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PARLEMENT, PARLEMENTARISME, PARLEMENTAIRE

Dans l'ancienne France, les parlements étaient des tribunaux. Ils jouèrent un rôle politique important, sans parvenir à mettre un frein à l'absolutisme royal. Ce qui les concerne regarde surtout la justice, aussi n'en parlerons-nous pas dans cet article. Au sens actuel, les parlements sont des assemblées politiques qui détiennent le pouvoir de faire les lois ; celui de France et d'Angleterre comprend deux Chambres ; il n'en comprend qu'une dans certains pays. Quant au parlementarisme, c'est un système de gouvernement qui implique la prépondérance du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif, et contraint les ministres à démissionner lorsqu'ils n'ont plus la confiance des sénateurs ou députés. De nombreuses monarchies sont parlementaires ; plusieurs républiques ne le sont pas. Aux Etats-Unis, par exemple, les ministres dépendent du seul président de la république ; députés et sénateurs ne peuvent rien contre eux. Le titre de parlementaire ou de membre du parle­ ment, très respecté chez nous autrefois, n'en impose plus à personne : maints hôtes du Luxembourg et du Palais Bourbon sont trop manifestement de crapuleux malfaiteurs. Dès le moyen âge, l'Angleterre posséda un parlement politique ; c'est chez elle que prit naissance le régime parlementaire. Avant de donner un successeur à Jacques II, chassé par ses sujets, le parlement britannique rédigea, en février 1689, une Déclaration des Droits qui limitait le pouvoir royal et précisait ses propres prérogatives. Guillaume III et sa femme Marie ne furent proclamés roi et reine qu'après avoir promis de la respecter. Ils tinrent parole et, sans y être obligés, choisirent quelquefois leurs ministres dans la majorité du Parlement. La reine Anne, qui succéda à Guillaume III, suivit cet exemple. A sa mort, en 1714, un hasard, l'avènement au trône de la dynastie de Hanovre, dont les deux premiers souverains, Georges Ier et Georges II furent presque des étrangers pour leurs sujets, acheva d'affermir le régime parlementaire. Georges Ier s'enivrait quotidiennement et vivait entre de vieilles favorites laides et rapaces. Comme il ne comprenait pas l'anglais et que ses ministres ne comprenaient pas l'allemand, il laissa bientôt ces derniers gouverner sous le seul contrôle des Chambres. Georges II, d'esprit presque aussi borné que son père, comprenait l'anglais mais ne le parlait pas ; il déserta lui aussi le conseil des ministres. Finalement, en vertu de la tradition, le roi ne dut appeler au pouvoir que des hommes appartenant au parti qui avait la majorité dans le parlement. Ils abandonnaient leurs fonctions lorsque cette majorité leur retirait sa confiance. Egaux en théorie, les ministres étaient dirigés en fait par l'un d'entre eux qu'on appela le Premier et qui fut souvent le leader du parti au pouvoir. Tous étaient solidaires, c'est-à-dire responsables des actes de chacun. A cette époque, le parlement britannique ne représentait d'ailleurs que l'aristocratie anglaise, surtout la classe des grands propriétaires terriens. Les réformes de 1832, puis de 1867 et de 1885 étendirent le droit de vote à un nombre de plus en plus considérable de citoyens, leur faisant croire qu'ils étaient quelque chose dans 1'Etat, alors que politiciens et capitalistes les manœuvraient comme des pantins. D'Angleterre, le parlementarisme devait, au cours des XIXe et XXe siècles, passer dans de nombreux pays. En France, il fut instauré par la monarchie de 1830 ; plus tard il disparut, mais pour revenir tout-puissant sous la troisième république. L'Assemblée nationale, élue en février 1871, pour conclure la paix avec la Prusse, comptait plus de 400 députés royalistes et seulement 250 députés républicains. Mais les monarchistes se divisaient en légitimistes et en orléanistes, les premiers voulant pour roi le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, les seconds lui préférant le comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe. N'ayant pu ramener les Bourbons, l'Assemblée finit par accepter la république, en janvier 1875, à une voix de majorité. On ne créa pas une Constitution formant un corps unique, mais trois lois en tinrent lieu ; elles portaient sur l'organisation des pouvoirs publics, sur l’organisation du Sénat, sur les rapports des pouvoirs publics. Discussion et vote de ces lois remplirent l'année 1875. Elles confiaient le pouvoir législatif à deux Chambres et le pouvoir exécutif à un président irresponsable, mais qui gouvernait pat l’intermédiaire de ministres responsables devant le parlement.

« 1. - Le pouvoir législatif, déclare la loi du 25 février, s'exerce par deux assemblées : la Chambre des députés et le Sénat. La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel, dans des conditions déterminées par la loi électorale. La composition, le mode de nomination et les attributions du Sénat seront réglés par une loi spéciale.

« 2. - Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible.

« 3. - Chacun des actes du Président de la République doit être contresigné par un ministre.

« 5. - Le Président de la République peut, sur l’avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat. En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour de nouvelles élections dans le délai de trois mois.

