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PRUD’HOMIE n. f., PRUD’HOMME n. m.



Prud’homie a le sens de probité, sagesse dans la conduite, grande expérience des affaires. Le mot prud’homme signifie homme sage, probe et avisé. Nous ne nous occuperons ici de prud’homie que considérée comme une institution juridique ayant une mission déterminée, et de prud’homme que comme membre de ce qu’on appelle les conseils de prud’hommes. Le dictionnaire Larousse définit ainsi ces conseils : « Les conseils de prud’hommes ont pour mission de concilier ou de juger rapidement les contestations s’élevant entre patrons et ouvriers, relativement à l’exercice de leur industrie. Ils ont été institués par la loi du 18 mars 1806, modifiée et complétée par les lois des 14 juin 1853, 7 février 1880 et 11 décembre 1884. Ils sont établis sur la demande motivée des chambres de commerce ou des chambres consultatives des arts et manufactures. Il n’en existe que dans les villes constituant des centres industriels. Ils sont recrutés parmi les patrons et les ouvriers, en nombre égal, et se composent d’au moins six membres, non compris le président, le vice-président et le secrétaire. Ils sont élus pour six ans et se renouvellent par moitié tous les trois ans. La liste des électeurs est arrêtée par le préfet ; elle comprend les patrons, les chefs d’ateliers, les contremaîtres et les ouvriers. Pour être éligible, il faut être électeur, être âgé de trente ans accomplis, savoir lire et écrire. Tout conseil de prud’hommes se divise en deux bureaux, qu’il constitue lui-même : l’un appelé bureau particulier ou de conciliation ; l’autre, bureau général ou de jugement. Le bureau particulier est composé de deux membres : l’un est patron, l’autre ouvrier ; il a pour mission de régler à l’amiable les contestations. Au cas de non-conciliation, l’affaire est renvoyée devant le bureau général, qui statue en dernier ressort, lorsque le chiffre de la demande n’excède pas 200 francs en capital ; s’il excède cette somme, il y a appel possible devant le tribunal de commerce. »



Le dictionnaire Larousse n’en dit pas plus, mais ce qu’il dit est exact, sauf à tenir compte des modifications apportées depuis la guerre de 1914-1918, en ce qui concerne la somme de 200 francs qui est, aujourd’hui, plus élevée (300 francs), pour les demandes à faire devant la juridiction des prud’hommes. Ainsi, doivent avoir également varié les indemnités des conseillers. Ce ne sont là que questions de détails sur lesquelles il est facile de se renseigner avec exactitude, selon l’opportunité.



Les conseillers prud’hommes ont, pour se faire reconnaître, la médaille des prud’hommes, instituée en 1823 (12 novembre). Les conseillers sont autorisés à porter cette médaille, à l’audience et en dehors, dans l’exercice de leurs fonctions. Cette médaille est en argent et suspendue à un ruban noir passé en sautoir. Elle porte sur un côté la devise « Servat et conciliat » et, au milieu, « Conseil des Prud’hommes » ; au-dessous, un sujet qui paraît être le même que l’attribut des francs-maçons : le triangle et le fil à plomb. Sur l’autre côté, un œil dans un nuage sous lequel figurent deux mains entrelacées au-dessus d’un sujet peu explicite, mais au-dessous duquel se voit très lisible, le mot « Équité ». Ce n’est, en somme, qu’un insigne de prud’homme, mais il arrive que certains bons bougres, ouvriers ou patrons, en font un hochet de vanité équivalant au sabre de M. Joseph Prudhomme, d’immortelle mémoire. Enfin, si cela ne les empêche pas d’être équitables !...



L’institution des conseils de prud’hommes mérite qu’on s’étende davantage ici sur ce que doit en savoir le monde ouvrier. Nous n’attachons pas plus d’importance qu’il ne faut à ce palliatif, qui remédie bien peu à l’iniquité sociale ; mais nous pensons qu’il est possible d’en tirer quelques minces avantages contre les véritables ennemis du travailleur : ceux qui l’exploitent. C’est toujours ça de pris et c’est beaucoup trop peu pour être susceptible de satisfaire à son juste esprit de revendication, à sa soif de justice et d’égalité, à son instinct de révolte !



Trop souvent, par timidité, par ignorance, les salariés renoncent à défendre avec les armes qui sont à leur portée les plus légitimes de leurs droits ouvriers. Il ne faut pas qu’ils s’effraient de la fréquentation du prétoire et des notions de procédure. Que de fois l’on a conduit devant la justice bourgeoise des travailleurs coupables de légers larcins faits à la propriété ou aux intérêts de leurs patrons ! Pourquoi ne profiteraient-ils pas d’une loi qui leur permet de revendiquer contre l’injustice flagrante ou l’exploitation sans bornes dont ils sont victimes ? Mais encore faut-il qu’ils sachent qu’ils ont certains droits – dus à la ténacité de ceux qui les ont conquis pour eux – et qu’il leur soit possible d’en user.



