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PRINCIPE (n. m. du latin principium, origine, commencement)

Les sens de ce mot sont nombreux. Il est parfois synonyme de source première, de raison d'être. On l'applique aux éléments constitutifs des corps. Il convient aux règles de la morale, de la science, de l'art. Une sèche énumération des principes secondaires qui dirigent l'activité humaine, dans les multiples domaines où elle s'exerce, serait fastidieuse. Elle serait, en outre, bien difficile à établir, les principes ne cessant de varier avec l'état de nos connaissances. Nous parlerons seulement des suprêmes règles auxquelles toute pensée logique obéit et dont l'ensemble constitue la raison.

Nos opérations intellectuelles ne s'accomplissent pas au hasard, elles sont régies par certaines lois très générales et d'une évidence immédiate qu'on appelle les principes directeurs de la connaissance. Ossature profonde et intime de l'esprit, c'est eux qui nous permettent d'organiser l'expérience, d'établir des rapports nécessaires entre les choses et les idées. Mais la conscience, interrogée à leur sujet, reste muette ; nous les découvrons grâce seulement à l'analyse des opérations psychologiques, en particulier du raisonnement. « Les principes généraux, constatait déjà Leibniz, entrent dans nos pensées dont ils font l'âme et la liaison. Ils y sont nécessaires comme les muscles et les tendons le sont pour marcher, quoiqu'on n'y pense point. L'esprit s'appuie sur ces principes à tous moments, mais il ne vient pas si aisément à les démêler et à se les représenter distinctement et séparément, parce que cela demande une grande attention à ce qu'il fait, et la plupart des gens peu accoutumés à méditer n'en ont guère. » Ajoutons que ces principes ne sont pas immuables. C'est l'opinion de Levy-Bruhl, qui attribue aux primitifs une mentalité prélogique et mystique, dominée, non par le besoin de rester d'accord avec elle­ même, d'éviter la contradiction, mais par la loi de participation. « Dans les représentations collectives de la mentalité primitive, écrit Levy-Bruhl, les objets, les êtres, les phénomènes peuvent être, d'une façon incompréhensible pour nous, à la fois eux-mêmes et autre chose qu'eux-mêmes D'une façon non moins incompréhensible, ils émettent et ils reçoivent des forces, des vertus, des qualités, des actions mystiques, qui se font sentir hors d'eux, sans cesser d'être où elles sont. » Les représentations collectives exercent une profonde action sur le primitif ; il éprouve un attachement mystique pour son groupe et pour son totem. C'est par des causes surnaturelles qu'il explique tous les phénomènes ; aux données immédiates de la perception, il ajoute des pouvoirs occultes, des forces invisibles, des réalités impalpables ; entre l'au-delà et le monde sensible, il ne distingue pas. Un homme meurt-il, fut-ce de vieillesse ou par accident, il suppose que l'événement est dû à un sorcier ou à l'esprit d'un mort; le maléfice lui semble évident, même si la mort est provoquée par la chute d'un arbre ou d'un objet inanimé. « Des préliaisons, qui n'ont pas moins de force que notre besoin de relier tout phénomène à ses causes, établissent, pour la mentalité primitive, sans hésitation possible, le passage immédiat de telle perception sensible à telle force invisible. Pour mieux dire, ce n'est pas même un passage. Ce terme convient pour nos opérations discursives ; il n'exprime pas exactement le mode d'activité de la mentalité primitive, qui ressemblerait plutôt à une appréhension directe ou à une intuition. Au moment même où il perçoit ce qui est donné à ses sens, le primitif se représente la force mystique qui se manifeste ainsi. Cette sorte d'intuition donne une foi entière en la présence et en l'action des forces invisibles et inaccessibles aux sens, et cette certitude égale, si elle ne la dé­ passe pas, celle des sens eux-mêmes. » S'ils admettent des rapports de cause à effet, les primitifs se les représentent donc autrement que nous. Mais, grâce à une épuration progressive, les deux grands principes qui dominent la pensée scientifique actuelle, le principe d'identité et le principe de causalité, furent mis finalement en pleine lumière. Chez les anciens et même chez quelques modernes, la notion d'identité garde un sens réaliste et substantiel. Pour eux l'essence des choses correspond à l'idée qu'en possède l'esprit : raisonnements, démonstrations portent, non sur des connaissances relatives, mais sur les choses elles-mêmes, identifiées avec leurs représentations. Immuables comme leurs concepts, les choses restent éternellement conformes à ce qu'elles sont. Changement, devenir s'avèrent simple apparence sensible, vaine illusion. Si un liquide se solidifie, c'est qu'une essence nouvelle a pris la place de l'ancienne. D'où les innombrables entités que l'on retrouve encore dans la physique du moyen âge : elle réduit la nature à une collection de substances. A l'inverse, la science moderne a vidé de tout sens réaliste le principe d'identité ; elle n'accorde aucune place à la notion de substance ; ses démonstrations reposent sur un principe purement logique, privé de tout contenu imaginatif. Les relations d'identité, établies entre les divers phénomènes, portent sur les connaissances de notre esprit, non sur les choses elles-mêmes. Par ailleurs le concept de causalité s'est transformé profondément; peu à peu, il a perdu son caractère subjectif et anthropomorphique pour aboutir à l'idée d'un rapport constant. Loin d'être le résultat d'une vue intuitive, un don gratuit de la nature, la croyance en une loi d'universelle causalité fut une acquisition tardive, le fruit d'une laborieuse conquête de l'esprit. Elle reste encore ignorée de la grande majorité des hommes : à preuve l'importance que gardent, même chez les peuples civilisés, les notions de miracle et de hasard. « Le miracle, écrit Th. Ribot, en prenant ce mot non au sens restreint, religieux, mais dans son acception étymologique (mi­rari), est un événement rare, imprévu, qui se produit en dehors ou à l'encontre du cours ordinaire des choses. Le miracle ne nie pas la cause, au