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PROCÉDURE n. f.

La procédure est l’ensemble des règles destinées à fixer la marche des procès.

Levasseur dit qu’elle suppose un état de civilisation où l’on a dépassé la phase dite de la Justice privée. Il ajoute que ce régime archaïque où l’individu lésé peut réaliser lui-même son droit, sans recourir à l’autorité publique, n’est pas compatible avec le besoin d’ordre et de stabilité d’une société en progrès. Il faut d’abord qu’une autorité préside à la dispute judiciaire, la sur­veille, la contienne dans des limites pour éviter de dégénérer en violences. Mais qu’il s’agisse de procès entre particuliers à l’occasion d’intérêts privés (procès civils) ou de procès à l’occasion de délits où l’intérêt public entre en jeu (procès criminels), il est nécessaire de réglementer l’action destinée à avoir raison de la violation du droit. Il est indispensable que celui qui se plaint d’être lésé dans son droit puisse faire triompher librement sa prétention comme il est indispensable que l’adversaire puisse librement se défendre.

Il est également indispensable que l’autorité, elle­-même en charge de rechercher le droit et de mettre fin au conflit, soit enfermée dans des règles ou prescriptions destinées à l’empêcher de sortir de la loi pour tomber dans l’arbitraire. C’est là le but des lois de pro­cédure. Elles protègent le plaideur inexpérimenté con­tre un adversaire plus adroit et moins scrupuleux ; elles le mettent à l’abri des caprices ou des passions du juge : elles sont la condition essentielle de la justice, attendu qu’elles favorisent la manifestation libre de la liberté.

J’emprunte également à Levasseur la partie histori­que de la procédure qui découle presque entièrement du Droit romain. Les Romains avaient trop souci de la légalité pour ne pas avoir compris l’importance de la Procédure. Dans le procès civil, « juridicium privatum », comme dans le procès criminel, « juridicium publicum ». Ils l’organisèrent avec un soin méticuleux, le soumi­rent à un ensemble de principes directeurs identiques, admirablement combinés pour concilier les droits de la société et ceux de l’individu. Non seulement les bases essentielles ont été les mêmes pour les deux variétés de la procédure, mais l’évolution historique s’est pour­suivie avec un parallélisme constant. Partis d’un sys­tème encore rudimentaire, très proche, surtout en ma­tière civile, du régime de la justice privée, les Romains en ont, peu à peu, admis un second, plus souple et mieux adapté aux nécessités changeantes des faits. Puis, sous l’influence des révolutions politiques, ils l’ont insensiblement abandonné pour un troisième, tout à fait en harmonie avec les tendances centralisatrices de l’époque impériale, avec l’idée grandissante des droits souverains de l’État. Ces principes identiques et ces variations historiques similaires ne peuvent être qu’ex­posés sommairement. On va le faire séparément, pour chacune des deux variétés de procédure.

Le principe fondamental qui domine la Procédure civile est une règle fort ancienne, probablement contem­poraine des débuts de Rome, maintenue en tout cas jusque sous Dioclétien. C’est la séparation nécessaire­ment imposée à tout procès civil, sa décomposition en deux phases : le jus et le judicium. À Rome, la fonction judiciaire n’est pas comme dans nos législations moder­nes, confiée à une personne unique, chargée, sous le nom de magistrat ou juge, de suivre l’évolution du débat du commencement à la fin et de trancher le diffé­rend par un jugement; elle est répartie entre deux per­ sonnes, le magistrat et le juge. Le premier juridicundo est un agent du pouvoir. Il interpose son autorité dès le début, met fin immédiatement au litige s’il est possi­ble, sinon le dirige vers son but final en faisant préciser par les parties ou en précisant lui-même les questions à résoudre. Là s’arrête sa mission. Il n’a pas à juger lui-même. Il renvoie l’affaire devant un juge, judex. Celui-ci, simple particulier, judex privatus, est un juré qui statue seul ou en collège avec d’autres. Il donne son avis, sententia, sur le bien-fondé de la prétention. Il met fin ainsi au débat judiciaire. Il y a donc deux phases dans le procès : le jus devant le magistrat, le judicium devant le juge. On retrouve ces deux stades dans le système primitif de procédure, système des legis actiones et dans le second système, système for­mulaire. Ils n’existent plus dans le troisième, système extraordinaire. Le trait caractéristique du premier sys­tème de procédure est l’allure solennelle et symbolique de la phase du débat qui se passe in jure. Ce sont, en effet, les parties elles-mêmes qui, par des paroles et des gestes réglés à l’avance, affirment solennellement leurs droits opposés. C’est en cela que consiste le legis actio, Le magistrat assiste à cette dispute contradictoire, mais il ne la dirige pas. Sa présence lui donne seulement un caractère officiel et licite. Elle l’empêche de dégénérer en conflit violent. Les parties, après avoir choisi leur juge, étaient renvoyées devant lui. Là, in judicio, avaient lieu les plaidoiries avec production des preu­ves, enfin était rendue la sententia. Ce système avait d’incontestables mérites. Il n’admettait aucune juridic­tion d’exception. Il confiait la sentence à des juges libre­ment choisis par les plaideurs. Le débat in jure et in judicio était public.

