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PROTÉONISME



En 1887, le professeur Raphaël Dubois (élève de Paul Bert), titulaire de la chaire de physiologie générale et comparée à l’université de Lyon, fut amené à définir sa conception scientifique nouvelle de la vie et choisit le néologisme « protéon » pour désigner le principe unique, à la fois force et matière, grâce auquel tout, dans l’Univers, apparaît, se transforme, évolue, disparaît.



À cette époque, toute la science était encore imbue des idées dualistes, et c’est pour éviter la confusion avec le monisme limité de Haeckel, avec le matérialisme, avec le spiritualisme, que R. Dubois nomma sa philosophie nouvelle « protéonisme ».



C’était la renaissance, sous une forme scientifique, des conceptions unicistes anciennes de la Grèce, de l’Égypte, de l’Inde, relativement à l’Aither, et aussi la concrétisation du panthéisme de Spinoza, de la théorie de l’identité de Schelling, du devenir de Hegel.



Pendant plus de vingt ans, le protéonisme sommeilla, défendu cependant par les plasmogénistes comme Herrera, Kuckuck, Victor Delfino, etc. Mais les travaux retentissants de Becquerel, de Curie, de G. Lebon démolissent toutes les vieilles conceptions sur la matière et donnent à cette philosophie un regain d’actualité. Le protéonisme oublié renaît sous le vocable d’énergétisme et devient à la mode. Tous les travaux modernes sur les atomes, la chaleur, la lumière, l’énergie, la radiation, confirment les thèses du grand pacifiste scientifique.



R. Dubois fut un vrai révolutionnaire et un penseur libre en un temps où l’enseignement public sortait à peine des mains des églises, où le créationnisme dominait, où la préparation de la guerre était à l’honneur ; ce fut un précurseur hautain, cinglant, incompris, auquel la bourgeoisie ne pardonna pas. Par-delà les frontières d’un monde étroit et divisé, il devinait dans l’avenir la Terre unie et les peuples réconciliés, travaillant scientifiquement au bonheur universel.



Voici ce qu’il écrivait à propos du protéonisme, dans ses Lettres sur le Pacifisme scientifique et l’Anticinèse, peu de temps avant de mourir, bien oublié des officiels, mais aimé de ses amis et élèves pacifistes du monde entier, auxquels il a ouvert de larges horizons sur la physiologie, la vie universelle et les conceptions biocosmiques dont il fut un des premiers défenseurs :



« Je ne suis pas matérialiste, pas plus que je ne fais profession d’être spiritualiste. J’ai introduit le monisme nouveau, ou néo monisme, dans l’enseignement officiel, bien avant qu’Haeckel ait généralisé son monisme primitif, lequel faisait dériver l’homme de la monère et n’allait pas au-delà. Pour moi, force et matière ne sont que deux aspects d’un principe unique, le protéon, qui, par ses innombrables et incessantes métamorphoses, donne à la Nature son infinie et merveilleuse variété. Rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout évolue sans cesse, partout, en nous comme en dehors de nous, selon des lois dont la connaissance nous est permise par la science et dont l’insubordination, consciente ou inconsciente, bien souvent fruit amer de l’ignorance, n’en comporte pas moins de terribles sanctions, dont la guerre n’est pas la moindre. Voilà ce que j’enseignais à mes étudiants, bien avant la découverte du radium et les démonstrations des savants qui ont établi définitivement que la matière n’est que de l’énergie compacte. Mais ils ont eu le tort de donner le nom d’énergétique, qui prête à confusion, à ce que j’avais appelé protéonisme, pour bien marquer qu’il s’agissait d’une doctrine philosophique nouvelle. »



Ainsi, dans le domaine biologique et philosophique universel, R. Dubois fit, il y a 45 ans, l’union entre matérialistes et spiritualistes, à peu près comme, de nos jours, notre ami Georges Kharitonov, qui démontre dans la Synthanalyse que l’émission, la radiation, l’ondulation, la mutation, etc., sont des aspects divers du même phénomène tourbillonnaire de la vie générale, en réconciliant ainsi les défenseurs divers de Newton, de Fresnel, de Maxwell, de Planck, dans une nouvelle synthèse universelle qui servira de base à des conquêtes humaines scientifiques et pacifiques en éternelle évolution. 

— J. Estour.



Bibliographie. — R. Dubois : Leçons de Physiol. génér. comp., Masson, 1898, Paris ; Naissance et évolution du Protéonisme ; La Vie universelle, vol. I, pp. 21, 41, 62, 107, 128, 198 (Bulletin de l’Association internationale biocosmique) ; Lettres sur le Pacifisme scientifique et l’Anticinèse, Delpeuch, 1927 ; Qu’est-ce que la Vie ? Conférence radiophonique 14 septembre 1924 (La Science et la Vie.) — J. Thibaud : Spectroscopie de haute fréquence et nature de l’atome, avril 1926 (La Science et la Vie).