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PLAGIAT n. m.

On appelle communément plagiat le fait de « s'approprier la pensée d'autrui » (Larousse). « Quand un auteur vend les pensées d'un autre pour les siennes, ce larcin s’appelle plagiat. » (Voltaire.) Le plagiat est une des supercheries de « l'industrie littéraire », et l'une des plus graves, mais il n'est pas la plus grave. Celui qui s'approprie le bien d'autrui et qu'on appelle un « voleur » est souvent excusable, par exemple lorsqu'il n'a pas d'autre moyen d'assurer sa subsistance. Il est moins excusable lorsqu'il recherche un superflu ou obéit à des nécessités qui ne sont que conventionnelles. Il ne l'est plus du tout lorsque, ne se contentant pas de s'approprier le bien d'autrui sans nécessité véritable, il cherche, en outre, à discréditer et à ridiculiser sa victime, tel Tartufe voulant mettre le bonhomme Orgon hors de chez lui.

Les plagiaires ne sont pas des voleurs ordinaires ; ils n'ont pas l'excuse de la faim, même s'ils vivent de leur plume, car ils pourraient et ils devraient vivre d'autre chose, s'ils voulaient tenir leur plume avec toute la dignité désirable. (Voir Gens de Lettres). Les nécessités de l'homme de lettres, ou de celui qui se prétend tel, sont toutes conventionnelles et de l'ordre de la vanité ou de la cupidité. C'est par vanité ou pour s'enrichir, le plus souvent pour les deux, et non parce qu'ils ont faim, que tant de geais déshonorent la profession des lettres en se parant des plumes du paon.


« Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d’autrui,
Et que l'on nomme plagiaires »,

a dit La Fontaine. Dans la plupart des cas, ils sont simplement indélicats et leur faute est d'autant plus vénielle qu'elle ne tarde pas à être découverte et à leur rapporter plus de ridicule qu’ils n'en ont tiré de considération. Comme le geai de la fable, le plagiaire de cette sorte se voit :


« …............ bafoué,
Berné, sifflé, moqué, joué,
Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte. »

Ceux-là sont les simples plagiaires, trop simples pour être très malfaisants, qui se bornent à « coudre dans leurs rapsodies de longs passages d'un bon livre avec quelques petits changements » (Voltaire.) Mais il y a ceux qui ne se contentent pas de se parer des plumes du paon et se permettent de les tailler, de les arranger, de les adapter à leur façon, défigurant ainsi malignement les auteurs qu'ils ont dévalisés. Ceux-là ajoutent à l'indélicatesse la muflerie ; ils pratiquent un véritable banditisme artistique. Ce sont des tripatouilleurs et des vandales. (Voir Tripatouillage et Vandalisme.) Ils sont d'autant plus méprisables que leurs supercheries les font réussir auprès du public ignorant ou indifférent. Ils trônent parfois à l'Académie, sont des « chers maîtres » dans les revues et les journaux, pontifient dans les assemblées littéraires et artistiques. Or, il y a au bagne quantité de gens qui n'ont pas fait pire qu'eux et sont certainement plus excusables.

Le plagiat était, dans le droit romain, le crime de « celui qui débauchait ou recélait des esclaves, achetait sciemment une personne libre, ou enlevait des enfants » (Bescherelle). Le plagiaire (plagiarus, de plaga, plaie, coup) était condamné au fouet pour avoir commis le crime de plagiat. Martial, satirique romain, ayant fait un rapprochement entre le plagiaire et celui qui méritait le fouet de l'opinion publique pour s'être approprié les pensées d'autrui, il semble qu'il y ait eu là l'origine de l'application des mots plagiat et plagiaire à la friponnerie littéraire et, par extension, à celle de l'art. Car cette sorte d'industrie s'exerce aussi dans les beaux arts et les arts appliqués. Les Pierre Grassou, dont Balzac a conté la fortune, abondent dans le monde de la peinture, et il est plus facile de gagner des millions en pillant chez un musicien une quelconque Ramona qu'en s'appropriant une œuvre littéraire. Le plagiat est plus difficile à déceler en art qu'en littérature.

