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PAIN n. m. (du latin panis, même signification)

Convenons de suite qu'il y aurait trop à dire sur ce simple mot d'une syllabe en quatre lettres s'il nous fallait interpréter ici toute la signification qu'on attache à ce mot, pain. On la trouve, d'ailleurs, dans les dictionnaires, car le mot pain revient sans cesse dans la conversation de ceux qui s'en nourrissent et sous la plume des écrivains. On vit par le Pain ; on lutte pour le Pain.

Au début de la vie, ne se pose-t-elle pas déjà pour nous la question du pain ? C'est encore, à peu près partout, le premier souci des hommes pour lesquels la fameuse sentence :

... « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front... » n'est pas une vaine formule.

Si « l'espérance est le pain du malheureux », il ne suffit pas à le sustenter. Ce n'est pas avec ce pain là qu'il lui faut envisager l'avenir lorsque, par son travail, il doit gagner son pain et celui de la famille. Il nous paraît plus sage, pour l'homme et pour la femme, tout nouvellement unis par l'amour, d'examiner en face en pleine raison sainement, leur situation et de n'infliger la vie qu'à bon escient, c'est-à-dire de ne pas faire un malheureux à qui le pain fera peut-être manque. Nécessairement, il faut bravement affronter le problème du pain et le résoudre. Quand il y a de la misère pour deux, n'est-il pas criminel de l'augmenter pour qu'il y en ait pour trois ? Si la faim est la triste perspective des exploités, ceux-ci n'ont-ils point le devoir de s'assurer, en ne comptant que sur eux-mêmes, le pain quotidien, plutôt que de le demander en vain chaque jour, à genoux, en disant : « Notre Père qui êtes aux cieux, donnez-nous notre pain quotidien. »

Il faut du pain !... Qu'il soit de seigle ou de froment ; qu'il soit blanc on noir ; qu'il soit frais ou rassis, il est pour le plus grand nombre des humains de nos contrées le plus indispensable des aliments... Or, ce n'est pas la Terre qui le refuse à l'homme ; c'est l'Homme qui ne sait pas se le procurer... Ce n'est pas le terrain qui manque pour ensemencer où il faut le blé, le seigle, le sarrazin. Pas plus que ne manque, sous divers climats appropriés, le terrain humide tout prêt à recevoir le riz, ce pain des Asiatiques qui devient aussi celui des Africains. Enfin, le pain et nous comprimons avec lui tout ce qui est un produit de la Terre et aliment primordial à l'entretien de la vie des êtres qui l'habitent -­ doit et peut être en suffisance pour tous. Il appartient donc à ceux qui ne s'en peuvent passer d'exiger qu'il en soit ainsi et de s'organiser pour qu'il n'en soit pas autrement.

La terre est vaste, elle est féconde, mais il faut qu'on l'ensemence, qu'on la cultive et, suivant les climats, suivant les lieux, il faut plus ou moins de travail, plus ou moins d'efforts. Nous pouvons dire maintenant qu'il faudra toujours moins d'efforts à mesure que les hommes sauront s'entendre, s'organiser, se comprendre, s'entraider, s'adapter aux méthodes nouvelles de culture intensive : merveilleux concours apportés à leur bonne volonté, à leur coopération, par les progrès de la science, pour l'engrais nécessaire et adéquat et du machinisme, pour l'outillage centuplant le rendement en diminuant la fatigue du travailleur.

Il ne s'agira pas toujours de se conformer avec résignation aux préceptes religieux « de gagner son pain à la sueur de son front ». Tout est à transformer pour le bien de tous. Aujourd'hui, nous savons parfaitement que ce ne sont pas ceux qui ont cultivé, récolté les biens de la terre qui en ont profité. On sait aussi que le pain noir fut toujours pour le serf attaché à la glèbe, trimant dur, du lever au coucher du soleil et que le pain blanc fut pour celui qui ne travaillait pas et ne manquait de rien pour manger et boire avec son bon pain de froment.

