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PHILANTHROPIE (du grec philos, ami, et anthropos, homme)

La Philanthropie est un masque trompeur sous lequel la bourgeoisie abrite ses méfaits. C'est le déguisement dont elle se sert pour faire croire aux individus qu'elle veut leur bonheur. Sous ce masque se dissimulent les pires appétits. Sous prétexte de faire le bonheur de l'humanité, les philanthropes font son malheur. Les riches, les puissants, les mercantis, les maîtres de l'heure, tous les dirigeants ont intérêt à ce que les individus ne se révoltent point, devant les crimes que leur morale, leur politique et leur administration perpétuent au sein de la société. Ils se servent d'un narcotique pour endormir les masses : ce narco­ tique, c'est l'altruisme. Entendez, par ce mot, une fausse bonté, une fausse pitié, qui constituent ni plus ni moins qu'une mystification. Ce palliatif, - la philanthropie -, est pire que le mal. Elle accumule misères sur misères. Elle entretient l'ignorance, et sa compagne la douleur, au sein des masses. Il faut aux philanthropes, - ces pseudo-amis des hommes, - une certains dose de pitié, une certaine dose de charité, une certaine dose de dévouement, pour leur permettre de dominer, de diriger, de légiférer; donc, par la même occasion, pour justifier leur semblant de dévouement, il leur faut de la douleur, de la souffrance et de la misère. Ces « amis du peuple » en font les ennemis. Chaque jour nous les voyons à l'œuvre. Leur dévouement est un trompe-l'œil. Ils ne connaissent point le sacrifice vrai. Ce qu'ils servent, ce sont leurs intérêts.

De même que les pacifistes de banquet, tout en prétendant limiter les armements, ne font que les étendre, de même les philanthropes, en prétendant combattre le chômage et le paupérisme, ne font que les cultiver. Malheureusement, cette « culture de la souffrance humaine », qu'on appelle la philanthropie, s'exerce avec la complicité des sacrifiés, et leur assentiment. Les malchanceux profitent de la pitié, ils emploient mille ruses pour obtenir quelques miettes du festin philanthropique, et ils sont aussi coupables que leurs bienfaiteurs. Les individus se prêtent trop, par lucre, par calcul, par veulerie, aux « combinaisons » des bienfaiteurs, ce qui fait que les uns et les autres sont aussi peu intéressants, et qu'ils méritent autant les uns que les autres le titre de profiteurs de la bêtise humaine. Les uns exploitent ; les autres se laissent exploiter : on se trouve en présence de deux classes d'individus qui se prêtent main-forte, et font appel au sentiment pour servir leur intérêt.

Comme on prétend « humaniser » la guerre, lui donner des lois, - pour l'éterniser, - ainsi les dirigeants s'efforcent, par tous les moyens, de conserver l'état de paupérisme qui sévit, présentement, dans le monde. Leurs méfaits sont innombrables. O philanthropie, que de crimes on commet en ton nom ! Tous ces « chariteux » ne font la charité qu'à moitié. Ils la font d'ailleurs ostensiblement au vu et su de tout le monde. Combien plus « philanthrope » est celui qui, n'ayant pas le sou, aide un camarade, lui vient en aide, partage ses peines. Il y a des philanthropes ignorés, mais ce ne sont pas ceux dont nous parlons.

Les philanthropes sont de drôles de « types ». Dames patronnesses, vieux messieurs décorés qui président des conseils d'administration dans les compagnies d'assurances ou dans les grandes banques, noceurs repentis, énergumènes de la politique, âmes sentimentales qui tiennent à gagner le ciel, tous ces pantins, tous ces fantoches sont à mettre dans le même sac. Moralistes, économistes, patrons d'usine, etc., tous se disent « philanthropes », de même qu'ils se disent « pacifistes », alors qu'ils ne sont ni l'un ni l'autre.

