle assez prolongé, aucun des faits allégués ne requiert l'existence d'une entité spirituelle quelconque. Mais lorsqu'on veut croire, les prétextes ne manquent jamais : voilà le secret du succès que remporte le spiritisme près des esprits religieux. C'est aux sciences ordinaires, à la physique, à la biologie, etc..., de fonder une ontologie nouvelle et de se prononcer en dernier ressort sur l'au-delà des métaphysiciens.

Preuve ontologique de l'existence de Dieu. Cette preuve, célèbre en théodicée, est due à saint Anselme. La voici telle qu'il l'expose : Tout homme a, dans son esprit, l'idée d'un être tel qu'on n'en peut concevoir de plus grand. Mais il répugne qu'un tel être n'existe que dans l'esprit, car il est plus parfait d'exister dans la réalité que dans l'esprit seulement. Il faut conclure, en conséquence, que l'être tel qu'on n'en peut concevoir de plus grand existe tout ensemble dans I'esprit et dans la réalité. Descartes a repris cet argument sous une autre forme. Nous avons, déclare-t-il, l'idée d'un être parfait ; or, l'existence est comprise dans cette idée ; donc Dieu existe. « Revenant à examiner l'idée que j'avais d'un Etre parfait, lit-on dans le Discours de la Méthode, je trouvais que l'existence de Dieu y était comprise en même façon qu'il est compris en celle d'un triangle que ses trois angles sont égaux à deux droits, ou en celle d'une sphère que toutes ses parties sont également distantes de son centre, ou même encore plus évidemment ; et que, par conséquent, il est pour le moins aussi certain que Dieu, qui est cet être si parfait, est ou existe, qu'aucune démonstration de géométrie le saurait être ». Saint Anselme avait déjà trouvé un contradicteur clairvoyant dans Gaunillon, moine de Marmoutiers. D'une idée, d'une conception abstraite, disait ce dernier, on peut tirer une autre idée, jamais une chose effective, une réalité vivante. Or, le sujet dieu étant un concept purement idéal, l'attribut existence ne peut qu'être pareillement idéal. Gassendi, un pieux chanoine, mais dont les élèves devinrent souvent libres penseurs, fit à Descartes des objections semblables et lui reprocha de mal appliquer le principe d'identité. Même Thomas d'Aquin et les scolastiques jugèrent sans valeur l'argument ontologique et se rangèrent à l'avis de Gaunillon. Kant a insisté, lui aussi, sur le passage illégitime de l'ordre idéal à l'ordre réel qu'implique la preuve a priori de l'existence de Dieu. Il est vrai qu'un triangle suppose nécessairement trois angles, mais pour que les trois angles possèdent une existence effective, il faut que le triangle existe réellement. « Quand je dis le triangle est une figure qui a trois angles, déclare Kant, j'indique un rapport nécessaire et tel que, le sujet étant une fois donné, l'attribut s'y rattache inévitablement. Mais, s'il est contradictoire de supposer un triangle en supprimant par la pensée les trois angles, il ne l'est pas de faire disparaître le triangle en même temps que les trois angles. De même, s'il est contradictoire de nier la toute-puissance lorsqu'on suppose Dieu, il ne l'est pas de supprimer tout ensemble Dieu et la toute-puissance : ici, tout disparaissant, attribut et sujet, il n'y a plus de contradiction possible. » Aujourd'hui les philosophes catholiques eux-mêmes considèrent comme un sophisme l'antique preuve ontologique basée sur une déduction. Mais on a voulu la rétablir en affirmant que l'homme avait une intuition immédiate de Dieu. Malebranche le prétendait déjà au XVIIème siècle. A l'en croire, nous voyons directement la substance même de Dieu, et c'est en elle que résident les idées perçues par notre raison. Penser à Dieu ou en d'autres termes à l'infini, à l'être sans restriction, c'est en avoir l'intuition. « Car il n'y a rien de fini, déclare le philosophe, qui puisse représenter l'infini. L'on ne peut donc voir Dieu qu'il n'existe : on ne peut voir l'essence d'un être infiniment parfait sans en voir l'existence : on ne le peut voir simplement comme un être possible : rien ne le comprend, rien ne peut le représenter. Si donc on y pense, il faut qu'il soit ». Une pareille doctrine fit sourire ; Rome l'estimant dangereuse mit à l'Index les livres du célèbre oratorien. Mais ses idées furent reprises, au XIXème siècle, par l'Ecole Ontologiste.

L'Ecole Ontologiste. - L'Italien Gioberti admit que nous voyons Dieu immédiatement. L'esprit débuterait non par une abstraction, mais par une intuition, non par l'analyse, mais par la synthèse ; et sa première intuition serait celle de l'Etre, c'est-à-dire de Dieu : « L'auteur du jugement primitif, qui se fait entendre à l'esprit, dans l'acte immédiat de l'intuition, c'est l'Etre même ; l'Etre, en se posant lui-même en vue de notre âme dit : Je suis nécessairement ». En Dieu, nous percevons aussi tout ce que nous voyons. Il est le créateur de tout ce qui existe, et la perception que l'homme a du monde et de lui-même n'est que l'intuition d'une création continuelle : « En percevant l'Etre dans sa concrétion, écrit Gioberti, l'esprit, muni de la force intuitive, ne le contemple nullement dans son identité abstraite, ni comme Etre pur, mais tel qu'il est réellement, c'est-à-dire causant, produisant les existences et extériorisant par ses œuvres, d'une manière finie, son essence infinie. Et par conséquent l'esprit perçoit les créatures, comme 1e terme extrême auquel se rapporte l'action de l'Etre ... L'esprit humain contemple les existences produites, dans I'Etre produisant, et il est, à chaque instant de sa vie intellectuelle, spectateur direct et immédiat de la création ». Des formes mitigées de l'ontologisme furent soutenues par de nombreux prêtres qui admettaient, d'une façon générale, que nous voyons en Dieu les vérités éternelles, universelles et absolues, mais non pas les êtres particuliers ni les corps. Le cardinal Gerdil, les évêques Baudry et Maret écrivirent en faveur de ce système. Pourtant Rome finit par le condamner, non à cause des absurdités qu'il contient, mais parce qu'elle le jugeait contraire au dogme. De pareilles doctrines tiennent du roman ; elles ne méritent pas d'être prises au sérieux. Mais ceci est vrai de l'ensemble des théories métaphysiques ; elles sont filles de l'imagination et du caprice, ainsi que nous l'avons dit au début de cet article. - L. BARBEDETTE.