Michelet .a fait un des derniers emplois du mot plagiaire, suivant la définition antique, en appelant ainsi les Jésuites qui enlevaient les enfants à leurs mères. (Du prêtre et de la femme.) Le crime de plagiat, dans le sens du droit romain, a disparu de la loi moderne depuis la suppression légale de l'esclavage. Il ne subsiste que le crime d'enlèvement d'enfants, puni par les articles 354 et suivants du Code pénal français actuel. Le plagiat, dans son acception moderne, est considéré par le Code comme une atteinte à la propriété, sous le titre de « contrefaçon littéraire et artistique », et assimilé à la contrefaçon industrielle. C'est un délit qui relève des articles 425 et suivants du Code pénal. En fait, pour que le juge sévisse, il faut qu'il y ait justification d'un préjudice matériel résultant de la contrefaçon. Un plagiaire peut très bien être acquitté, bien qu'ayant commis le plagiat le plus manifeste, s'il est établi qu'il n'est pas résulté un préjudice de son larcin ; il peut même faire condamner celui qui, publiquement, lui a appliqué l'épithète de « plagiaire » bien qu'il la méritait, le mot étant un outrage, suivant la décision de la Cour de Montpellier du mois de mai 1929.

On était plus sévère, jadis, pour les voleurs littéraires. Au moyen âge, un nommé Fabre d'Uzès, qui s'était approprié les œuvres d'Albertet de Sisteron, après la mort de celui-ci, et les avait publiées sous son nom, fut pris et fustigé suivant la « loi des empereurs ». Depuis, la loi s'est faite plus indulgente. On a vu tant de personnages faire leur fortune académique par des larcins de cette espèce, qu'on est devenu beaucoup plus complaisant. Il y a à peine quelques années, on a décoré de la Légion d'honneur M. Ferdinand d'Orléans, duc de Montpensier, qui avait publié sous son nom et sous le titre : Notre France d'Extrême-Orient, avec une belle préface de M. le Myre de Vilers, député de la Cochinchine, un ouvrage pillé dans celui de deux fonctionnaires, MM. Russier et Brenier, intitulé : L'Indochine française. Sous Louis-Philippe, Eugène Bareste avait été décoré et chargé par le gouvernement d'aller « rechercher les choses homériennes », à la suite de la publication qu'il avait faite d'une traduction allemande de l'Iliade et l'Odyssée qu'il s'était appropriée. M. Arsène Houssaye fut honoré des faveurs ministérielles quand il publia une Histoire de la peinture flamande et hollandaise dont le texte et les planches étaient empruntés à d'autres. Le gouvernement de Louis-Philippe avait une excuse, il ignorait les plagiats révélés plus tard ; mais ceux qui ont décoré le duc de Montpensier n'ignoraient pas qu'il n'était qu'un plagiaire de la plus laide catégorie. Un autre plagiaire royal fut Joseph Bonaparte, ex-roi des Deux-Siciles et d'Espagne, qui fit rééditer sous son nom un poème historique d'un nommé Lorquet sur Napoléon. L'histoire fut racontée sous le titre : Le roi couvert des dépouilles du poète.

Au XVIIIe siècle, l'académicien Ripault Désormeaux devait ses travaux historiques à Dingé. Petit Radel avait fait paraître, avec sa signature, des notices de Teillac. Dupré de Saint-Maur, voulant avoir des droits à l'Académie Française, publia une traduction du Paradis Perdu, qui était de l'abbé de Boismorand. Au XIXe siècle, un prétendu orientaliste, Langlés, a fait sa réputation en plagiant de nombreux ouvrages, ceux entre autres de Galland. L'académicien Etienne a plagié une pièce de collège, Conaxa, dans la comédie Les Deux Gendres. Louis de Bacher, membre de l'Institut, prit intégralement un de ses ouvrages dans un de ceux du comte de Neny. Certaines oeuvres de Victor Cousin sont d'autres auteurs que lui. La traduction de Thomas Reid, signée de Th. Jouffroy, fut le travail de Garnier. Les éloges académiques prononcés par Dacier furent écrits par des secrétaires. Baour Lormian a publié, sous son nom, des ouvrages de Buchon et de Lamothe-Langon, celui-ci fabricant d'apocryphes et mystificateur professionnel. La vanité et le lucre, dans lesquels Quérard voyait les mobiles de ces usurpations de réputation, se sont ainsi manifestés trop souvent parmi l'engeance académique. Et la tradition persiste. De nos jours, le maréchal Foch, avec ses mots historiques, et M. Pierre Benoît, dans ses romans, l'ont brillamment continuée.

Il y a relativement peu de plagiats au sens littéral du mot, c'est-à-dire d'appropriation textuelle de la production d'autrui. Il faut être un prince, pour qui « tout ce qui est national est nôtre », pour la pratiquer avec la désinvolture d'un Bonaparte ou d'un Montpensier. Mais le plagiat qui va du simple emprunt plus ou moins déguisé jusqu'au tripatouillage le plus éhonté est innombrable.

