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PROPHYLAXIE n. f. (du grec : pro, avant, et phulaxis, action de garantir)

Nous entendons par prophylaxie l’ensemble des moyens que l’on peut mettre en œuvre pour se préserver de tel danger qui surviendrait presque fatalement sans ces précautions.

La prophylaxie ne sera pas seulement hygiénique ou thérapeutique, comme on l’a volontiers considérée jusqu’ici, mais elle intéressera également le plan intellectuel et moral de l’individu. Bien plus, nous pouvons l’étudier jusque dans ses ressources salutaires pour se garantir contre les fléaux économiques et sociaux.

En résumé, la prophylaxie est l’action de neutraliser, par des moyens appropriés, tous les éléments nocifs pouvant attaquer l’individu ou la collectivité dans sa santé physique, morale et sociale.

Il faut remonter à la plus haute Antiquité pour trouver les premières règles de prophylaxie hygiénique. Moïse, Mahomet n’hésitèrent pas à proscrire de l’alimentation de leurs peuples certaines viandes (le porc, entre autres, à cause de la trichinose) et certaines boissons alcoolisées. Le ramadan chez les musulmans, le carême chez les chrétiens, n’ont pas d’autre cause que de forcer les individus à une carence alimentaire très utile, surtout à l’époque du printemps.

Au cours des siècles, les grands fléaux épidémiques qui s’abattirent sur les peuples forcèrent ceux-ci à se soumettre à une prophylaxie rigoureuse et souvent brutale. Lors de l’invasion de la lèpre, qui se propagea d’une façon redoutable en Europe, à l’époque des Croisades, on employa le seul préservatif efficace, qui fut l’isolement. C’est dans ce but que furent créées les léproseries. Il existe une déclaration royale du 24 octobre 1613 réorganisant l’assistance due aux lépreux et faisant défense à ceux-ci de se marier avec des gens indemnes.

Pour la peste, on employa des moyens plus radicaux encore. Le 26 août 1531, le Parlement ordonna que toutes les maisons infestées par la peste eussent aux portes et aux fenêtres une croix de bois. Et, comme rien n’est nouveau sous le soleil, le bâton blanc que nous voyons aujourd’hui aux mains de nos aveugles, fut donné aux pesteux.

On cite aussi ce cas d’une prophylaxie par trop expéditive : le 27 septembre 1720, à Aix-en-Provence, un homme étant mort de la peste, on mura sa maison. Celle-ci était dans le faubourg de la ville. Trois hommes de cette maison voulurent, le soir, rentrer en ville : on les mit à mort.

Et quand on songe que l’épidémie de choléra de 1832, débutant à Calais et atteignant Paris, fit plus de cent mille victimes ; celle de 1848, à Dunkerque, cent dix mille ; enfin, que celle de Marseille, en 1865, détermina dans cette seule ville 14 600 décès en quelques mois, on trouve bien naturel que la société emploie tous les moyens possibles pour se défendre, et cherche de plus en plus à les améliorer.

En 1798, le médecin anglais Jenner publia son premier ouvrage sur la vaccine et, en juin 1800, eurent lieu les premiers essais de l’inoculation vaccinale contre la variole : elle est pratiquée avec succès sur une trentaine d’enfants. C’est, on peut dire, la première grande victoire prophylactique, car il faut arriver ensuite aux belles expériences de Pasteur pour que la porte soit ouverte toute grande à la lutte contre les éléments nocifs des principales maladies humaines. Nous passerons en revue ces différents procédés de préservation quand nous nous occuperons de la prophylaxie thérapeutique.

Pour l’instant, disons quelques mots de la prophylaxie hygiénique.

L’hygiène est la clef de toute bonne santé. Il faut qu’elle existe, au point de vue général, dans tous les endroits où doivent vivre en commun des agglomérations d’individus. Tout le monde ne peut pas habiter un appartement luxueux, où règne tout le confort moderne. Il faut donc remplacer, dans les logements plus modestes, ce luxe par des choses pratiques, et d’une propreté méticuleuse.

Il est indéniable qu’un grand progrès est actuellement réalisé. La destruction de la « zone parisienne », son remplacement par la construction de grands immeubles à loyers modérés, et, dans beaucoup de quartiers des grandes villes, la suppression d’îlots insalubres, nids à tuberculose, à fièvre typhoïde, à cancer, permettent au travailleur d’améliorer sa façon de vivre.