La psychologie de « philanthrope », autant que sa physiologie (ici la déformation professionnelle est visible) est curieuse et décevante. Il a la manie de faire le bien. Pour satisfaire cette manie, il use de tous les moyens en son pouvoir, licites ou illicites : tracts, prospectus, cérémonies patriotardes, causeries, représentations au bénéfice de..., etc. « Visiteurs » et « visiteuses » vont à domicile porter du bonheur ! Le philanthrope a toujours sous le bras une serviette bourrée de papiers. Il ne s'épargne aucune démarche auprès des particuliers ou des Pouvoirs publics. Où il n'y a point d'administration, il en crée une. Le philanthrope est bureaucrate. Il faut qu'il salisse beaucoup de papier pour pouvoir faire le bien. Sa mentalité est celle du vieux militaire abruti par l'alcool ou de la vieille dame qui se voile la face devant l'éphèbe qui exhibe dans le marbre ou le plâtre une académie impeccable !

La philanthropie sert de prétexte à décorer beaucoup de gens et à décrocher quelque sinécure. Palmes académiques ou Mérite agricole, parchemins, distinctions honorifiques, tableaux d'honneur, diplômes, médailles, ornent le vestibule des home bien pensants. Ne nous étonnons pas qu'il y ait tant de philanthropes de par le monde. Si on ne mettait pas leurs noms dans les gazettes, il y en aurait beaucoup moins.

La philanthropie est un chancre qu'il faut à tout prix extirper. C'est un microbe, une lèpre, une peste... Il faut la combattre par tous les moyens. Elle est le fruit de l'incohérence et du bluff. C'est une des mille et une mystifications dont notre époque est remplie.

Que voit-on à l'heure où tant de gens prétendent faire le bonheur de leurs semblables ? La peine de mort (guillotine, électrocution, pendaison, etc.), le bagne, la justice des tribunaux (de classe), les erreurs policières, les expertises truquées, - la guerre qui menace, tandis qu'une conférence dite du désarmement se refuse à désarmer. Alors, que vient-on nous parler, avec des trémolos dans la voix, du bonheur des peuples ? Liberté, égalité, fraternité sont des mots vides de sens tant que la chose qu'ils signifient n'est point réalisée. Les politiciens nous bourrent le crâne, avec leurs promesses­ ses et leurs boniments. C'est ce que font aussi les philanthropes, cette espèce de politiciens dont nous mourons, comme des autres. Refusons de les écouter, et combattons leur action. Méfions-nous des « aventuriers » de la philanthropie. Ils sont extrêmement dangereux. La philanthropie est une affaire, comme la guerre, ou comme la paix (dans le monde des politiciens). Les petites « combinaisons » vont leur train, en philanthropie comme en politique. Tout bon politicien doit être au moins philanthrope (en paroles, non en actes), et tout bon philanthrope doit être doublé d'un politicien avisé. Nous avons vu à l'œuvre les philanthropes, comme leurs amis les élus du suffrage universel. Ils se valent. Ils soutiennent la même cause : celle de leur porte-monnaie !

Le philanthrope respecte la morale, croit en Dieu et vénère l'autorité. En père de famille, il est à cheval sur les principes, qu'il viole chaque fois que l'occasion s'en présente. Le philanthrope redoute l'opinion et craint la critique. Il fait partie de la Ligue contre la licence des rues et commandite les maisons de prostitution. Il est plein d'illogisme et nage dans l'incohérence. Ses conversations abondent en lieux communs, en phrases toutes faites, en bourdes colossales. Il passe son temps à exprimer des banalités. Il est à la fois pour et contre ceci ou cela. Il n'ose pas prendre parti, mais il est au fond du parti la réaction intégrale en toute chose.

Les « putains » de la Haute font la charité en dansant et en couchant avec des ministres, Les représentants de l'aristocratie frayent avec ceux de la démocratie. Le clan des philanthropes va de l'extrême droite à l'extrême gauche, en passant par le centre. Tous ces gens-là s'entendent comme larrons en foire pour faire le bonheur du peuple, avec des discours et des pirouettes.

Faire l'aumône, c'est pour les gens qui sortent de la messe une agréable distraction. Avant d'aller s'empi­ffrer chez le pâtissier, ils jettent deux sous dans la sébile de l'aveugle ou du manchot. Ce geste leur vaut la considération de leurs pairs. Ils iront droit au ciel !

On verse aux foules l'opium de la philanthropie, comme celui de l'espérance. On fait miroiter à leurs yeux les paradis futurs, sur terre ou dans l'autre monde. C'est autant de gagné pour les bienfaiteurs. Pendant ce temps ils s'amusent, pérorent dans les académies ou les salons. Ils font leurs affaires sur le dos des pauvres.