Toutefois, de graves inconvénients amenèrent sa déca­dence et, finalement, sa disparition. Les parties, en effet, paralysées par un formalisme étroit et infécond, ne pouvant faire valoir une prétention, si juste quelle fût, quand elle n’avait pas été autorisée par la loi et munie d’une formule solennelle orale destinée à la met­tre en mouvement. Le magistrat, impuissant, réduit à un rôle secondaire, ne pouvait, même s’il l’eût voulu, accueillir une pareille prétention. C’était là un double obstacle au développement du droit. Le second système restitua au magistrat le rôle prépondérant dans la phase in jure. Il en fit le véritable directeur du débat qui s’engageait devant lui, libre d’entraves, sans paro­les solennelles, sans gestes symboliques, sans cérémo­nie d’aucune sorte. Ce que les parties lui demandent, c’est, ou bien de mettre fin au débat, s’il le peut, sinon de leur délivrer une formule écrite, dans laquelle il institue le juge choisi par les parties et lui indique en termes précis le point en litige, avec mission de condam­ner le défendeur, si la prétention du demandeur est juste, de l’absoudre, dans le cas contraire. L’obtention de la formula : tel est le but auquel tend essentiellement la première phase du procès. L’affaire est dès lors en état d’être jugée. Les parties n’ont plus qu’à aller de­vant le ou les juges privés. Elles y exposent librement l’affaire et administrent la preuve de leurs prétentions. Le débat est oral et public. La sentence se termine d’une façon définitive. Ce système date déjà des der­niers siècles de la République. Une loi œbulia (vie ou viie siècle de Rome) l’implanta à côté de l’ancien système qui disparut peu à peu de la pratique, sans abrogation formelle. Le système formulaire ne fut pas seulement une heureuse transformation de la procédure qu’il avait simplifiée et allégée ; il eut la plus grande influence sur le fond du Droit. Ainsi, la procédure par formules servait à la fois à confirmer le droit civil et à le corriger. En même temps que la formule était l’organe d’application normale du droit d’autrefois, elle servait de véhicule aux idées nouvelles, elle faisait passer dans le droit étroit et rigoureux des quirites un large souffle d’humaine équité.

Plus tard, la distinction du jus et du judicium devait disparaître.

Les fonctions du magistrat et du juge se confondirent. Du début à la fin, l’instance civile se déroule devant la même personne, le judex, qui entend les par­ties, dirige le débat, rend la sentence. Sous le système formulaire, le magistrat, au lieu de renvoyer l’affaire à un juge, statue lui-même. Ces cas devinrent de plus en plus nombreux à la fin de l’Empire romain. L’empe­reur, à son tribunal, usa de ce procédé, et, tout naturel­lement, son exemple fut suivi par les magistrats. La procédure extra ordinem tendait à devenir le droit commun. En même temps, les magistrats perdaient le pouvoir de modifier les principes proclamés par l’édit perpétuel, désormais codifié. Asservis aux règles immua­bles d’un droit définitivement fixé, ils devenaient, comme le juge, des instruments d’application de la loi. La suppression des deux phases successives du débat ren­dit les formules inutiles : elles disparurent. Tout ce que la procédure retenait encore de l’antique forma­lisme disparut avec elles. Le juge, simple fonctionnaire, délégué de l’empereur, statue en son nom. De là le droit de contrôle sur ses décisions attribué à d’autres juges, plus élevés que lui dans la hiérarchie, et enfin à l’empe­reur qui les domine tous. Liberté dans la forme, sou­plesse dans la mise en mouvement, garanties de tout genre contre l’erreur du juge, publicité du débat et voies de recours à l’autorité supérieure, tels sont les principes derniers. La plupart des législations moder­nes n’ont rien trouvé de mieux que de s’en inspirer.

