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PROVIDENCE n. f. (du latin : providentia ; de pro, avant, et videre, voir)



Ce nom désigne un attribut de dieu, par lequel on lui reconnaît le gouvernement de toutes choses.



C’est la croyance qui veut que le créateur surveille sans cesse son œuvre, qu’il la dirige et la conduise dans son évolution, de telle façon que rien de ce qui se produit dans l’univers n’ait lieu sans son consentement. De plus, on a voulu voir dans cette sollicitude de tous les instants, la preuve de l’infinie sagesse et de la bonté suprême de dieu.



Dans cet attribut de dieu (voir ce mot), la prévoyance est non seulement inapplicable et inutile à une entité sans yeux, sans oreilles, sans cerveau, mais son acceptation se heurte à des objections multiples et capitales que les arguties des métaphysiciens de tous poils n’ont su, jusqu’à présent, réfuter.



Les deux principales sont : l’acte créateur et l’existence du mal.



La question du gouvernement du monde suppose celle de la création. Elle nous conduit à poser ce dilemme : ou bien le monde, tel qu’il est, est le résultat d’un acte créateur et, par conséquent, n’a pas besoin d’être gouverné, ou bien il est éternel et se conserve par sa virtualité propre. Il est impossible de concilier l’omnipotence et l’omniscience divines avec les actes d’un dieu gouverneur. Les dieux n’ont jamais rien possédé qui ne leur ait été donné par les hommes. Ceux-ci ont toujours logé dans leurs divinités les qualités et les défauts qu’ils possédaient, mais en les amplifiant au-delà du possible. C’est pourquoi le dieu adoré, sous des aspects variés, par les dévots du monde entier est considéré comme un pur esprit, éternel, infiniment bon, juste, parfait, miséricordieux, omnipotent et omniscient, qui a créé le monde et les êtres qui le composent et l’habitent. L’univers, dans son ensemble comme dans ses moindres détails, doit être nécessairement sans défaut ; jamais il ne peut y avoir une seule avarie dans l’agencement parfait des multiples rouages composant le mécanisme du cosmos ; car, émanant d’un être parfait, le monde doit être parfait. Une fois créé, il doit continuer à évoluer sans heurts, ni accidents, puisqu’il réalise la perfection.



Comment admettre alors un dieu gouverneur, une providence qui surveille, dirige, répare, même, l’œuvre parfaite du créateur ? La nécessité d’un gouverneur, d’un technicien surveillant la gigantesque machine qu’est l’univers est incompatible avec la perfection du geste créateur, car l’intervention de ce technicien prouve sans conteste la maladresse et l’incapacité du créateur. Que penser alors d’un dieu maladroit, d’un ouvrier qui rectifie sans cesse son œuvre ? Comment concilier cette notion avec celle de la toute-puissance et de l’omniscience d’une entité infiniment parfaite ? Supprimer un attribut de dieu, c’est nous mettre en présence d’un dieu incomplet et nous forcer à nier son existence. La providence nie donc le créateur, et le monde, loin d’être le résultat d’une création absurde et impossible, se conserve éternellement par sa virtualité propre, et ses lois sont, aujourd’hui, ce qu’elles étaient hier.



En second lieu, la croyance à un dieu gouverneur est la négation absolue de l’activité intellectuelle et matérielle de l’humanité. Elle nous force à admettre et à pratiquer un fatalisme absolu, plus rigoureux dans son application que la doctrine du déterminisme biologique que les croyants rejettent avec horreur. Si un dieu gouverne l’univers, depuis le plus petit phénomène jusqu’au plus complexe ; s’il dirige aussi bien l’apparition d’une comète, l’évolution d’une nébuleuse que l’éclosion d’une humble fleurette ou la chute d’un grain de sable, il ne se passe rien dans le monde qui ne soit l’expression de sa volonté. Contre elle, l’homme ne peut rien, jamais il ne pourra en arrêter l’action bienfaisante ou maligne : on ne lutte pas contre la volonté divine. Si elle dirige les mondes dans l’espace et maintient l’harmonie dans l’univers, quel besoin d’imaginer une mécanique céleste et d’en rechercher les lois ? Si elle régit le moindre phénomène, la science devient inutile, nuisible même puisqu’elle s’oppose à la volonté divine. Toute recherche est vaine, puisque dieu ne nous permettra de connaître des secrets de la nature que ce qu’il voudra bien nous montrer et qu’il peut, à tout instant, bouleverser toute son œuvre. Ce thème n’est-il pas la consécration absolue de la passivité humaine ; ne conduit-il pas aux renoncements les plus complets ? N’est-il pas la négation de tout effort, de toute lutte, de toute recherche. L’homme est réduit à jouer, dans le monde, un rôle de pantin, de marionnette grotesque dont la divinité tire les ficelles à sa fantaisie.



La notion de providence se détruit immédiatement lorsqu’on réfléchit à l’existence du mal. Le mal existe ; mal moral et mal physique. Partout nous constatons l’existence perpétuelle et universelle de la douleur, la lutte et l’inégalité entre les êtres. La loi de la vie, notamment, est d’une indicible cruauté et, à tout instant, des catastrophes dévastent le monde : inondations, séismes, typhons, éruptions volcaniques, etc. Les souffrances morales sont tout aussi nombreuses, aussi destructives que les manifestations brutales de la nature.



Puisqu’une providence gouverne la nature, il faut bien croire que tous ces cataclysmes, que toute cette souffrance sont son œuvre. Comment l’idée d’un dieu infiniment bon peut-elle se concilier avec toutes ces horreurs ? Si la providence existe, elle est l’auteur responsable de la souffrance, puisque rien n’arrive sans sa volonté. Dieu fait alors figure d’un despote implacable, d’un tortionnaire cruel qui se réjouit du mal de ses créatures. Reprenons à notre compte le raisonnement d’Épicure et posons avec lui les questions suivantes : ou dieu veut supprimer le mal du monde et ne le peut pas, ou bien il le peut et ne le veut pas. S’il le veut sans le pouvoir, il n’est pas tout-puissant ; s’il le peut sans le vouloir, il n’est pas infiniment bon. Dans les deux cas, il cesse d’être dieu, parce que ses attributs se contredisent et s’excluent mutuellement. La providence nie donc l’infinie bonté et la toute-puissance du créateur !



Comme les autres attributs de dieu, la notion de providence s’avère non seulement impossible, mais nuisible.

Les preuves tirées de l’ordre du monde et de l’harmonie universelle, preuves sur lesquelles elle s’appuie, ne sont convaincantes que pour ceux qui ne veulent juger les notions qu’on leur inculque qu’en faisant usage de la logique du sentiment ; elles permettent de faciles développements poétiques et déclamatoires qui dispensent de chercher l’essence des choses et de conduire les raisonnements selon les règles de la logique pure. Faisant avant tout appel aux sentiments, elles sont consolantes et, comme l’a dit le poète :



Le malheur inventa le nom de Providence,

L’infortuné qui pleure a besoin d’espérance.



Elles empêchent de voir les choses telles qu’elles sont, et conduisent sûrement à des aberrations sociales : soumission, résignation, en éliminant l’homme, entité réelle, au profit de la divinité, entité fantôme. 

— Ch. Alexandre.