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PERSÉCUTION n. f.

Action de persécuter. Importunité continuelle. Délire de la persécution (relève de la pathologie).

Au point de vue historique, on entend généralement par persécution les tourments, proscriptions, martyres subis par les novateurs. Lorsqu'une idée nouvelle, subversive, s'empare des foules, lorsqu'elle se propage et devient menaçante pour l'ordre établi, les vieilles forces du passé se coalisent contre elle ; la persécution naît automatiquement. « Quel est le persécuteur ? C'est celui dont l'orgueil blessé et le fanatisme en fureur irritent le prince ou les magistrats contre des hommes innocents, qui n'ont d'autre crime que de n'être pas de leur avis. » (Voltaire.) S'il y a eu persécution de Chrétiens par les Romains, il y a eu, par la suite, persécution des hérétiques par les chrétiens ; enfin, il y a toujours persécution des non-conformistes par les orthodoxes. Le croyant, le fanatique, voudrait arrêter l'évolution du monde au moment où il est arrivé lui-même. L'amant de la Liberté, au contraire, renversant toutes les barrières et tous les dogmes, va hardiment de l'avant. Mais rares sont les individus qui comprennent que l'univers est en perpétuelle évolution ; plus rares ceux qui aident à cette évolution ; innombrables sont les timorés qui, se figurant être « le sel de la terre », prétendent intégrer la vérité totale. Ces derniers deviennent dangereux lorsqu'ils se mettent dans l'idée de vouloir faire le bonheur de ceux qui ne le leur demandent pas. Alors ils emprisonnent, ils torturent, ils brûlent, ils accomplissent des « actes de foi ». « Celui qui a des extases, des visions, qui prend ses songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances ; il pourra bientôt tuer pour l'amour de Dieu. » (Voltaire.) « La religion - écrivait-il encore dans le dictionnaire philosophique au mot fanatisme - dans tous les temps a servi à persécuter les grands hommes. » Et plus loin : « Il y a des fanatiques de sang-froid ; ce sont les juges... »

On pourrait résumer l'histoire de l'Humanité dans l'opposition des idées dominantes et des persécutions qu'elles ont suscitées.

La société antique croula devant la mystique chrétienne. L'Eglise sentit passer le vent de la mort avec la Réforme et la Révolution. Le Capitalisme voit venir sa fin sous la poussée irrésistible des idées socialistes, communistes et libertaires. Et toujours l'organisme condamne, emprisonne, torture, persécute, avant de disparaître à son tour.