La facilité de plus en plus grande des communications avec la banlieue lui permet également de se désintoxiquer des miasmes accumulés dans les villes, et dont ses poumons sont imprégnés. L’effort n’a pas été moindre en ce qui concerne l’hygiène générale dans les grosses agglomérations d’individus : villes, usines, casernes, écoles, grands magasins, hôpitaux, etc. Partout, l’air circule mieux ; la vue se repose sur des jardins, des squares, des arbres. La nourriture, pour ceux qui sont nourris par la communauté, est très sensiblement améliorée. Enfin, l’aération, la désinfection des locaux, les vaccinations préventives, l’hydrothérapie, l’assistance médicale, les secours aux femmes en état de grossesse, tous ces facteurs entrent en ligne de compte pour réaliser une amélioration très sérieuse de la vie de l’ouvrier.

Est-ce à dire que la perfection est obtenue ? Hélas ! Il y a encore beaucoup à faire ! On publie des décrets défendant ceci ou cela, pour le bien des gens. Mais combien s’y conforment ? On défend de battre les tapis aux fenêtres : vous passez et recevez tous les microbes possibles échappés de chiffons poussiéreux ; on défend de laisser aux étalages extérieurs les produits de l’alimentation ; passez devant les crèmeries ou magasins de fruiteries : tout est par terre, pêle-mêle, et j’ai vu des chiens ne pas hésiter à se soulager sur ces paniers où vous irez ensuite puiser vos provisions. J’ai vu souvent le soir, dans les pâtisseries, des employés balayer très consciencieusement la boutique, n’ayant cure des gâteaux restant à découvert sur les tablettes : ils seront resservis le lendemain pleins de combien de microbes ?... Et combien d’autres faits je pourrais citer dans cet ordre d’idées !

Il y a, certes, beaucoup à faire, et nous verrons, surtout quand nous parlerons de la prophylaxie sociale, que l’homme n’est pas prêt d’atteindre au bonheur auquel il semble normalement avoir droit.

Une des bases de la prophylaxie hygiénique individuelle est la propreté corporelle. Notre époque est une époque de propreté, et la pratique des sports y a pour beaucoup contribué. Évidemment, j’envisage ici l’homme de condition moyenne, ne m’attardant pas aux riches qui ont tout, et plus encore, pour se donner tout le confort hygiénique possible – ni, non plus, à l’homme déchu, vivant au bas de l’échelle sociale, abêti par les passions et l’alcool. Donc, pour cet homme de condition moyenne, les soins de son corps, et la culture du dynamisme de ses muscles, lui permettent d’échapper à nombre de maladies, et d’arriver à une vieillesse saine et heureuse sans s’en apercevoir.

Les soins à apporter à certains organes particuliers sont des plus importants. Je parlerai en tout premier lieu des dents.

L’hygiène dentaire est, actuellement, entrée dans les masses, et le temps n’est plus où les soldats se servaient de leur brosse à dents pour astiquer les boutons de leur capote. Dès le jeune âge, dans les écoles comme dans les familles, on habitue les enfants à se brosser les dents, et il ne pas avoir peur du dentiste. Les malformations dentaires sont corrigées par des appareils spéciaux, dont le principal est le Monobloc du docteur Pierre Robin. C’est qu’on ne se figure pas, dans le public, l’importance qu’ont les dents mal placées dans les mâchoires, ce qu’on appelle scientifiquement dysmorphoses, pour le développement physique et intellectuel de l’enfant. « Vous les connaissez tous, ces sujets, qu’on appelle couramment adénoïdiens, aux dents irrégulières, à la voûte palatine ogivale, au menton en retrait ou en « galoche » ; chétifs, malingres, se développant mal, ils restent asthéniques, déprimés, en retard sur tout. La tête en avant, les épaules en dedans, ils sont des candidats à la tuberculose, préparée par des rhumes constants. La mastication qu’ils effectuent la bouche ouverte leur occasionne de l’aérophagie ; aussi sont-ils plus ou moins atteints d’entérite et d’infection gastro-intestinale, où l’appendicite prend une place importante. Leurs études sont retardées, leur caractère nonchalant et souvent coléreux : dans l’ensemble, ce sont des enfants difficiles à élever et donnant beaucoup de mal aux parents. » (Dr P. Robin.)

Que voulez-vous que de tels sujets deviennent dans la vie ? Ne seront-ils pas toujours des impedimenta sociaux, traînant avec eux leurs tares et les vices inhérents à leur déchéance physiologique ?