Voici, résumés, quelques renseignements :



Le conseil de prud’hommes, composé de patrons et d’ouvriers, est spécialement destiné à concilier d’abord et à juger ensuite les conflits survenus entre patrons et ouvriers. Souvent, ils donnent une solution équitable à des différends entre salariés et salariants, et donnent satisfaction à de justes réclamations d’exploités contre leurs exploiteurs. Il faut bien convenir que modestes sont ces revendications et que minces sont ces satisfactions. Ces conseils de prud’hommes n’ont à apprécier (à connaître, comme on dit en jargon juridique) que des litiges bénins, des contestations d’engagement, de louage, d’apprentissage, de conditions de travail.



Le conseil de prud’hommes est une sorte de justice de paix, et tout dépend du bon sens, de la mentalité, de l’équité du juge... Or, le juge est, à tour de rôle, un patron ou un ouvrier, assisté d’autres patrons et ouvriers.



Ce n’est pas toujours une garantie ; cependant, la mentalité syndicaliste réside assez souvent dans les jugements des prud’hommes, quand ceux-ci sont des militants sincères et des ouvriers conscients. Il arrive même qu’ils influent fortement sur les sentiments équitables des patrons, quand ceux-ci n’en sont pas complètement dépourvus.



Tous les patrons, ou ceux qui les représentent, ainsi que les ouvriers, employés ou apprentis, sont justiciables des prud’hommes. Selon la loi, est patron celui qui exerce habituellement un commerce ou une industrie.



Celui qui emploie occasionnellement ne dépend pas des prud’hommes. L’État n’est pas considéré comme patron. Aussi, les arsenaux, les établissements de la guerre ou de la marine, et les manufactures nationales, les départements, les communes, les ministères, les établissements publics ne relèvent pas des prud’hommes. Ouvriers et employés des administrations publiques et de l’État n’ont aucun recours à la juridiction des prud’hommes. Mais, au contraire, tous les salariés qui exécutent un travail, sous les ordres ou la surveillance d’un patron ou de ses représentants, en atelier ou chez lui, sont justiciables des conseils de prud’hommes. Ne l’est pas celui qui exécute un travail pour lui-même et par lui-même, quand il veut et comme il lui plaît.



Les sous-entrepreneurs, sous-traitants, tâcherons, contremaîtres, ne sont pas justiciables des prud’hommes pour les contestations possibles avec leurs patrons, mais ils le sont pour les litiges qui surviennent entre eux et leurs ouvriers, apprentis ou employés, quel que soit le mode de rémunération : à la journée, aux pièces ou de toute autre manière.



Sont encore justiciables des prud’hommes les ouvriers, employés ou apprentis des manufactures, usines, entreprises de terrassement, de bâtiment, de travaux publics, manutention, transport (chemins de fer, tramways, bateaux, autobus, voitures, etc.), de chargement et déchargement, des mines, des spectacles, employés de commerce, de banque, garçons de magasin, hommes de peine, livreurs, conducteurs, garçons de laboratoire, préparateurs en pharmacie, garçons de café, représentants et voyageurs de commerce, etc.



Ne sont pas justiciables des prud’hommes les domestiques et gens de service salariés par un commerçant ou un industriel, s’ils sont, non pas occupés à l’exploitation de leur patron, mais attachés à sa personne ou à sa famille. Il en est de même des navigateurs et marins du commerce, des salariés de l’État dans l’enseignement, postes, télégraphes, téléphones, enfin de tous les fonctionnaires du département, de la commune et des administrations publiques, fussent-ils qualifiés ouvriers de métiers.



Les mineurs, les femmes mariées et les étrangers sont, comme demandeurs ou comme défendeurs, justiciables du conseil des prud’hommes, si le contrat de louage a été conclu en France.



Le conseil des prud’hommes ne peut juger que les affaires relatives au travail ou au contrat de louage d’ouvrage, ainsi que celles qui concernent les contrats d’apprentissage ou les conditions de travail. Les accidents du travail ne relèvent pas de la juridiction des prud’hommes.



Donc, les conseils de prud’hommes sont compétents pour statuer sur toutes affaires naissant à l’occasion d’un contrat de louage d’ouvrage et de son exécution par les parties. Le conseil des prud’hommes est compétent, quel que soit le chiffre de la réclamation, s’il s’agit d’une demande entre ouvriers et patrons ; mais sa compétence cesse, s’il s’agit d’employés, au-dessus d’une somme de 1 000 francs. C’est alors le tribunal civil ou le tribunal de commerce qui est compétent. Le conseil des prud’hommes ne peut juger définitivement que si la somme litigieuse n’excède pas 300 francs. Au-delà de cette somme, le jugement est susceptible d’appel devant le tribunal civil. Les patrons savent cela, et leur cause mauvaise ou douteuse devant les prud’hommes devient évidemment toujours meilleure devant le tribunal civil, tribunal de classe.