On sait également que le citadin qui ne cultive pas la terre, mais qui produit pour satisfaire à d'autres besoins, utiles à tous, se voit mesurer sa portion de pain et n'a pas droit à la bonne qualité de ce pain parce qu'il est un salarié et que ce système d'esclavage, le salariat, consiste à lui laisser la liberté de travailler ou non pour un salaire de famine, parfois et, en tout cas, toujours insuffisant: Cela a trop duré. Cela doit avoir une fin.

Ce n'est pourtant pas qu'on ait manqué de promettre à Jacques Bonhomme d'être un jour le libre producteur jouissant de son travail. Il s'aperçoit assez que ceux-là : les prometteurs, l'ont trompé en lui faisant entrevoir qu'il aurait « plus de beurre que de pain ». Le dégoût lui vient enfin de tous les politiciens présents et futurs et l'heure viendra où il comprendra finalement que l'association libre pour la production des biens de la terre et l'entente libre avec les producteurs des villes pour le libre échange de leurs produits mutuels, succèderont au système stupide des antagonismes, au régime odieux, de l'Autorité et de la Propriété !

Nous croyons préférable de laisser de côté les innombrables dictons et proverbes se rapportant au pain.

Pourtant, quelques-uns sont à noter :

« L'homme ne vit pas seulement de pain. » C'est juste. Il faut à l'homme de quoi apaiser sa faim qui se manifeste douloureusement et que le pain peut satisfaire, mais il faut encore qu'il puisse apaiser la faim du coeur, du cerveau, de l'esprit, des sens. La faim du coeur s'apaise par le pain de l'affection, de l'amitié, de la sympathie, de l'amour. La faim du cerveau, par le pain des connaissances, des recherches, de la réflexion, du raisonnement. La faim de l’esprit et de la pensée par le pain de l'éducation, des arts, des agréments spirituels. La faim des sens par le pain de l'exercice, des sports, le culte de la beauté, le goût des voyages, la prédilection, pour toutes les manifestations de joie, de courage, d'émotion, qui charment, réjouissent, passionnent et apaisent les sens. Evidemment tout cela sans abus du régal d'un sens aux dépens des autres. C’est ce que fit bien comprendre Octave Mirbeau, par sa pièce, les Mauvais Bergers, lorsque son héros, revendiquant pour ses camarades, réplique au patron qui semble le taxer d'exagération parce qu'il demande une bibliothèque : « Nous ne voulons pas seulement du pain, nous avons droit, comme les riches, à de la beauté ! » Le pain de l'esprit est aussi nécessaire que le pain du corps, à tout individu normal.

Le dicton : « Liberté et pain cuit » qui signifie : « Le bonheur consiste dans l'indépendance et l'aisance » nous convient également et nous l'avons démontré dans le monde ouvrier en adoptant la fameuse devise du syndicalisme d'avant-guerre. Bien-être et Liberté. Leur conquête mérite nos efforts associés.

Panem et circenses (du pain et des spectacles) fut une revendication facile à satisfaire à l'époque où les jouisseurs de la Rome antique avaient à si vil prix, la conscience tranquille dans l'orgie criminelle de la décadence, par l'abrutissement et les goûts cruels du Peuple.

Le pain et sa fabrication ont des origines qui remontent jusqu'aux Egyptiens. Sa fabrication fut-elle plus ancienne encore ? Cela n'est pas le plus intéressant pour nous. Nous avons mieux à savoir sur le pain.

Ce que nous aimons à constater, c'est que ce minimum de besoin pour tous ne fut pas toujours - tant s'en faut - à la disposition des êtres humains qui en avaient le plus besoin. Le pain manqua souvent à la plus intéressante partie de l'Humanité.