Grâce au traitement et à l’appareil du docteur Pierre Robin, grâce à cette méthode qu’il a appelée l’eumorphie, il arrive à faire de ces pauvres êtres tarés, disgraciés, condamnés à traîner une vie sur laquelle auront prise toutes les maladies et diathèses possibles, de ces malheureux, dis-je, il fera des sujets sains, normaux, armés pour la lutte physique et morale, sentant leur intelligence, autrefois atrophiée, s’éveiller de jour en jour aux idées saines et grandes, et parvenant ainsi à être des hommes, dans le sens le plus noble du mot.

À ces corrections thérapeutiques des anormaux, on peut joindre les exercices physiques qui ont pris une très large place dans l’éducation infantile moderne. Les institutions scoutes, réunissant des milliers d’enfants et de jeunes gens des deux sexes, apportent, par l’entraînement physique bien réglé, une contribution immense à la prophylaxie de tous nos maux.

Dans le même ordre d’idée, les danses eurythmiques, très en honneur dans toutes les classes de la société, apportent au corps une liberté, une souplesse, une élégance dans les gestes et la démarche qu’on ne retrouve réellement que dans les manifestations artistiques grecques ou latines.

Plus près de nous, nous voyons évoluer deux écoles sportives que l’on commence à envisager avec une curiosité sympathique : c’est le naturisme, des frères Durville, et le nudisme, de Kienné de Mougeot. Et ceci rentre bien dans notre étude, car la thalassothérapie et l’héliothérapie, c’est-à-dire les bains de mer et les bains de soleil, réclament, pour obtenir un maximum bienfaisant, une nudité absolue. Les nudistes affirment, d’ailleurs, que le nu est plus chaste que le demi nu, et que si, dès le jeune âge, on habituait les enfants des deux sexes à vivre ensemble à l’état de nature, ils n’auraient pas, plus tard, les curiosités malsaines de la puberté. L’éducation sexuelle en serait d’autant facilitée.



Voilà donc, envisagé dans ses grandes lignes, ce qui touche à la prophylaxie hygiénique.

Voyons rapidement, maintenant, les chapitres de la prophylaxie thérapeutique.

Ils embrassent toutes les grandes diathèses, toutes les grandes maladies ; c’est-à-dire qu’il faudrait un livre entier, que dis-je, plusieurs ouvrages, pour développer tous les traitements nouveaux, tous les moyens de défense contre les maladies, qui sont la gloire de notre nouveau siècle, avec les sérums, les vaccins, les bactériophages, l’hémothérapie et la transfusion du sang, la radiothérapie et les rayons X ; enfin, la dernière venue, l’opothérapie ou prophylaxie et traitement par les produits des glandes endocrines.

Quatre grandes diathèses déciment l’humanité : syphilis, tuberculose, alcoolisme, cancer. Voyons les données modernes qui peuvent protéger la société contre ces maladies, dans son individualité comme dans son hérédité.



Syphilis. — La syphilis n’étant plus, heureusement, considérée comme maladie honteuse, l’individu peut être mieux guidé et conseillé, d’abord pour éviter la maladie ; ensuite, l’ayant contractée, pour préserver son entourage de tout contage. On peut mieux lui apprendre à bien se soigner et, surtout, à considérer comme un crime de donner la vie à un enfant dans de telles conditions. Des livres, des pièces de théâtre, des tracts et des articles dans de nombreux journaux le mettront en garde contre la gravité de sa maladie, si les soins ne lui sont pas donnés à temps, et surtout s’il se figure être guéri parce que les premiers accidents auront rapidement disparu. Un syphilitique a, toute sa vie, une épée de Damoclès suspendue sur sa tête : qu’il ne l’oublie jamais.

Des centres vénériens existent aujourd’hui un peu partout et donnent une marche à suivre rigoureuse pour éviter ces accidents à retardement. La vraie prophylaxie de cette maladie est un peu illusoire : c’est un peu, comme dans la pièce de Brieux, le bon ou mauvais billet tiré à la loterie de l’amour. Cependant, je crois rendre service au lecteur en lui donnant ce conseil pratique : le plus tôt possible, après un rapport sexuel suspect, faire un savonnage prolongé des organes génitaux et des régions voisines (savon blanc de Marseille et eau chaude). Frictionner ensuite légèrement ces mêmes surfaces avec la pommade suivante, qui sera laissée en place deux à trois heures :

— Cyanure de Hg : dix centigrammes ;

— Thymol: 1,75 g ;

— Huile de vaseline : 4 g ;

— Calomel : 25 g ;

— Lanoline : 50 g ;

— Vaseline : q. s. pour 100 g. (Gauducheau.)



