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PAUPÉRISME n. m. (du latin pauper, pauvre)

L'état d'indigence où se trouve, de façon permanente, une partie plus ou moins considérable de la population, voilà ce qu'on entend par paupérisme. On évalue à plus de deux milliards le nombre des hommes qui vivent actuellement sur la terre ; ce qui donne une densité moyenne d'environ 15 habitants par kilomètre carré. Population répartie de manière très inégale, en raison des ressources plus ou moins abondantes et des conditions d'existence plus ou moins favorables rencontrées sur les divers points du globe. Sur ce nombre, combien d'individus méritent d'être appelés indigents ? On est incapable de donner un chiffre même approximatif. En effet, tel sera pauvre à Paris qui ne le serait pas dans un village perdu de la Bretagne, qui serait presque riche dans un coin reculé d'Afrique on d'Asie. Puis, nulle statistique n'est possible dans les pays non civilisés. Enfin, soit en Europe, soit en Amérique, l'on doit se contenter des chiffres donnés par les organisations charitables, officielles ou privées, chiffres que leur origine rend suspects et qui concernent seulement les pauvres secourus. Aussi n'a-t-on jamais fait d'enquête sérieuse et générale sur le paupérisme considéré dans l'ensemble de notre planète. Il existe seulement des enquêtes restreintes et d'une impartialité souvent douteuse, relatives à tel peuple ou à telle contrée. En Chine, dans l'Inde, le paupérisme fait, chaque année, des milliers de victimes ; en Angleterre, ses ravages furent grands pendant tout le XIXème siècle, ils s'accentuèrent encore après la guerre de 1914-1918. « L'Angleterre est le pays le plus riche du monde, déclarait le ministre Chamberlain en 1885... Malheureusement à tout ce luxe il y a une contrepartie. Il y a parmi nous, perpétuellement, en dépit de cette richesse croissante, près d'un million de personnes qui cherchent dans la charité parcimonieuse de l'Etat un refuge contre la faim, et il y en a des millions d'autres qui sont sans espoir de pouvoir résister à quelque calamité imprévue, comme la maladie ou la vieillesse, par exemple. » Ces aveux d'un officiel ne dévoilaient pas toute la profondeur du mal, cela va sans dire. En France, nos Démocrates prétendent que la République s'est montrée maternelle pour les déshérités. « La loi du 14 juillet 1905, affirmait le sénateur Delpech, sous le beau titre inscrit pour la première fois dans une loi française « service public de solidarité sociale », assure l'assistance à tout Français privé de ressources, incapable de subvenir par son travail aux nécessités de l'existence et : soit âgé de plus de 70 ans, soit atteint d'une infirmité ou d'une maladie incurable. De facultative pour les municipalités et les conseils généraux, l'assistance devient légalement obligatoire et la dépense peut être imposée aux collectivités du domicile de secours... Non seulement les vieillards infirmes et incurables dénués de ressources et qui ont un domicile de secours bénéficient de la loi, mais aussi ceux qui n'ont point de domicile de secours. Et l'assistance ne se traduit pas seulement par l’allocation de pensions de secours à domicile, mais encore par l'hospitalisation à l'égard des bénéficiaires dépourvus de tout domicile de se­ cours. » En pratique, les résultats ne furent pas aussi brillants que Delpech l'avait supposé ; après la dépréciation du franc surtout, il ne resta aux vieillards qu'à mourir de faim, s'ils n'avaient d'autres ressources que le secours octroyé par les autorités. Il est vrai qu'aujourd'hui nos politiciens font mousser la loi sur les retraites ouvrières.

Pour des raisons indépendantes du bon vouloir des capitalistes, le paupérisme n’a pas sévi chez nous avec autant de rigueur qu'en Angleterre ; néanmoins les journaux fréquemment nous apprennent que des malheureux meurent de faim ou de froid.