« 6. - Les ministres sont solidairement responsables devant les Chambres de la politique générale du gouvernement et individuellement de leurs actes personnels. Le Président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison. » Après le vote des lois organiques nécessaires au fonctionnement du nouveau régime, l'Assemblée nationale se sépara. Elle fit place à deux Chambres, le Sénat élu le 30 janvier 1876 et la Chambre des députés élue le 20 février de la même année. Par la suite, des modifications furent apportées à la Constitution ; en particulier, on décida qu'il n'y aurait plus de sénateurs inamovibles : tous devaient être élus par les départements et les colonies. L'institution d'un Sénat, œuvre des députés monarchistes qui comptaient sur lui pour jouer un rôle conservateur, fut combattue par les républicains. Mais finalement ils s'accommodèrent très bien de l'existence d'une Chambre haute. Ils devaient, d'ailleurs, s'accommoder d'un si grand nombre d'institutions et de procédés royalistes que la France républicaine ressemble beaucoup, de nos jours, à un pays monarchiste. Actuellement, le Sénat est composé d'environ 300 membres, âgés d'au moins 40 ans et nommés pour 9 ans ; il est renouvelable par tiers, tous les 3 ans. Son mode de recrutement assure la prépondérance de la campagne sur la ville, de la classe riche sur la classe pauvre. L'élection des sénateurs est faite par un collège restreint composé des députés du département, des conseillers généraux et d'arrondissement, des délégués choisis par les conseillers municipaux, suivant une proportion qui favorise singulièrement les petites communes. La Chambre des députés est élue pour une durée de 4 ans, au suffrage universel. Des lois spéciales, non prévues par la Constitution, règlent son mode d'élection. Scrutin uninominal ou scrutin d'arrondissement, scrutin de liste avec prime à la majorité, scrutin de liste avec représentation proportionnelle ont des partisans qui se disputent et luttent pour faire triompher le mode de votation qu'ils préfèrent. Les électeurs oublient qu'il serait préférable de n'accorder à personne le droit de les opprimer. Députés et sénateurs se servent largement : à titre d'indemnité parlementaire, ils reçoivent de grosses sommes, sans parler des pots-de-vin qui payent leurs complaisances à l'égard des magnats de la banque, du commerce ou de l'industrie. Pendant la durée des sessions, il faut l'assentiment de l'Assemblée dont ils sont membres pour qu'on puisse les poursuivre devant les tribunaux ; en outre, ils jouissent de l’irresponsabilité judiciaire, pour tous les actes commis dans l'exercice de leur mandat. Pas de travail sérieux, mais de longs bavardages à la tribune, pour faire croire aux électeurs qu'on ne les oublie pas, voilà l'occupation essentielle des parlementaires. Les ministres, détenteurs du pouvoir exécutif, forment le cabinet sous la direction d'un président du conseil. Ils sont nommés par le président de la république, mais ce dernier doit désigner des hommes ayant la confiance du parlement Députés et sénateurs peuvent leur poser des questions écrites ou orales et les interpeller : dans le cas d'interpellation, un vote suit, impliquant approbation ou désapprobation du gouvernement. La désapprobation oblige le cabinet à remettre sa démission collective au président de la république. Tous les ministres étant solidaires, un vote hostile contre l'un d'eux entraîne la chute des autres si la question de confiance a été posée au préalable. Qu'il s'agisse du pouvoir exécutif ou de la confection des lois, le peuple n'intervient donc jamais directement ; il se borne à expédier au Palais Bourbon des aigrefins qui le trompent et se gaussent de sa crédulité. Une poignée d'intrigants gouverne en régime parlementaire. « Le gouvernement parlementaire, écrit le professeur Hauriou, est d'origine aristocratique et bourgeoise et tend à la création d'une oligarchie parlementaire. Il semblerait que la République, forme d'Etat où la souveraineté nationale devrait être réalisée plus pleinement que dans les autres, appellerait logiquement soit des institutions de démocratie directe, soit, tout au moins, le régime représentatif et présidentiel américain. De fait, il n'y a actuellement dans le monde aucune république aussi exclusivement parlementaire que la nôtre. Dans toutes les autres, ou bien le régime parlementaire est remplacé par un régime présidentiel comme aux Etats-Unis, ou un régime directorial comme en Suisse, ou bien le régime parlementaire est combiné avec le référendum populaire (Tchécoslovaquie, Empire allemand, Prusse, Estonie, Lettonie). La raison du caractère strictement parlementaire de la République française se trouve dans les traditions du parti républicain qui n'est pas démocrate, mais conventionnel au sens de la dictature d'une Assemblée représentative unique. » Hauriou, dont l'autorité est grande en matière de droit constitutionnel, n'a pas nos idées, cela va sans dire ; mais il constate que le régime parlementaire est, par nature, fort peu démocratique. Il ajoute même : « C'est une question de savoir si la démocratie française, à mesure qu'elle fera son éducation politique, se contentera de ce parlementarisme Conventionnel qui n'en demeure pas moins un régime oligarchique, et si elle n'exigera pas une évolution vers des institutions de gouvernement direct