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PACIFISME, PACIFISTE

Le néologisme « Pacifiste » fut, lancé après 1900, par Emile Arnaud, un théoricien de la paix, président de la Ligue internationale pour la Paix et la Liberté. Le substantif « Pacifisme » existait. déjà. Il correspondait à « Pacifique ». Le Pacifisme, dit le Congrès de Munich de 1907 est : « Le groupement d’hommes et de femmes de toutes nationalités qui recherchent les moyens de supprimer la guerre, d’établir l’ère sans violences et de résoudre par le droit les différents internationaux ». Le Pacifisme, dit Sève, dans son cours d’enseignement pacifiste, n’est que l’application de la morale aux relations des peuples. Il est, comme la morale, basé sur le respect de la personne humaine.

Aujourd’hui, le mouvement pacifiste manifeste moins d’unité qu’avant la guerre. En dehors de l’union des Sociétés de la paix, sous l’égide de laquelle se réunissaient tous les anciens Congrès, nous avons l’action internationale démocratique pour la Paix, fondée par Marc Sangnier, l’Internationale des résistants à la Guerre, la ligue internationale des femmes pour !a Paix et la Liberté, l’Union des associations pour la Société des Nations. Recherchant une définition qui puisse s’appliquer à tous les mouvements et toutes les théories au moins aussi hardies dans leur opposition à la guerre que le vieux mouvement de la Paix, mais n’excluant pas ceux qui professent une condamnation de la guerre encore plus intransigeants et plus catégorique, et des méthodes de lutte plus énergiques, nous appelons Pacifisme : « l’ensemble des doctrines condamnant le principe de la guerre, préconisant l’application de la morale aux rapports entre les peuples, poursuivant l’abolition des guerres, la solution des conflits internationaux par des moyens pacifiques, tendant à l’instauration d’un régime de paix internationale permanente. »

Tandis qu’un « Pacifique » peut se contenter de désirer la paix pour lui-même et son pays et peut croire que cette paix sera assurée par les méthodes que préconisent les Nationalistes, le « Pacifiste » condamne l’idée de violences entre États, affirme que les relations entre les Peuples doivent être soumises à des principes moraux ou à des normes juridiques, veut la paix, non pas seulement pour sa patrie, mais pour le monde entier : Paix par le respect du droit, par le développement de la solidarité ou par la fraternité et l’amour.

Cette définition englobe donc les tendances pacifistes les plus diverses ; les unes condamnant la guerre défensive, les autres admettant le droit de légitime défense pour les États ; les unes condamnant l’idée de Patrie, les autres conciliant le Patriotisme et l’esprit international ; les unes considérant comme possible l’établissement d’un régime de droit et de Paix dans l’État Social actuel, les autres tenant comme improbable l’abolition des guerres tant que le Capitalisme ne sera pas abattu, ou bien tant que la division de l’Humanité en Nations n’aura pas disparu.

On peut être Pacifiste en partant du point de vue internationaliste, sur les droits et devoirs des peuples, sur la solidarité qui les lie ou doit les lier, considérer que la Paix permanente sera le résultat de l’organisation de rapports de justice entre les nations. On peut être Pacifiste en se plaçant au point de vue individualiste. La doctrine métapolitique et supranationale de Foilin, envisage surtout une modification des rapports des individus avec les États, condamne la guerre et le service militaire comme comportant l’asservissement de l’individu au groupe, tient la méconnaissance des droits primordiaux des individus, l’excès des pouvoirs accordés aux organismes d’autorité, la croyance à la fiction des intérêts nationaux, comme les principales causes des guerres. On peut être pacifiste en partant du point de vue humanitaire et évangélique. L’anarchiste chrétien Tolstoï envisage surtout les rapports des hommes entre eux, s’oppose à la guerre parce que contraire aux principes de l’amour du prochain et au devoir absolu qui en découle : le respect de la vie. Selon Tolstoï, la violence ne cessera que lorsque les hommes refuseront d’y coopérer.

On peut enfin professer un Pacifisme synthétique à la fois individualiste et solidariste, à la fois internationaliste et humanitaire, proclamer que la justice doit dominer les rapports entre les hommes, entre les peuples et les relations de l’État et des individus. On peut préconiser à la fois la résistance populaire énergique à la guerre, le refus collectif ou individuel d’y coopérer et l’effort pour l’organisation de la Paix.