S'il n'y a pas une unique origine à la pensée comme à l'espèce humaine, il y a une unité de la pensée des hommes. Il n'est pas douteux que son expression est limitée et que depuis longtemps elle a presque tout dit de ce qu'elle avait à dire. Elle a même tout dit, si l'on en croit La Bruyère, depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et ils sont tous des plagiaires. Malgré ce, cette pensée, ou du moins ce qui est présenté comme tel et n'en est pas une infâme caricature, n'a pas arrêté sa production et prétend toujours apporter du nouveau. De plus en plus, l'humanité parle et écrit. Elle n'a jamais fait tant de discours, imprimé tant de livres et de journaux qu'aujourd'hui. Aussi, chaque jour découvre-t-on que l'idée, le récit, la mélodie, le tableau, la statue, le monument qu'on croyait de l'invention de tel ou tel auteur, a existé avant lui, qu'il n'a fait que recommencer mieux ou plus mal l'œuvre d'un prédécesseur, et on découvre aussi que toujours plus en arrière, ce prédécesseur en avait eu d'autres. On a ainsi établi des chaînes, des filiations d'œuvres dont les sources sont toujours plus reculées vers une origine qui semble avoir été celle d'un système de pensée commun à tous les hommes, quels qu'aient été le lieu et l'époque de leur apparition sur le globe. Comment contester cette origine quand on retrouve sur les plateaux du Tibet, parmi des populations qui n'ont jamais eu aucune relation avec le monde occidental, les fables des Contes de Perrault ? (Voir Littérature.) Est-il une seule pensée de la philosophie la plus moderne qui ne se retrouve pas dans les lointaines Védas composées il y a plus de cinq mille ans ? Les migrations ne suffisent pas à expliquer cette origine puisque, dans le monde entier, les mêmes légendes, à peine déformées par les différences de milieux et de mœurs, se répètent chez les peuples de races les plus diverses.

Mais il y a à distinguer entre ce que Corneille appelait des « concurrences », qui sont les rencontres d'idées communes à l'espèce et font qu'un La Rochefoucauld dira, cinq mille ans après un ancien brahmane : « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement », et le plagiat que La Rochefoucauld a très probablement commis en prenant cette idée dans Cervantès, après que Cervantès lui-même l'eût prise à un de ses devanciers. Il y a entre les deux choses tout ce qui constitue ce que S. Zweig, dans son ouvrage sur Freud, a appelé : la création, « ce don de voir des choses archi-vieilles et immuables comme si jamais ne les avait illuminées l'étoile d'un œil humain, d'exprimer ce qui fut dit mille fois avec autant de fraîcheur virginale que si jamais la bouche d'un mortel ne l'avait prononcé ».

Il y a aussi à distinguer entre le plagiat consistant à prendre les idées des autres pour en faire une œuvre nouvelle, leur donner des développements plus complets, une forme plus parfaite, pour les mettre en lumière et les répandre alors qu'elles étaient perdues, cachées dans une gangue obscure, et le plagiat appropriation vulgaire de celui qui se croit très habile en déposant son nom, comme une crotte, sur le livre, le tableau ou la symphonie d'un autre. Les hommes qui disparaissent laissent à ceux qui les suivent un héritage de pensée et d'art comme ils leur laissent tous les produits, toutes les richesses de leur travail, de leur invention, de leur habileté, pour qu à leur tour ils les fassent valoir et les perfectionnent avant de les transmettre à leurs successeurs. C'est la marche du progrès. C'est par elle que nous ne vivons et que nous ne pensons plus dans les formes de notre lointain ancêtre des cavernes. Mais Descartes n'a pas plus inventé le « je pense, donc je suis », que Cicéron disant, avant lui : « vivere est cogitare », et que les constructeurs des palaces actuels n'ont inventé le ciment et le verre dont ils se servent. Piron a dit spirituellement :


« Nos aïeux ont pensé presque tout ce qu'on pense
Leurs écrits sont des vols qu'ils nous ont fait d'avance.
Mais le remède est simple, il faut f·aire comme eux :
Ils nous ont dérobés, dérobons nos neveux. »

C'est la bonne formule pour prouver que nos aïeux ne nous ont pas laissé un héritage inutile parce que nous le gaspillerons.