Tuberculose. — Nous avons dit plus haut que l’hygiène est la clef de toute bonne santé. Jamais aphorisme n’a été aussi vrai qu’en ce qui concerne la prophylaxie de la tuberculose.

L’air confiné, les séjours dans les locaux obscurs, sales, mal entretenus, où grouillent des nichées d’enfants, voilà les facteurs de la tuberculose. Et ceux-là ne pardonnent jamais. Prenez les mêmes nichées d’enfants, faites-les évoluer en plein air, qu’ils appartiennent à des bohémiens ou à des fermes campagnardes, dans lesquelles on les verra disputer le fumier aux porcs : jamais vous ne trouverez chez ceux-ci le bacille de la tuberculose. Ah ! Des croûtes d’impétigo ou autres teignes, tant que vous voudrez ! Mais les parents vous diront que « ça n’a pas d’importance, que c’est la santé de l’enfant... », et vous n’aurez rien à répondre. La vie au grand air, les exercices physiques, les bains de soleil et de mer, voilà la vraie prophylaxie de cette terrible maladie. Quant à son hérédité, on affirme aujourd’hui qu’elle est rare : l’enfant ne naît pas tuberculeux, il naît tuberculisable.

La lutte que la société livre à cette maladie est grande et donne de bons résultats. Des dispensaires existent dans chaque arrondissement de Paris, et le timbre antituberculeux, lancé chaque année, à Paris, leur apporte une source intéressante de revenus. On a fait un peu partout des préventoriums et des sanatoriums. Des affiches, dans tous les lieux publics, défendent de cracher, car les poussières remplies de bacilles sont absorbées rapidement. Malgré tout, le pourcentage de mortalité par tuberculose est trop élevé. « Là encore, les résultats obtenus, partout où la lutte est menée méthodiquement, montrent ce que leur généralisation pourrait nous conserver de vies humaines. » (Le Matin, 27 mai 1932.)

Les Italiens sont en progrès sur nous à ce sujet. Une loi va, en effet, instituer la fiche radiologique obligatoire dans les écoles, afin que soient dépistées les lésions initiales de la tuberculose chez les enfants, « les radiologistes italiens désirant collaborer d’une façon désintéressée à la grande bataille de rénovation de la race ». (10e Congrès radiologiste italien, juin 1932.)



Alcoolisme. — Il n’y a pas de prophylaxie de l’alcoolisme : il est ou il n’est pas. Il en est de l’alcool comme de tous les poisons : c’est par sa suppression catégorique que l’on peut arriver à un résultat positif. Deux grands exemples sont là : au moment de la guerre, on a supprimé les alcools et l’absinthe ; résultat : on ne voit plus dans les rues de ces clochards ivres morts. Ceci pour la France. En Amérique, on a institué le régime sec : on en discute encore le bien ou le mal que cela a occasionné. Il est certain qu’en ce qui concerne notre pays, on peut affirmer que l’ouvrier ne s’alcoolise plus. Regardez-le au bar : il prendra un « café arrosé », un « blanc », un « rouge bord », quelquefois un « calva ». Mais l’« anis » le dégoûte : ce n’est plus le bon « Pernod » d’autrefois, et les alcools coûtent trop cher.

Mais le vice s’est décalé, et c’est maintenant dans la classe riche qu’il sévit. L’alcoolisme règne en maître chez les buveurs de cocktails, de liqueurs à pleins « verres de dégustation » répétés je ne sais combien de fois dans une journée ou une soirée, et ce sont souvent les femmes dites « du monde » qui en détiennent le record. On peut dire que le cocktail est le poison actuel de la haute société, néfaste doublement comme alcool et comme mélange.



Cancer. — Le cancer est la grande maladie moderne, sournoise, tapant à coup sûr, sans qu’on puisse en deviner l’invasion. Certains, comme les cancers de la bouche, des lèvres, de la langue, peuvent être décelés par des spécialistes comme les dentistes avertis. Une prophylaxie bien dirigée, surtout par la suppression du tabac chez les fumeurs ou le meulage de certaines dents ou racines à arêtes coupantes, peut enrayer le mal. (Voir Tumeur.)