Toutes les théories pacifistes répudient la guerre en tant que moyen de règlement des différends entre les Peuples ; toutes s’opposent au bellicisme, à la politique impérialiste, au culte de la force, à la haine entre les peuples, à l’oppression des peuples faibles par les peuples forts, aux diverses formes du despotisme international. Mais il semble que nous devions mettre en évidence les idées dominantes du pacifisme moderne, celles qui rallient le plus souvent la majorité dans les Congrès de la Paix, celles qui inspirent l’effort des pacifistes constructeurs. Elles se résument en deux affirmations essentielles :

—  a) Les Rapports entre les Nations sont régis par les mêmes principes généraux de droit et de morale que les rapports entre individus.
—  b) Pour protéger la vie et la liberté des peuples, il faut étendre sur le plan international les institutions qui protègent la, vie et la liberté des hommes à l’intérieur des Nations.

Ce dernier principe ne signifie pas que l’on doive transporter dans le domaine international les iniquités et les abus que l’organisation nationale présente plus ou moins dans tous les pays mais seulement que les solutions que l’homme a réalisées ou qu’il aspire à réaliser dans la Cité doivent s’élargir et s’étendre jusqu’à l’ensemble de la Civilisation. Les Peuples ont à peu près les mêmes droits et les mêmes devoirs dans l’Internation que les individus et les familles dans la Nation. Ils ont le droit essentiel de vivre eu travaillant.

Tout différend entre Nations, non résolu à l’amiable, doit être réglé par la voie juridique. Nul n’ayant le droit de se faire justice lui-même, aucune Nation ne peut déclarer la Guerre à une autre. L’autonomie de tout pays est inviolable ; le droit de libre disposition des peuples est inaliénable et imprescriptible. Les Nations sont solidaires les unes des autres.

Sur le plan juridique, la méthode d’organisation de la Paix consiste à prévoir le règlement juridique obligatoire de tout différend non résolu a l’amiable, élaboration d’un Code international public complet réglant les obligations et droits des États, la mise hors la loi de toute guerre et de toute préparation de la Guerre, donc l’interdiction des forces militaires nationales.

Sur le plan politique, les Pacifistes avaient toujours préconisé une fédération des peuples comportant : un organe législatif, un organe judiciaire et un organe exécutif. La plupart des Pacifistes constructeurs considèrent que la Société des Nations actuelle doit être transformée. Il faut qu’elle réunisse dans son sein toute l’Humanité ; qu’elle acquière une autorité souveraine au moins sur les questions de la Paix et tous les moyens propres à imposer ses décisions (la souveraineté des États doit donc être considérablement limitée ; elle doit évoluer dans un sens plus démocratique). Le Congrès de Valence de 1926 préconisait l’établissement du suffrage populaire international ; un parlement international doit être l’émanationdirecte des peuples. La Paix ne sera instituée dans le monde que le jour où sera substitué à la souveraineté absolue et désordonnée des États la souveraineté de la loi internationale votée par un parlement international économique et politique.

Sur le plan économique, les Pacifistes préconisent le libre échange, l’établissement d’une charte internationale définissant les droits et les devoirs des Nations relativement à leurs rapports économiques, et les droits de l’Internation ; le contrôle de la répartition des matières première, l’internationalisation de certaines richesses naturelles, de certains territoires et de certaines voies de communications. La Ligue Internationale des femmes pour la Paix et la Liberté envisageait qu’aux trois pouvoirs classiques : législatif, exécutif et judiciaire, fût ajouté un pouvoir économique.

En résumé, les Pacifistes les plus hardis préconisent l’institution d’un Sur-État ; il faut que chaque Nation limite son indépendance aux questions qui n’intéressent pas l’ensemble de la communauté humaine.

Les deux problèmes sur lesquels les Pacifistes sont le plus divisés sont celui des sanctions et celui de la défense nationale. Un ancien Congrès proclamait que les sanctions exécutives des décisions arbitrales ne devaient jamais avoir le caractère d’une guerre.

Beaucoup de pacifistes modérés envisagent la nécessité de guerres de sanctions collectives contre un agresseur. D’autres condamnent tout principe de sanction. La plupart sont d’accord pour admettre les sanctions économiques et financières.