Il y a, dans la marche des idées, une infinité d'états, comme entre le grain d'où sortira la fleur et la fleur qui tombera en pourriture. Il y a, parmi ceux qui les utilisent, le prestidigitateur qui en tire un brillant feu d'artifices, l'artiste qui en fait jaillir une source de profonde émotion humaine, ou le lourdaud entrant dans leur domaine à la façon d'un éléphant qui s'ébattrait dans un dépôt de porcelaines et s'oublierait dans tous les coins. A. France a dit fort justement : « Une situation appartient non pas à qui l'a trouvée le premier, mais bien à qui l'a fixée fortement dans la mémoire des hommes ». Il y a là la justification du plagiaire prestidigitateur et artiste, et la condamnation du plagiaire lourdaud. On a prouvé que sur six mille vers attribués à Shakespeare, quatre mille ne seraient pas de lui. Qu'importe si l'emploi que Shakespeare a fait de ces quatre mille vers, empruntés un peu partout, leur vaut une mise en valeur que leurs véritables auteurs, en les noyant dans un galimatias plus ou moins informe, ne leur ont pas donnée ! Est-il un plagiaire celui qui fait un collier royal de cent pierres précieuses ramassées dans cent ruisseaux du monde ? Ce qui fait l'importance et la valeur d'une œuvre, c'est souvent moins la nouveauté de la pensée qu'elle apporte que l'expression qu'elle donne à une pensée qui est celle d'un certain nombre. Le véritable plagiat n'est pas dans la rencontre inconsciente d'idées semblables, pas plus que dans la ressemblance de gens ayant la même couleur de peau, la même taille, la même forme de nez ; il est dans l'appropriation préméditée de la production d'un autre, dans le fait de prendre le visage d'un autre, et encore comporte-t-il des nuances suivant les cas.

De tout temps il y a eu des plagiaires. Dès qu'un homme a eu émis une idée, un voisin s'en est emparé et l’a répandue parmi d'autres qui ont prétendu en être les auteurs, et cette idée s'est rencontrée un jour avec celle semblable qu'un autre avait eue dans une autre région. L'antiquité a abondé en plagiaires de toutes sortes. Ils sont pour la plupart inconnus pour toujours parce que disparus de la mémoire des hommes avec ceux qu'ils ont plagiés. Mais il reste des exemples nombreux. Le « fumier d'Ennius », dont Virgile a fait sortir de si belles fleurs, a produit d'autres floraisons. Si certaines sont allées à l'oubli, d'autres sont demeurées avec toutes leurs couleurs. La Bible, ouvrage le plus ancien du monde judéo-chrétien, n'est faite que de plagiats et a alimenté d'autres plagiats. Ses premiers livres ont été formés de toutes les légendes universelles. Les Proverbes de Salomon ne sont que la transcription des préceptes égyptiens d'Amen-em-opé. Les Psaumes et le Cantique des Cantiques sont la transposition presque littérale des hymnes religieux et des chants d'amour égyptiens. (Couchoud : Théophile.) Une des plus belles images de l'Evangile, celle du Fils de l’homme qui n'a pas une pierre pour reposer sa tête, vient directement d'un discours de Tiberius Gracchus disant : « Les bêtes sauvages de l'Italie ont un gîte, une tanière, une caverne. Les hommes qui combattent pour l'Italie ont en partage l'air et la lumière, rien de plus. Ils n'ont ni toit ni demeure ; ils errent de tous côtés avec leurs femmes et leurs enfants... On les appelle les maîtres du monde, et ils ne possèdent pas une motte de terre. » Les textes des auteurs primitifs de l'Eglise ont été pillés dans les œuvres du paganisme, avant que l'Eglise cherchât à anéantir ce paganisme. De même que les basiliques, les allégories et les hymnes païennes sont devenues les premiers temples, la première peinture, la première musique chrétiens ; tous les dogmes, tous les symboles, toute la liturgie du christianisme sont plagiés de l'antiquité et dans des formes souvent bien inférieures.

