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PRIVILÈGE n. m.

Le privilège constitue un avantage exclusif qui dépend, au propre, de l’organisation sociale ; au figuré, de l’organisation individuelle. Ainsi le pri­vilège est l’expression de la force, comme la justice est l’expression de la raison.

Au point de vue économique, le privilège par excel­lence est celui de la propriété privée du sol, qui fait naître un autre monopole se rapportant au développe­ment général de l’intelligence. L’incompressibilité de l’examen fit tomber, en 1789, quelques privilèges atta­chés à la propriété individuelle foncière, tout en assu­rant aux bénéficiaires du nouveau régime les avantages primordiaux qui suivent et s’attachent à la possession de la propriété foncière. Elle remplaça la féodalité ter­rienne par la féodalité financière qui nous domine et nous régit. L’expérience de plus d’un siècle prouve que tant que le monopole foncier existera au profit de la finance, c’est-à-dire de quelques-uns, tous les privilèges que ce monopole entraîne se manifesteront à l’avantage exclusif des classes possédantes, qui sont, en dernier ressort, les classes dirigeantes. Quelles que soient les apparences d’un bien-être généralisé, il n’y aura d’au­tre progrès que vers le mal.

Quoi que les chantres du régime actuel entonnent des cantiques de triomphe en faveur de la rationalisation et autres combinaisons bourgeoises comme génératrices de bien-être généralisé, la misère des masses croît en raison du développement général des intelligences et en proportion de ce que l’économie politique appelle la Richesse publique qui n’est, en réalité, que la ri­chesse d’une minorité d’exploiteurs du travail. En sou­tenant que la Révolution de 1789 a aboli le privilège de naissance, on commet une erreur. Cela ne serait vrai que si, naissant de n’importe qui et n’importe où, l’en­fant arrivait au monde avec des droits égaux à son semblable, pour être l’artisan de sa fortune et de sa destinée. Or, à peine arrivé au monde — sauf excep­tion —, l’enfant est en quelque sorte prédestiné à être riche ou pauvre, éclairé, instruit, ignorant ou abruti.

Pour qu’il n’y ait plus de privilèges, l’inégalité de position doit dépendre exclusivement de l’inégalité orga­nique et de la volonté de chacun. La société de l’avenir devra remplir le devoir d’éviter qu’il puisse y avoir des malheureux, des déshérités, comme le cas se produit de nos jours. Le plus ou moins de bonheur et de bien­-être sera la récompense du mérite. Il y aura justice.

­ — Elie Soubeyran.