Dans l’état actuel de la science, on ne peut dire encore si le cancer est contagieux ou non. Il semblerait héréditaire. On parle aussi de régions, de maisons, même, où le cancer se développerait avec plus d’intensité que partout ailleurs. On lance, actuellement, dans la pharmacopée, des produits à base de sels de magnésium et de manganèse qui agiraient efficacement et d’une manière prophylactique sur la neutralisation des terrains cancéreux. Quoi qu’il en soit, le traitement classique, en dehors de cette médication, ressort entièrement de la chirurgie ou de la radiothérapie.

Notre étude serait incomplète si nous passions sous silence quelques grandes maladies, pour lesquelles la prophylaxie offre cent fois plus de ressources que le traitement lui-même.



Fièvre typhoïde. — Due, comme on sait, à la contamination des eaux par le bacille d’Eberth, elle n’existe pour ainsi dire plus dans les grands centres, où l’eau est stérilisée par différents moyens. Le plus moderne est la verdunisation, obtenue par l’action des rayons ultra-violets.

Il est si peu permis, aujourd’hui, aux compagnies des eaux de ne pas prendre toutes les précautions voulues pour donner une eau exempte de tous germes pathogènes, que la responsabilité de ces compagnies est parfaitement établie par les tribunaux, et que, dans une épidémie de fièvre typhoïde, les personnes atteintes sont en droit de réclamer des indemnités. Un habitant d’Oullins, près de Lyon, réclama 30 000 francs d’indemnité, son fils ayant eu ses études interrompues du fait de la typhoïde, et sa demande fut recevable.

Dans les grandes agglomérations d’individus, dans l’armée par exemple, la vaccination anti-typhoïdique a fait merveille, et les épidémies vraies n’existent pour ainsi dire plus. Pour renseigner encore mieux le lecteur, nous ajouterons cette nouvelle de la toute dernière heure (juillet 1932) : M. André Kling vient d’étudier le mécanisme suivant lequel l’argent métallique mis en contact avec une eau quelconque souillée, non seulement la stérilise, mais encore lui confère des propriétés bactéricides vis-à-vis du bacille typhique et du colibacille. Cette action serait due à une solubilisation de l’argent dans l’eau.



Diphtérie. — La prophylaxie de la diphtérie est intéressante, parce qu’elle est toute nouvelle et a donné, d’emblée, des résultats positifs. On sait l’angoisse des parents quand le croup venait tuer leur enfant, étouffant dans ses griffes mortelles. En disant « toute nouvelle », je veux parler de la sérothérapie préventive par le vaccin ou anatoxine de Ramon, parce que le sérum antitoxique de Roux est le traitement le plus ancien du croup, et celui qui a préservé des milliers de petits êtres, voués sans lui à une mort certaine.

Le sérum de Roux guérit, le vaccin de Ramon immunise ; et cette vaccination se fait aujourd’hui à tous les enfants entre quatre et sept ans. Trois injections seulement sont pratiquées. Jusqu’à sept ans, on ne constate aucune réaction. À partir de cet âge, le choc est sensible. L’on doit d’ailleurs s’abstenir chez les adultes.



Rage, tétanos. — Dans ces deux cas, la vaccination doit être prophylactique, et n’agit qu’autant que le virus n’a pas encore fait son attaque. Tout individu mordu par un animal suspect de rage doit être vacciné le plus tôt possible. Tout individu mordu par un serpent venimeux doit recevoir le sérum de Calmette. Cette sérothérapie constitue un traitement d’urgence. L’injection devant être précoce pour être curative.

De même, toute personne ayant fait une chute et ayant une blessure ou écorchure souillée de terre ou de poussière est susceptible de contracter le tétanos. Là aussi, le vaccin n’agira qu’à titre préventif. On ne saurait trop répéter ces conseils pratiques, car de la rapidité du traitement dépend toujours la vie du malade.

Quant aux autres maladies infectieuses ou parasitaires, la prophylaxie générale se résumera en quelques principes : isolement du malade ; port d’un masque de gaze et d’une blouse, par toute personne l’approchant (surtout pour la grippe) ; lavage des mains avec une solution antiseptique (permanganate de potasse, hypochlorite de soude, etc.) ; désinfection du malade (nez, bouche, frictions d’eau de Cologne) ; vaccination et sérothérapie ; régime alimentaire.