Il n'est pas d'auteur antique qui ait échappé à l'accusation de plagiat. L'ignorance générale l'a favorisé au moyen âge, en même temps que le zèle des propagandistes religieux multipliait les « pieuses jongleries » de leurs tripatouillages. Dans les temps modernes, « bien des écrivains ne se sont pas bornés à glaner, ils ont moissonné dans les champs d'autrui », a dit Mayeul Chaudon. Montaigne a pris énormément à l'antiquité, à Sénèque et à Plutarque en particulier, et il l'a déclaré honnêtement. Dante, Rabelais, Shakespeare, Corneille, Pascal, Milton, Racine, Molière, La Fontaine, Bossuet, Voltaire, Rousseau, pour ne citer que les plus illustres, ont été les plus effrontés plagiaires du monde, si l'on appelle plagiat le fait de prendre une idée ou une situation déjà connue et d'en faire un chef-d'œuvre. On attribue à Shakespeare, qui n'a peut-être jamais existé que par l'œuvre portant son nom, cette réponse au reproche d'avoir pris une scène dans une pièce d'un autre auteur : « C'est une fille que j'ai tirée de la mauvaise société pour la faire entrer dans la bonne. » Molière disait : « Je prends mon bien où je le trouve. » A. Dumas voyait dans le plagiat, avec un certain cynisme, une « conquête » de l'homme de génie faisant « de la province qu'il prend une annexe de son empire ; il lui impose ses lois, il la peuple de ses sujets, il étend son sceptre d'or sur elle, et nul n'ose lui dire en voyant son beau royaume : « Cette parcelle de terre ne fait point partie de ton patrimoine. » A. Dumas, lui, étendait son propre patrimoine à toute l’histoire de la France qu'une centaine de « nègres » tripatouillaient pour son compte et dont il signait les élucubrations. Combien d'autres ont fait encore plus mal que lui ! Car le malheur est que le plagiat n'est pas toujours le fait de l'homme de génie faisant un joyau de ce qui était informe, mais qu'il est le plus souvent le fait de pillards sans talent autant que sans vergogne. Un certain Ramsay, qui avait copié mot pour mot des passages de Bossuet et avait été pris la main dans le sac par Voltaire, répondait insolemment « qu'on pouvait se rencontrer, qu'il n'était pas étonnant qu'il pensât comme Fénelon et s'exprimât comme Bossuet » !

Les pillards sont même sans politesse, poussant la muflerie jusqu'à injurier leurs victimes. Ils ne leur suffit pas de boire dans le verre des autres, ils crachent dedans. C'est ainsi que Castil Blaze, un des plus sots critiques musicaux qui aient existé, traitait Rousseau d'ignorant après avoir capté dans son Dictionnaire de la musique trois cent quarante deux articles et se les êtres attribués ! Le philologue Lefebvre de Villebrune, qui avait pillé 6.200 notes dans l'œuvre de Casaubon, injuria celui-ci dans sa traduction d'Athénée. Comme il faut de tout pour faire un monde, surtout celui des pillards littéraires, il y a aussi parmi eux des humo­ristes. Un Dominique de Hottinga a parlé des « longues veilles » que son travail lui a coûtées, dans une traduction de la Polygraphie de Trithème qu'il a volée à Collange. Un Lajarry ayant pillé, dans Andrieux, une pièce qu'il publia sous le titre : Saint Thomas, la présenta comme « une rêverie émanée de ses loisirs » ! Il y a enfin chez ces pillards, comme dans toutes les mauvaises compagnies, des moralistes, hypocrites raffinés, anormaux et pervertis, qui sont les plus nombreux et travaillent dans la vertu et la pornographie combinées ; les Louis de Bans et les Bacon-Tacon qui plagient la Fausseté des vertus humaines et des Discours sur les mœurs ! Le fin du fin de cette tartuferie est dans le cas de ceux qui, jugeant « infâmes » des Vénus au couvent, les écrivent et les éditent sous des noms supposés. Ainsi, sous le pseudonyme Le Cosmopolite, le duc d'Aiguillon fit imprimer un Recueil de pièces choisies parmi les plus licencieuses, entre autres le Bordel céleste d'un pauvre diable, Pierre le Petit, qui avait été pendu puis brûlé vers 1670 pour avoir commis cette impiété. Grands seigneurs et abbés de cour en faisaient leurs délices.

Le plagiat fut de mode à partir du XVIIe siècle. C'était une façon de se distinguer que de s'attribuer l'esprit des autres. Les gens du monde se faisaient passer volontiers pour les auteurs des écrits de plumitifs besogneux et anonymes qui couraient les ruelles et la Cour. Un nommé Richesource, qui avait pris le titre de « Directeur de l'Académie des orateurs philosophes », enseignait comment on pouvait devenir distingué en pratiquant le plagiarisme dont il définissait ainsi l'art : « celui de changer ou déguiser toutes sortes de discours, composés par les orateurs ou sortis d'une plume étrangère, de telle sorte qu'il devienne impossible à l'auteur lui-même de reconnaître son propre ouvrage, son propre style, et le fond de son œuvre, tant le tout aura été adroitement déguisé. » Un quatrain paru dans l'Almanach des Muses, en 1791, a jugé ainsi cette méthode