Combien de « fondations » qui n'ont eu que la vanité pour mobile ! Celle-ci est une animatrice dangereuse. Que de bêtises leur vanité fait commettre à certains individus !

A côté de la philanthropie humanitaire, il y a la philanthropie scientifique. Les « bienfaiteurs » agissent encore ici dans un but de réclame ou pour faire oublier leurs crimes. Cependant, quels que soient les mobiles auxquels ils obéissent, ils peuvent rendre des services. On préfèrera toujours le philanthrope qui permet à un savant de poursuivre ses expériences, en mettant à sa disposition des instruments de travail et un labora­toire, au philanthrope qui fait construire un couvent ou une chapelle. Les deux ne se comparent pas. Le premier est utile ; le second est nuisible, Qu'un milliardaire mette une partie de sa fortune à la disposition d'un biologiste ou d'un physicien, c'est chose autrement intéressante qu'un dévot qui lègue à sa paroisse le contenu de son coffre-fort pour gagner le ciel.

Le véritable « philanthrope » fait le bien, non pour qu'on l'applaudisse et l'encense, non par devoir, snobisme, intérêt, égoïsme, ou toute autre considération inférieure, mais simplement parce qu'il considère que la solidarité bien comprise, l'entraide intelligente et l'union sont les meilleurs facteurs du progrès. Il se préserve du sentimentalisme à l'eau de rose, de la sensiblerie, de la fausse pitié, de la charité des mondains et de l'altruisme des impuissants. Il n'obéit qu’à sa raison. En se libérant de tous les préjugés, il libère ceux qui l'approchent. Il donne à tous l'exemple, non de la vertu, non de la résignation, non du sacrifice, ces mots dont usent et abusent les malfaiteurs déguisés en bienfaiteurs, mais de l'énergie, de la volonté, de la virilité, de la sincérité en toute chose. Le véritable philanthrope serait celui qui délivrerait l'humanité de tous ses tyrans. Il aurait fort à faire !

La philanthropie est destinée à disparaître avec notre société. Elle disparaîtra avec l'alcoolisme, le suffrage universel, la prostitution et autres tares sur lesquelles repose tout notre édifice social. D'ici là, l'Etat - ce philanthrope des philanthropes - fera tout son possible pour maintenir dans la société la misère sous toutes ses formes, tout en encourageant les philanthropes à bien faire, et les individus à s'abandonner entre leurs mains.

Avec quelle sollicitude l'Etat - cette pieuvre - vient en aide à l'individu, de sa naissance à sa mort ! On n'a jamais bien su ce que c'était que l'Etat. L'Etat, c'est moi, disait Louis XIV. L'Etat, c'est nous, disent nos modernes roitelets. Bref, l'Etat c'est tout ce que l'on voudra, Il est insaisissable, on ne le voit pas plus que Dieu. Cependant il manifeste sa présence par des maux de toute sorte. Sa sollicitude s'étend de l'enfant au vieillard. Elle prend l'enfant dans le sein de sa mère, et guide les premiers pas. L'Etat commence par combattre la limitation des naissances. Il encourage le lapinisme intégral. Il ignore l'eugénisme. Il préfère, à la qualité, la quantité, qui fera des soldats et des bulletins de vote ! C'est toujours ça de gagné. Faites des enfants ! ne cessent de dire les riches à leurs serviteurs les pauvres. Mais eux se gardent bien d'en faire. On accorde aux mères lapines et aux pères lapins des tas de passe-droits qu'on refuse aux pauvres bougres de célibataires. Il est certain que l'Etat fait beaucoup pour les déshérités de ce monde, avec l'appui des donateurs, bienfaiteurs et autres, ce qui permet à l'administration de l'Assistance publique de boucler son budget. La fille-mère, la mère qui ne peut nourrir son enfant touchent des allocations (oh ! bien minimes), de vagues secours. Il semble vraiment qu'il n'y en ait que pour elles : crèches, pouponnières, que sais-je ? Tout cela, évidemment, c'est de la poudre aux yeux. Ça fait très bien dans un salon, quand on en parle, ou en période électorale. Cela permet aux dames patronnesses, déguisées en infirmières, de tripoter, de fricoter à qui mieux mieux. Ces « foyers », stigmatisés par Octave Mirbeau dans une pièce célèbre, voient éclore plus d'un scandale, aussitôt étouffés. Tous ces messieurs et dames, avec la complicité de l'Etat, protègent les tout-petits, et leurs pères et mères. Tel directeur de grand magasin lègue à l'Etat de fortes sommes pour que son nom soit vénéré à jamais de ses employés. Les « familles nombreuses » y trouvent leur compte. Les chers petits anges, dorlotés par les sœurs et par les curés, sont l'objet des attentions les plus délicates de la part des « bienfaiteurs » mâles et femelles (notons en passant que la pitié de ceux-ci s'étend aussi à nos frères inférieurs, chiens, chats et chevaux notamment, et que beaucoup de vieilles dames s'intéressent à leur sort. Il y a une Société dite Protectrice des Animaux, qui ne protège que ses membres. L'argent ne va pas aux bêtes, mais dans la poche de ses administrateurs. Nous sommes, là-dessus, particulièrement bien documentés).

