PHYSIQUE n. f. (du grec phusis, nature)
Alors que la mathématique a pour objet des créations abstraites de l'esprit, la physique, dont la chimie est aujourd'hui inséparable, étudie des réalités extérieures et sensibles, les phénomènes du monde inorganique. Et, comme ces réalités s'imposent à nous, il est indispensable de recourir à l'expérience pour les connaître scientifiquement. C'est Bacon qui, répudiant les conceptions finalistes chères à la physique de son temps, eut le mérite de proclamer avec force qu'il fallait renoncer à imaginer un monde conforme à nos désirs, pour observer les phénomènes avec précision et impartialité. La nature ne livre ses secrets qu'à ceux qui l'interrogent ; elle reste indéchiffrable pour quiconque s'en détourne et ne l'écoute pas. Descartes demandait, au contraire, que la méthode de la physique soit calquée sur celle des mathématiques. Persuadé que l’univers, en son fond, est quantité pure, que les données qualitatives dépendent du corps et des organes des sens, il accordait au raisonnement déductif une place de premier ordre. Toutefois, l'expérience conservait un double rôle : c'est elle qui posait les problèmes et c'est elle qui permettait de choisir entre les différentes solutions offertes par le calcul mathématique. Longtemps, la tendance expérimentale l'emporta. Si les mathématiques sont commodes pour formuler avec précision les lois découvertes, remarquait Newton, la découverte elle même est le résultat de l'observation. Au cours des XVIIIème et XIXème siècles, beaucoup de physiciens s'attachèrent à l'étude des faits, à la découverte de phénomènes encore ignorés, se bornant à transformer, dans la mesure du possible, les lois qualitatives en lois quantitatives d'un usage plus facile pour les applications pratiques. Puis l'on s'aperçut qu'il s'agissait, en bien des cas, de mouvements et d'ondes ; à l’origine du son, comme de la lumière, comme de certains phénomènes électriques, on trouve les vibrations d'un milieu approprié. Ainsi nous arrivent du soleil, sous forme ondulatoire, lumière, chaleur, électricité et peut-être cette force mystérieuse qu'on nomme l'attraction. Tout se meut, rien n'est inerte, au sens où l'on employait autre fois ce mot. Dès lors la mesure intervient pour déterminer les fréquences, les amplitudes, etc. ; la mécanique acquiert une importance primordiale et les formules algébriques se multiplient. Certaines parties de la physique ont aujourd'hui un caractère mathématique très accentué. Mais, comme le faisait déjà remarquer Leibniz, les mathématiques comportent une multitude de combinaisons possibles, seule l'expérience permet de distinguer celle qui est réelle de celles qui ne le sont pas. « Les limites mêmes, écrit Meyerson, entre ce à quoi nous devons attribuer une existence dans le sens physique, et les concepts qui ne sont que d'essence mathématique, nous sont inconnues ; parmi ceux que nous classons, à l'heure actuelle, dans cette dernière catégorie, il peut certainement y en avoir qui demain serviront à des explications en matière de physique. Par le fait, MM. Weyl et Eddington, dans leur tentative d'élargir les cadres de la théorie formulée par M. Einstein en y englobant les phénomènes électriques, ont manifestement recouru à une telle transformation du mathématique en physique. Ces tentatives, ou des tentatives plus hardies peut-être encore dans l'avenir, sont-elles destinées à réussir, c'est-à-dire à prévaloir dans l'esprit des hommes compétents et à s'installer à demeure dans la science ? Cela dépendra de la force explicative de ces déductions et, plus encore sans doute, de la manière dont pourra s'établir l'accord entre leur aboutissement et les résultats d'expériences nouvelles. Donc, en définitive, tout dans cet ordre d'idées dépend de la marche du savoir expérimental, rien n'étant pré visible a priori. » Ainsi l'expérience gardera toujours une place nécessaire en physique : nous avons précisé son rôle à propos de l'observation (voir ce mot). Il nous reste à montrer comment de la constatation des faits l'esprit s'élève à l'affirmation des lois. Déterminer la cause des phénomènes, c'est-à-dire leur antécédent nécessaire et suffisant, telle est la principale préoccupation des sciences physiques ; cette détermination accomplie, l'on peut exprimer les rapports