« Quoi qu'en disent certains railleurs,
J'imite et jamais je ne pille.
- Vous avez raison., monsieur Drille,
Oui, vous imitez... les voleurs. »

Le XIXe siècle a eu, comme les précédents, ses plagiaires plus ou moins coupables, plus ou moins cyniques, parmi ses grands hommes et surtout ses moyens et petits auteurs : Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Balzac, Alfred de Musset qui prétendait pourtant ne boire que dans son verre et avait dit sévèrement : « Voler une pensée, un mot, doit être regardé comme un crime en littérature. » Stendhal, Baudelaire, A. Dumas père et fils, Scribe, Sardou qui fit une enquête sur le plagiat « considéré comme un des beaux arts », E. About, Renan, A. France, Zola, Coppée, J. Lorrain, E. Rostand, etc. Parmi les plagiats ou rencontres d'idées et de situations que nous n'avons pas vus signalés, indiquons la parenté curieuse du sujet du Bal de Sceaux, écrit par Balzac, en 1829, et de celui de Horatio Sparkins, de Dickens, paru après. Par contre le David Copperfield, de Dickens, fut publié bien avant Jack, d'A. Daudet, qui parait en avoir été directement inspiré. II y a aussi une parenté frappante entre l'Aiglon, d'E. Rostand et certains épisodes des Mohicans de Paris, d'A. Dumas. M. Barrés semble avoir pensé au frère Calotus d'A. Rimbaud quand il a vitupéré les « accroupis de Vendôme », et M. P. Bourget paraît s'être un peu trop souvenu d'Hamlet quand il a écrit André Cornélis. M. Maurice Rostand, insupportable cabotin qui avait pillé Dickens, le plaignit quand il fut lui-même pillé ; double profit publicitaire, M. Louis Dumur a inventé un type, Un Coco de génie, qui pratique le plagiat quand il est en état de somnambulisme. C'est un aspect littéraire de la psychopathie.

Depuis 1670 que parut le premier ouvrage dévoilant les anonymes et les pseudonymes, celui de Fréd. Geisler, et depuis l'ouvrage d'Adrien Baillet, les Auteurs déguisés, le plagiat a été souvent dénoncé, ainsi que toutes les formes de supercheries littéraires. On a eu le Dictionnaire des ouvrages anonymes, par Barbier, en 1806-1808, puis les Questions de littérature légale, de Ch. Nodier, le Bulletin du bibliophile belge, de F. de Reiffenberg, et les Curiosités littéraires, de Lalanne.

L'ouvrage le plus complet sur ces questions est : Les Supercheries littéraires dévoilées, se J. M. Quérard, paru en 1847 et réédité avec de nombreux compléments en 1869. Il demeure un précieux document pour les recherches bibliographiques. Depuis Quérard, d'autres ont dénoncé des plagiats plus modernes. M. G. Maurevert, entre autres, a composé le Livre des plagiats où il en a fait connaître de nombreux d'auteurs contemporains. Car l'industrie des plagiaires ne chôme guère, pas plus que celle de toutes les autres supercheries. Nous verrons, au mot tripatouillage, que ces supercheries se sont multipliées et ont pris un caractère inouï de banditisme littéraire, grâce à la fabrication cinématographique qui a supprimé tout respect de la pensée et tout scrupule d'art, faisant du milieu spécial où cette fabrication s'exerce une véritable foire d'empoigne et un laboratoire d'horreurs.