Les partisans du « Sur-État » préconisent souvent l’institution d’une force armée internationale ; de nombreux pacifistes condamnent autant une force militaire au service de la Société des Nations qu’une force armée nationale. Selon un point de vue intermédiaire, il faut distinguer entre l’armée et la police. Si l’on admet certaines mesures de police, pourquoi en laisser le monopole aux États nationaux ?... Pourquoi ne pas les internationaliser ?... Une police internationale aiderait à contrôler le maintien du désarmement ; elle devrait avoir un caractère préventif et ne prendre les armes que lorsqu’il s’agirait de protéger la vie.

En tout cas, il faut distinguer l’idée de sanctions en général et l’idée de sanctions par les armes. Les moyens coercitifs dont disposerait une autorité mondiale puissante sont très divers.

Les plus justes sanctions sont celles qui frapperaient non pas un peuple en bloc, mais les individus coupables et responsables : gouvernements rebelles, chefs de bandes irrégulières, fabricants d’armements clandestins, provocateurs à la guerre, auteurs de la publication de fausses nouvelles, etc... Selon une tendance nouvelle, l’individu doit devenir sujet de droit international. Certains droits fondamentaux des hommes doivent être proclamés et protégés ; certaines obligations du citoyen du monde envers la communauté mondiale doivent être précisées.

Sur la question de la « Défense Nationale », le point de vue des Pacifistes intégraux, gagne chaque jour du terrain. Le vieux principe « les Nations ont, comme les individus, le droit de légitime défense », est chaque jour battu en brèche. Le président du bureau international de la Paix, Henri Lafontaine, écrivait, dans un rapport destiné au Congrès d’Athènes de 1920 : « L’assimilation entre le droit de légitime défense de l’individu et celui d’une collectivité nationale est tout à fait erronée. Pour l’individu, il n’y a, le plus souvent, d’autres alternatives que de périr ou de frapper son adversaire, et encore l’individu attaqué trouve-t-il des moyens de défense au sein de la collectivité dont il fait partie. I1 n’en est pas de même pour une collectivité nationale ; en cas d’attaque directe ou suspectée, elle peut subir des dommages, mais elle n’est pas menacée de mort. Les Peuples, à de rares exceptions près, ont survécu aux aventures guerrières, même les plus tragiques.

Selon une résolution votée par ce Congrès, i1 faut faire disparaître du pacte de la Société des Nations toute disposition qui permet à un État ou à un groupe d’États, en vertu d’une décision prise par lui ou par eux, et fût-ce pour leur propre défense, de recourir à la force armée, toute décision de cette nature devant appartenir à une autorité internationale. Le Congrès français de Valence, réunissant des organisations pacifistes très diverses, alla plus loin et se prononça en faveur du refus de servir en cas de guerre. Il condamna totalement la légitime défense guerrière et défendit contre la loi le principe de l’objection de conscience.

Loin de nous l’idée de prétendre que tous les pacifistes ou presque condamnent toute guerre, même défensive. C’est pourquoi nous préférons réserver l’épithète de « pacifiste intégral » à ceux dont l’opposition à la guerre ne comporte aucune réserve.

Mais, tandis qu’avant la guerre de 1914, la plupart de ceux qui condamnaient le devoir de défendre son pays par les armes se plaçaient à un point de vue religieux ou à un point de vue révolutionnaire (Tolstoïsme ou Hervéisrne), sans parler du point de vue Anarchiste, aujourd’hui, nous voyons des hommes qui, sans être des Extrémistes en politique, sans s’inspirer d’aucun mysticisme religieux, professent une opposition totale à la guerre, fondée sur des principes moraux purement rationnels et sur un idéal démocratique. La majorité de ces Rationalistes ne condamnent pas la défense légitime individuelle, mais refusent d’y assimiler la défense légitime nationale, qui atteint tant d’innocents et provoque des maux plus grands que ceux qu’elle a pour but d’éviter.

Aujourd’hui, étant donné le caractère moderne des guerres, l’accroissement formidable du nombre des victimes que provoqueront les armes chimiques et microbiennes, toute défense par la guerre sera nuisible à l’intérêt public, tant de la communauté humaine que de la Communauté nationale.

La différence des points de vue sur la défense nationale entraîne une différence sur l’idée de désarmement.