qui relient antécédent et conséquent, formuler des lois. On suppose alors que chaque événement requiert des conditions précises, que, dans des circonstances identiques, les mêmes antécédents seront toujours suivis des mêmes conséquents. Le principe du déterminisme soutient l'édifice des lois physiques. Mais la découverte des causes est difficile. Nos sens ne perçoivent pas le lien causal ; ils nous présentent des successions de faits, sans nous renseigner sur la nature des rapports qui les unissent. J'attribue à la chaleur l'ébullition de l'eau, la dilatation du fer ; l’expérience me montre seulement des phénomènes qui se succèdent, en aucune façon je ne saisis l'action de la chaleur, soit sur l'eau, soit sur le fer. De plus, chaque conséquent est précédé d'une multitude de faits qui s'enchevêtrent et s'amalgament; rien ne distingue la cause véritable noyée au sein des autres antécédents. Et nous sommes incapables de réaliser un vide complet où chaque phénomène, introduit séparément, produirait les effets qui lui sont propres. L'isolement total d'un antécédent est, pour nous, chose irréalisable en pratique ; mais grâce au raisonnement, des expériences successives permettent d'aboutir, par élimination, à la coïncidence solitaire entre le phénomène-cause et le phénomène-effet. « Or, si une coïncidence, même répétée, constante et variée, ne suffit pas, dit Rabier, à prouver rigoureusement la causalité, quand cette coïncidence se produit au milieu de coïncidences multiples, c'est-à-dire quand l'antécédent et le conséquent sont mêlés et confondus dans une pluralité d’autres phénomènes, au contraire, un seul cas de coïncidence solitaire suffit à prouver un lien de causalité. Là, en effet, où un seul antécédent est donné, on ne saurait douter que cet antécédent ne soit la condition déterminante du phénomène. L'exclusion de tous les autres antécédents a exclu la possibilité de toute autre hypothèse. » C'est à réaliser la coïncidence solitaire que visent et les tables de Bacon et les méthodes de Stuart Mill. L'on aboutit à des rapports que l'esprit généralise, en vertu du principe d'universel déterminisme. Mais alors que, dans les sciences peu avancées, les lois restent, en général, d'ordre qualitatif, en physique et en chimie, elles dépassent, habituellement, ce stade pour devenir quantitatives. On ne se borne plus à décrire les phénomènes et à énoncer l'influence qu'ils exercent les uns sur les antres : à dire, par exemple, que l'aiguille aimantée dévie sous l'action d'un courant électrique ou d'un autre aimant. Grâce à une analyse quantitative minutieuse, à un dosage rigoureux des éléments en présence, le rapport causal peut s'exprimer en langage mathématique. Nous sommes alors renseignés sur ce que deviennent les facteurs mis en jeu dans les séries de faits successifs ; et les prévisions indispensables au technicien s'obtiennent avec une grande facilité. Ainsi, grâce aux formules algébriques, l'ingénieur calculera avec toute la précision désirable les résultats que l'on peut attendre d'une machine électrique ou thermique donnée. La méthode des variations concomitantes est d'un grand secours pour lier les intensités qualitatives à des rapports numériques. Repérées selon une échelle métrique, les qualités sont, à chaque instant, traduites en chiffres. Le lien causal se réduit au rapport qui unit les éléments quantitatifs de la cause aux éléments quantitatifs de l'effet. Et l'on n'a plus qu'à trouver la fonction appropriée, le mot fonction étant pris au sens mathématique, dans le nombre prodigieux de celles que renferment l'analyse et l'algèbre. Pour établir la formule de la loi, fréquemment l'on fait, d'ailleurs, abstraction d'irrégularités minimes, mais systématiques, qui croissent ou décroissent d'une façon méthodique. C'est la preuve que la loi est inexacte ; elle peut, néanmoins, être d'un grand secours dans la pratique et demeurer à titre de loi approchée. D'un emploi continuel dans l'industrie, les lois approchées se trouvent à l'origine de presque toutes les découvertes importantes. Lorsque les erreurs systématiques décroissent progressivement, en fonction de certaines circonstances, on a une loi limite. La loi de Mariotte, par exemple, devient d'autant plus exacte que l'on s'éloigne davantage de la pression et de la