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PROTOPLASMA n. m. (du grec prôtos, premier ; plasma, matière façonnée)



Les progrès réalisés dans la construction des microscopes, au xixe siècle, ont permis d’observer les tissus vivants à des grossissements de plus en plus considérables. Le perfectionnement des fixateurs et des colorants, ainsi que la division en coupes très minces ont encore grandement facilité la tâche des histologistes. Et, comme on modifiait la substance vivante en la tuant, on est même parvenu à l’examiner sans altérer ses éléments, grâce à des dissections d’une délicatesse extrême. Quand Schwann déclarait, en 1832, que tous les tissus étaient des assemblages de cellules, ce n’était qu’une hypothèse ; de patientes recherches, poursuivies depuis, ont montré qu’il s’agissait d’une vérité générale que l’on devait étendre à la totalité du règne végétal comme du règne animal. En outre, il existe une multitude d’êtres unicellulaires que les microbiologistes étudient avec soin. Poussant plus loin, on a prouvé que les cellules des tissus les plus différents présentaient entre elles et avec les cellules microbiennes une remarquable unité de composition. D’une façon générale, chacune d’elles est limitée par une fine membrane qui renferme une matière visqueuse, le protoplasma, contenant lui-même un corps plus réfringent, le noyau.



L’anatomie détaillée de la cellule fait aujourd’hui l’objet d’une science spéciale, la cytologie. Formée de protoplasma plus consistant, la membrane a quelquefois l’aspect d’une pellicule colloïdale très nette ; dans d’autres cas, la cellule manque de limites bien distinctes. Quant au noyau, son apparence est très variable, selon les cellules et les moments. Limité par une membrane, il est constitué par une matière colloïdale assez fluide, le suc nucléaire, où se trouvent des granulations de formes différentes et avides de couleurs basiques, les grains de chromatine, ainsi qu’une autre granulation, le nucléole, très sensible, au contraire, à l’action des colorants acides. Le protoplasma a l’aspect d’une masse transparente et homogène qui renferme diverses particules en suspension. Mais sa complexité est si grande et la gamme de ses variétés si étendue que Rabaud déclare qu’il y a « non pas un protoplasme, mais des protoplasmes, d’innombrables protoplasmes ». Au point de vue chimique, il renferme du carbone, de l’hydrogène, de l’oxygène, de l’azote, du soufre, du phosphore. En dernière analyse, il apparaît comme une combinaison de matières albuminoïdes et d’acide nucléique : les premières sont des composés complexes de carbone, d’hydrogène, d’oxygène, d’azote et de soufre ; le second, un composé complexe de carbone, d’hydrogène, d’oxygène, d’azote et de phosphore. Le protoplasma, la membrane, ainsi qu’une partie du noyau sont des combinaisons basiques ou neutres d’albuminoïde, à l’état de saturation ou en excès, avec de l’acide nucléique. Par contre, la chromatine renferme de l’acide nucléique en excès. Comme les nucléo albuminoïdes, constitutives de l’ensemble, sont à l’état colloïdal, l’eau joue un rôle de premier ordre dans les continuelles transformations du protoplasma. « La vie, affirmait Le Dantec, est un phénomène aquatique. » Lorsqu’elle se putréfie, la matière organique donne finalement de l’eau, de l’ammoniaque, du gaz carbonique, du phosphure d’hydrogène qui produit les feux follets des cimetières, du gaz sulfhydrique dont on connaît la mauvaise odeur.



On trouve différentes sortes de filaments et de grains dans le protoplasma colloïdal. Certains sont des éléments inertes, c’est le cas des vacuoles à contours plus ou moins nets et des grains de sécrétion ; d’autres, les mitochondries, sont des éléments très actifs. C’est par l’étude des colloïdes, base essentielle de la substance protoplasmique, que l’on pénètre le plus profondément dans le secret de la vie. L’état colloïdal (c’est-à-dire pareil à de la colle) apparaît comme intermédiaire entre la suspension dans un liquide et la solution normale, qui suppose les molécules du corps dissous uniformément distribuées et petites. En effet, il exige que ces dernières soient très grosses ou qu’elles forment des agrégats, les micelles, dont les propriétés annoncent déjà celles de la matière vivante. Parmi les micelles jouissant d’une activité particulièrement considérable, signalons les granulations zymasiques ou ferments solubles qui, à des doses infiniment petites, provoquent les divers genres de réaction chimique vitale. Ainsi, la présure fait coaguler, sans se détruire, deux cent cinquante mille fois son poids de caséine du lait. Ce sont des agents physico-chimiques catalytiques. L’instabilité des colloïdes est en rapport avec la mobilité incessante de leurs granulations.



