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PRODUCTEUR n. m. (du latin productor)

Personne, dit le dictionnaire, qui crée quelque chose ou met en œuvre une chose qui existe déjà. Cette définition est certainement exacte, si on ne considère que le sens général du mot producteur. Elle est, cependant insuffisante et imprécise, si on examine ce mot sous l’angle social, le seul, en vérité, qui nous intéresse ici. En effet, le producteur n’est pas seulement celui qui crée on qui transforme, il est surtout la personne qui crée de la richesse ou transforme la matière dans certaines conditions, variables suivant les régimes. Il est celui qui aspire à exercer son activité créatrice et transformatrice dans des conditions différentes, opposées en général à celles que l’ordre actuel lui impose.

En un mot, le producteur n’est pas seulement un rouage de la machine sociale, le plus infime en ce moment ; il n’est pas, non plus, exclusivement un instrument nécessaire, il a des aspirations, des désirs, un idéal, un but. Pour tout dire, c’est un Homme dans toute la force de ce terme ; un homme qui constate, depuis la naissance du monde - ou presque - que son effort n’a jamais été rétribué à sa valeur exacte ; se rend compte, depuis des siècles et des siècles, que d’autres hommes, favorisés par la naissance ou dénués de scrupules, retiennent par devers eux la plus grande partie (60 % en moyenne) du produit de son travail, sans produire eux-mêmes.

Cette constatation répétée, faite par des centaines de générations et dans tous les pays, l’a, tout naturellement conduit à formuler des désidérata, à exposer sa conception d’une égalité sociale toute différente du traitement matériel et moral qu’il subit mais n’accepte pad. Et c’est ainsi qu’il fut appelé à exprimer ses aspirations à la fois individuelles et collectives.

La première, c’est la rétribution intégrale de son effort ; la seconde, c’est la possession des instruments de production qu’il est seul à faire mouvoir.

Ce sont les deux grandes revendications que la logique lui imposa tout d’abord, A vrai dire, à l’origine, ces revendications étaient confuses dans son esprit ; elles étaient plutôt instinctives que raisonnées.

Elles ne tardèrent pas, cependant, à se préciser, à prendre une forme chaque jour plus concrète, à donner naissance à un idéal, à devenir un but constamment poursuivi, que chaque génération s’efforça d’approcher toujours d’un peu plus près, avec la certitude que l’une d’elles, plus éclairée, mieux armée, l’atteindra enfin.

Pour donner corps à ces revendications et force à leur action, les producteurs, sachant que leur faiblesse résidait dans leur isolement, s’associèrent, se groupèrent sous des formes diverses, pour arriver, en définitive, à se réunir dans des syndicats qui se fédérèrent et se confédérèrent, nationalement et internationalement. Là, ils prirent conscience de leurs véritables intérêts de tous ordres ; là encore, ils s’éveillèrent ; des sentiments nouveaux : la solidarité, l’entraide, la responsabilité individuelle et collective prirent naissance en eux. Une mentalité nouvelle, chaque jour plus élevée, une dignité toujours plus grande, un respect sans cesse accentué d’eux-mêmes et de leurs semblables, se manifestèrent. Et parallèlement à l’éclosion et au développement de tous ces sentiments, un idéal fraternitaire et égalitaire prit corps, se développa, lui aussi.

C’est ainsi que, pour entrer en possession du produit intégral de leur effort, les producteurs déclarèrent qu’ils voulaient abolir le salariat et faire disparaître le patronat sous toutes leurs formes ; qu’ils affirmèrent leur droit à la possession des Instruments dé production, d’échange et de répartition ; qu’ils précisèrent que cette possession, au lieu d’être individuelle et profitable à quelques-uns seulement, serait collective et profiterait à tous également ; qu’ils proclamèrent enfin que l’égalité devait être à la base des relations des individus entre eux et de ceux-ci avec la société ; que l’individu et la société sont deux réalités indéniables, qui réagissent l’une sur l’autre et sont inséparables l’une de l’autre ; qu’ils balbutièrent d’abord, pour l’affirmer catégoriquement bientôt, ce grand principe si éminemment humain : de chacun seIon ses forces, à chacun suivant ses besoins, qui constitue la base essentielle et fondamentale du communisme libertaire.

De là à déclarer que le travailleur - sens élargi du mot producteur - est à la fois la cellule initiale matérielle et morale, le moteur réel, le support logique et naturel des sociétés humaines, il n’y avait qu’un pas. Il fut assez vite franchi par le syndicalisme moderne, mouvement général des producteurs, qui s’est donné pour but de réaliser leurs aspirations de créateurs et d’hommes, tout à la fois.

Je ne crois pas utile de revenir sur ce que j’ai déjà écrit à maintes reprises à ce sujet dans mes études antérieures. J’aurai d’ailleurs l’occasion de serrer la question de plus près, lorsque je traiterai, plus loin, le mot syndicalisme, qui englobe toutes les aspirations des producteurs et précise leur doctrine en face de tous les problèmes humains.

Pierre Besnard.