Sur l'origine du paupérisme, aucun doute possible. Il provient d'une double cause : une injuste répartition des richesses et un excessif accroissement de la population. C'est à la première cause que l'on doit imputer la majorité des souffrances endurées actuellement par les déshérités. Mais, dans un avenir prochain, la seconde cause l'emportera en importance probablement. Une choquante inégalité, habituel résultat de la chance ou de l'hérédité, que ni le travail ni le talent ne justifient, réduit le grand nombre à la pauvreté, réservant l'opulence à quelques-uns. Au banquet de la vie les convives sont rares, les serviteurs légion : aux premiers les bons morceaux, aux seconds les reliefs, maigre salaire d'un travail sans repos, ou prix d'une chaîne et d'un collier. D'où la servitude économique du grand nombre, instaurée au profit des privilégiés. Le remède efficace consisterait à répartir les richesses au prorata du travail et des besoins. Si chacun participait d'égale façon à des biens suffisants pour tous, le paupérisme disparaîtrait. Mais point d'intermédiaires parasites, point de désœuvrés qui prélèvent une large part sur le travail d'autrui ; à l'ouvrier, au paysan l'intégral résultat de son labeur. Dans le domaine économique, le dernier mot doit appartenir à un harmonieux équilibre, conciliateur des possibilités de la production avec le droit identique qu'a chacun de satisfaire ses désirs légitimes. Même réparties avec équité, les ressources du globe deviendraient insuffisantes si la population s'accroissait indéfiniment. La terre avait 680 millions d'habitants en 1810 ; elle en a plus de deux milliards aujourd'hui ; l'augmentation est donc rapide, malgré les fléaux qui font périr les hommes par centaines de mille et même par millions. C'est sur eux que de bonnes âmes comptent pour débarrasser notre planète de son excédent de population. Tel raz de marée, remarque-t-on, tel tremblement de terre ont tué, en une nuit, cent ou deux cent mille personnes ; en 1887, le Fleuve Jaune déplaça son lit brusquement, ce qui coûta la vie a 2 millions de Chinois ; dans l'Inde, où sévissent de fréquentes famines, on a compté 19 millions de morts par la faim, de 1896 à 1900. Les bellicistes estiment, en outre, que des guerres assez fréquentes et assez meurtrières permettront toujours d'empêcher la surpopulation. C'est pour les envoyer au carnage que les mères élèveraient avec tant de soins leurs garçons ! Nous espérons, pour notre part, que les guerres disparaîtront de la surface du globe. Tous les carnages passés n'ont d'ailleurs pu arrêter l'accroissement de la population ; malgré de fréquentes guerres civiles et internationales, cette dernière a plus que doublé au cours du XIXème siècle ; et les horribles hécatombes de 1914 et des années suivantes n'ont retardé sa progression que pour très peu de temps. Sans doute de vastes espaces sont encore incultes et les progrès de la technique agricole permettront de tirer un meilleur parti du vieux sol européen. Le nombre des habitants que peut nourrir notre planète est pourtant limité ; des savants officiels estimaient, avant guerre, qu'il ne devait pas excéder trois ou quatre milliards. Qu'on le veuille ou non, le problème de la surpopulation s'imposera à l'attention de tous dans un avenir prochain. Pour nous, la question se pose d'une façon différente. Nous estimons la qualité préférable à la quantité. A notre avis, l'on doit apporter autant de soin à la procréation dans notre espèce que l'éleveur en apporte pour obtenir des poulains de bonne race, que l'horticulteur en dépense pour avoir des légumes succulents. L'eugénisme permettra de voir naître des générations moins cruelles, moins sottes et douées de qualités morales trop rares chez nos contemporains. Quant au paupérisme, il disparaîtra dès qu'à l'aveugle fécondité de l'instinct l'on substituera une prévoyance réfléchie tenant compte des ressources économiques existantes. Nous parlons d'un monde enfin libéré de la tyrannie des capitalistes et des états-majors ; car aujourd'hui il importe surtout de se débarrasser des parasites qui vivent grassement aux dépens des travailleurs. Mais n'hésitons pas à le dire, ceux qui propagent l'eugénisme sont des bienfaiteurs du genre humain.

- L. BARBEDETTE.