La prophylaxie sanitaire est moins rigide à notre époque qu’autrefois. Les « quarantaines » des navires se bornent à quelques jours de lazaret. La destruction des bêtes de toutes sortes, et, surtout, des rats à bord des navires, entre pour beaucoup dans la sécurité où se trouvent les voyageurs, en débarquant à terre, de n’être cause d’aucune contamination.

Quant aux moustiques, mouches, puces, tous vecteurs de germes, on sait la campagne qu’on mène activement pour leur destruction. Les journaux du 11 juillet 1932 faisaient passer un avis du Comité national de l’enfance, soulignant les dangers que font courir aux nourrissons les chaleurs et les mouches, celles-ci se posant volontiers sur le lait, d’où s’ensuivent des diarrhées infantiles mortelles.

Maintenant, pour terminer cette étude de la prophylaxie thérapeutique, voulez-vous que je vous donne un bon conseil ? En cas d’épidémie, soignez encore mieux votre moral que votre organisme ; faites agir votre subconscient et répétez-vous – autosuggestionnez-vous – que le bacille n’aura aucune prise sur vous. La peur du microbe est le commencement de la maladie. Et rappelez-vous la grande parole de Claude Bernard : « Le microbe n’est rien, c’est le terrain qui est tout. »

Cultivez donc votre terrain organique, soit par une bonne hérédité, soit par un fonctionnement normal de vos glandes endocrines.

Toute la prophylaxie est là.



Prophylaxie mentale. — La prophylaxie n’est pas seulement hygiénique et thérapeutique, elle est aussi mentale. Cela veut dire que chaque être, dès son jeune âge, doit être guidé, prémuni contre les embûches de la vie. On obtiendra cela par une instruction, par une éducation bien adaptées à son intelligence et au milieu dans lequel il évoluera, Ce sera le rôle des instituteurs et des éducateurs de développer sa personnalité, de façon à lui donner une idée plus juste de ce qui est vrai, de ce qui est bien. Quelle responsabilité pour un maître ! Car si, dans les premières années de l’enfance, il y a le lien naturel, instinctif qui force le père et la mère à développer, chez le tout petit, son être surtout physique, à la septième année, des besoins nouveaux apparaissent, et son être intellectuel va recevoir les forces qui agiront durant sa vie. Et le maître devra avoir la compréhension de ce bloc inerte et vierge dont il lui faudra façonner une œuvre forte, intelligente, harmonieuse. Le moindre germe jeté dans ce terrain inculte aura des répercussions insoupçonnées. Car il faut bien se dire que toutes choses, dans la vie, dépendent les unes des autres, et que les plus petites causes peuvent déclencher les plus formidables effets.

La meilleure prophylaxie mentale du petit enfant, c’est de le laisser libre dans toutes ses activités, dont la principale, la plus vivante est le jeu.

L’enfant grandit, arrive à la puberté et, ici, se place la grave question de l’école mixte et de l’éducation sexuelle. L’école mixte est rationnelle : il n’y a pas plus de raison d’empêcher des enfants de sexe différent de suivre ensemble les leçons d’un maître que d’empêcher des jeunes garçons et des jeunes filles de s’asseoir sur les bancs d’un amphithéâtre, soit à la Sorbonne, soit à l’école de médecine ou à l’école de droit, pour les besoins de leur instruction professionnelle.

L’éducation sexuelle doit être enseignée par des personnes ayant toute la confiance de l’enfant, par le médecin de la famille, ou, à leur défaut, par les parents ; mais ceux-ci sont, presque toujours, de très mauvais éducateurs.

Alors, du fait que les enfants seront libérés de toutes ces idioties dont on embue leur petite intelligence, et comprendront le mystère de la vie humaine par comparaison avec les métamorphoses de plantes ou d’insectes, il naîtra dans leur conscience toute une prophylaxie mentale qui les mettra à l’abri des curiosités malsaines de la puberté, et en fera des êtres normaux, psychiquement et physiologiquement parlant. Il n’y aurait pas tant d’adeptes de Sodome et de Lesbos si la franchise sexuelle existait chez l’enfant dès son tout jeune âge, à commencer par le nudisme intégral.