De plus en plus, les auteurs se pillent entre eux. C'est le plus clair de leur génie puffiste et publicitaire. Ça fait du bruit dans les journaux, il y a même des procès. Tous les morts-nés de la littérature et de l'art, devenus des « chers maîtres » avant d'avoir rien produit, les fournisseurs du snobisme actuel, les directeurs de conscience et d'esthétique du muflisme, vivent et prospèrent de l'industrie du plagiarisme. Rapetasseurs de vieilles savates, rongeurs de rogatons, collecteurs d'épluchures, ils ont le nez dans toutes les poubelles de l'histoire, les yeux et les mains dans toutes les œuvres des voisins. Ils sont les chiens à qui Edgar Poe voulait interdire l'entrée des cimetières parce qu’ils grattent et fouillent partout, profanent tout, pissent sur tout. Ils le sont cyniquement, pratiquant le plagiat comme moyen de réclame, D'ailleurs, on ne les prend jamais sans vert. Stendhal, qui, sous le pseudonyme de Bombet, avait pillé l'Italien Carpini pour faire sa Vie de Haydn, s'efforça de ridiculiser sa victime quand elle eut le mauvais goût de se plaindre. Aujourd'hui. M. Pierre Benoît a déclaré, en faisant une pirouette qui lui a gagné l'Académie Française, qu'il avait voulu « appâter les imbéciles ». Les imbéciles sont ceux qui ont dénoncé ses supercheries en faisant connaître les auteurs et les textes où il avait puisé, notamment dans V. Hugo. Aussi, le plagiat, plus ou moins aggravé de tripatouillage, est-il de plus en plus dans les mœurs, et on peut s'attendre à voir l’Académie Française décerner un jour prochain un Grand prix du plagiat. Il ne sera, d'ailleurs, pas plus immoral que ses Prix de Vertu !

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Au plagiat, on peut rattacher le pastiche, imitation de la manière d'un auteur, quand il n'est pas d'intention satirique dans le but évident de faire ressortir, en les grossissant, les défauts de celui qu'il imite et qu'il n'est pas alors de la parodie. En musique, le pastiche fut nettement du plagiat et du tripatouillage lorsque des entrepreneurs prirent des morceaux de compositeurs divers et les « arrangèrent » pour en faire des œuvres nouvelles. Les plus cyniques de ces entrepreneurs furent deux musicastres, Lachnith et Kalbreuner qui firent, en 1803 et 1805, deux oratorios, Saül et la Prise de Jéricho, dont la musique fut pillée dans une douzaine d'auteurs. Lachnith poussait le cynisme jusqu'à s'écrier, pendant qu'on jouait des airs de Mozart qu'il s'était attribués : « Non, je ne ferai jamais rien de plus beau ! » Chargé d'adapter la Flûte Enchantée, de Mozart, pour l'Opéra de Paris, il en fit un salmigondis, sous le titre : Les Mystères d'Isis. Son compère Kalbreuner se chargea du tripatouillage de Don Juan, dans lequel il introduisit de la musique de sa façon. Le pastiche musical est pratiqué aujourd'hui d'une façon moins grossière, plus savante ; l'emploi de la pensée et de la manière d'autrui, habilement dissimulé, n'a plus que l'aspect de réminiscences. M. Saint-Saêns a été, sans l'avouer, le plus adroit pasticheur musical. Il a fait de l'Haendel, du Mozart, du Gluck, du Berlioz, du Liszt, du Wagner, et aussi du Meyerbeer, mieux que tous ces musiciens, comme les Pierre Grassou font du Raphaël, du Rembrandt, du Watteau, du Corot, du Daumier et même du Bonnat, mieux que tous ces peintres.

En littérature, on tient le pastiche en haute estime comme étant, dit-on, le signe d'une culture étendue, d'un esprit critique aigu, d'une souplesse de pensée remarquable. Et il convient admirablement à notre époque, dit-on aussi, parce qu'il est « la forme la plus rapide et la plus portative de la critique ». (M. F. Gregh). Il n'est plus la peine de perdre son temps à lire les grands ouvrages pour se faire une opinion sur eux ; le pastiche les sert concentrés avec leurs qualités et leurs défauts comme un Liebig littéraire. II y a, nous semble-t-il, contradiction entre les qualités nécessaires aux faiseurs du pastiche, entre les connaissances étendues qu'il réclame, la préparation studieuse qu'il demande, le travail de lecture et de réflexion qu'il impose, et cette critique rapide et portative qui correspond plutôt aux formes trépidantes, bruyantes et vides de la littérature actuelle aussi pressée de n'arriver nulle part que la justice de Méphistophélès : avion, paquebot, auto, cinéma, reportage, machine à écrire, télégraphe, téléphone, tous moyens qui ne s'accordent guère avec le travail de bibliothèque et de pensée tranquille que cette littérature laisse aux « poussahs » littéraires. Le pastiche est, au contraire, de notre temps, un anachronisme. Il est de vieille formation scolastique. On dut l'enseigner au moyen âge, et même avant dans l'antiquité, pour imiter autrui. Il a été l'apocryphe qui, sous le couvert de cette imitation, a servi à répandre tant de falsifications de la pensée, comme nous allons le voir. Aujourd'hui encore, on enseigne le pastiche dans les collèges, ce qui explique sans doute que tant de professeurs excellent dans ce genre. Mais ce n’est pas une des moindres incohérences de notre époque « rationalisée » que d’apprendre à des jeunes gens dont on fera des officiers, des ingénieurs, des banquiers, des commis voyageurs, à imiter Boileau écrivant à Racine au sujet de sa lettre sur les Hérésies imaginaires, ou Maucroix déconseillant La Fontaine de continuer sa tragédie d'Achille !... Quoi qu'on en puisse dire, le pastiche n'a pas de vie originale ; il est un signe des temps de la décadence littéraire, des époques où la pensée, apeurée devant les réalités, se réfugie dans les superfluités rhétoriciennes. Notre temps s'attache au pastiche comme le XVIIe siècle s'attacha au gongorisme. Comment les littérateurs auraient-ils une pensée originale, alors qu'ils ne comprennent pas le fait social, redoutent ses conséquences, et s'efforcent d'être hostiles à la marée montante, irrésistible, d’un monde nouveau qui les emportera avec toute la vieille scolastique usée, vidée, finie, pour ouvrir devant les hommes les voies de la vie ?