Le salarié qui veut assigner devant le conseil de prud’hommes se rend au secrétariat du conseil de prud’hommes situé dans le rayon de territoire du lieu de son travail. S’il travaille en dehors d’un établissement, il s’adressera au conseil ressortissant du lieu où s’est fait l’embauchage. Il exposera son cas très sommairement et versera la somme du coût de la lettre de convocation qui sera adressée au patron : rendez-vous pour la conciliation. La loi autorise les parties à se présenter sans convocation préalable devant le bureau de conciliation, s’il y a accord. Les parties peuvent se faire représenter par une personne exerçant la même profession que la leur, par un avocat, ou par un avoué. Sauf avocat ou avoué, la personne représentant l’intéressé doit être munie d’un pouvoir sur papier libre et non enregistré. Une simple lettre peut suffire. Au bas de la convocation ou de l’original ou de la copie de l’assignation, les mots « bon pour pouvoir », suivis de la signature, sont indispensables.



Les audiences du bureau de conciliation ne sont pas publiques. Les hommes d’affaires ne peuvent assister les parties. Si l’affaire est importante, délicate ou compliquée, le salarié fera bien de se faire assister d’un avocat. En exposant brièvement son cas, il en fera la demande au bâtonnier de l’ordre des avocats près le tribunal qui en désignera un d’office. En cas de non comparution au jour et heure fixés, l’affaire est renvoyée à une prochaine audience. Le demandeur explique sa demande, expose son cas, et, s’il y a arrangement ou conciliation, il en est dressé procès-verbal. S’il y a serment d’une des parties sur la demande de l’autre, la contestation prend fin ; si le serment est refusé, il en est fait mention au procès-verbal et l’affaire est renvoyée à la prochaine audience du bureau de jugement, la conciliation étant impossible.



Le mineur doit être représenté par son père ou son tuteur ; le conseil peut l’autoriser à soutenir lui-même ses droits. La même autorisation peut être donnée à la femme mariée.



L’article 6 de la loi du 13 juillet 1907 fonde la femme mariée à ester en justice dans toutes les contestations relatives au produit de son travail personnel, dont elle a la libre disposition, sans l’assistance, le secours ou l’autorisation de son mari.



S’il n’y a pas eu conciliation ou si le défendeur ne s’est pas présenté, c’est le bureau de jugement qui devra statuer. Pour cette seconde comparution, il faut préalablement se rendre au secrétariat en vue d’une seconde convocation. Celle-ci se fera par lettre recommandée ou par assignation délivrée par huissier. Il y a à payer le coût de l’assignation, plus les frais de vocation. Il y a lieu, pour le salarié, de bien définir ce qu’il demande et de bien expliquer son cas au secrétaire chargé de convoquer ou à l’huissier qui assignera ; si, n’ayant pu se concilier, les parties sont d’accord pour éviter des délais et des frais, elles peuvent comparaître en portant elles-mêmes leur affaire devant le bureau de jugement qui statuera sur-le-champ. Elles pourront se faire représenter, comme pour la conciliation, et par les mêmes personnes. Elles seront entendues contradictoirement et le tribunal rendra son jugement ou l’ajournera à une prochaine audience. Le conseil pourra exiger des parties qu’elles prêtent le serment pour affirmer leurs déclarations. Le demandeur pourra obtenir du conseil un jugement ordonnant certaines mesures urgentes et conservatoires. Le conseil pourra ordonner la vérification d’écritures, de pièces, de lieux, l’expertise et la comparution de témoins. Ouvriers et employés de la maison du patron peuvent être cités et entendus comme témoins.



Les jugements des conseils de prud’hommes sont susceptibles d’appel seulement en cas d’incompétence, de connexité, ou de dépendance, ou quand la somme en litige dépasse le maximum (300 francs). Délai d’appel : dix jours à compter du jour de la signification du jugement. Le conseil peut ordonner l’exécution provisoire du jugement pour le quart de la somme en litige, sans qu’elle puisse dépasser 100 francs. Il peut ordonner l’exécution pour la totalité, à condition d’avoir au préalable fourni caution.



Au cas où un jugement aura été rendu par défaut, c’est-à-dire en l’absence du défendeur, il pourra être frappé d’opposition dans un délai de trois jours francs, à compter du lendemain de la signification du jugement. L’opposition arrête l’exécution du jugement, mais n’empêche pas l’exécution provisoire par provision, ni les mesures conservatoires qui auraient pu être ordonnées. Un délai de six mois est accordé pour l’exécution des jugements des conseils de prud’hommes.



La partie qui reçoit de son adversaire un acte d’opposition doit comparaître devant le conseil aux jour et heure fixés dans cet acte. L’affaire est alors jugée comme si elle venait pour la première fois. Le jugement de défaut ne compte pas. En cas d’un second défaut, une seconde opposition ne sera plus recevable. L’appel et l’opposition se forment par voie d’huissier.