L’Histoire nous énumère les misères du peuple qui manquait de tout puisqu'il manquait de liberté et de pain. On se souvient que malgré les fastes et les somptuosités de Versailles, la pauvreté était grande parmi les gens du Peuple, dans la capitale du royaume de Louis XIV. Et dans les campagnes les paysans se traînaient sur les genoux pour chercher et manger certaines racines, affirme un écrivain anglais de l'époque. Les sujets du Grand Roi manquaient de pain, si l'on ne manquait de rien dans les châteaux et les palais des privilégiés. Un peu plus tard, sous l'un des règnes suivants, une princesse trouva très drôle que le Peuple manquât de pain et elle s'écria tout naturellement : « S'il n'a pas de pain, qu'il mange de la brioche ! » Cruelle inconscience !

Peu de temps après, une fois de plus, le Peuple manquait de pain, parce que les arrivages de grains étaient pillés avant d'atteindre la capitale ou accaparés par certains profiteurs des misères publiques ; les femmes du Peuple de Paris s'en allèrent alors à Versailles pour en ramener le Boulanger, la Boulangère et le Petit Mitron. En même temps, vite, haut et court, furent pendus par la Justice expéditive du Peuple en révolution, quelques-uns des accapareurs des blés ou farines.

C'est ainsi que débuta la Révolution Française. Qu'on ne l'oublie pas ! D'autres révolutions eurent les mêmes débuts.

Mais, depuis, l'accaparement a continué et il n'a pas pris fin. Sous forme de vie chère, les abus criminels des profiteurs se perpétuent et les misères s'accroissent parmi les travailleurs. Et cela d'autant mieux qu'une crise financière arrive toujours succédant à des opérations crapuleuses de profits et d'agio. Le pain est toujours d'un prix plus élevé le matin qu'il n'était le soir. Une presse infâme, au service des plus offrants, se charge de démontrer cyniquement que tout est pour le mieux : le prix du pain, disent les journaux, a diminué de 0 fr. 05 le kilo... C'est parfois exact. Mais il avait alors augmenté de 15 ou 20 centimes auparavant. Les scandales se suivent et les poursuites aboutissent à l'oubli.

Il y a, de plus, des combinaisons formidables qui semblent faites exprès pour engendrer des calamités, des catastrophes, en attendant mieux. Des paysans, gros propriétaires aiment mieux donner leur blé aux bestiaux que de le vendre aux minotiers. Des boutiques de boulangerie sont vendues ou revendues, chaque année, avec des bénéfices énormes. D'autres sont achalandées, restaurées de façon extraordinairement luxueuses, éblouissantes. Des dallages, des mosaïques à l'intérieur; du marbre et des dorures à l'extérieur... Que de milliers et de milliers de francs gaspillés en poudre aux yeux ! Mais le pain est toujours plus cher et le pain est toujours plus mauvais ! On se plaint un peu, mais la Révolte dort. Le chômage, dans toutes les époques de misère, dans toutes les crises économiques s'accentue et prend des allures inquiétantes, menaçantes même. Il faut secourir les chômeurs, coûte que coûte, car la révolte gronde et la Révolution peut apparaître. Des milliers de chômeurs, c'est la rafale terrible que craignent les jouisseurs ; ils ne peuvent plus fermer les yeux ni se boucher les oreilles. Ils voient l'innombrable foule qui s'avance, ils entendent les hurlements terribles des moutons qui sont devenus des loups.

Le souvenir des canuts de Lyon au siècle dernier se dresse en leur pensée. Ils croient entendre les affamés crier : Du travail ou du pain ! et d'autres : Du plomb ou du pain !

C'est de l'Histoire cela et ce fut sans doute enseigné aux Bourgeois, fils de Bourgeois et Parvenus qui se prétendent républicains, mais non pas à la manière de ceux qui, jadis, chantaient et dansaient la Carmagnole devenue aujourd'hui, et depuis longtemps subversive en ses mâles couplets, tel celui-ci :


Que faut-il au Républicain (bis)
Du plomb, du fer et puis du pain (bis)
Du plomb pour se venger ;
Du fer pour travailler ;
Et du pain pour ses frères...
Vive le son !... Vive le son
Et du pain pour ses frères...
Vive le son
Du canon !