température critiques, c'est-à-dire de la pression et de la température requises pour la liquéfaction des gaz. Quant aux erreurs qui se distribuent sans ordre, dans des limites assez étroites et toujours les mêmes, elles ne prouvent rien contre l'expression mathématique de la loi. Elles proviennent seulement de l'imperfection de nos procédés, du manque de précision de nos expériences. Et, grâce aux formules mathématiques, surtout aux équations différentielles et aux représentations graphiques, nous saisissons mieux le passage de l'état initial à l'état final dans les transformations diverses de la causalité. Etude de toutes les formes possibles de relations, les mathématiques apparaissent à la dernière étape de la méthode des sciences physiques ; elles ne rendent pas l'expérience inutile, elles la précisent et la clarifient seulement. Aussi la déduction joue-t-elle un rôle sans cesse accru. Sans doute les principes, qui lui servent de base, ne sont pas l’expression pure et simple des données expérimentales, mais ils ne sont, en aucune façon, arbitraires ; Duhem a tort de prétendre qu'on ne saurait les dire vrais ou faux. Ils reposent sur un fond expérimental évident ; ce qui reste hypothétique, c'est l'extension universelle qu'on leur donne. Mais, considérés à leur juste valeur comme des règles que l'esprit peut transformer, les principes sont d'un grand secours en physique. « Bacon, écrit le professeur Bouasse, nous dit qu'il ne faut point attacher des ailes à l'entendement, mais, au contraire, du plomb qui le retienne et l’empêche de s'élancer de prime saut aux principes les plus élevés. C'est qu'en effet la tentation est forte, après quelques expériences, de chercher un système a priori, duquel on pourrait ensuite déduire tous les faits par simple raisonnement... ; c'est ainsi qu'ont procédé tous les anciens, c'est la cause de l'échec piteux de théories audacieuses comme celle des tourbillons de Descartes, et de tant d’autres que nous voyons apparaître triomphalement pour s'effondrer, après quelques mois ou quelques années. Leurs auteurs ont anticipé à l'excès sur l'expérience ; ils n'ont pas su choisir, parmi l'infinité des propositions générales contenant tous les faits connus, le vrai principe, celui qui interprète exactement la nature. Mais, pour nombreuses que soient les erreurs, l'audace est parfois couronnée de succès. Après avoir étudié le levier, la poulie, les machines simples peu nombreuses alors connues, et avoir exactement énoncé les lois particulières auxquelles elles obéissent, l'on a remarqué, vers 1620, que toutes ces lois étaient des cas particuliers d'une règle plus générale, à savoir : ce qu'on perd en force, on le gagne en déplacement. Toutes les machines inventées depuis, et le plus souvent même en se laissant guider par ce principe, machines dont le nombre se chiffre par milliers, y satisfont exactement. Assurément pas plus du temps de Galilée que du nôtre, on ne saurait donner une démonstration générale et a priori du principe du travail. C'est évident, puisque la démonstration a priori de sa vérité exigerait que l'on connût ce qu'il renferme, et tous les jours nous lui trouvons des applications nouvelles. L'énoncé de ce principe a donc été une heureuse divination ; il s'applique à tant de faits, il éclaire tant de problèmes que douter actuellement de sa certitude serait folie. A la vérité, les découvertes du siècle dernier ont prouvé qu'il n'était pas assez général ; on l'a complété par une nouvelle et heureuse divination, on en a fait le principe de la conservation de l'énergie, qui, jusqu'à présent, domine la science. » Rendue possible par l'existence de principes généraux, la déduction, qui est la forme explicative par excellence, permet de donner à la physique un caractère plus rationnel, plus cohérent. Les acquisitions inductives particulières sont rattachées les unes aux autres ; les lois sont groupées et hiérarchisées en système ; l'ensemble devient un tout organique qui se rapproche de l'unité. Excellente pour l'exposition didactique et utilisée dans l'enseignement pour ce motif, la déduction nous laisse tout ignorer par contre, des tâtonnements et des efforts qu'exige chaque découverte. Aussi se surajoute-t-elle à l'expérience et à l'induction sans les supprimer ni les reléguer au second plan.