sens populaire, puisqu'il suppose un antécédent : la divinité, une puissance inconnue. Il la nie au sens scientifique, puisqu'il admet une dérogation au déterminisme des phénomènes. Le miracle, c'est la cause sans loi. Or, pendant bien longtemps, nulle croyance n'a semblé plus naturelle. Dans le monde physique, l'apparition d'une comète, les éclipses et bien d'autres choses étaient considérées comme des prodiges et des présages ; beaucoup de peuples sont encore imbus d'imaginations bizarres à ce sujet (c'est un monstre qui veut avaler le soleil ou la lune, etc.) et même, parmi les civilisés, il y a des gens que ces phénomènes ne laissent pas sans inquiétude. Dans le monde de la vie, cette croyance a été bien plus tenace : des esprits éclairés au XVIIe siècle admettaient encore les errores ou lusus naturae, considéraient la naissance des monstres comme d'un mauvais augure, etc. Dans le monde de la psychologie, c'est bien pis. Sans parler des préjugés si répandus dans l'antiquité (et qui n'ont pas disparu) sur les rêves prophétiques, présages de l'avenir, du mystère dont on a entouré si longtemps le somnambulisme naturel ou provoqué et les états analogues, des spéculations contemporaines sur l'occultisme, de ceux qui considèrent la liberté comme un commencement absolu, etc. ; il y a, même dans le cercle restreint de la psychologie scientifique, si peu de rapports de cause à effet bien déterminés, que les partisans de la contingence s'y trouvent à l'aise pour tout supposer. » Le hasard n'est pas invoqué moins souvent que le miracle et, pour ceux qui ne réfléchissent pas, il suppose une entité mystérieuse, impénétrable, ou se ramène à un événement sans cause ni loi. De cette notion du hasard, je crois avoir donné une analyse plus complète et plus poussée que celle de Cournot et de ceux qui l'ont suivi, dans Vouloir et Destin. Aucun des faits attribués à cette occulte et redoutable puissance n'échappe à la loi d'universelle causalité. Notre ignorance des antécédents, leur complexité, la tangence de phénomènes qui, primitivement, ne semblaient point destinés à se rencontrer, voilà la triple source d'où ils proviennent. Si étranges que paraissent certaines coïncidences, le passage d'un homme par exemple au moment précis où un mur s'écroule, elles seraient prévisibles pour qui connaîtrait avec exactitude les forces en présence, leur valeur et leur direction. La collision d'autos, que les conducteurs ne soupçonnent pas prochaine, un observateur la prévoit d'un lieu suffisamment élevé. Les idées de miracle et de hasard écartées, il importe d'éliminer aussi du rapport causal toute notion de fin, de direction intentionnelle. Pour les philosophes grecs, la nature possède des aspirations, des désirs aveugles qu'elle veut réaliser; d'où la notion de cause finale, reste indéniable de l'anthropomorphisme primitif. A l'univers ils prêtent des intentions, un but comme à un vivant. Mais les découvertes scientifiques des XVIe et XVIIe siècles conduisirent à ne plus tenir compte de la finalité, « cette vierge stérile », selon le mot de Bacon ; la matière inorganique fut conçue comme déterminée et de nature strictement mécanique. Beaucoup, néanmoins, continuèrent de croire que si la matière est inerte en elle-même et dépourvue d'intentions, elle est mue, du dehors, par une intelligence supérieure : Dieu, qui lui impose un but et des lois. Avec des variantes, cette doctrine resta celle des philosophes spiritualistes du XIXe siècle. Lachelier a même voulu faire du principe de finalité le vrai fondement de l'induction scientifique. D'après lui, les rapports de causalité, dont les savants se contentent, s'arrêteraient à la surface des choses, sans rendre compte de l'extrême complexité des lois naturelles. Actions et réactions des forces cachées sont trop nombreuses et trop profondes pour être saisies même par la plus subtile des intelligences. En vertu du principe du déterminisme, nous ne pourrions formuler que des lois hypothétiques, ne sachant pas si se réaliseront de nouveau les conditions requises pour que les phénomènes observés se reproduisent. Or nous énonçons des lois catégoriques ; ce qui démontrerait notre croyance en un principe d'ordre au sein des choses, en un but grâce auquel les phénomènes naturels se groupent et présentent constamment des successions identiques : « L'accord réciproque (éléments constants et uniformes) de toutes les parties de la nature ne peut, affirme Lachelier, résulter que de leur dépendance respective à l'égard du tout ; il faut donc que, dans la nature, l'idée du tout ait précédé et déterminé l'existence des parties ; il faut, en un mot, que la nature soit soumise à la loi des causes finales. » Mais les efforts des spiritualistes n'ont pu empêcher la ruine du principe de finalité ; aucun penseur impartial n'admet aujourd'hui qu'il s'applique au monde de la matière inanimée, et, même dans le domaine restreint de la vie, il appert qu'il est inutile et dangereux. Selon l'expression d'Hamelin, la finalité serait une « détermination par l'avenir » ; or, l'avenir, qui n'est pas encore, ne saurait manifestement agir. On a été jusqu'à prétendre que, si le melon avait des côtes, c'était par un providentiel dessein de Dieu, afin qu'on puisse le manger en famille. Et certains continuent d'affirmer que tout, dans la nature, même les astres les plus lointains, furent créés pour l'homme. Vaniteuses prétentions que la science infirme depuis longtemps ! La finalité n'a d'existence que chez les êtres doués d'un rudiment au moins de vie psychologique. Chez l'homme, elle devient la causalité de l'idée ; chez l'animal, elle n'est d'ordinaire que la causalité du besoin. D'après Goblot, elle serait mise en évidence « quand il est établi que le besoin d'un avantage détermine une série d'effets tendant à réaliser cet avantage ». Le même auteur admet l'existence d'une finalité sans intelligence, conciliable avec une nature rigoureusement dominée par des lois inflexibles, et complètement aveugle. Quoi qu'il en soit, la finalité des anciens, définitivement éliminée par la science, a cessé d'être un principe pour les penseurs contemporains.