L’ensemble des vrais pacifistes a comme idéal le désarmement total des Nations (sauf peut-être une minorité modérée qui se contenterait de la réduction jointe à un pacte d’assistance mutuelle). La plupart des Pacifistes considèrent, dès à présent, le désarmement comme un facteur de sécurité et d’apaisement moral. Mais les plus hardis acceptent l’idée du désarmement uni-latéral, et croient à la vertu de l’exemplarité (voir le mot Paix). Pour hâter le jour où toutes les Nations auront abandonné leur armement, condition nécessaire d’une véritable fédération du Monde, il faut qu’un ou plusieurs peuples donnent l’exemple.

Comme conclusion nous exprimerons le vœu et l’espoir que le mouvement pacifiste continue a s’orienter dans la voie d’un pacifisme intégral et synthétique, préconisant à la fois la pression populaire la plus énergique contre le déclenchement des guerres et l’effort, pour l’institution d’un régime de Paix permanente. Le seul point de vue pouvant séparer le Pacifisme internationaliste et démocratique du Pacifisme anarchiste est que, selon ce dernier, la Paix permanente exige l’abolition complète de l’État. Il nous semble qu’elle exige seulement la limitation du pouvoir des États Nationaux. Ce pouvoir doit être limité : d’une part, par les droits de la Communauté mondiale organisée ; d’autre part, par le respect de certains droits primordiaux des individus.

Les anarchistes doivent, en tous cas, se demander si toutes les critiques qu’ils dirigent contre l’État National s’appliqueraient à un État fédéral mondial. Faisons aussi remarquer qu’on ne peut appeler le mouvement pacifiste en général « Pacifisme bourgeois ». Les solutions qu’il préconise, notamment sur le plan économique, s’inspirent souvent beaucoup plus de la pensée socialiste que de la pensée libérale. La composition des Congrès comporte un élément croissant de Socialistes, de syndicalistes, de socialisants. Nous ne parlons pas de l’internationale des résistants à la guerre chez laquelle les adversaires du régime social sont en grande majorité. Le Congrès démocratique international pour la Paix, à Bruxelles, proclamait que la diminution de la puissance capitaliste, l’accroissement de l’influence des classes laborieuses sont des facteurs importants de paix.

Les mouvements internationaux nouveaux insistent beaucoup plus que le Pacifisme ancien sur les liens entre la. question Sociale et la question Internationale. Remarquons d’ailleurs que les solutions pratiques préconisées par l’internationale Socialiste se rapprochent, souvent des propositions du mouvement pacifiste proprement dit. De plus, il n’y a rien dans la Doctrine Pacifiste orthodoxe, sous sa forme hardie, s’opposant à l’idée que le triomphe de son programme sera le résultat de la victoire politique des classes ouvrières. Toutefois, il semble à la majorité des théoriciens du Pacifisme qu’un régime de Fédération mondiale doit pouvoir réunir des pays dont le système politique et Social est très différent et n’exige donc pas l’abolition complète du régime capitaliste dans le monde entier.

Mais sur de nombreuses revendications, notamment sur l’idée de désarmement et celle d’arbitrage, les Pacifistes démocrates socialisants, les pacifistes professant le Socialisme révolutionnaire et les anti-militaristes anarchistes peuvent se trouver d’accord et agir en commun, même si sur l’idéal final ou sur la solution complète leurs idées sont divergentes.


- René Valfort


PACIFISME

« Pacifiste, mais non passiviste ». Cette formule comporte, sans doute, un jeu de mots, mais elle exprime aussi, bien nettement, clairement, et sans la fatale équivoque qui embrouille toujours cette question cardinale, le point de vue qui doit être celui, de tout homme digne du nom d’homme.

C’est la formule même de la morale humaine, qui n’a rien de commun avec le passivisme prêché par Tolstoï et ses disciples, passivisme qui n’est qu’un écho lointain de l’abdication bouddhique, véhiculée en Occident par le Christianisme et la morale évangélique.

