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PRIÈRE n. f.

La prière est une supplication adressée aux puissances extra-naturelles afin d'en obtenir une grâce ou pour les honorer.

Par son apparition dans le culte, la prière marque une évolution du sentiment religieux. Dans la période du fétichisme primitif, il n'existe ni temples, ni rites, ni prières. Le fétiche étant considéré comme un dieu portatif, un porte-bonheur, il suffit donc de l'avoir constamment avec soi pour être préservé des accidents et des contrariétés.

La divinité, quelque forme qu'elle prenne, est toujours la réalisation inconsciente des sentiments mêmes de l'homme, une projection spontanée de ses conceptions et de sa propre mentalité. On conçoit que la nature brutale du primitif, à peine accessible aux sentiments altruistes (compassion, reconnaissance, bienveillance, etc.), ne le porte guère à prêter aux dieux des sentiments qu'il ne possède pas lui-même. L'idée de prier les esprits, afin de les émouvoir et de les disposer favorablement, ne saurait donc, dans le principe, se présenter à lui. Il communique naturellement aux dieux l'égoïsme féroce que lui impose la lutte pour la vie et les terribles difficultés qu'il trouve à satisfaire ses besoins. Ce n'est que plus tard, beaucoup plus tard, quand il commence à s'humaniser, qu'il devient capable de comprendre que la prière, les offrandes, les génuflexions sont susceptibles d'avoir d'heureuses répercussions sur l'esprit du fétiche protecteur. Cette extension anthropomorphique de la conception religieuse coïncide avec l’apparition de l'idolâtrie. Le même enchaînement d'idées qui donne au fétiche l'apparence humaine conduit tout naturellement à lui prêter des sentiments humains. Du jour que les hommes ont cru pouvoir, par des prières, déterminer, chez leurs semblables, une modification avantageuse pour leurs désirs, il eût été étrange qu'ils n'eussent point usé de cette ressource à l'égard d'êtres qui leur apparaissaient comme plus ou moins semblables à eux-mêmes, sauf cette différence qu'ils les croyaient plus puissants et que, par conséquent, ils avaient d'autant plus intérêt à s'assurer leur bienveillance.

Aussi la prière, comme le sacrifice religieux (voir ce mot), a-t-elle toujours présenté deux caractères significatifs, caractères dont elle n'a jamais pu, quel que soit le degré d'évolution du sentiment religieux, se débarrasser.

D'abord, elle n'a jamais d'autre but que l'obtention d'un avantage matériel déterminé ; ensuite elle suppose que l'entité à laquelle elle s'adresse ne peut être sensible qu'à un intérêt du même genre. En conséquence elle s'accompagne généralement d'une offrande qui lui donne l'apparence d'un marché. Donnant, donnant ! C'est toujours le paiement anticipé d'une grâce ou d'une protection. C'est avant tout un échange proposé par l'homme à des puissances qu'il a douées d'appétit et de volonté, de sens et de raisonnement humain. L'homme ne traite pas d'égal à égal avec les dieux qu'il s'est donnés. En les créant, il s'est acquis des maîtres redoutables, le plus souvent malveillants et susceptibles, et qu'il est aisé d'offenser. Devant eux, il est comme le serf devant le baron féodal, comme le sujet devant le maître capricieux. Il ne doit pas seulement négocier les bienfaits qu'il implore, mais alléger le joug que la divinité fait peser sur lui. Il doit éloigner de lui et des siens les catastrophes suspendues sur sa tête : famines, maladies, fléaux divers, calamités, désastres publics et privés. De plus, il doit encore implorer la remise plus ou moins coûteuse des péchés commis. C'est pourquoi la prière restera toujours, même aux époques où la conception de la divinité se sera affinée, « spiritualisée », un marché, un contrat express ou sous-entendu. La prière implique la conviction que les dieux sont obligés par l'offrande des mortels. Humble « transaction » entre l'homme et la divinité, elle s'est élevée peu à peu au rang suprême, parce qu'elle engage les dieux. Prononcée à l'heure favorable, formulée selon les rites prescrits, elle évoque et maîtrise les dieux qui ne seraient pas sans elle. Le prêtre qui les dicte, s'est fait de sa puissance un monopole ; connaissant les formules sacrées et l'art de les appliquer, il s'empare ainsi de la direction du ciel et de la terre, il domine les dieux eux­-mêmes, et parvient même, miracle inespéré ! à les incarner à son gré dans un fétiche solide ou liquide, en bois, en pierre, en métal ou en farine !! Il les gouverne donc à sa guise et peut parler sans crainte du moindre démenti, en leur nom ! A l'influence sacerdotale, à l'ignorance soigneusement entretenue et prolongée, l'expérience semble, hélas, apporter son vivant témoignage. La prière est presque toujours exaucée des dieux, car l'homme ne leur demande que ce qu'il veut et peut se procurer lui-même !

Quand l'événement espéré ne se produit pas, de deux choses l'une : ou bien le dieu est irrité ou mécontent, ou bien il manque quelque chose au mérite, à la pitié du croyant. Un échec répété ne nuit aucunement à l'efficacité de la prière, ce n'est qu'une invitation nouvelle à plus de ferveur, de piété agissante ! La prière s'avère donc tribut et rachat, hommage forcé autant que volontaire, moyen d'expiation et de rédemption ... Ajoutons que la prière répond, pour les faibles, à un besoin de s'appuyer sur autrui (à plus forte raison si on lui accorde des pouvoirs étendus, miraculeux) de faire appel à des interventions extérieures dans les heures de désarroi et d'angoisse d'abord, puis en face de menues difficultés et de mésaventures puériles.