La cour de cassation ne peut connaître des recours contre les jugements des conseils de prud’hommes qu’en cas d’excès de pouvoir ou violation de la loi. Ces pourvois en cassation seront déclarés au secrétariat du conseil de prud’hommes et inscrits sur un registre spécial. Le pourvoi en cassation ne suspend jamais l’exécution du jugement.



Pour agir avec prudence et sécurité, dans son intérêt matériel et moral, l’assuré doit ne pas craindre de se renseigner aux militants expérimentés de son syndicat ou, mieux encore, au conseiller prud’homme de sa catégorie qui lui donnera la marche à suivre pour l’assignation, pour l’assistance judiciaire et pour tout ce qui peut lui garantir l’avantage et la réussite de sa demande.



Les syndicats ont compris la nécessité de désigner des camarades éclairés, dévoués et de conviction sincère pour soutenir, défendre et faire triompher les intérêts des salariés devant la juridiction des prud’hommes. Ce n’est plus un tribunal de classe, mais un tribunal paritaire où il y a chance d’impartialité et de justice. C’est sans doute pour cela que, souvent, les patrons préfèrent se réfugier dans le maquis de la procédure plutôt que d’affronter la contradiction loyale des tribunaux composés en parties égales de patrons et d’ouvriers pour toutes les catégories de travailleurs salariés. Au point de vue syndical, le conseil de prud’hommes a l’utilité d’initier les travailleurs à la défense de leurs droits. Ils se défendent ainsi avec les seules armes que la bourgeoisie leur tolère, avec tant de parcimonie et souvent malgré elle.



Le militant syndicaliste, devenu conseiller prud’homme par le suffrage de ses camarades, ne doit jamais oublier qu’il est, par devoir et par conscience, le serviteur fidèle des intérêts qui lui sont confiés par ses frères, exploités comme lui sous le régime du salariat. Certes, ce n’est pas la juridiction des prud’hommes qui peut porter d’efficaces coups de pioche contre ce régime, mais il n’y a rien qui puisse, dans ce palliatif judiciaire d’intérêt individuel, détourner le travailleur des moyens plus énergiques de l’action directe et collective du prolétariat en œuvre d’émancipation.



Il faudrait un fort volume – que dis-je ? Il en faudrait plusieurs – pour faire l’historique des prud’hommes. Pour connaître de façon complète tout ce qui concerne la théorie et la pratique des conseils de prud’hommes, des ouvrages existent, utiles à consulter, impossibles à résumer. La librairie Dalloz – pour ne citer que cette librairie spéciale – a publié, en 1925, un ouvrage de René Bloch et Henry Chaumel, tous deux docteurs en droit, qui comporte 550 pages. On y trouve, en trois parties, l’origine, le développement, le fonctionnement et tous les renseignements concernant cette juridiction spéciale, sa compétence, sa procédure et un formulaire de 60 pages donnant modèles de contrats d’apprentissage, certificats de travail, procès-verbaux, etc.



Au point de vue historique, nous apprenons que, sous l’Ancien Régime, on donnait le nom de prud’hommes (homo prudens), suivant les localités, tantôt aux officiers municipaux, tantôt aux juges composant les tribunaux ordinaires, mais le plus souvent aux experts commis par la justice, pour avoir les lumières et les garanties de leur compétence spéciale sur toutes les contestations.



« C’est sous le règne de Philippe le Bel que furent constitués les premiers conseils de prud’hommes. En l’an 1296, le conseil de la ville de Paris créa vingt-quatre prud’hommes et les chargea d’assister le prévôt des marchands et les échevins, afin de juger, en dernier ressort, les contestations qui pourraient s’élever entre les marchands et les fabricants qui fréquentaient les foires et les marchés établis à cette époque ; ils allaient, de plus, faire la visite chez les maîtres et peuvent être regardés, par là, comme l’origine des gardes et jurés établis postérieurement dans chaque communauté d’arts et métiers. Pendant près de deux siècles, la ville de Paris posséda seule des prud’hommes...



Le petit paragraphe suivant a dû subir, au moment de sa composition typographique, un accident (il figure ainsi sur la version imprimée)…



« Un édit du 29 avril 1464, rendu par Louis XI, à Nogent-le-Roi, permit aux bourgeois de Lyon de choisir 

…/… de prud’hommes remonterait, croit-on, à l’époque du … /…

prud’hommes nommés à Paris. »



Si qulqu'un peut mettre la main sur le « Traité théorique et pratique des conseils de prud’hommes », de René Bloch et Henry Chaumel, Paris, Alcan 1912, Dalloz 1925, dont est tiré cet extrait (j’ai essayé sur internet, en vain), merci de me contacter afin de m'envoyer la ligne manquante.



« Dans plusieurs villes maritimes, notamment à Marseille, existe une espèce de conseil de prud’hommes dont l’origine paraît fort ancienne. Ce sont des prud’hommes pêcheurs qui jugent les contraventions en matière de pêche maritime et les différends entre marins, à l’occasion de leur profession de pêcheurs. Cette catégorie de prud’hommes remonterait, croit-on, à l’époque du roi René, comte de Provence (1462). Des arrêts différents de mai 1758, novembre 1776, octobre 1778 et mars 1786 ont réglementé, sans beaucoup la modifier, cette institution qui traversa sans à-coup la Révolution de 1789, pour arriver telle quelle jusqu’à nos jours.