Et cela chatouille désagréablement le sens de l'entendement des profiteurs de toutes sortes, maîtres ou valets, qui ne vivent et ne jouissent de la misère des autres qu'autant que durent l'abrutissement et la résignation, par l'ignorance et la lâcheté de ceux qui souffrent si longtemps avant de comprendre, de s'éveiller et de se révolter. Or, tout arrive, même la Révolution sociale pour établir un régime de Justice vraie, de Liberté réelle, d'Entente fraternelle entre tous les exploités du monde, tous les gueux de l'univers : ils sont le nombre, ils sont la Force !

Le Pain pour tous, à la façon dont nous l'avons compris et dont nous nous efforçons de le faire comprendre, c'est déjà ce que conçoivent des millions de malheureux sur la terre, victimes de l'Exploitation, de l'Autorité. Ah ! s'ils s'entendaient !...


On n'arrête pas le murmure
D'un peuple quand il dit : « J'ai faim! »
Car c'est le cri de la nature :
Il faut du pain ! Il faut du pain !

Tous les pays ne sont pas aussi vastes que l'Inde et aussi peuplés de fanatiques pour subir comme eux des famines formidables et horribles. On a peine à se rendre compte que 90 % des habitants de ce pays fertile ne mangent pas à leur faim.

« Sur trois cents millions de paysans répandus à travers toute l'Inde, il y en a bien quarante millions, surtout dans les Etats des Princes, qui ne peuvent s'offrir plus d'un repas par jour. Et quel repas ! Le plus souvent de la farine de millet, délayée dans de l'eau. Car ceux qui cultivent du riz le conservent pour le vendre. C'est la famine déguisée, juste de quoi ne pas mourir. Quant à la plupart des autres, il est rare qu'ils mangent à leur faim. Cet immense peuple d'une intelligence particulièrement vive, au passé glorieux, à l'antique civilisation, ne vit guère mieux que les peuples les plus barbares du Centre de l'Afrique. Peut-être même vit-il moins bien, puisque sa religion lui interdit de tuer, il n’a pas la ressource de la chasse. » (L’Inde contre les Anglais, par Andrée Viollis.)

« La misère de l'Inde n'est pas une opinion mais un fait », écrivait, il y a quelques années, J. Ramsay Mac Donald. Si l'on n'y voit plus guère de ces terribles famines qui firent tant de victimes au dix-neuvième siècle - 2 millions en 1899 - il y a encore des disettes causées, non pas toujours par des récoltes insuffisantes, mais par la nécessité pour les paysans de vendre ces récoltes, sans garder le nécessaire, il y a toujours des privations.

Nous pouvons ajouter qu'il y en eut plus qu'il n'y en aura. Les peuples de l'Inde ont assez d'avoir faim et ce n'est pas la domination anglaise qui pourra longtemps encore maintenir la misère, étouffer la révolte dans le vaste Empire en marche vers son indépendance prochaine.

D'autres peuples d'Asie, sans doute, ne tarderont guère à vouloir aussi semer et récolter pour eux.

Et pourquoi pas ? Qui sait si la colonisation barbare par les civilisés n'ouvrira pas la voie à l'expansion grandiose des idées de Bien-Etre, de Liberté et de Fraternité des Peuples.

Le Pain et l'Indépendance pour tous, d'abord ; la fusion des races, la fin des religions, l'abolition de l'esclavage (y compris celui du salariat), l'anéantissement de toutes les dictatures (y compris celle du Prolétariat), voilà ce que nous croyons voir poindre à l'horizon des temps nouveaux, où personne ne manquera de pain.

- Georges YVETOT.