Tous les peuples ont prié. De l'Orient à l'Occident, en Amérique comme en Océanie ; dans les solitudes glacées du Nord comme dans les plaines torrides de l'Equateur, les hommes ont adressé des hymnes, des supplications aux puissances extra-naturelles. En des termes sinon identiques du moins similaires, en de courtes oraisons ou de longs palabres, les peuples ont demandé ce dont ils ont besoin : beau temps, bonne chasse, santé, victoires sur les ennemis, longue vie et prospérité pour eux et leurs alliés. Mieux même, certains ont porté, cousues dans leurs vêtements ou dissimulées dans de petits sacs de cuir, des formules regardées comme les plus efficaces versets de la Bible, citations du Coran, etc. Rappelons les « moulins à prières » des bouddhistes, les gestes accompagnés de paroles machinales ou saugrenues ; les litanies murmurées par des milliers d'humains égrenant des chapelets, petites boules assemblées en colliers ; les incantations des sorciers, les oraisons toujours récitées au XXe siècle, grimoires qui guérissent les brûlures, le charbon, les chancres, arrêtent l'incendie et le mal de dents ! et nous aurons alors une idée plus nette de l'universalité de la prière.

Mais, à côté de ces suggestions mesquines de l'égoïsme, se situent des inspirations plus élevées et plus larges. A mesure que se formaient les conceptions de vertu, de probité, de justice, l'illusion religieuse s'en emparait pour en faire l'attribut des dieux. Ceux-ci devinrent les dispensateurs et les juges des instincts et des actes moraux, les arbitres des infractions aux lois qui règlent les heurts résultant de l'antagonisme des intérêts. C'est pourquoi l'homme finit par demander aux dieux des qualités morales autant que des biens physiques. Et le prêtre, affermissant encore sa puissance, suggéra aux foules que les dieux s'offensaient des crimes, des fautes commises sur la terre et qu'ils pouvaient, à leur gré, les absoudre ou les punir. Ainsi les dévots s'habituèrent à demander aux dieux et à leurs interprètes des absolutions complètes qui leur permirent de recommencer indéfiniment les mêmes actes répréhensibles, ceux-ci étant assurés d'une rémission plus ou moins onéreuse. L'introduction dans la prière, des scrupules moraux et du repentir a plus contribué à l'asservissement des foules, à la puissance sacerdotale, qu'au perfectionnement des croyants.

La prière conserve toujours la faveur des masses, parce qu'elle est avant tout la résultante dune croyance invétérée à la puissance du hasard. La généralité des hommes est convaincue qu'il existe dans l'enchaînement rigoureux des phénomènes de la nature, un certain flottement, un je ne sais quoi qui permet d’échapper, dans une certaine mesure, à l'ordre des choses. Et pourtant la conception de la divinité s'oppose à la puissance de la prière. Toute oraison échoue devant un dieu omniscient, infaillible et immuable. Dès le principe, Dieu a tout ordonné, tout prévu. L'induire à changer, c'est l'outrager, car que penser d'un infaillible qui se dément ? Comment accorder sa suprême justice, son infinie bonté avec une partialité passagère ? Et que penser d'un être qui, vivant sur une des plus infimes planètes d'un univers gigantesque, peuplé de milliards de mondes, implore une divinité définie comme un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part ? Comment se reconnaît ce dieu, parmi la clameur sans fin, les désirs contradictoires et opposés des 1.800 millions d'hommes parlant plusieurs milliers de langues ou idiomes différents ?

La prière, tard venue dans l'arsenal des conceptions mythiques, est une arme d'une efficacité surprenante entre les mains des clergés. C'est un appel renouvelé à la résignation passive, une bastille de l'initiative et de l'activité. Puisqu'il suffit de marmotter quelques paroles pour changer du destin les décrets imminents, pourquoi s'évertuer à faire preuve d'énergie et de volonté ? De plus, puisque la prière du simple croyant a déjà tant de vertu, car elle suffit souvent à déterminer chez les dieux un changement favorable à l'intéressé, quelle ne doit pas en être sa puissance quand elle passe par la bouche du prêtre ! De là, à remettre la direction de tous les actes de la vie entre les mains du prêtre, il n'y a qu'un pas qui est vite franchi (voir prêtre).

Et si la raison humaine ne s'était révoltée à temps, faisant crouler les théologies, en se rangeant du côté de la science, nous risquerions beaucoup de n'être plus que des caricatures d'hommes ne sachant plus que réciter des oremus et balbutier des pâtenôtres du lever au coucher du soleil, pour le plus grand profit des « majordomes du ciel ! ».

- Ch. ALEXANDRE.

BIBLIOGRAPHIE. - Lefebvre : La religion. - Le Clément de Saint-Marcq : Histoire générale des religions. - Véron : Histoire naturelle des religions. - Salomon Reinach : Orphéus. - Tylor : Civilisations primitives, etc.