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PROGRESSION n. f. (du latin progredi, progressus, avancer)



Une progression mathématique est constituée par une suite de rapports égaux ; elle peut être ascendante ou décroissante. Toutes les sciences adoptent cette signification dès qu’il s’agit de mesure et de calcul. En psychologie, Fechner, formulant la fameuse loi psychophysique qui porte son nom, déclare que, quand les excitations croissent en progression géométrique, les sensations croissent en progression arithmétique. Ce qu’on peut résumer, d’une façon plus simple, en disant que les sensations croissent comme les logarithmes des excitations. Dans la progression géométrique, on passe d’un terme à un autre en le multipliant par une quantité fixe : on aura 1, 2, 4, 8, par exemple, ce qui représente l, l x 2, 2 x 2, 2 x 2 x 2. Dans la progression arithmétique, on passe d’un terme à un autre en ajoutant toujours une même quantité ; ainsi, la progression 1, 2, 3, 4 équivaut à 1, 1 + 1, 1 + 1 + 1, 1 + 1 + 1 + 1. On a d’ailleurs fortement critiqué la formule de Fechner ; ceux qui en admettent le principe déclarent que le rapport exact d’une excitation à la sensation provoquée est beaucoup plus compliqué qu’elle ne le suppose. La progression mathématique croissante aboutit rapidement à des chiffres invraisemblables. C’est ainsi que la reproduction des êtres unicellulaires par simple division (chaque cellule donnant naissance à deux cellules nouvelles) conduit parfois à des résultats stupéfiants. Placées dans des conditions favorables, certaines bactéries donnent journellement 70 générations. Il en résulte, d’après les calculs, qu’en vingt-quatre heures, une seule bactérie pourrait produire une quantité de microbes si énorme qu’il est difficile de l’exprimer numériquement. Le poids de cette masse égalerait 4 720 tonnes. Un infusoire qui, en sept ans environ, donnerait 4 473 générations, constituerait, d’après les calculs de Woodruff, une masse protoplasmique dont le volume surpasserait plus de 10 000 fois celui de la Terre. Pour atteindre un volume égal à celui de notre globe, quatre mois suffiraient. Et, si les conditions favorables de développement lui étaient maintenues durant quelque cent ans, elle pourrait combler l’univers visible par sa seule multiplication. Heureusement pour nous, les microbes rencontrent des conditions qui retardent ou empêchent cette pullulation ; et nous n’avons pas à craindre qu’un pareil événement survienne jamais.

Sans s’arrêter à des considérations numériques, on emploie aussi le terme progression pour désigner une suite ininterrompue et graduée ; en particulier, concernant les faits biologiques et psychologiques. Ainsi, le développement des animaux et des plantes, qui part d’une simple cellule et finit par donner un organisme perfectionné, apparaît comme une progression. L’étude de l’embryon chez les animaux s’avère particulièrement instructive à ce point de vue. De la fusion d’un gamète mâle et d’un gamète femelle naît l’œuf qui, par bipartition successive, donne d’abord une sphère pleine, une morula, puis une blastula ou sphère creuse, enfin une gastrula où l’on distingue un feuillet externe, l’ectoderme ; un feuillet interne, l’endoderme ; et plus tard un feuillet intermédiaire, le mésoderme. La suite du développement sera différente selon les animaux observés ; mais, chez les vertébrés, elle reste analogue dans toutes les espèces, assez longtemps. L’embryon s’allonge et se recourbe ; quatre bourrelets latéraux ébauchent les deux paires de membres ; sur les côtés se dessine un commencement d’œil et d’oreille ; des fentes branchiales (les futures branchies des poissons) se voient plus en arrière. Par développement progressif, l’ectoderme formera ensuite l’épiderme de la peau et le tube nerveux ; l’endoderme donnera la muqueuse digestive, de nombreuses glandes, les poumons ; le mésoderme produira la corde dorsale, la musculature et les séreuses. Après la naissance, la progression continuera, provoquant la croissance et le développement complet de l’organisme. Comme la vie, la pensée suppose un enfantement préalable et une marche ascendante vers la perfection. Indéfiniment, la science humaine s’enrichit de vérités nouvelles, augmente le trésor de nos certitudes. Au point que plusieurs prévoient l’impossibilité, pour nos descendants, d’emmagasiner la multitude d’expériences et de lois que l’on découvre sans arrêt. Ils se trompent. « C’est à remplacer les lois fausses par des lois vraies, non à entasser des documents inutiles que consiste le progrès. L’antique alchimie ne le cédait à la chimie actuelle ni par le nombre des formules, ni par la complication des théories ; pour retenir l’histoire des Hébreux, l’effort mental sera sensiblement le même, qu’elle soit l’œuvre d’un prêtre sans scrupule ou d’un érudit consciencieux. Puis, dans les sciences très avancées, découvrir reste possible grâce à la multiplicité des subdivisions ; physique, chimie, biologie se développent rapidement par suite d’une spécialisation poussée fort loin. D’ailleurs, l’exemple des mathématiques, sciences presque achevées en quelques-unes de leurs branches, démontre que, parfois, l’ultime progrès ramène à plus de simplicité. » (Vouloir et Destin.) Même dans l’ordre biologique, on arrive à concevoir la possibilité d’une existence indéfinie, l’apparition de conditions défavorables étant la vraie raison de la décrépitude et de la mort. Le célèbre naturaliste Weissmann prétend que, chez les êtres multicellulaires, la mort résulte d’une adaptation progressive, utile à l’espèce. Elle « a paru, affirme-t-il, non comme une nécessité intrinsèque absolue, inhérente à l’essence même de la matière vivante, mais en conformité avec le but, c’est-à-dire comme une nécessité découlant, non des conditions générales de la vie, mais des conditions spéciales dans lesquelles se trouvent précisément les organismes multicellulaires... Mal effroyable pour l’individu, la mort, pour l’espèce, apparaît comme un bien puisque, grâce à elle, l’espèce peut sans cesse se rénover, se raviver par des individus plus jeunes et plus robustes renouvelant les organismes vieux et usés ». Alors que les choses inertes se désagrègent et tombent en ruine après un temps plus ou moins long, la matière vivante organise et construit sans cesse, au contraire. Ne nous étonnons point que de nombreux naturalistes lui donnent pour caractéristique l’immortalité, non la mort. Les expériences de Woodruf et de Metalnikov sur la pérennité des êtres unicellulaires sont connues. Les premiers, G. Haberland et Harrison ont montré que des tissus pouvaient continuer à vivre hors des organismes supérieurs qui les ont produits ; les méthodes adoptées par Carrel ont donné, depuis, une grande extension aux recherches concernant la multiplication des cellules à l’extérieur de l’organisme. Ainsi, la vie apparaît susceptible d’une progression sans fin. On peut en dire autant de la pensée, toujours en mouvement, jamais satisfaite de ce qu’elle connaît déjà. Et c’est vers un monde harmonieux qu’elle nous conduit, un monde débarrassé des credo inventés par les prêtres, des lois fabriquées par les gouvernants. 

— L. Barbedetie.