L'Etat, - avec le concours des particuliers, - ou les particuliers avec le concours de l'Etat, s'occupent du sort des adolescents, de la « jeune fille », etc. Ouvroirs et orphelinats leur évitent les pires tentations. Les sociétés de scouts, sur lesquels il y aurait tant à dire, font le reste. Patronages, laïques ou non, sociétés de tir, de gymnastique, de préparation militaire, etc. sont, avec l'appui des « pères de famille », protecteurs de la veuve et de l'orphelin, parmi les moyens dont dispose la société pour faire l'éducation de la jeunesse.

L'âge mûr possède également ses protecteurs et ses protectrices : marraines de guerre, et de paix, tuteurs et tutrices de celui-ci ou celui-là, asiles d'aliénés nouveau modèle, prisons du dernier confort, etc., s'harmonisent avec l'hygiène sociale, la salubrité publique et autres balivernes qui servent à corser les boniments électoraux. Les casernes sont bien aérées. Les classes des écoles sont très attrayantes. Quant aux hôpitaux, on a envie d'y mourir (il y aurait beaucoup à dire sur les hôpitaux).

La vieillesse est également protégée et secourue. Secours, allocations, hospices, notre République égalitaire a bien fait les choses. La mort s'exploite au grand jour, le pauvre bougre ira pourrir dans la fosse commune si sa famille n'a pas les moyens d'engraisser les entrepreneurs de pompes funèbres !

Soupes populaires, - combien appétissantes ! - retraites ouvrières, assurances sociales, etc., quelle salade, et quelle bouillabaisse ! La bourgeoisie fait présent à ses pauvres des plats les plus faisandés : moyens de communication grotesques, spectacles abrutissants, bistros, beuglants, lupanars, cinés ... J'allais oublier les sports : boxe, tour de France, traversée de Paris à la nage, ou simples courses de midinettes... Avec cela le peuple est content, le peuple est heureux. Vraiment, la philanthropie, telle que l'entendent nos contemporains, est une belle chose. Elle fait « marcher » les gens, et ils marchent bien.

La démocratie redouble d'efforts pour rendre le palais du peuple habitable. Elle a réalisé de grands progrès, quand on pense à la façon dont on pratiquait l'hygiène sous l'ancien régime. Cependant bien peu de chose a été fait, tout n’est que façade et bluff. Des paroles. D'actes, point, ou si peu !

Les quelques réalisations tentées par la République dite démocratique pour remédier aux différents maux qu'elle entretient dans son sein sont stériles. Que n'ont pas inventé les maîtres de l'heure pour se faire pardonner leurs crimes et leurs méfaits ! Les manifestations de cette philanthropie « laïque et obligatoire » se répartissent, avons-nous dit, en plusieurs groupes. On peut les classer suivant qu'elles s'adressent à l'enfant, à la femme, au vieillard, au malade, à l'infirme, etc., selon qu'elles visent telle ou telle catégorie de travailleurs, etc. Pour la jeunesse, nous avons des orphelinats ; pour la vieillesse, des asiles ; pour les nécessiteux, des soupes populaires et des asiles de nuit ; pour les malades, des hôpitaux avec ou sans curés. Pour les femmes en couches, nous avons des secours, ainsi que pour les familles nombreuses (encouragement au lapinisme intégral). Nous avons un vieux stock de lois concernant les accidents du travail, les retraites ouvrières et les assurances sociales, etc., etc. Nous avons vraiment trop de « secours », pour qu'ils soient équitablement distribués.