« Telle était l’organisation des prud’hommes vers le xve siècle. Lyon posséda, par la suite, un tribunal composé de juges appartenant à la fabrique lyonnaise, et dont le rôle consistait à vider les différends s’élevant entre les fabricants de soieries et leurs ouvriers. La loi de 1791 fit disparaître provisoirement ces tribunaux à la suite de l’abolition des maîtrises et des jurandes, si fatales à l’industrie.



« La liberté, proclamée par la loi du 2 mars 1791, ne fut pas sans produire un certain désarroi dans les mœurs ouvrières et patronales. Les litiges subsistaient, les juges n’avaient pas la compétence nécessaire pour apprécier, ils ignoraient les habitudes, les usages, les coutumes particulières à chaque corporation, aussi bien au point de vue technique qu’à celui des relations établies entre patrons et ouvriers pour se comprendre et se supporter. Les procès se multipliaient ; ils étaient fort coûteux et les parties adverses regrettaient l’ancienne juridiction.



« La loi du 21 germinal an XI (avril 1803) intervint pour remédier à ce mauvais état de choses. Cette loi, respectant le principe conquis par la Révolution, reconnaissait, néanmoins, la nécessité de régulariser le travail dans les manufactures et de maintenir l’ordre et la justice dans les relations entre fabricants et ouvriers. Elle créa une juridiction spéciale et particulière. Les affaires de simple police furent portées devant le préfet de police à Paris, devant les commissaires généraux de police dans les villes où il y en avait d’établis, et, dans tous autres lieux, devant le maire ou un de ses adjoints. Selon le code municipal, les magistrats ou fonctionnaires prononçaient, sans appel, les peines applicables aux divers cas. C’était, ainsi, l’application de l’article 19 du Titre V. L’article 20 prescrivait que les autres contestations fussent portées devant les tribunaux auxquels la connaissance en était attribuée par les lois.



« Cette juridiction, contestable, était suspecte de partialité aux ouvriers. Elle était confiée à des hommes généralement dépourvus de connaissances usuelles indispensables pour apprécier et décider entre maîtres et ouvriers. Les résultats en furent détestables et fort différents de ce qu’on en attendait. Lors du passage de Napoléon Ier à Lyon, les fabricants de soieries et leurs chefs d’ateliers lui représentèrent les inconvénients et les insuffisances de la loi de l’an XI, et demandèrent à l’empereur de leur donner une institution analogue à celle prescrite par la loi de 1791. Le 18 mars 1806 fut votée une loi portant établissement d’un conseil de prud’hommes à Lyon, et, par son article 34, ménageant au gouvernement le droit d’étendre le bienfait de cette institution à toutes les autres villes de fabriques et de manufactures. Un décret du 11 juin 1809, rectifié le 20 février 1810, et un autre décret du 3 août 1810 vinrent compléter l’institution des prud’hommes pour toutes les villes de fabrique. D’autres décrets encore s’ajoutèrent à ceux-là. Ils intéressaient particulièrement les ouvriers patentés, c’est-à-dire ceux qui, travaillant chez eux pour des fabricants, payaient patente. Certains décrets de 1811 et 1812 réglaient surtout les conseils de prud’hommes relativement aux marques de fabrique, à l’inspection des marques de savons, aux contestations que soulevaient les contrefaçons et, notamment, celle des lisières de drap. C’était plutôt commercial.



« Charles X ne s’occupa des conseil de prud’hommes que pour ordonner aux membres de ces conseils de porter, dans l’exercice de leurs fonctions, soit à l’audience, soit au dehors, la médaille d’argent suspendue à un ruban noir porté en sautoir. Aujourd’hui, la médaille en question n’éblouit plus personne, même pas ceux qui la portent. On apprécie plutôt un conseiller prud’homme à la conscience qu’il met à remplir son rôle qu’au soin qu’il apporte à s’orner d’un ruban avec une médaille suspendue. Le souci de Charles X égalait sa mentalité : on ne tire pas de farine d’un sac à charbon. Louis-Philippe voulut modifier les lois existantes sur les conseils de prud’hommes. Il afficha même l’intention de remanier ces lois dans un sens libéral – ce qui prouve qu’elles ne l’étaient guère –, mais ses conseillers, tous représentants de la plus haute bourgeoisie, firent de leur mieux pour empêcher l’exécution de ces projets. Huit commissions successives furent nommées, sans parvenir à établir un nouveau texte. La loi ne fut donc point remaniée et fut appliquée avec rigueur aux villes qui tentaient d’installer des conseils de prud’hommes.