Si l'on considère maintenant les résultats auxquels ont abouti les recherches des physiciens, ils apparaissent merveilleux. Jamais le génie inventif ne s'est montré plus fécond qu'au XIXème et XXème siècles. Ampère découvrit les lois de l’électromagnétisme ; Fresnel soutint la théorie des ondulations en optique ; Arago fit progresser l'étude des phénomènes lumineux et des phénomènes électriques ; Faraday attacha son nom a des travaux de premier ordre en électricité ; Niepce inventa la photographie ; avant Edison, Charles Cros, qu'on refusa de prendre au sérieux, imagina le phonographe ; Fulton appliqua la vapeur à la navigation ; Gramme, un simple ouvrier, a rendu pratique et facile l'utilisation, aujourd'hui considérable, des forces électromotrices ; Morse réalisa le télégraphe électromagnétique inscripteur de dépêches ; Graham Bell trouva le téléphone magnétique. Nous ne saurions donner la longue liste des inventeurs qui se sont illustrés depuis 130 ans. Néanmoins, rappelons encore qu'en 1895 Rœntgen dotait l'humanité des rayons X ; qu'en 1896 Henri Becquerel découvrait le rayonnement spontané de la matière et les faits de radioactivité ; qu'en 1898 M. et Mme Curie parvenaient, après de patientes recherches, à extraire le radium. Par ailleurs, l'Allemand Hertz démontra, en 1890, qu'il existait des ondes électriques analogues aux ondes lumineuses, et Branly, quelques années après, trouva un détecteur capable de les rendre perceptibles. De cette double découverte sortit la télégraphie sans fil. Au point de vue théorique, Maxwell, conduit par l’analogie des formules mathématiques qui les représentent, a ramené à l'unité les lois de l'optique et celles de l'électromagnétisme ; Louis de Broglie a supposé que le rayonnement de l'énergie éclairante se produisait quand l'atome libère des électrons, peut-être des électrons spéciaux, les photons, animés de mouvements vibratoires ; Einstein, qui occupe une chaire à l'université de Berlin, édifia, pendant la guerre, sa « théorie de la relativité », l'une des plus belles constructions de la pensée humaine, malgré les critiques qu'on peut lui adresser. L'histoire de la physique témoigne d'un effort continuel pour simplifier l'extrême complexité des phénomènes. Actuellement, si les chercheurs continuent à cultiver la science pour elle-même et si les découvertes s'avèrent importantes et nombreuses, le public s'arrête surtout à l'aspect pratique de la physique et de la chimie. « La période actuelle est arrivée, écrit Millikan, période extraordinaire de développement et de fécondité, période qui voit de nouveaux points de vue et même des phénomènes entièrement nouveaux se succéder si rapidement sur la scène de la physique, que les acteurs eux-mêmes savent à peine ce qui s'y passe, période pendant laquelle aussi le monde du commerce et de l'industrie adopte et adapte à ses propres besoins, avec une rapidité sans précédent, les plus récentes productions des laboratoires du physicien et du chimiste. Ainsi, le monde pratique des affaires s'empare des résultats de ces recherches d'hier qui ne se proposaient pas d'autre but que d'accroître un peu notre connaissance de la structure intime de la matière, et qui servent aujourd'hui à décupler la portée du téléphone ou à produire six fois plus de lumière qu'autrefois pour la même dépense d'énergie électrique. » Hélas, les découvertes scientifiques peuvent faire le malheur de notre espèce autant que son bonheur ! Grâce aux progrès de la physique et de la chimie, c'est par millions qu'on a tué les hommes pendant la guerre de 1914-1918 ! Aujourd'hui, c'est à la fabrication des gaz asphyxiants que s'intéressent de préférence les savants officiels. Comment ne pas maudire une science qui décuple sans arrêt la puissance des engins de mort ! Mais à qui la faute? En elle-même la science n'est qu'un instrument ; elle ne devient bonne ou mauvaise qu'en vue des fins pour lesquelles on l'utilise. La faute incombe aux professionnels de la haine, aux prêtres, aux moralistes grassement payés par l'Etat, à tous ceux qui, de façon sournoise ou brutale, retardent l'avènement d'une ère de fraternité.