PAIN

On a vu, par l'étude qui précède, la place que tient le pain dans les préoccupations populaires. Les foules ne le réclament aux heures de crise ou d'émeute avec cette insistance, il n'est devenu l'appel symbolique de la détresse qui s'insurge, que parce qu'il est, en France notamment, l'aliment principal des masses travailleuses. Aussi, quand on considère pour quelle proportion le pain entre dans la nourriture de millions d’êtres humains, ne peut-on se désintéresser de sa substance et de sa préparation, des éléments qu'il apporte en définitive à ceux qui attendent de lui la croissance, la réparation de leurs forces, l'entretien de la vie.

Il y a quelques décades encore, le pain des campagnes, pain naturel, fait de froment normal, justifiait pour une large part les espérances fondées sur ses propriétés. Mais la civilisation est venue qui vise à tout perfectionner (et qui, mal dirigée, aboutit d'abord à dénaturer). Et l’industrie qui s'emploie, sans le contrôle de l’affairisme, à satisfaire les besoins les plus absurdes. Et la chimie, aux prétentieux ersatz… Le « progrès » s'est penché sur le pain de nos pères. Ce bon pain bis, auquel pommes de terre et fromage faisaient un frugal cortège, et qui nourrissait sainement des gens besognant dur, qu'a-t-il gagné à tant de sollicitude ? Tout simplement de devenir un coquet mais dangereux pain blanc qui trahit aujourd’hui la confiance de ceux qui persistent à juger le Pain sur les vertus du passé. Car il y a un abîme entre le pain rustique du tour familial, entre le « pain de ménage » et le magma perfide qu'est le pain blanc de nos élégantes boulangeries...

C'est au moulin qu'on fait généralement remonter les prémisses de l'œuvre d'altération (nous verrons plus loin qu'elle s'étend jusqu'à la terre elle-même). En même temps que le discrédit frappait les lourdes meules aux lentes moulures - qui laissaient à nos farines le germe substantiel et une partie du son rafraîchissant - la science el la gourmandise vouaient le blé aux cylindres destructeurs, s'ingéniaient à des blutages raffinés. Broyeurs et trieurs perfectionnés livraient au boulan­ger une poudre appauvrie, d'une pâleur tout aristo­cratique... Mars nos tables s'agrémentaient de pain blanc !

Le pain blanc : pain mort qui a perdu les vitamines et les diastases de l'embryon, pain privé des matières grasses naturelles et des albuminoïdes, des sels minéraux contenus dans le germe et l'assise protéique, des éléments cellulosiques de l'écorce, bref, dépouillé de tout ce qui vivifie le corps et reconstitue les tissus, tonifie les organes et en facilite le jeu, pain réduit à n'être plus – ou presque - qu' « une masse d’amidon de valeur alimentaire inférieure et provoquant des fermentations acides », source de dyspepsie et de décalcification. Le pain est passé à l'état d’aliment meurtrier, au point qu'on a pu obtenir (Dr Leven, etc.) des cures de dyspepsies rebelles, de dermatoses même, par la suppression radicale du pain blanc. Certaines contrées (Angleterre, par exemple) en consomment relativement peu (100 à 150 grammes par personne et par jour). Mais les Français de toutes les classes sont restés de gros mangeurs de pain (400 à 500 grammes en moyenne), au point que cette habitude est regardée du dehors comme un trait national.

Toute une pléiade de docteurs et de savants, cependant, a lancé le cri d'alarme. Les Galippe et Barré, les Monteuis, les Lenglet, les Lumière, les Labbé, les Carton, les Durville, les Dumesnil (à qui j'emprunte ces documents et quelques citations) ont dénoncé « l'hérésie » et les méfaits du pain blanc. En France (Petit Journal, 1895), en Angleterre (pour le « standard bread » : Daily Mail, 1911), des campagnes de presse, malheureusement suivies de tentatives maladroites (farines diverses mêlées de son et d'éléments hétéroclites : pain de guerre avant la lettre) ont sombré dans le fiasco. A part quelques exceptions, et souvent par démagogie (Ami du Peuple), et des études dispersées (Quotidien, Œuvre, etc.), la grande presse d’aujourd’hui a trop de raisons pour refuser d’accueillir les arguments que les hygiénistes lui apportent. Des groupements naturistes, en France, en Suisse, etc., des publications (comme, chez nous, Naturisme, Régénération, La Revue Naturiste) ont, d’aucuns avec persévérance, poursuivi le procès nécessaire et travaillent encore à nous rendre un pain bis naturel, pain de farines de meules, débarrassées du gros son, mais conservant, avec le germe, l’énergie du grain vivant, l’assise protéique et les parties internes de l’enveloppe, un pain à la fois complet, nutritif et digeste…