« D’où, écrit Raphaël Dubois (l’un des plus grands biologistes de notre époque, qui voulut bien me témoigner de l’amitié), un brassage interne très complexe, car la forme et l’intensité des mouvements granulaires n’est pas la même pour toutes les granulations. Ils varient surtout avec les charges électriques que possèdent toujours ces dernières. Si ces charges électriques sont égales et de même signe, les granulations se repoussent, comme les boules de sureau d’un électromètre, et se tiendraient en équilibre stable si, à chaque instant, ces charges ne se modifiaient sous l’influence des agents extérieurs, d’où rupture d’équilibre et translation, agitation incessante. Bien plus, les charges peuvent changer de signe, les granulations de signe contraire se précipitent alors les unes vers les autres, produisant une sorte de coagulation qui porte le nom de « floculation », comme lorsque le lait vient à tourner. Si cette floculation se forme dans les capillaires du cœur ou du cerveau, c’est la mort subite. Mais elle peut être lente, passagère ou progressive, et c’est la maladie ou bien la vieillesse. Ce phénomène ne peut s’effectuer que par la déshydratation, c’est-à-dire par la séparation plus ou moins complète de l’eau et des granulations. »



Pour Raphaël Dubois, comme pour d’autres savants connus, la vieillesse est un dessèchement, un racornissement progressif et continu qui, finalement, entraîne le ralentissement oscillatoire des granulations et de toutes les fonctions qui en dépendent. Plusieurs, il est vrai, attribuent à des causes différentes le dépérissement progressif et la mort naturelle de l’organisme qui a pu échapper à toutes les causes accidentelles de destruction. Mais les recherches sur l’état électrique du protoplasma offrent, sans aucun doute, un puissant intérêt. Par ailleurs, si la richesse en eau d’un tissu n’est pas une preuve certaine de vitalité, il est manifeste cependant que les tissus jeunes et actifs sont plus hydratés que les tissus vieux ou dont la vie est paresseuse. Les zymases n’agissent, en effet, qu’avec le concours de l’eau qui leur assure l’état colloïdal, et c’est en hydratant les aliments apportés du dehors qu’elles les incorporent à la vie organique. « La ptyaline de la salive, la pepsine du suc gastrique, la lipase du pancréas hydratent les féculents, les viandes, les graisses et les rendent absorbables, assimilables et propices au fonctionnement vital : après quoi, tout cela est finalement déshydraté, et les aliments colloïdes usés sont rejetés à l’état de cristalloïdes et d’eau libre par l’urine, par la sueur, etc. Les granulations zymasiques paraissent être le dernier refuge des propriétés vitales, car on peut dire qu’elles président à toutes nos fonctions : digestion, respiration, etc., et, chose bien frappante, elles subissent, isolées, les mêmes influences qu’exercent sur la substance vivante tous les agents mécaniques, physiques ou chimiques. Bien plus, les zymases que l’on peut isoler et faire fonctionner dans un verre, aussi bien que dans la cellule, comme la luciférose qui, agissant sur la luciférine, produit la lumière vivante, peuvent être remplacées par des agents artificiels colloïdaux et même cristalloïde, comme le permanganate de potasse qui peut donner de la lumière avec la luciférine. » Aussi, n’apparaît-il nullement impossible que l’on puisse un jour créer du protoplasma et opérer la synthèse de la vie. La majorité des biologistes actuels estiment d’ailleurs que cette dernière ne résulte pas de propriétés irréductibles à des éléments connus, mais de processus physico-chimiques dont les complexes colloïdaux sont le siège. Elle ne cesse pas d’appartenir au milieu d’où elle émane, un échange continuel s’établit entre les deux : dans les substances qui l’entourent, le vivant puise des matériaux, puis il rejette au dehors les résidus de ses destructions. Disloquer en éléments plus simples les corps absorbés, pour redonner ensuite des substances du même groupe, voilà le cycle éternellement répété des transformations vitales. Albumines, graisses, hydrates de carbone contenus dans les aliments redeviennent, dans l’organisme, des albumines, des graisses, des hydrates de carbone. Ainsi, le terme des dislocations subies par les albumines sera la formation d’acides aminés, qui se combineront entre eux pour former des polypeptides ; lesquels polypeptides redonneront des matières albuminoïdes vivantes. Ces acides aminés sont au nombre d’une vingtaine ; et, comme le calcul démontre que le nombre des combinaisons possibles de vingt corps dépasse deux quintillions, le problème de la constitution des organismes apparaît singulièrement complexe, du point de vue chimique.