Le pastiche est inoffensif tant qu'il ne se présente que comme un amusement littéraire d'une intention avouée par son auteur. Mais beaucoup de pastiches sont des apocryphes dont les auteurs ne se sont pas fait connaître, dont le but, a dit Quérard, a été de tout temps « soit le charlatanisme, soit la mystification », et qui multiplient la confusion dans l'histoire. C'est. ainsi qu'on a imputé à des poètes célèbres des poèmes qu'ils n'ont jamais écrits. La Batrachomiomachie, attribuée faussement à Homère, le Du Culex et le Du Ciris, qu'on a mis au compte de Virgile, sont des apocryphes. Des Lettres de Thémistocle, de Phalaris, d'Apollonius de Tyane, des Fables d’Esope, ont été composées par le moine Planudes. L'Eglise a fait un usage exagéré de l'apocryphe pour les besoins de son opportunisme, pour appuyer de prétendues autorités ses décisions contradictoires. Il y a ainsi de faux ouvrages des Pères de l'Eglise, de fausses décrétales des papes, de faux traités des saints Ambroise, Athanase, Augustin, Bernard, une Histoire apostolique d'Abdias, un des soixante disciples de J. C. et premier évêque de Babylone, qui ont été fabriqués aux XVe et XVIe siècles. Erasme se plaignait, au XVIe siècle, de ne posséder aucun texte des Pères de l'Eglise qui n’eût été falsifié. Les fraudes les plus grossières ont été inventées par des prélats et de simples moines. Eusèbe tenait pour authentique une lettre de J. C. à Abgar, roi d'Edesse ; en plein XIXe siècle on répandait encore, dans les campagnes françaises, de prétendues lettres de J.C.!... D'autre part, les récits mythologiques sont pleins de soi-disant écrits d'Hermès, Horus, Orphée, Daphné, Linus et autres personnages légendaires n'ayant probablement jamais existé. L'écossais Mac Pherson inventa, au XVIIIe siècle, le barde Ossian qui fut un des héros du snobisme romantique. Sigonius publia, en 1583, un faux Cicéron, le Consolatio, que certains veulent encore tenir pour authentique. Il y eut de faux Pétrone, de faux Athénagore, de faux Catulle. On a vu depuis de faux La Fontaine, Sévigné, Corneille, Molière, Fénelon, Fléchier, Diderot, Condorcet, Walter Scott, Byron, etc., qui n'étaient que des pastiches, mais non avoués par leurs auteurs. Combien de ces choses fausses sont toujours tenues pour véridiques et continuent à faire autorité dans l'histoire littéraire et dans l'histoire tout court ! Si, de temps en temps, on découvre la mystification des lettres de Cléopâtre, de Marie-Madeleine, de Vercingétorix, de Clovis, fabriquées par un Lucas Vrin, ou d'une tiare de Staïtapharnés, ou de la peinture de Boronali, combien le plutarquisme (voir ce mot) ne se nourrit-il pas toujours d' « apocryphités » dont personne ne con­ teste l'authenticité, et combien de fausses œuvres représentent l'histoire de l'art dans les musées !

Le pastiche, même quand il n'a pas les conséquences dangereuses de la mystification apocryphe et n'est que la forme élégante du plagiat, ne mérite pas plus d'estime. Il est le produit d'une société qui a peur de la pensée et s'efforce de se survivre dans la pérennité d'un passé momifié et périmé.

- Edouard ROTHEN.