Les mêmes idées se retrouvent à peu près dans la Procédure criminelle. On retrouve un premier système où c’était le représentant de l’autorité qui était le seul juge. Sous la République, le besoin de garanties effi­caces contre l’arbitraire des magistrats suprêmes suggéra une série de lois, leges de provocatione, qui investirent les comices centuriates de la juridiction crimi­nelle. C’est là qu’il faut chercher la première ébauche d’une procédure criminelle. En investissant l’assem­blée populaire du droit exclusif de juger les procès, entraînant la perte du caput (causes capitales), on n’enlevait pas aux magistrats leur droit d’enquête pré­liminaire ; ils y procédaient, sur l’accusation portée par n’importe quel citoyen, puis convoquaient l’assemblée, contio, où la plainte anquisitio était exposée et où pou­vait se défendre l’accusé. Après trois contiones suc­cessives avait lieu le vote des comices. En réalité, et sous ces complications, apparaît le principe fondamen­tal : la division de l’instance en deux phases, l’une pré­paratoire, conduite par le magistrat, l’autre défini­tive, où le jugement appartient exclusivement aux ci­toyens.

Puis, la procédure criminelle se raffine, elle se sim­plifie sans qu’on abandonne pourtant les garanties jugées essentielles. On crée les quœstiones perpetuee pour chaque nature d’infractions graves. En somme, une loi intégrale est faite, réglant la forme et le fond, la procédure et la peine.

La loi Julia (judiciorum publicorum) réglemente la marche générale du procès criminel quand il a lieu par voie de quœstio. Elle conserve le débat prélimi­naire contradictoire devant le magistrat, in jure. Ce­lui-ci autorise l’action, choisit entre les accusateurs (divinatio), ordonne, s’il y a lieu, une instruction et forme le quœstio, Cette phase achevée, la phase in­ judicio commençait devant la quœstio rassemblée par le magistrat et présidée par lui. Elle comprenait l’ac­cusatio et la defensio avec la production des preuves. Les jurés prononçaient la condemnatio ou l’absolutio.

L’Empire romain fait disparaître peu à peu les quœs­tiones perpetuee. C’est de plus en plus le magistrat qui statue à lui seul, après avoir lui-même procédé à l’ins­truction. Le procédé de la cognitio extra ordinem est devenu normal. Il a pris autant d’importance qu’en matière civile. Un des actes qui marquèrent le mieux la transformation fut la décision de Septime Sévère transportant au Prœfectus urbi et au Prœfectus vigi­lum la connaissance de tous les délits commis à Rome ou dans les 100 milles autour de la ville.

Dans les provinces, les gouverneurs reçoivent, par délégation de l’empereur, le droit de statuer au crimi­nel, et la procédure cesse d’être accusatoire pour deve­nir inquisitoriale. La poursuite n’est pas intentée par un particulier quelconque, mais par le magistrat, représentant l’État, intéressé à la répression des infrac­tions. Le magistrat est à la fois accusateur, instruc­teur, juge. Ainsi, après tant de siècles écoulés, on en revenait aux idées des temps des rois. Et la procédure, peu soucieuse des droits des individus, plus préoccu­pée de ceux de la société, n’a pas été sans influence sur la formation du droit criminel européen. Il a fallu attendre les temps modernes pour qu’on en revînt, dans les cas les plus graves, à une procédure qui res­semble singulièrement à celle des quœstiones, au juge­ment par jurés.

Cette partie historique de la procédure était indis­pensable pour la compréhension parfaite de la partie sèche qui va suivre les exposés si intéressants de Le­vasseur et de Gaston May ; et la forme qui préside actuellement à la marche de tout procès découle tota­lement, avec de bien faibles modifications, de celle qui existait il y a environ 2 000 ans. Les progrès sont lents en cette matière.

Les législateurs de l’époque qui précède notre géné­ration et qui ont mis sur pied le monument de lois qua­lifié de « Code Napoléon » se sont inspirés du droit qui régissait la civilisation romaine. Notre IIIe Républi­que a, en somme, peu modifié l’attirail perfectionné qui réglait la marche des procès, et les années qui ont suivi la guerre de 1914-1918 n’ont rien ajouté ni retran­ché au système de procédure existant. Comme le flot de la mer qui foule et refoule, comme le flot des ma­rées qui monte et qui descend, nos législateurs et l’ad­ministration qui les couvre, tour à tour, usent de la procédure au profit des moments, des individus ou des intérêts antagonistes qui fourmillent dans la société capitaliste.