- L. BARBEDETTE.
PHYSIQUE (CULTURE PHYSIQUE)
Méthode consistant, grâce à un ensemble d'exercices physiques appropriés, à développer harmonieusement l'être humain, tout en lui assurant un meilleur équilibre physiologique. Si un doute subsistait sur l'utilité et l'opportunité de la culture physique, il suffirait, pour être édifié, de comparer l'ensemble de nos contemporains aux magnifiques spécimens que les statuaires antiques nous ont légués. Nombreux sont ceux qu'une grotesque adiposité caractérise, cependant qu'un aussi grand nombre s'efforce de dissimuler par des artifices vestimentaires, vainement correctifs, une disgrâce anatomique où la cachexie a imprimé son sceau. Quant aux rares privilégiés arborant une esthétique de bon aloi, le dénombrement en est facile…
Ces déviations morphologiques sont regrettables en ce que, d'abord, elles accusent un écart déplorable entre la monstrueuse anomalie qu'elles réalisent et ce type de beauté idéale qui, autrefois, constituait la règle générale ; ensuite, parce qu'elles sont corrélatives d'une réduction très sensible de vitalité organique. Or, le vieil adage qui enseigne qu'un corps sain abrite un esprit parfaitement équilibré atteste que la décadence physique atteignant l'humanité dans la plupart de ses membres risque fort de se vérifier par une insuffisance mentale consécutive. Il y a donc urgence, pour le sociologue soucieux et avisé, à réagir énergiquement contre les causes, nombreuses, hélas ! de cet effondrement physico-mental, s'il tient à ménager les possibilités futures d'une organisation sociale qui exige de l'ensemble de ses composants un épanouissement général de toutes leurs facultés.
Il n'est pas téméraire d'affirmer, d'après les données scientifiques actuelles, que, trônant au sommet de la hiérarchie causale, un concept erroné de l'hygiène générale, malheureusement triomphant, intervient pour une part très importante dans cette décadence. Alimentation fantaisiste et vicieuse, toxicomanie polymorphe ; hydrophobie et aérophobie associent leurs funestes interventions et concourent à poursuivre l'œuvre désagrégeante. Renforçant cette ligue malfaisante, le sédentarisme entre en scène à son tour, parachevant supérieurement ce tragique dénouement.
C'est un fait que l'homme répudie de plus en plus l'effort. L'incessant perfectionnement des moyens de locomotion mécanique le soustrait au sport si salutaire de la marche. Le développement permanent et progressif du machinisme, le réduisant ou à une passivité totale ou à une spécialisation professionnelle anormale ; l'activité exclusivement intellectuelle qu'exigent d'innombrables professions ; l'oisiveté quasi-absolue d'un nombre important de privilégiés ; le confort ennemi de l'émulation et de l'effort musculaire, etc. ; bref, de multiples facteurs conduisent à cette carence de l'activité physique générale, si utile en soi, par l'effervescence vitale qu'elle alimente.
De ce qui précède, allons-nous récuser le progrès matériel et ses contingences et aboutirons-nous à cette conclusion qu'il n'y a de salut que dans un retour à la vie ancestrale, comme seule capable de nous rendre la vigueur perdue et le bien-être physiologique si gravement compromis ? Ce serait une absurdité !