« Cependant, partout où l’institution des prud’hommes avait été introduite, elle donnait des résultats. De 1830 à 1842, les affaires soumises à la juridiction de tous les conseils de prud’hommes institués en France s’étaient élevées à 184 514 ; sur ce nombre, 174 487 avaient été conciliées. Des 10 027 qui restaient à juger, 1 904 le furent en premier ressort, 3 274 en dernier ressort, et, sur les 1 904 jugements en premier ressort, 190 seulement avaient été déférés à la juridiction d’appel.



« Les principales villes manufacturières de France possédaient déjà, depuis longtemps, des conseils de prud’hommes, alors que Paris en était privé. On craignait cette institution dans l’ardente population de l’industrie parisienne. Cependant, les considérations politiques et la frayeur bourgeoise devaient céder à l’utilité de l’institution des prud’hommes dans la capitale. L’autorité ne voulut d’abord donner satisfaction aux vœux exprimés par la chambre de commerce de Paris et par le conseil municipal que partiellement et, pour ainsi dire, à l’essai.



« Ce fut le 29 décembre 1844 que Paris obtint du gouvernement de juillet un conseil de prud’hommes, ou, plus exactement, qu’il obtint qu’une expérience soit faite pour certains métiers. La loi de 1844 n’établit donc à Paris qu’un simple conseil des métaux et des industries qui s’y rattachent. Ce conseil était composé de 15 membres, dont 8 fabricants et 7 ouvriers, et, en outre, 2 suppléants. Cet essai calma les appréhensions par sa réussite. Une ordonnance du 9 juin 1847 créait trois nouveaux conseils de prud’hommes à Paris : un pour les tissus, un pour les produits chimiques, et un pour les diverses industries qui comprenaient les imprimeurs, les sculpteurs, les menuisiers, les entrepreneurs de charpente et de maçonnerie, les fabricants de chaux, de plâtre, etc. Une autre ordonnance du même jour, 9 juin 1847, étendait le ressort du conseil de prud’hommes pour l’industrie des métaux à tout le ressort du tribunal de commerce du département de la Seine.



« La législation impériale subsista sans modifications jusqu’en 1848, malgré les nombreuses réclamations qui s’élevaient contre elle. On lui reprochait l’exclusion presque totale des ouvriers pour la formation des conseils et la trop grande prépondérance donnée aux fabricants par cette législation des prud’hommes. À cette date, 75 villes possédaient des conseils de prud’hommes.



« La révolution de 1848 trouva les choses en cet état. Aussi, la République remania-t-elle de fond en comble cette législation des prud’hommes par une loi du 27 mai 1848, dont voici les dispositions, tendant à mettre cette institution plus en rapport avec les principes démocratiques :



« Elle déclarait électeurs pour les conseils de prud’hommes tous les patrons, chefs d’ateliers, contremaîtres, ouvriers et compagnons âgés de 21 ans et résidant depuis 6 mois au moins dans la circonscription du conseil de prud’hommes. Elle déclarait les mêmes éligibles, s’ils savaient lire et écrire et s’ils étaient domiciliés depuis un an au moins dans la circonscription du conseil. Elle rangeait dans la classe des patrons les contremaîtres, les chefs d’atelier et tous ceux qui payaient patente depuis plus d’un an et occupaient un ou plusieurs ouvriers. La présidence donnait voix prépondérante : mais elle durait 3 mois et était attribuée alternativement à un patron et à un ouvrier, élus chacun par leurs collègues respectifs. Les audiences de conciliation devaient être tenues par deux membres : l’un patron, l’autre ouvrier ; quatre prud’hommes patrons et quatre prud’hommes ouvriers devaient composer le bureau général ou de jugement. La loi spécifiait que le nombre des prud’hommes ouvriers serait toujours égal à celui des prud’hommes patrons et disposait que chaque conseil aurait au moins 6 membres et 26 au plus. Il était procédé à deux élections : dans la première, ouvriers et patrons nommaient un nombre de candidats triple de celui auquel ils avaient droit ; dans la seconde, qui était définitive, les ouvriers choisissaient, parmi les candidats patrons, les prud’hommes patrons, et les patrons choisissaient à leur tour les prud’hommes ouvriers sur la liste des candidats ouvriers.



« Cette législation, dictée des sentiments démocratiques animant le gouvernement d’alors, perdait peut-être un peu de vue l’idée que les prud’hommes sont surtout des arbitres et des défenseurs choisis par des intérêts en lutte ; incontestablement, la manière semble très libérale, mais le mode d’élection pouvait être justement critiqué.



« La loi du 7 août 1850 dispensa l’ouvrier, qui voulait se faire rendre justice devant les conseils de prud’hommes, de toute avance d’argent pour le timbre et l’enregistrement en débet – c’est-à-dire, en quelque sorte, à crédit – de toutes les pièces de procédure concernant la juridiction prudhommale ; les frais n’étaient payés qu’après jugement définitif et par la partie qui perdait le procès.