L'Eglise dit avoir été persécutée pendant trois siècles. En réalité il y eut, pendant les trois premiers siècles de l'ère chrétienne, « de courtes et rares périodes de persécution effective » ; et nous lisons dans l'Encyclopédie que « les mesures de répression prises par l'Empire furent faibles et débonnaires, comparées aux persécutions infligées plus tard par l'Eglise aux hérétiques ». Les historiens catholiques exagèrent à dessein le nombre des persécutions. Il n'y eut pas, comme ils l'affirment, dix persécutions générales. Voici, en un résumé succinct, les événements de ce temps-là : Sous Néron (en 66-68) un seul chrétien fut persécuté à Rome : Paul (on ne peut admettre la persécution de Pierre, pure légende pontificale). Domitien (95) « jaloux de son pouvoir, prenait ombrage de tout ce qu'il ne comprenait pas. Il devint inquiet et cruel et se mit à persécuter les honnêtes gens, les citoyens qui regrettaient la liberté, les stoïciens qui prêchaient la vertu. (Tacite hist. I. 1.) Naturellement, les chrétiens étaient fort menacés par un pareil régime ; mais s'ils en souffrirent ce ne fut point spécialement à cause de leur religion. Il n'est point prouvé que Flavius Clemens et Domitilla qu'on a mis au rang des martyrs de ce règne fussent chrétiens. » Avec Trajan (107) il n'y eut aucune ordonnance spéciale contre les chrétiens. Trajan et Antonin ne méritent pas le nom de persécuteurs (Voltaire). Le rescrit de Trajan, adressé à Pline le jeune en 112, mentionne qu'il « ne faut pas faire de recherches contre les chrétiens » et que « dans nul genre d'accusation, il ne faut recevoir de dénonciation sans signature ». Et l'on voit sous ce règne, « les magistrats, lorsqu'ils sont indulgents, absoudre les chrétiens et les condamner lorsqu'ils sont cruels ou pressés par les excitations du peuple païen ». Adrien (118-138) et Antonin le Pieux ne prirent aucune mesure nouvelle contre les chrétiens. Sous Marc-Aurèle (161-180), le peuple, alarmé par des tremblements de terre et les inondations du Tigre et du Pô, exigea la punition des chrétiens, blasphémateurs des dieux tutélaires. La persécution sévit à Smyrne, Rome, Vienne et Lyon. Septime-Sévère (191-211), punit les conversions au christianisme, mais ceux qui étaient nés sous cette religion ne furent point inquiétés. Maximin le Thrace (235-238) ne persécuta pas les chrétiens spécialement à cause de leur foi ; et avec Philippe l'Arabe (244-248) l'Eglise jouit d'une paix complète. Jusqu'à ce moment-là, « le peuple seul provoquait les persécutions par ses plaintes et ses séditions ». Le nombre des martyrs fut peu élevé. Les écrivains chrétiens « Quadratus, Justin, Miltiade, Athénagore, Apollinaire, Méliton, Tertullien, Origène, publièrent des Apologies et des exhortations aux martyrs, dont une seule page aurait fait condamner au feu livres et auteurs, s'ils avaient été composés par des hérétiques, au temps où l’Eglise catholique était toute puissante ». Avec Decius (249-251) on assista à une persécution générale. Cet empereur entreprit de détruire la religion chrétienne; il fit rechercher les chrétiens et voulut les contraindre à abjurer leur foi. Gallus (251­ 253) continua ses méthodes. Valérien (253-260) d'abord indulgent, prit ensuite des mesures plus cruelles que ses prédécesseurs. La persécution se ralentit avec Gallien (260-268) et Aurélien (270-280), mais sous Dioclétien (284-305) en 303, et sur les instances de Galérius, fut promulgué un édit, qui ordonnait de démolir les églises, de livrer et brûler les livres sacrés, d'exclure les chrétiens des offices publics. De plus, il était interdit d'affranchir les esclaves professant la religion chrétienne. Par un second édit, on eut pouvoir d'emprisonner les évêques et de les soumettre aux tourments. Par un troisième, on étendit ces mesures à tous les fidèles. La persécution fut atroce en Orient. Elle n'épargna que la Gaule, et l'on appela le règne de Dioclétien : l’ère des martyrs. Mais on ne résout rien par la force et la cruauté, quand l'Idée s'impose aux esprits ; en 311, Galérius, par impuissance à soumettre les chrétiens, leur accorde un édit de tolérance. Avec Constantin (312), le pouvoir va composer avec cette force naissante : le catholicisme, et va essayer d'en tirer profit. Les chrétiens ne seront plus troublés. Par l'Edit de Milan (313), on leur accorde « entière et absolue liberté de professer la religion chrétienne. »

Dès ce moment, de persécutée, l'Eglise va se faire persécutrice. Force d'Etat au service de tous les maîtres, poursuivant son rêve de domination universelle, elle entassera, au cours des siècles, crimes sur crimes, horreurs sur horreurs.