Nous n'avons pu, dans ce bref aperçu, que signaler les déficiences résultant des procédés mécaniques de la minoterie moderne. Nous ne pouvons davantage exposer, dans toute leur ampleur, les maux causés dans l’organisme par l'ingestion de substances qu'une habile fabrication emprunte à la chimie (emploi de composés colorés pour le blanchiment, de bromates, de persulfates, etc., produits « améliorants » destinés à faciliter la panification, tous gaz ou sels toxiques). Nous ne ferons aussi que mentionner quelques-unes des altérations que la soif du gain, la passion des gros bénéfices, parfois aussi le désir de flatter la clientèle, n'a pas manqué d’introduire ici, comme en tant d’autres domaines (adjonction de talc pour « économiser » la poudre de blé, de sulfate de cuivre pour « régénérer » les farines vieillies ou avariées, de savon pour rendre onctueux les croissants, etc.). Ces fraudes se rattachent à la sophistication générale (voir ce mot) qui envahit toute La production, surtout industrielle, sans respect pour tout ce qui touche à l’alimentation... Nous ne ferons qu’effleurer quelques tactiques boulangères destinées à. renforcer le poids (eau en excès, cuisson incomplète et brusquée, etc.) et le mépris de l'hygiène qui préside a la fabrication (fournils en sous-sol, poussières flottantes, eaux croupies ou polluées, ouvriers expectorant, etc.), négligences qui se poursuivent jusqu'à la livraison et véhiculent les contagions tuberculeuses ou typhiques. Nous passerons sur la présence, dans les farines mal travaillées ou truquées, des nielles et des ivraies, des succédanés de toute nature sur les moisissures des grains mal soignés, exposés, par surcroît, aux déjections des rongeurs et des chats. Nous ne remonterons pas davantage jusqu'aux errements - et aux calculs - d'une culture qui sacrifie la qualité au rendement et substitue aux variétés éprouvées des variétés médiocres, mais abondantes, qui ne choisit ni ne dose à bon escient ses engrais, conceptions qui nous valent, à la base, des carences (magnésium, chaux, etc.) ou des excès (potassium) que la biologie regarde comme pernicieux...

Ceux à qui le problème apparaîtra dans son importance consulteront avec fruit les ouvrages ou les études des auteurs précités. Ils accompagneront les efforts et vulgariseront les dénonciations motivées des publications et des hommes qui ne voient pas sans inquiétude le déclin précipité des races et luttent assidûment pour l’enrayer... Ils apprendront aussi que le premier coupable de l'effondrement vital du pain à notre époque est encore le consommateur qui réclame, comme un bienfait, qu'il lui soit servi du pain blanc. Et que son éducation, d'abord, est à faire. Ils réclameront ensuite que soit obtenue, par une organisation ad hoc des moulins, et « de concert avec la minoterie (intéressée à tenir compte des goûts du public) et sous le contrôle d'hygiénistes compétents, la farine normale ». Et ils exigeront que la réforme gagne la panification elle-même (locaux manipulations, traitement de la pâte, etc.) et les transports, et les précautions ménagères. Et ils pourront alors caresser l'espérance que le pain redevienne - et sous une forme plus élevée, plus complète encore et plus saine – « notre aliment fondamental ».

- S. M. S.