Les moyens de transport rapide, outre qu'ils permettent une liaison plus étroite entre les différents groupements humains épars sur le globe, peuvent contribuer à réduire les causes de mésintelligence qui ont suscité, au cours des siècles, tant d'antagonismes. Ils coopèrent à cette édification mutuelle sur les innombrables phénomènes d'ordres divers qui se déroulent sur chaque point de la planète et accroissent sans cesse le bagage encyclopédique. Enfin ils assurent, avec la réalisation de mille autres bienfaits, une plus intelligente répartition des richesses terrestres. Le machinisme (voir ce mot), odieux parfois, en ce qu'il est aujourd'hui un instrument d'asservissement aux mains de castes insatiables, peut et doit devenir le véritable organe de libération de l'humanité entière en réduisant pour chacun au minimum l'indispensable somme de travail fastidieux. Non, la civilisation, dans ce qu'elle a de meilleur et de plus élevé, nous apporte trop de joies pour que nous désirions remonter à la nuit primitive. Le problème de régénération corporelle comporte, heureusement, d'autres solutions, et des remèdes actuels que nous allons étudier.
La fonction étant créatrice de l'organe et son rythme commandant en définitive ses possibilités, l'intégralité de cet organe, la plénitude de ses moyens sont sous la dépendance du mouvement fonctionnel. Un parallélisme étroit contrôle et régit cette solidarité, un pendule commun règle l'amplitude de leurs oscillations. Il convient donc de restituer aux organes humains, sous peine de voir s'accentuer leur décrépitude, l'activité appropriée à leur destination première, à leur raison spécifique.
Les anciens l'avaient fort bien compris Chinois, Indous, Perses, Grecs et Romains, ces derniers et avant-derniers surtout, moins éloignés que nous cependant d'une existence naturelle, mais prévoyant le danger d'une expectative portée à la hauteur d'un principe, instituèrent des méthodes d'éducation physique, dont la valeur, si nous en jugeons par les œuvres splendides enfantées par le génie des Praxitèle, des Polyclète, des Lysippe, ne le cédait en rien aux méthodes actuelles les plus éclairées. Palestres, thermes, gymnases étaient assidûment fréquentés par une foule avide de maintenir en bonne harmonie l'élégance des formes et le bien-être physique. L'invasion des barbares pulvérisant les civilisations grecques et romaines, puis le moyen âge obscurantiste vinrent étouffer ces élans vers l'utile et le beau. Après plus de mille ans d'interruption, le XIXème siècle s'illustra par une rénovation des principes culturistes. Avec Iahn en Prusse, Ling en Suède, puis Amoros en France, réapparurent les exercices corporels. En deçà et au delà du Rhin, la gymnastique d'agrès prévalut. Mieux avisé, le Docteur Ling s'inspira des exigences anatomiques pour rationaliser l'exercice.
Puis ce furent les sports athlétiques qui, avec leur brutal esprit de compétition et leur hantise des performances, dépassèrent le but érigé par l'éducateur éclairé. Pratiqués avec modération et une intelligente progression, expurgés de leur pratique de violence, les sports sont d'excellents moyens de développement et d'entretien physique. Mais ils ne sont guère accessibles qu'à la jeunesse, parce qu'ils nécessitent généralement des endroits spécialement aménagés et fort éloignés de l'habitat de chacun. Et parce que, surtout, ils exigent une préparation physique préalable, si l'on ne veut pas qu'ils risquent d'être plus dangereux qu'utiles. Mais il est facile de pallier à ces inconvénients de l'âge et du lieu, en s'imposant quotidiennement et méthodiquement, chez soi, un nombre déterminé d'exercices variés. Le résultat tangible est une régénération partielle ou totale, selon les cas, pour ceux atteints d'insuffisances fonctionnelles. Pour les rares privilégiés pourvus d'une impeccable santé, c'est la garantie d'un rassurant statu quo.