Quant à l’élimination réelle, radicale, organique, de ce fléau : la guerre, il ne faut pas perdre de vue que « le problème de la guerre et de la paix c’est la question sociale elle-même » et que « c’est seulement en supprimant l’organisation antagonique qui nous régit que nous pourrons abolir les effets nécessaires. » (Réponse à l’Enquête de la revue Cœnibiumsur la guerre, janvier 1913). Tout le reste n’est que verbiage, illusion et fumée, que palliatifs ou expédients. Si nous voulonsorganiser la paix internationale, il faut que nous organisions d’abord la paix économique ; il faut que le régime individualiste du « chacun pour soi » et du droit quiritaire ait fait place enfin au droit social, au droit réel, et a une organisation rationnelle, amicale et vraiment humaine de la vie économique, base et fondement de la vie publique. C’est dans ce sens seulement qu’une action psychologique peut être réellement d’une efficacité durable, d’une efficacitédéfinitive. Et c’est dans ce sens que nos efforts doivent s’orienter méthodiquement, si nous voulons fonder la paix.


- Paul Gille

PACIFISME (organisation et mouvement)

Nous avons cité dans notre précédent article, comme organisation pacifiste internationale : L’Union des Associations pour la Société des Nations, Le Bureau International de la Paix, organe Central de l’Union des Sociétés de la Paix, L’Action Internationale démocratique pour la Paix, La Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté, l’Internationale des Résistants à la Guerre. C’est la première de ces fédérations qui est la plus puissante numériquement ; en Angleterre, notamment, sa section nationale comprend trois millions de membres. La tendance moyenne de ce mouvement est plus modérée que celle des autres groupements internationaux pour la paix, le pacifisme qui y est exprimé est souvent le pacifisme officieux, où l’influence gouvernementale et les préoccupations politiques se font sentir. Il y a même une minorité participant aux Congrès de cette Union internationale, dont l’opposition au principe de la guerre est trop tiède pour qu’elle puisse se dire pacifiste. Mais il y a aussi, groupée dans cette association, une tendance de gauche ; et souvent des résolutions émanant de ces assises ont émis des vœux assez hardis sur le désarmement, sur l’extension des pouvoirs de la S.D.N., sur l’arbitrage obligatoire et la révision des traités, etc..., mais pourtant, dans l’ensemble, cette organisation représente le pacifisme bourgeois le plus opposé aux tendances anti-militaristes et révolutionnaires.

La doctrine permanente du Bureau international de la Paix se confond à peu près avec le programme constructif développé dans notre précédente étude. Il est impossible de préciser la puissance numérique de ce mouvement pacifiste, vu qu’il comprend, à côté des Sociétés de la Paix proprement dites, beaucoup de groupes n’ayant pas la paix pour unique but. De plus, aux Congrès qu’il organise, de nombreux militants indépendants participent aux travaux collectifs. Ces travaux sont ceux des techniciens de la paix, des vieux doctrinaires auxquels s’adjoignent, selon les pays où se tiennent les Congrès, des éléments plus jeunes et plus hardis. Ce mouvement a eu une influence dans l’évolution des idées ; il n’a pas de force directe et continue pour l’action. Pendant la guerre, il fut peu actif. La majorité de ses membres considérait qu’il ne fallait pas préconiser une paix à tout prix, mais une paix fondée sur la justice et l’organisation du droit ; ce furent des Wilsoniens seconde manière. Il serait injuste tout de même d’oublier qu’il y eut parmi les représentants du pacifisme traditionnel une minorité importante, sinon de pacifistes intégraux, du moins de Wilsoniens première manière, partisans de la paix de conciliation et traités de défaitistes. En France, notamment, ce fut l’attitude du secrétaire de la délégation permanente des Sociétés de la Paix, Lucien Le Foyer.

Selon lui, le jusqu’auboutisme internationaliste était une déviation du pacifisme traditionnel. La véritable interprétation de la doctrine pacifiste classique consistait à admettre la défense nationale mais à la réduire à la protection de l’indépendance du pays. Ce droit s’arrêtait quand l’indépendance du pays n’était plus menacée. Il fallait donc non pas prolonger la guerre en ajoutant à la défense du sol d’autres buts de guerre, mais, au contraire, être prêts à tout moment à négocier.