La procédure civile et commerciale est l’ensemble des règles qui déterminent la compétence des divers tribunaux civils, les formes dans lesquelles les affaires sont instruites et jugées, la manière de faire exécuter et réformer les jugements. La procédure courante comprend une assignation par laquelle le demandeur cite son adversaire devant le tribunal, la constitution d’un avoué par ledit demandeur ; par l’avoué, des con­clusions dans lesquelles chaque partie expose ses pré­tentions, des plaidoiries qui développent oralement ces conclusions ; enfin, le jugement qui est exécuté soit vo­lontairement, soit même contre le gré de la partie condamnée. En matière commerciale, pour des rai­sons de rapidité et d’économie, les formes de la pro­cédure sont simplifiées ; l’instruction se fait sans mi­nistère d’avoués, les parties comparaissant soit en personne, soit par un fondé de pouvoir, mandataire, etc., devant un tribunal d’exception, créé spécialement : le tribunal de commerce. Les appels de ce tribunal viennent devant le tribunal civil avec la procédure civile.

La procédure du droit criminel varie suivant que les faits incriminés sont de la compétence, soit du tri­bunal de simple police qui juge les contraventions, soit du tribunal correctionnel qui connaît les délits, soit de la cour d’assises à qui sont déférés les crimes. Ces différentes juridictions sont saisies par l’ac­tion publique ou par l’action privée. L’action publi­que est mise en mouvement par le ministère public informé des faits à poursuivre, soit par des procès­ verbaux et rapports de ses agents ou auxiliaires, soit par des plaintes, soit par des dénonciations. Il saisit toujours directement le tribunal de simple police et le tribunal civil lorsqu’il y a flagrant délit ou, dans les cas peu compliqués, par voie de citation directe. Ce droit de poursuite appartient aussi, à titre excep­tionnel, à certaines administrations telles que les con­tributions, douanes, forêts.

La procédure devant le tribunal est la même qu’il y ait flagrant délit, citation directe ou renvoi du juge d’instruction. Le président du tribunal interroge le prévenu, entend les témoins cités à la requête du mi­nistère public et du prévenu, puis la partie civile, s’il y a, en ses explications, le ministère public en ses ré­quisitions, la défense. Le greffier note les déclarations des témoins et les réponses du prévenu ; ces notes doi­vent être visées par le président dans les trois jours du prononcé du jugement d’incompétence, de renvoi ou de condamnation.

Il existe entre les jugements correctionnels les mê­mes voies de recours qu’en matière de simple police : l’opposition et l’appel. L’opposition ne peut être faite que par le condamné ; l’appel peut émaner soit du condamné, soit du ministère public. En cas d’opposi­tion, le prévenu est cité dans le plus bref délai devant le tribunal qui juge l’affaire comme s’il n’en avait pas encore connu. L’appel doit être fait par une déclara­tion au greffe dans un délai de 10 jours à compter de la signification du jugement, sauf exception pour l’ap­pel fait par le procureur général. Le procureur de la République doit alors réunir les pièces de la procédure qu’il transmet au procureur général, avec un rapport confidentiel sur l’affaire ou une requête d’appel s’il est lui-même appelant. Le procureur général fait citer à sa requête le prévenu pour l’audience indiquée. L’instruction a lieu publiquement à l’audience qui débute par un rapport fait par un des conseillers. C’est le procureur général qui est chargé de l’exécution de l’arrêt.

Dans les affaires contentieuses ou autres qui sont du ressort des tribunaux administratifs, c’est la pro­cédure administrative qui règle les formes suivant les­quelles l’instance est engagée, le procès instruit et le jugement rendu. Ces formes sont relativement simples et les frais peu élevés. En outre, il est de l’essence de la procédure administrative d’être écrite, c’est-à-dire que les affaires s’y instruisent sur mémoires. Cette règle ne souffre que quelques exceptions, particulière­ment devant les conseils de préfecture.

Les lecteurs de l’Encyclopédie Anarchiste ont pu apprécier par l’historique et l’exposé de la procédure ce que, à toutes époques et sous quelque régime qu’une société puisse exister, les intérêts en antagonisme créent de difficultés entre les individus, les procès étant la forme la moins brutale dont les différends peuvent être réglés.

Combien simplifiée et combien assouplie sera la pro­cédure qui, dans un avenir plus ou moins lointain, mais dans un avenir certain, réglera, non pas les dif­férends, mais les accords entre les individus d’une société où chacun comprendra que l’intérêt individuel sera la sauvegarde de l’intérêt collectif, et où l’anta­gonisme disparu fera place à l’harmonie universelle que nous entrevoyons. Ce jour-là, la procédure survi­vra aux procès des temps antiques, aux procès des temps barbares que nous vivons et réglera les rap­ports existant entre les différentes races réconciliées de la grande et parfaite humanité.

— Pierre Comont.