« Si nous parvenions, comme nous en avons constaté la possibilité, écrit Rabaud, à créer de toute pièce une substance vivante, reproduirions-nous spécialement l’une ou l’autre de celles qui existent actuellement ? Et si nous n’obtenions pas ce résultat, l’échec prouverait-il que les substances actuelles ont des propriétés distinctes, des propriétés physico-chimiques ? La question est souvent posée sous forme d’objection ; en fait, elle est oiseuse et n’a véritablement aucun sens. Il suffit que nous entrevoyions la possibilité de combiner un sarcode, pour nous sentir autorisés à affirmer l’unité fondamentale des corps vivants et des corps inertes. À coup sûr, reconstituer un organisme connu rencontrerait des difficultés presque insurmontables. Non pas, comme le prétend O. Hertwig, parce que les sarcodes actuels résultent d’un long développement historique que nous ne sommes pas en mesure de suivre une seconde fois. L’argument est proprement absurde, car il exprime une confusion entre la succession des conditions diverses qui ont déterminé la constitution actuelle et les constitutions successives corrélatives de ces conditions. Aboutir à une constitution donnée n’implique ni une durée, ni un ordre définis : les conditions pourraient se succéder rapidement et aboutir au même résultat ; tous les termes du processus ne sont pas forcément nécessaires : nous pouvons, in vitro, en quelques jours et par d’autres moyens, combiner ce qui s’est spontanément constitué au cours de nombreuses années. La vraie raison pour laquelle nous aurons de grandes difficultés à reconstituer l’un quelconque des organismes actuels réside dans l’infinité des combinaisons possibles. Si nous songeons qu’avec 20 acides aminés par molécule nous pouvons faire une quantité d’arrangements exprimée par un nombre de 19 chiffres, nous comprenons combien sont faibles pour nous les chances de retomber précisément sur une combinaison déterminée. Et cette multitude des combinaisons s’accroît encore du fait que les substances vivantes renferment, outre les protéiques, une série d’autres éléments. »



Un fait, découvert d’un autre côté, facilitera peut-être la solution de difficultés qui semblaient insurmontables : nous voulons parler de l’incompatibilité entre substances vivantes d’espèces différentes. Mis en présence, les colloïdes restent stables, s’ils sont de même espèce ; ils se précipitent et floculent, s’ils sont d’espèces éloignées. Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire, par exemple, sur l’énergétique biologique et l’application des lois de la thermodynamique aux corps vivants ; sur le rôle considérable de la lumière, de la pesanteur, etc. « La différence superficielle (a écrit le célèbre docteur Herrera, dont on connaît les expériences caractéristiques) entre le vivant et le non vivant, entre le protoplasma irritable et le protoplasma non irritable vient tout simplement du contenu en énergie de leurs molécules et de leurs atomes. La matière vivante contient des molécules ayant un haut degré d’énergie ; morte, elle contient moins d’énergie. Si nous arrivons un jour à donner au cadavre l’énergie perdue, il sera ressuscité. » Rappelons que, selon Arrhénius, la vie peut se transmettre, dans ses formes élémentaires et microscopiques, d’une planète à l’autre et d’un système solaire à l’autre. La lumière exerce, en effet, une action répulsive sur tous les corps qu’elle frappe ; et lorsqu’il s’agit de corps très ténus, elle peut triompher des forces de gravitation. Arrhénius a même calculé qu’un germe microscopique, parti de la Terre, atteindrait Mars au bout de vingt jours, Jupiter au bout de dix-huit mois, Neptune après vingt-quatre mois de voyage. C’est d’une planète lointaine que serait parvenue sur notre globe la première cellule protoplasmique, source par la suite d’innombrables vivants. Constatons en terminant que, malgré de nombreuses lacunes, tous les progrès de la biologie s’accomplissent dans le sens d’une explication physico-chimique. 