La physiologie nous enseigne qu'une masse musculaire en action est le siège de phénomènes congestifs (afflux sanguins) consécutifs à l'effort suscité. Les parties intramusculaires témoignent d'échanges intensifs inaccoutumés. L'oxydation profuse active les combustions, et l'élimination résiduelle s'organise avec une ampleur inconnue de la masse assoupie. L'activité, lorsqu'elle est méthodiquement dosée en fréquence et en tonalité, en intensifiant le phénomène de la nutrition, accroît la section musculaire et sa puissance dynamique, laquelle se traduit par une aptitude croissante à l'effort. La graisse parasitaire qui enrobe les fibres musculaires ne résiste pas au traitement. C'est donc en soumettant alternativement ou simultanément, d'après les nécessités anatomiques et physiologiques, les différents organes à des exercices spécifiques qu'il est possible de régénérer les anormaux et de cuirasser les autres contre la déchéance.
Evidemment - nous ne saurions trop le répéter - la culture physique n'est pas une panacée. Dans bien des cas, elle serait inopérante sans le concours des autres modalités hygiéniques. Mais leur combinaison énergiquement appliquée garantit le succès de cures inespérées.
La ptose gastro-intestinale, par exemple, si fréquente aujourd'hui, résulte d'un relâchement de la paroi musculaire abdominale, agent normal de contention des viscères stomaco-intestinaux ; elle est facilement réductible par l'application d'exercices abdominaux conjugués avec un régime alimentaire rationnel. La constipation la plus rebelle est justiciable du même traitement.
L'exercice respiratoire provoque les plus heureux effets. Il soumet le diaphragme à une gymnastique très active et exerce une véritable suroxygénation du sang. Mais il faut veiller à ce que les inspirations profondes soient suivies d'expirations totales assurant une contractilité fréquente et régulière des alvéoles pulmonaires. L'alternance non respectée expose aux dangers de l'emphysème (Docteur Lewy).
D'après le Docteur Pauchet (Restez Jeunes), l'exercice respiratoire stimule vigoureusement la thyroïde qui régit le métabolisme. Elle accroît la capacité thoraço-pulmonaire considérablement. Chez le sédentaire, dont les poumons fonctionnent au ralenti, les inspirations réduites n'insufflent de l'air pur que dans les régions intermédiaires. Les alvéoles de la base et des sommets ne connaissent ainsi le contact généreux du gaz vital. Etonnons-nous de la fréquence des lésions tuberculeuses observées dans ces régions déshéritées, qu'une abondante aération préserverait.
Les flexions et rotations du tronc assouplissent le corps et renforcent les muscles thoraciques et abdominaux. Ils exercent un véritable massage de l'estomac et du foie qui remédie à bien des défaillances de ces organes. La moelle épinière, ainsi que toutes les ramifications nerveuses qui s'irradient de l'axe central, bénéficient de ces divers mouvements.
Toute une gymnastique savante s'ingénie à corriger maintes déviations du squelette, des atrophies musculaires congénitales ou acquises, qu'une thérapeutique officinale n'avait fait qu'aggraver.
L'être humain n'a donc pas de meilleur serviteur que la gymnastique. Pour l'enfant et l'adolescent, elle est génératrice de vigueur, de souplesse, de santé, de joie, de beauté. Elle est, pour l'adulte, rectificatrice de malformations imputables au professionnalisme déformant, comme aussi de mille autres tares. Elle assure au vieillard une jeunesse prolongée et recule à l'extrême les limites de la vieillesse. Elle prépare un déclin sans décrépitude, la fin normale d'une lampe qui s'éteint.