« Le Second Empire ne pouvait laisser subsister une législation aussi libérale. Sous prétexte que cette loi consacrait l’oppression du fabricant par l’ouvrier, sans les garanties qu’offrent l’éducation et l’expérience des affaires, et à propos de certains incidents peu importants, le gouvernement fit dissoudre quelques conseils qu’on accusa de démagogie et susceptibles de se servir des conseils de prud’hommes comme d’une arme dangereuse. Alors fut promulguée la loi du 1er juin 1853 qui, plus d’un demi-siècle, resta en vigueur dans ses plus importantes parties. Elle restreignait l’électorat en déclarant électeurs :



« 1° les patrons âgés de 21 ans accomplis, patentés depuis 5 années au moins et domiciliés depuis 3 ans dans la circonscription du conseil ;



« 2° les chefs d’atelier, contremaîtres et ouvriers âgés de 21 ans accomplis, exerçant leur industrie depuis 5 ans au moins et domiciliés depuis 3 ans dans la circonscription du conseil (art. 4).



« Cette loi de 1853 restreignait également l’éligibilité, car n’étaient éligibles que les électeurs âgés de 30 ans accomplis et sachant lire et écrire (art. 5). Les contremaîtres et chefs d’ateliers étaient rangés avec les ouvriers et votaient avec eux (art. 9). Les patrons nommaient directement les prud’hommes patrons, et les ouvriers les prud’hommes ouvriers.



« Mais l’innovation la plus grave était celle édictée par l’article 3, ainsi conçu : « Les présidents et vice-présidents des conseils de prud’hommes sont nommés par l’empereur. Ils peuvent être pris en dehors des éligibles. Leurs fonctions durent trois ans. Ils peuvent être nommés de nouveau. Les secrétaires des mêmes conseils sont nommés par le préfet et révoqués par lui, sur la proposition du président. » Le bureau général ou de jugement était composé, indépendamment du président et du vice-président, d’un nombre égal de prud’hommes patrons et de prud’hommes ouvriers (art. 11). Or, d’une façon générale, le préfet avait la haute main sur tout ce qui se passait au conseil de prud’hommes. Le principe de cette législation était ainsi devenu absolument contraire à l’esprit de son institution, qui veut que les prud’hommes soient nommés par leurs justiciables. N’est-ce pas ainsi, une fois de plus, la démonstration incontestable qu’un régime démocratique peut établir, presque toujours, par une mentalité plus ou moins révolutionnaire, de la justice et de l’égalité dans une loi, alors qu’un régime tyrannique ne manque jamais d’y substituer la provocation et l’arbitraire ?



« Une loi éphémère du 14 juin 1854, abrogée en 1867, força les ouvriers soumis à l’obligation du livret de s’en munir, s’ils voulaient être inscrits sur les listes électorales. La loi de 1853 fut complétée par celle du 4 juin 1864, laquelle instituait la discipline des conseils de prud’hommes. Cette loi de 1853 donna lieu à de vives critiques. Ce n’est que celle du 7 février 1880 qui restitua aux conseils de prud’hommes le droit d’élire deux de leurs membres comme président et vice-président et de nommer et de révoquer leur secrétaire. Préoccupé de l’équilibre entre les deux éléments rivaux, par cette loi, on voulut que les deux fonctions de président et de vice-président fussent partagées entre eux et que, dans le bureau de conciliation, la présidence roulât entre le conseiller patron et le conseiller ouvrier. Ce qui n’empêchait pas, d’ailleurs, l’un des éléments d’être toujours en prépondérance dans le bureau du jugement présidé et départagé par le président ou le vice-président, patron ou ouvrier, en sorte qu’un soupçon pouvait toujours s’élever sur l’impartialité de ses décisions. Cette part assurée aux ouvriers dans la présidence, cette perspective pour un prud’homme patron de se trouver, quelquefois, sous l’autorité de son propre ouvrier devaient soulever des protestations et des résistances. Il s’en produisit de très vives, à Lille, à Angers, à Armentières, sous la forme de démissions collectives et réitérées de prud’hommes patrons, qui rendirent impossible le fonctionnement des conseils, faute de l’un de ses deux éléments constitutifs. Une loi, du 11 décembre 1884, vint alors déclarer légal, en pareil cas, le fonctionnement des conseils composés uniquement de l’élément acceptant.



« À ces sujets d’antagonisme dans la juridiction des prud’hommes, d’autres s’ajoutèrent, tirés des mandats impératifs acceptés par les candidats ouvriers, réprimés par le Conseil d’État, chargé du contentieux des élections à cette époque. Il fallut bien refondre ou réformer la législation sur les conseils de prud’hommes. »



Depuis 1888, de nombreux projets ou propositions de lois furent déposés an Parlement sur l’organisation et le fonctionnement des conseils de prud’hommes.