Quant à l’instauration d’un régime de paix organisée, il convenait de la poursuivre par des méthodes de paix et. non par la guerre et la violence. Le principe « nul n’a le droit de se faire justice soi-même » persistait, même lorsqu’une guerre était déclenchée. Sans nous rallier à cette doctrine, puisque elle admettait quand même la défense nationale guerrière, constatons la hardiesse qu’elle manifestait à ce moment-là et remarquons que plus conséquents avec leur conviction, étaient ceux qui professaient à la fois le pacifisme - but et le pacifisme - moyen. Il est incontestable, sans le moindre excès d’optimisme, que l’expérience de la dernière guerre a dessillé bien des yeux, et qu’aujourd’hui, si un nouveau conflit se déclenchait, ceux qui auraient l’attitude de Le Foyer ou de la minorité de la Ligue des Droits de l’Homme seraient plus nombreux, et que ceux qui adopteraient l’ancien point de vue majoritaires seraient moins nombreux.

L’Action Internationale Démocratique pour la Paix est le mouvement international créé après la guerre par Marc Sangnier. Si ses fondateurs sont catholiques, ses militants appartiennent à des tendances religieuses et philosophiques très diverses. On rencontre même dans ses Congrès une jeunesse étrangère socialisante et parfois anarchisante. Sur la construction de la paix, son programme s’apparente à celui de l’ancienne Union des Sociétés de la paix. Mais il insiste sur deux points particuliers : l’Importance de la Préparation Psychologique de la Paix, le Rôle des Grandes Forces Spirituelles du Monde dans cette Préparation Psychologique, d’une part ; et d’autre part le lien entre le développement de la démocratie politique et économique, au sein des divers pays et le développement de la Paix Internationale.. « L’idéal de l’action internationale démocratique pour la paix est un idéal de paix totale : Paix entre tous les individus et tous les milieux sociaux comme entre tous les peuples et toutes les races. Dans les rapports des uns comme des autres, elle exclue le recours à la violence. Estimant toutefois que la Paix est inséparable de la justice, elle affirme que la paix ne sera vraiment stable que le jour où, par des réformes appropriées, on aura remédié aux injustices politiques, sociales et internationales dont souffre l’Humanité ».

Ces formules de la Charte de l’Action internationale démocratique pour la Paix sont, certes, interprétées différemment, selon les tendances sociales de ses membres. Pour les uns, jeunes républicains, la justice sociale nécessite un ensemble de réformes très hardies. Pour d’autres, socialistes et coopérateurs, elle nécessite l’abolition complète du régime capitaliste. Remarquons aussi que condamner le principe de la guerre civile, ce n’est nullement s’opposer à la grève générale et autres méthodes pacifiques de luttes de classes. Quant à la violence révolutionnaire, ceux des pacifistes qui admettent la guerre défensive n’assimileront pas toujours la résistance par la force à un Gouvernement oppresseur, à une guerre offensive. Et, même parmi les Pacifistes intégraux, condamnant, toute guerre internationale sans réserve, beaucoup, comme Félicien Challaye, feront une distinction s’il s’agit de la lutte sociale.

« II (le pacifiste intégral) pourra participer à la révolte contre un oppresseur, si de cette révolte peut, évidemment, résulter l’allégement de certaines souffrances. On peut, par exemple, être pacifiste, et participer à une insurrection contre des Gouvernements assez criminels pour précipiter leur peuple dans un conflit armé. La guerre civile, la guerre sociale sont essentiellement différentes de la guerre étrangère. C’est la guerre entre peuples, seulement, qu’interdit le pacifisme intégral tel qu’il est ici défini. » Félicien Challaye : (La Paix par le Droit, de novembre 1931).

Certains des Congrès du mouvement de Marc Sangnier, comme celui de Bierville ont eu un grand retentissement dans l’opinion publique. II en fut de même parfois de l’action de la « Ligue internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté ». Ce mouvement fut fondé en pleine guerre ; et ses membres travaillèrent à la fois à hâter la fin du conflit et à préparer un régime de Paix durable. Sa doctrine de Pacifisme constructif est plus hardie, plus radicale, que celle des mouvements dont nous venons de parler. Cette ligue demande, dès à présent, le désarmement total. Elle s’oppose autant à l’armée internationale qu’au Blocus. Elle tend à un régime politique et économique mondial organisant non seulement la paix dans le sens d’absence de guerre, mais aussi une solidarité très étroite limitant l’indépendance des peuples aux questions qui ne touchent pas l’intérêt de la communauté humaine. Au point de vue social, ce mouvement proclame le bien-fondé de la plupart des revendications révolutionnaires, mais préconise l’emploi de méthodes de lutte non violentes. Une de ses déclarations condamne toute guerre offensive aussi bien que défensive.