Ne vaudrait-il pas mieux, pour l'individu, qu'il se débarrassât de cette charité légale et administrative, pire que le mal qu'elle prétend guérir et qu'en réalité elle s'efforce d'entretenir par tous les moyens ? Les classes dirigeantes, devant la misère créée par elles, se trouvent acculées dans une impasse, et s'efforcent de l'atténuer jusqu'à un certain point (il est nécessaire, en effet, de conserver une certaine dose de misère, pour que fonctionne normalement toute la machinerie sociale). Les accapareurs de la richesse ne savent qu'inventer pour endormir les consciences et maîtriser les estomacs de ceux qui souffrent et peinent pour eux. Mais ils ne parviennent pas à enrayer la vague de paupérisme dont ils sont les auteurs, et qui les emportera, un jour, comme fétu de paille !

On prend vraiment en pitié ces pauvres philanthropes qui suent sang et eau pour nous prouver qu'ils font le bien, - leur bien. Ils dansent, mangent et forniquent en musique, pour le bonheur de leurs semblables. Ils sauvegardent la vertu... des autres. Bals de charité, des Petits Lits Blancs (ma chère !), banquets monstres, soirées de galas, mascarades, travestis, divertissements variés, orgies, soulographies, « partouzes », versent dans les caisses des philanthropes des billets de banque et des pièces d'argent pour leurs « bonnes œuvres ». Les mendiants de profession, envoyés par les confréries aux portes des églises ou sur le passage des processions, opèrent aussi pour la communauté. Il y a des troncs dans les églises, cagnottes toutes trouvées dans lesquelles ses sacristains bien pensants puisent de quoi se saouler les jours de fêtes ! Avec cet argent, les curés entretiennent des danseuses et font des repas pantagruéliques.

Il y aurait une histoire de la philanthropie à écrire depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. On y verrait que les riches, sous tous les régimes et dans tous les pays, sont partout les mêmes. On verrait, sous toutes les latitudes, de « généreux philanthropes » qui ont voulu le bonheur de leurs semblables. Pour ne parler que de l'époque contemporaine, combien de patrons d'usine, de grands industriels, de milliardaires, de partisans des trusts à outrance et du système Taylor, essaient de faire oublier leurs... humbles débuts, l'esclavage et la sueur du peuple dont ils vivent, en fondant des cantines, des lieux d'amusements et autres façades pour entretenir dans la bonne voie le peuple des travailleurs (ceux-ci leur sont reconnaissants, si l'on en juge par les « fanfares » qu'ils exhibent dans les rues, pour la fête du « patron »).

Les philanthropes sont optimistes. Du moment que leur petit commerce prospère, ils sont contents. Tout leur sourit : les femmes, la fortune, la gloire... Leur portrait orne les taudis. Leur nom vole de bouche en bouche !

Point d'argent, point de philanthropes ! Quand ils « font la charité », c'est le ventre plein et le gousset bien garni. En somme, c'est surtout aux philanthropes que profite la philanthropie. C'est le plus clair de l'histoire !

La philanthropie, ce sont les pilules Pink de la misère ! Absorbées à petite dose, elles produisent des effets excellents, de l'avis même de ceux qui les avalent. De quoi les pauvres se plaignent-ils ? Ils ont tout pour être heureux. On les dorlote, on les nourrit, on les chauffe, on les loge, on les habille, on les entretient. On leur procure du travail. Tout est bien dans le meilleur des mondes. Nous avons, à Fresnes, une prison moderne. Nos casernes sont d'une propreté exemplaire. Les infirmes et les malades sont bien soignés, les épidémies sont enrayées. On trouve des docteurs à chaque coin de rue. Les chirurgiens ne chôment pas. La vie est belle !

- Gérard de LACAZE-DUTHIERS.