Nous ne nous écarterons pas de notre sujet en parlant de la tendance actuelle à niveler les classes de la société ; et le résultat s’en fera nettement sentir d’ici peu, car 1932 voit la suppression du ministère de l’Instruction publique et son remplacement par le ministère de l’Éducation nationale. Cette année voit aussi la gratuité de l’instruction dans les lycées. Et, pour bien montrer l’état d’esprit de la jeunesse actuelle, je veux citer la fin d’un discours prononcé cette année, au banquet des anciens élèves du lycée Pierre Loti, à Rochefort, par un élève de philosophie, invité : « Depuis plusieurs années, les élèves de l’école primaire supérieure et les élèves du lycée ont appris que la diversité des programmes n’élevait pas d’irréductibles obstacles à une réciproque compréhension. Les règles de la vie commune, le zèle simultané aux exercices du corps comme aux travaux de l’esprit, les conversations et les débats à cœur ouvert, les hasards irraisonnés de la sympathie : tout concourt à effacer les barrières factices, les préjugés sans fondement, les égoïsmes nés d’une mutuelle ignorance. La jeunesse reconnaît la jeunesse, et sait lui tendre une main fraternelle par-dessus les institutions et les doctrines. Le travail a toujours la même valeur humaine, parce qu’il a toujours la même dignité... Aux paroles merveilleuses que chantent Homère et Virgile, voici que s’unissent le bruit des machines et la rumeur studieuse des ateliers. Puisse cette symphonie, d’abord étrange, vous sembler le symbole du présent et du futur. »

Voici donc un pas de fait vers cette éducation « mondiale », chère à beaucoup, qui mènerait à la Fraternité universelle.

J’ai dit, plus haut, que chaque être, dès son jeune âge, devra être guidé pour obtenir de la vie le maximum de ses bienfaits. Cependant, donnez les mêmes conseils à deux individus et suivez-les dans leur réalisation : l’un réussira, l’autre échouera ; l’un aura de la chance, l’autre, jamais.

C’est qu’il y a des quantités d’éléments impondérables qui viendront se greffer pour faire la chance de celui-là, la malchance de celui-ci. Ne peut-on donc devenir maître de sa destinée ? On peut tout au moins mettre beaucoup d’atouts dans son jeu, quand on joue le bonheur de sa vie, en s’appuyant sur ces trois facteurs indispensables : l’ordre, la méthode et la confiance en soi.

Malheureusement, il y a des contingences qui peuvent venir contrarier cette harmonie que devrait être la vie : l’hérédité bonne, qui fera de ce jeune homme un individu sain, intelligent, bien armé pour la lutte, donnera à cet autre, si elle est lourde, un handicap néfaste : victime de diathèses multiples, tuberculeuses, syphilitiques, alcooliques, bref, dégénéré au moral comme au physique, il paiera à la société cette dette accumulée sur sa tête par les tares pathologiques de ses parents.

En résumé, la prophylaxie mentale devra guider l’individu pour obtenir le plus de réussite possible dans la vie. Pour cela, il lui faudra un peu de psychologie, beaucoup d’intuition, une propreté morale et physique.

Ce qu’on appelle la « cote d’amour », due à un physique agréable, à une facilité d’élocution, ne peut qu’aider à cette réussite. En tout cas, celle-ci donnera la confiance en soi, et permettra d’obtenir mille petits avantages que n’auront jamais les timides et les endormis.



Prophylaxie sociale. — Nous parlerons en dernier lieu de la prophylaxie sociale ; et pourtant nous aurions dû la mettre en première ligne, car c’est bien d’elle que dépendent toutes les autres. Lorsqu’on veut qu’une graine germe bien, qu’un plant d’arbre fruitier se développe et donne son rendement maximal, que fait-on ? On soigne le terrain, on y ajoute les éléments déficients.

De même pour les animaux : quand on veut un produit parfait, on sélectionne les pères et mères et l’on entoure la procréation de tous les soins possibles. Et que fait-on pour l’animal doué de raison qu’on appelle l’homme ? Rien. On ne l’éduque même pas sur ses devoirs de procréateur. On le jette dans la vie « au petit bonheur la chance », fabriquant des enfants sans se rendre compte de l’acte formidable qu’on va faire : créer de la vie !

Ah ! Vous croyez avoir le droit de la créer, cette vie ? Et vous, mère, vous croyez avoir le droit de mettre cet enfant au monde ? Ce droit, vous l’avez, mais à une condition : c’est que vous serez sûre que l’être qui naîtra aura en lui toutes les forces, toutes les possibilités d’une nature saine, exempte d’une hérédité lourde ou même douteuse. Voulez-vous me croire – et c’est un médecin qui vous parle : tout le problème de la rénovation sociale et de la procréation est inclus dans une seule formule :

Soyez sains. Restez sains. Redevenez soins.