— L. Barbedette.



OUVRAGES À CONSULTER. — Prof. A. Herrera : Biologia y Plasmogenia. — R. Dubois : Qu’est-ce que la Vie ? — Rabaud : Éléments de biologie générale. — Jennigs : Vie et mort. Hérédité et évolution chez les organismes unicellulaires. — Lœb : 1. La théorie des phénomènes colloïdaux ; 2. La conception mécanique de la vie. — Rignano : Qu’est-ce que la vie ? – Dastre : La Vie et la Mort. – Lodge : La matière et la vie, etc.



Citons encore la revue des frères Horntraeger : Protoplasma (Berlin), et la Medicina Argentina (Buenos-Aires). À consulter également le Dictionnaire de biologie physiciste des frères Mary, et Ciencia nueva d’Herrera. Voir d’ailleurs les ouvrages mentionnés à la bibliographie de Plasmogénie.



L’étude du protoplasma ne peut d’ailleurs s’isoler de celle des colloïdes, des cristaux, des micelles, des gels, des monères et autres formes plasmiques. Il faut y rattacher aujourd’hui tout ce qui est « radiant », puisque les formes primitives de la vie organisée sont comparées à des radiations, à des émetteurs-récepteurs, selon Lackowsky.



Pour les colloïdes, voir les travaux de Selmi et Graham, tout au début de la chimie physique ; puis ceux de Mayer, Schoeffer et Terroine, pour le phénomène de Tyndall. En ce qui concerne l’ultrafiltration, consulter exp. de Bechlod. Pour la double réfraction accidentelle, Albert Mary cite Schewendener, von Ebner et G. de Metz. Dans les sols, les particules en suspension furent étudiées surtout par Naëgeli et Albert Mary, Pfeffer, Stéphan Leduc, von Weimarn, Burton F., W. Ostwald. Pour les émulsoïdes, on cite Martin Fischer et Marion Hooker ; pour les suspensoïdes : Gallardo, W.-B. Hardy ; pour l’absorption : Bredig, Armisen, Van Bemmeleln, Pauli, Biltz, Szirgmondy, Zacharias, Galleotti, Rocasolano, lscovesco, etc. Herrera et Delfino se rattachent, par leurs travaux, à ceux qui se sont occupés directement des colloïdes, comme A. Lumière.



Pour les gels, Albert Mary cite surtout Stéphan Leduc, Malfitano et Moschkoff, Rocasolano, Lambling, Herrera, A. et A. Mary, Jean Massart de Vriès, Bütschli.



Pour les monères : Haeckel, Cienkowsky, Huxley, de Lapparent, de Lanessan, Sinel, Jaonnes Chatin.



En biologie micellaire, le dictionnaire de Mary est riche de citations des travaux similaires aux siens ; on y trouve les noms de Galippe, Royo Villanova, Altmann, Zimmermann, R. Maire, Kohll, Mlle Loyez, Dangeard, Matruchot, A. Meyer, Fauré Frémiet, Goldsmith, Alex. Guilliermond, Regaud, Mme F. Moreau, F. Moreau, Rudolph, Sapehin, Levi, Löwschin, Le Touzé, DubreuiL, Beauverie, A. et A. Mary, Duclaux, Raphaël Dubois, Grynfeltt, Antoine Béchamp, S. Ramon y Cajal, Alex Braun.

En microbiose, on cite souvent les travaux de Grasset Hector, de Martin Kuckuck, Antoine et Jacques Béchamp, Estor, V. Galippe, Jagadis Chunder Bose, Ducceschi, Ralph Lillie, Albert Jacquemin.



Pour la question osmotique dans les phénomènes protoplasmiques, Albert Mary prie de consulter les ouvrages et travaux de Stéphan Leduc, Herrera, Laloy, F.-M. Raoult, Grasset, Lhermite, H. de Vriès, Rosemann, Galeotti, Foveau de Courmelles, Nicolini, Émile Gautier, J.-H. Van’t Hoff, Condamin et Nogier, A. et A. Mary, Loeb...



Pour les radiations (chapitre annexe moderne de protoplasme), citons les travaux de Niels Bohr, Lord Kelvin, Rutherford, Cheffer, Planck, Eddington, Curie, Chredinger, Lackowsky, Kharitonov, Carl Störmer, Dr Jules Regnault. Foveau de Courmelles, J. Perrin, etc.