« Dans le système catholique, l'hérésie, ou seulement l'indulgence envers elle est un crime énorme, un crime de lèse-majesté divine à la répression duquel tous les fidèles ont le devoir de concourir. » (Encyc.) Et bientôt va se dresser le formidable appareil de persécution permanente : Le Saint Office de l'Inquisition (voir ce dernier mot). L'homme n'est plus libre. L'Eglise est présente à tous les actes importants de sa vie ; elle en profite pour le modeler, le diriger à son gré. Baptême, communion, mariage, maladie, mort sont des étapes où le prêtre s'impose, jette à. ses pieds la pauvre créature humaine faible ou désemparée. Par la confession, l'Eglise tiendra l'homme en perpétuel esclavage moral. « Le confessionnal vaut à l'Eglise une inquisition cent fois plus clairvoyante que tous les délateurs de la Rome païenne. Le prêtre, quand il le veut, peut tirer de la bouche de l'enfant ou du serviteur la dénonciation du père ou du maître. » (Encyc.) Il serait certainement fastidieux d'énumérer ici toutes les persécutions que fit subir l'Eglise à ceux qui s'opposaient (ou étaient soupçonnés s'opposer) à ses desseins. « Depuis le supplice de Priscillien (385) jusqu'à celui de François Ri­chette (1762) ce fut une longue série funèbre de supplices, de guerres, de massacres et d'exterminations. » (Encycl.) Et tout cela commis au nom du Jésus de Paix et d'Amour. Marquons rapidement les grandes étapes de cette route sanglante : l'hérésie d'Arius (318) coûta la vie à environ 300.000 individus. La querelle des iconoclastes et des iconolâtres (du VIIe au IXe siècle) en fit périr 60.000. L'impératrice Théodora fit égorger 100.000 manichéens (845). Les croisades coûtèrent la vie à 2 millions de chrétiens ; et le sang des Turcs coula pendant 8 jours lors de l'entrée des Croisés à Jérusalem (1099). Et voici la croisade des Albigeois (1209) ; les Vêpres Siciliennes (1282) ; le Supplice des Templiers (1300) ; les 4.000 Fraticelles, moines, mendiants brûlés par Clément V ; Jean Huss et les guerres des hussites contre les Impériaux (XVe siècle) ; le massacre des Vaudois (1545) (22 bourgs anéantis) ; massacres approuvés par François Ier (18.000 victimes) ; le carnage de la Saint­ Barthélemy (1572) ; les innombrables procès contre les sorciers (400 sorcières brûlées à Toulouse en 1577) ; les Dragonnades (1685). Faut-il citer aussi toutes les exactions commises dans le Nouveau Monde ? (L'évêque Las Casas, par exemple, qui prétendit avoir immolé douze millions d'hommes à la religion chrétienne.) Faut-il citer toutes les guerres et toutes les révoltes suscitées par les Jésuites dans les pays lointains : Japon (1616), Chine (1750-1815-1839), Cochinchine et Tonkin (1837-1839) ?

Ah ! malheur à ceux qui luttent pour la vérité, à ceux qui osent la clamer à la face du Monde ! Malheur au poète, à l'inventeur, au savant, au génie, si la chanson, la trouvaille, l'idée fulgurante jaillie de son cerveau heurte par trop les préjugés établis : l'immense bêtise est là qui le guette, et l'hydre de la persécution se dresse et le broie ! C'est Socrate, c'est Phocion, buvant la ciguë ; c'est Zénon d'Elée pilé dans le mortier ; c'est Michel Servet brûlé vif à Genève, par ordre de Calvin ; c'est Galilée, torturé par l'Inquisition ; c'est Vanini, torturé et brûlé à Toulouse comme athée; c'est notre grand Francisco Ferrer, fusillé par ordre des jésuites dans les fossés de Montjuich ; ce sont les douces figures de Sacco et de Vanzetti, ignominieusement persécutés par le capitalisme yankee. Et tous ceux-la ne sont que quelques unités parmi les plus marquantes de l'immense chaîne des martyrs de la pensée libre. A côté d'eux, combien d'obscurs sacrifiés, combien de suppliciés, d'emprisonnés par l'aveugle et impuissant et inutile Pouvoir établi ! Car la persécution va toujours à l'encontre du but qu'elle poursuit, en assurant automatiquement le triomphe de l'idée qu'elle combat. (Voir Répression.)

- Ch. BOUSSINOT.