Je l’explique en deux mots.

Faites des enfants si vous êtes sains, père et mère, c’est-à-dire si vous n’avez pas une hérédité scrofuleuse, tuberculeuse, syphilitique ; si vous n’avez pas acquis vous-mêmes la tuberculose ou la syphilis ; ou bien si, l’ayant, vous êtes guéris de ces diathèses avant de vous marier. Et encore, je ne parle pas des alcooliques, des épileptiques, de tous les tarés du système nerveux.

Je pose donc en principe que c’est un crime de mettre un enfant au monde si vous n’êtes pas sûrs, parents, de lui léguer un terrain sain dans lequel travailleront ses organes dans une parfaite intégralité physiologique et euphorique.

Posé cet axiome, tout ce qu’on nous raconte sur la natalité n’est que littérature, utopie et même danger, car le danger sera aussi grand, pour une nation, de mettre au monde des enfants tarés que de n’en pas mettre du tout. Donc, soignez d’abord vos diathèses héréditaires ou acquises, et procréez ensuite.

Voyez-vous maintenant l’utilité du certificat prénuptial qui va son petit bonhomme de chemin ? Nous le verrons bien éclore un de ces jours. Il ne s’agit point, ici, des thèses qui intéressent le malthusianisme (voir ce mot) ; il n’est question que de la mise en pratique de l’eugénisme. Il était en honneur chez les Grecs et les Romains qui enfermaient les femmes enceintes dans le gynécée, entourées de belles statues, d’œuvres d’art splendides, pour qu’une imprégnation subconsciente vînt former un être beau et fort. Ils le pratiquaient aussi, ces mêmes peuples qui sacrifiaient impitoyablement les nouveaux-nés tarés ou malingres. Que la société prenne donc l’enfant sain, d’où qu’il vienne, et ne jette pas son injuste réprobation sur la fille-mère. On se plaint de dépopulation. Protégez la fille-mère et son rejeton. Vous ne verrez plus les avortements pulluler à tous les étages de la société, et ouvrant la porte à la prostitution, à la criminalité.

La prophylaxie criminelle n’existe pas encore. Mais son organisation est à l’étude sur l’initiative du docteur Toulouse. Partant de ce principe que les criminels sont le plus souvent des anormaux, ils attirent d’habitude, avant leurs attentats, l’attention de leurs proches ou des tiers par leurs façons d’agir : injures, violences, menaces, etc. Or, ces actes, qui ne tombent pas sous le coup de la loi, sont suffisants pour qu’ils soient signalés aux centres de prophylaxie mentale, aux fins de traitements spéciaux. Ainsi seraient évités grand nombre de crimes. (Le Siècle médical, 1er juillet 1932.)

Si toutes ces prophylaxies dont nous venons de parler étaient mises en œuvre, nous aurions certainement une sélection d’individus qui amènerait fatalement une sélection de races. Et les conséquences en seraient merveilleuses : aux pensées et sentiments destructifs (laisser-aller, haine, égoïsme, cupidité, cruauté, laideur, mensonge), succéderaient des pensées et des sentiments constructifs de bonté, d’altruisme, de liberté, de travail, de tolérance, de vérité, etc. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes, et nous verrions, alors, les peuples vivre dans la paix et le bonheur : finis les conflits, finis les armements, finies les guerres ! Quel idéal plus pur peut-on désirer ?



Conclusion. — On a vu, d’après tout ce que je viens de dire sur la prophylaxie, que de siècle en siècle, d’année en année, de jour en jour, l’humanité essaie, par un mieux-être éternel, de lutter contre toutes les forces maléfiques qui s’agrippent à l’être individuel et social, comme pour lui dire : « Tu as beau faire pour améliorer ton existence, il y aura toujours, au bout, la fin devant laquelle nous sommes tous égaux : la mort ».

Mais avant la mort, il y a la vie, que nous devons essayer de faire la meilleure possible. Des intelligences de tous ordres s’attèlent à cela – nous l’avons montré – et réussissent après mille détours. La boutade de Spencer est toujours vraie :

« L’humanité ne finit par marcher droit qu’après avoir essayé de toutes les manières d’aller de travers. » 

— Louis Izambard.