La culture physique doit être pratiquée au grand air ou dans une pièce copieusement aérée et, si possible, ensoleillée, Qu'importe la saison ! Le nudisme - que l'accoutumance rend si aisé et si agréable - est de rigueur ou, à défaut, l'appareil vestimentaire le plus restreint (caleçon, culotte courte, ample et légère). Ceci pour permettre aux pores de la peau et aux glandes sudoripares d'accomplir leur tâche respiratoire et éliminatrice. Le corps entraîné s'adapte volontiers aux basses températures, surtout lorsqu'il est animé de mouvements rapides et ininterrompus. Ablutions totales, lotions circonstanciées, douches, laits, etc., s'intercaleront ou succèderont à chaque séance pour débarrasser l'épiderme de ses sécrétions toxiques. Dans leurs intervalles, les exercices seront accompagnés, puis suivis, de vigoureuses frictions concentriques à la main nue, puis au gant de crin. Leur action stimulante procurera les plus heureux effets.
L'heure du lever est préférable pour l'accomplissement de ce programme. Il précédera le petit déjeuner pour ne pas gêner la digestion. Mais, à défaut, n'importe quel moment de la journée peut être adopté dès l'instant qu'il sera antérieur aux repas.
Un nombre respectable d'ouvrages traitant de l'éducation physique constituent, par les enseignements qu'ils renferment, une véritable encyclopédie culturiste. Ils guideront le profane vers une initiation profitable et quintessenciée. Nous citerons, au hasard parmi d'autres non moins intéressants, ceux du Professeur Demeny, de Müller, du Commandant Hebert, du Professeur Desbonnet, du Docteur Ruffier, de Sandow, du Docteur Pagès, du Docteur Chauvois, du Docteur Pescher, etc., etc.
Nous accorderons cependant une mention spéciale à « Mon Système », de Müller, dont la formule inspirée de la gymnastique de Ling, résume les enseignements gymniques tout en les émaillant de judicieux principes d'hygiène. « Mon Système » sera le vade-mecum des non initiés.
Comme tout ce qui concerne la culture du moi, la pratique de la culture physique exige du postulant une volonté constante et tendue (mais elle a, en vertu de lois déjà citées, de bienfaisantes répercussions sur cette même volonté). Elle n'offre pas l'attrait des jeux de plein air, l'agrément des sports d'équipes par exemple. Le reproche le plus sérieux qu'on puisse lui faire est de manquer de gaîté. Mais si l'on met en balance le petit inconvénient que cela comporte et les immenses avantages qu'elle procure, le grief s'évanouit. D'ailleurs quiconque s'accorde régulièrement sa séance matinale d'assouplissement finit par en ressentir l’impérieux besoin et trouve, à l'accomplir, une réelle satisfaction. Et puis « Paris vaut bien une messe », disait Henri IV, exprimant par là qu'il serait malséant de reculer devant une chose relativement désagréable si elle est une source de profits.
Il serait souhaitable que l'enseignement pédagogique, qui n'aborde qu'avec une extrême timidité les importantes questions d'hygiène, assimilât à ses programmes l'initiation gymnique. Elle s'inspirerait profitablement des préceptes de la « Méthode Müller » et surtout de la « Méthode Hébert » qui joint l'utile à l'agréable.
Lorsque l'humanité entière sera conquise aux principes culturistes et ralliée aux autres formules d'hygiène, les innombrables fléaux pathogéniques qui l'accablent ne seront plus que souvenirs historiques, errements des époques où fleurissait une civilisation encore enlisée dans la barbarie.
- J. MELINE.
OUVRAGES RECOMMANDÉS. - Mon Système (Müller). - Le Code de la force ; Guide pratique d'éducation physique ; Les sports contre l'éducation physique (G. Hébert). - L'entraînement respiratoire par la méthode spiroscopique (Dr J. Pescher). - Soyons forts (Dr Ruffier). - Les dessanglés du ventre ; La machine humaine, anatomie (Dr Chauvois). - Ma méthode ; Manuel de culture physique (Dr Pagès). - Gymnastique suédoise (André et Kimlim). - La rééducation. respiratoire et les sports respiratoires (Sandow). - Restez jeunes ; L’éducation physique de l'enfant (Dr Pauchet). - Pour rendre nos enfants souples et gracieux (Lebigot et Coquerelle), etc., etc.