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PROSCRIT n. et adj.


Victime de la proscription. Nous y comptons bien des héros.


« Le proscrit à son tour peut remplacer lidole. » (V. Hugo.)


Nous avons vu que le tyran, parfois, devient un proscrit et qu’un proscrit peut devenir tyran.


La proscription étant une arme odieuse de politique autoritaire, on ne peut s’étonner que tous les régimes et tous les gouvernements, en tous pays, en aient usé et abusé. La tyrannie n’a pas de limite, et la Révolution française elle-même a démontré, à sa façon, qu’elle aussi savait proscrire aussi bien que le régime déchu. Dans un livre récent, Les Derniers terroristes, l’auteur, M. G. Lenôtre, nous fait assister à l’extraordinaire, à l’invraisemblable odyssée des jacobins arrêtés après l’attentat de la rue Nicaise et déportés à Mahé, la plus grande des îles Seychelles, à 280 lieues de Madagascar, à 416 lieues de la Réunion, à 3 800 lieues de la France. On sait que leur aventure ne prit pas fin à Mahé, mais se prolongea et se divisa en nombreuses et interminables péripéties, toutes plus dramatiques les unes que les autres...


Il est facile de se renseigner sur ce que furent les proscriptions ou déportations à travers les siècles jusqu’à nos jours. Il serait trop long d’en faire ici l’énumération, mais celles de 1851 et de 1871 ne sont pas au-dessous des plus féroces proscriptions de l’Antiquité.


En outre des massacres répressifs de la Commune, les tribunaux de l’Ordre rétabli prononcèrent l3 700 condamnations qui ne laissent rien à désirer, comparativement aux condamnations des régimes antérieurs à cette République française que tant de braves gens du peuple avaient rêvée si belle avant son avènement...


D’ailleurs, n’en est-il pas de même aujourd’hui pour la Russie et pour l’Espagne ? Au lendemain d’une révolution – et parfois même durant son accomplissement –, des iniquités par trop flagrantes font naître des protestations si véhémentes, que les protestataires, par la parole, par l’écrit ou par l’action, sont aussitôt victimes de proscriptions dignes d’un tsar de Russie ou d’un roi d’Espagne ! Éternelle malfaisance de l’Autorité, de l’État !


En 1871, la Commune de Paris vaincue, la répression s’acharna, sous le masque de la légalité : ce n’était pas assez des massacres ignobles du peuple, dans les rues de la capitale envahie par l’armée de Versailles ; ce n’était pas assez de 30 000 fusillés, de 42 000 arrestations ; il y eut 13 700 personnes condamnées à la déportation, dont la plupart à vie. Leur crime était d’avoir cru à un avenir meilleur, à un régime de justice sociale. Cette vengeance bourgeoise contre le peuple de Paris, qui avait osé poser les jalons d’une société égalitaire assurant le bien-être à tous par le travail affranchi de l’exploitation, n’est-elle pas équivalente aux plus atroces proscriptions des régimes les plus tyranniques et les plus cruels ? Mais les proscriptions n’arrêtent pas l’évolution : elles contribuent à susciter les secousses efficaces que sont les révolutions. 

— Georges Yvetot.