Après rejet des vieilles notions de substance et de finalité, nous restons en présence de deux principes très généraux et vraiment constitutifs de la raison : le principe d'identité et le principe du déterminisme, magnifique et suprême formule de la loi de causalité. Au pre­mier se rattachent le principe de contradiction, simple expression négative de la loi d'identité, et le principe du tiers exclu, conséquence directe de la même loi. Base fondamentale de la logique formelle et des mathématiques, le principe d'identité légitime le raisonnement déductif. Le principe du déterminisme représente le terme ultime de l'évolution subie par l'idée de cause : il affirme la stabilité, la permanence du rapport qui unit l'antécédent au conséquent. Sur lui s'appuie l'induction scientifique ; il est la clef de voûte de nos connaissances expérimentales ; sa disparition entraînerait la ruine de toutes les lois naturelles, découvertes dans le monde de la vie aussi bien que dans celui de la matière inerte. Ces principes apparaissent, du point de vue psychologique, comme des instincts très profonds ou des habitudes mentales indéfectibles, contractées grâce aux millénaires expériences de l'humanité et sans cesse fortifiées par les progrès de la science. « Nos adaptations les plus nouvelles et les plus hardies elles­ mêmes, écrit Ruyssen, ne réussissent qu'autant qu'elles répètent pour une large part des adaptations antérieures, des habitudes... Et l'on pourrait définir le principe d'identité, l'habitude de fonder toute pensée sur une habitude, l'habitude même de l'habitude... C'est encore en vertu d'une habitude que, dans la succession des phénomènes, notre attention se porte, de préférence, sur certains phénomènes et prépare la voie à la perception claire des suivantes, ou même à des adaptations prévoyantes, utiles entre toutes... En d'autres termes, les affirmations que l'on ramène communément au principe de raison suffisante (ou de causalité) n’énoncent rien de plus que des dispositions acquises qui nous portent à accueillir, autant que possible les expériences futures avec les mêmes modes d'attention et les mêmes gestes que les expériences passées. » Durkheim et ses disciples veulent expliquer ces habitudes par des facteurs d'ordre sociologique. Ils prétendent que la raison est un simple produit de la vie sociale et religieuse, et que les principes qui la constituent se ramènent à des règles collectives dépassant la mentalité des individus. Exagérations manifestes, nées du désir d'accroître démesurément l'importance de la société. C'est de la structure de notre cerveau, de notre organisation nerveuse et mentale que les grands principes de la connaissance dépendent en dernier ressort. La vie sociale présuppose des dispositions individuelles qu'elle développe seulement. Quant à la valeur de ces lois rationnelles, certes elle est relative ; mais en sa faveur plaident tout le passé de l'univers et tous les faits que l'expérience nous offre actuel1ement. C'est une preuve d'importance capitale, on en conviendra ; surtout si l'on songe que les doctrines, qui dénient à ces lois toute vraie valeur, apparaissent comme absolument arbitraires et sans appui dans le réel.