qui puissent lui faire contrepoids. » Problème qui ne saurait nous retenir, le referendum populaire étant, comme le reste, à la merci des maquignons du journalisme et de la politique. Très en vogue au début du XXe siècle, le parlementarisme a subi un recul sensible dans les années qui suivirent la guerre de 1914-1918. Mais ce fut pour des raisons que nous ne partageons pas : on voulait un pouvoir exécutif fort, débarrassé de tout contrôle gênant ; la mode était alors aux dictatures. A l'inverse, nous estimons l'autorité toujours trop forte, trop oppressive ; et si le régime parlementaire ne nous satisfait en aucune façon, c'est que lui aussi s'arroge le droit de tyranniser les individus. Jamais un gouvernement ne nous semble assez faible ; c'est à ruiner l'autorité, non à la fortifier, que nous travaillons. A la contrainte nous voulons substituer l'intérêt bien compris, mieux encore l'universelle fraternité. Contre l'impuissance et la corruption du régime parlementaire on a beaucoup écrit ; certains abus sont connus de tous. « Le député, animé des meilleures intentions, écrit Verlot, assiste impuissant à la confection de lois mal étudiées, mal préparées, sans souci de leur répercussion... Les affaires sérieuses se discutent souvent devant des banquettes vides. Quelques douzaines de députés votent pour 600 collègues... Au contraire, les séances où il peut être question d'un scandale regorgent d'auditeurs. Les manœuvriers de couloirs cherchent les moyens de renverser le gouvernement ; on conspire, on combine dans une atmosphère plus ou moins viciée qui écœure les braves gens. » Verlot, ancien radical devenu sacristain, n'était d'ailleurs pas à compter parmi les braves gens. Et les critiques ne doivent pas s'adresser aux seuls députés de droite. Dans des souvenirs pleins de saveur, l'ancien député A. Jobert nous raconte l'histoire suivante, au sujet du vote par procuration : « J'assistai à la première réunion du groupe socialiste parlementaire, salle de la Quatrième Commission… A la disposition géographique même des places occupées, il était facile de voir que là, comme dans tous les autres organismes, les castes sociales existaient. Alors que les ténors occupaient la table sise au milieu, les autres, les indésirables, les déshérités se tenaient loin du soleil, le long des murs, dans les encoignures et dans les embrasures des fenêtres. Il y avait les députés de première zone et ceux de deuxième zone. De suite les manitous (Sembat, Renaudel, Varenne, Compère, Delory, etc.), prirent la direction du groupe et élaborèrent son règlement. La première bataille se livra au sujet des votes au Parlement. Renaudel préconisa l'unité de vote et, pour ce faire, demanda que fussent désignés trois délégués du groupe, chargés de la fonction de boîtiers c’est-à-dire ayant seuls le pouvoir de mettre dans l'urne, lors des scrutins, les 103 bulletins socialistes. En somme, c'était la consécration, par le groupe de l'abominable pratique du vote par procuration, du vote des absents avec tous ses tripatouillages... Candidat, j'avais promis à mes camarades de la Fédération d’abord, aux électeurs ensuite que, si j'étais élu, je demanderais l'application du vote personnel… je réservai mon droit de garder par devers moi le soin de déposer mon bulletin dans l'urne et déclarai ne vouloir confier ce souci « pas même à Renaudel et à Compère-Morel ». On devine quel tollé ma déclaration souleva... » Nous pourrions multiplier les exemples démontrant que députés de droite, du centre et de gauche s'accordent pour duper les électeurs. Aussi, malgré les injures échangées en public, entretiennent-ils, loin des regards indiscrets, d’excellentes relations. C'est, assure­ t-on, le cas pour Tardieu, Herriot et Blum, qui sablent le champagne de compagnie après s'être copieusement disputés à la tribune du Palais Bourbon. Une adroite distinction entre la vie publique et la vie privée, admise par les socialistes comme par les royalistes, couvre et légitime ces odieuses comédies. Contre ce mur de la vie privée, lorsqu'il s'agit d'individus qui s'arrogent le droit de commander aux autres, je me suis élevé bien des fois. Mais vainement, tous les partis étant d'accord pour continuer cette sinistre farce. Ajoutons que le choix des parlementaires fait l'objet d'un véritable commerce. De longs mois avant l'élection, le marché aux candidatures s'ouvre ; politiciens rapaces, journalistes véreux font preuve d'une activité débordante. Paris devient le centre principal où acheteurs et vendeurs se rencontrent. De là seront expédiés, aux quatre coins du pays, des centaines d'avocats sans cause, d'écrivains sans talent, de riches oisifs que la province devra renvoyer, munis de l'estampille parlementaire. A l'acheteur on servira une abondante documentation, s'il ignore tout de sa circonscription ; des électeurs influents, des militants du pays se chargeront de le faire adopter par les indigènes. Officiellement sacré candidat par un comité local, il n'aura plus qu'à payer à boire, serrer des milliers de mains, flatter tout le monde, Et la farce sera sensiblement la même s'il s'agit d'un autochtone qui, à force de bassesse et de ruse, est parvenu à capter la confiance de ses concitoyens. A la règle générale qui veut que les gouvernants soient des êtres immondes, les parlementaires n'échappent en aucune façon.

- L. BARBEDETTE