Ce groupement international, qui vaut moins par le nombre que par la grande activité et la hardiesse dans l’action, se rapproche donc sur beaucoup de points de l’internationale des Résistants à la Guerre.

C’est parmi « les Résistants à la guerre » qu’on trouva le plus d’anarchistes. On peut dire que sa doctrine constitue une synthèse du pacifisme constructif et de l’antimilitarisme proprement dit. Nous croyons devoir citer textuellement la déclaration qui fut adoptée par la. première Conférence internationale en 1921. « La » guerre est un crime contre l’humanité. Pour cette raison, nous sommes déterminés à n’aider ni directement : en servant de quelque façon dans l’armée, la marine, ou les forces aériennes, ni indirectement : en fabriquant ou manipulant consciemment des munitions ou autre matériel de guerre, en souscrivant à des emprunts de guerre, en employant notre travail de façon à libérer d’autres en vue du service militaire. Nous sommes résolus à n’accepter aucune-espèce de guerre, agressive ou défensive, nous rappelant que les guerres modernes sont invariablement présentées par les Gouvernements comme défensives.

Les guerres pourraient se placer entre trois sortes :

a) Guerre pour la défense de l’État ; b) Guerre pour conserver l’ordre de la Société existante ; c) Guerre en faveur du prolétariat opprimé.

Nous sommes convaincus que la violence ne peut réellement pas conserver l’ordre, défendre notre foyer ou libérer le prolétariat. En fait, l’expérience a montré que, dans toutes les guerres, l’ordre, la sécurité, et la liberté disparaissent et que, loin d’en bénéficier, le prolétariat en souffretoujours le plus. Nous maintenons, cependant, que les Pacifistes sérieux n’ont pas le droit de prendre une attitude purement négative et doivent lutter pour la suppression de toutes les causes de guerres »

Dans d’autres motions, l’Internationale des Résistants à la Guerre demande un régime fondé sur le principe pacifiste de coopération pour le bien commun. « On remarquera que les Résistants à la guerre, ou du moins la majorité d’entre eux, condamnent la guerre civile comme la guerre étrangère. Toutefois, ne croyons pas que ce point de vue signifie la confiance exclusive dans les méthodes légalistes, démocratiques et réformistes. Beaucoup parmi eux, peut-être la plupart, veulent la révolution sociale par l’action directe du Prolétariat ; mais. ils croient à la plus grande efficacité des méthodes non violentes de lutte : grève générale, non coopération, refus de servir, boycottage. etc., etc..

Ils nient que dans les méthodes de Gandhi, rien ne soit applicable à l’Occident et rappellent que plus le Prolétariat conquiert la vraie force, moins il a besoin d’user de violence. Si certains résistants sont non-violents en partant d’un point de vue religieux ou éthique, d’autres le sont en partant d’un point de vue réaliste et pratique.

Tout en croyant au grand avenir du mouvement des résistants à la guerre, à son influence profonde sur les progrès futurs de la paix, nous lui reprochons de ne pas distinguer suffisamment, dans ses doctrines, entre la question des guerres internationales et le problème de la guerre sociale. On peut, selon nous, rendre impossibles les guerres proprement dites avant d’avoir solutionné la question sociale. On peut aussi abolir les conflits meurtriers sans avoir supprimé toutes leurs causes. Le régime le plus propice à l’établissement de la justice entre les hommes sera la Fédération mondiale politique et économique, ayant désarmé les nations militairement et économiquement.

Mais, n’oublions pas ce fait essentiel : que des hommes professant des conceptions sociales très différentes ou des idées diverses sur le problème de l’emploi de la force en période révolutionnaire, sont d’accord pour condamner sans réserve toute guerre entre peuples et préconiser la résistance active, collective, au meurtre collectif et à sa préparation.

Quant à la guerre sociale, sans vouloir nous prononcer sur le problème délicat de la défense contre la violence contre-révolutionnaire, nous croyons devoir rappeler que, même lorsqu’il y a vacance de la légalité, il ne doit jamais y avoir vacance de la morale ; et que, s’il y a une religion qui doit être respectée par les adversaires des dogmes, c’est la religion de la vie humaine, c’est le dogme du respect de la vie.


- René Valfort