- L. BARBEDETTE.

PRINCIPE n. m. 

Le principe est une proposition qui sert de fondement à d'autres. Le principe tient, à l'origine, au début d'un acte, d'un fait ; il est la première cause, la raison, la base, la source. Par extension, on donne quelquefois le nom de principe à l'opinion, ce qui revient à dire que ces principes ne sont pas immuables ni guère scientifiques. Comme le principe signifie, au propre, la source, l'origine, il s'ensuit que, lorsqu'il ne s'agit pas d'une cause, il n'y a principe qu'au figuré.

Selon le sens d'une proposition, le principe signifie le commencement, représente le point de départ d'un raisonnement, d'une règle de conduite, comme il peut signifier ce qui n’a pas de source, de commencement.

Une expression qui a des valeurs si différentes, si opposées même, ne peut qu'embrouiller les questions qu'elle devrait aider à faire résoudre. A cet effet, Cicéron dit que : le principe est ce qui n'a pas d'origine, car c'est du principe que tout vient, et le principe, lui, ne saurait venir de nulle autre chose...

Si on donne au mot principe le sens figuré, on ne trouve de concevables, comme tels, que la force et la sensibilité ; le principe de mouvement et le principe de la connaissance. M. L. De Potter dira : les deux seuls ordres de faits, dont nous nous rendons compte, ne peuvent dériver d'ailleurs.

La première connaissance qu'acquiert la sensibilité est celle de la force qui la modifie, celle du mouvement, de la matière. Il lui reste à déterminer si elle est, elle-même, un résultat de ce que cette connaissance lui a servi à constater, ou si, indispensable à cette constatation, elle est antérieure à son objet. Au premier cas, la force existe seule ; au second, il y a de plus la sensibilité qui parvient à la conscience d'elle-même et établit, par la perception de modifications diverses, sa réalité immuable qui représente le principe.

A un moment où il n'y a plus de foi, encore pas de certitude du fait, que la vérité d'aucun principe ne peut être démontrée et pratiquée socialement, rien de plus incohérent que la question de principe. Aussi, malgré ou avec les prétendues lumières de l'époque, toutes les questions morales et sociales se réduisent à des questions d'ordre public, de nécessité temporaire, et les questions de principe ne comptent guère.

- Elie SOUBEYRAN.