Sur un rapport de M. Lagrange (6 août 1890), la Chambre des députés adoptait (17 mars 1892) un projet d’ensemble abrogeant expressément la législation antérieure et réglementant à nouveau la matière. Sur le rapport de M. Demôle (16 août 1893), suivi d’un rapport supplémentaire, le Sénat (11 juin 1894) votait un projet qui consacrait certaines innovations adoptées par la Chambre : élévation du taux de la compétence des conseils de prud’hommes, appel de leurs décisions devant le tribunal civil, réduction des frais de la procédure. Mais sur d’autres points, ce rapport du Sénat différait de celui de la Chambre, spécialement en ce qu’il refusait d’étendre la juridiction prudhommale aux employés de commerce, et modifiait la composition du bureau de jugement par l’introduction du juge de paix pour vider les partages. Ce projet ne fut point soumis à la Chambre par la commission. Une proposition de loi du député Dutrex, déposée le 14 novembre 1898, à peu près semblable à celle votée en 1892 par la Chambre, était adoptée sur le rapport de son auteur dans la séance de la Chambre du 14 février 1901. Sur le rapport de M. Savary, en date du 4 décembre 1902, après une longue et vive discussion, le Sénat maintenait presque intégralement le texte qu’il avait voté en 1894, et la Chambre se livra à de nouvelles études.



Il fallait pourtant aboutir, car le comité de vigilance des conseillers prud’hommes ouvriers du département de la Seine prit l’initiative d’une intense agitation. Contre le maintien de la législation prudhommale en vigueur, s’organisait une vigoureuse campagne qui se traduisait par des manifestations consistant en campagne de presse, menaces de démission, démarches auprès du gouvernement. C’est alors que M. Chaumié, garde des Sceaux, déposa au nom du gouvernement (6 avril 1905) un projet de loi qui, limité à l’organisation de la juridiction d’appel, reproduisait les articles 26, 32 à 34 du projet de loi sur lesquels les deux chambres s’étaient mises d’accord. Après d’autres difficultés et tergiversations entre les deux chambres, fut enfin votée et promulguée la loi provisoire du 15 juillet 1905.



« Elle apportait d’importantes réformes qui consistaient principalement : 1° à changer la composition du bureau de jugement des conseils de prud’hommes, en disposant que, désormais, celui-ci se composerait d’un nombre égal de prud’hommes patrons et ouvriers, y compris le président et le vice-président, et à décider qu’en cas de partage des voix, l’affaire serait jugée par le bureau, sous la présidence du juge de paix (art. 1er) ; 2° à élever la compétence en dernier ressort des conseils de prud’hommes à 300 francs (art. 2, § 1) ; 3° à appliquer le principe que la demande reconventionnelle fondée exclusivement sur la demande principale ne pourrait rendre l’affaire susceptible d’appel, lorsque la demande principale elle-même appartiendrait au dernier ressort (art. 2, § 5) ; 4° à déclarer les jugements susceptibles d’appel exécutoires par provision, avec dispense de caution jusqu’à concurrence du quart de la somme, sans que ce quart puisse dépasser 100 francs, l’exécution provisoire ne pouvant être ordonnée pour le surplus qu’à charge par le demandeur de fournir caution (art. 2, § 5) ; 5° à constituer le tribunal civil juge d’appel des jugements de conseils de prud’hommes (art. 3, § 1) ; 6° à organiser la procédure d’appel, en édictant les prescriptions spéciales relatives au délai de l’appel, à la représentation des parties devant le tribunal civil, et à l’obligation, pour ce tribunal, de statuer dans un délai déterminé (art. 3, § 2 à 9) ; 7° à réglementer le pourvoi en cassation contre les jugements rendus en dernier ressort par les conseils de prud’hommes et contre les jugements des tribunaux civils statuant en appel (art. 4) ; 8° à rattacher enfin les conseils de prud’hommes au ministère de la Justice, et les soumettre aux règles de discipline applicables à toutes les juridictions (art. 5).



« Cette loi n’avait qu’un caractère provisoire ; elle était destinée à donner satisfaction aux réclamations des salariés, en mettant de suite en application les dispositions sur lesquelles Chambre et Sénat étaient enfin d’accord. Toutefois, celles-ci savaient trop que l’opinion publique attendait d’elles une refonte et une codification générale et unique de la juridiction des conseils de prud’hommes. Elles se mirent à l’étude des anciens projets de 1894, 1903 et 1904, pour aboutir deux ans après à un accord sur le texte qui était devenu la loi fondamentale du 27 mars 1907 « concernant les conseils de prud’hommes », jusqu’à son incorporation dans le livre IV du code du travail. Son article 73 a abrogé expressément toutes les lois et décrets antérieurs relatifs à la compétence des conseils de prud’hommes. C’est donc la loi d’aujourd’hui, comme nous l’avons exposée au début, avec les modifications qui y ont été apportées, dont les plus importantes sont celles apportées par la loi du 3 juillet 1919, encore complétée par les lois du 30 mars 1920, 20 juillet 1921, 21 juin 1924. »



Nous avons dit ce que sont les conseils de prud’hommes de la façon la plus brève possible. Il y aurait bien d’autres choses encore à dire sur cette intéressante juridiction, imposée par la lutte incessante des militants ouvriers et la force menaçante des syndicats corporatifs d’avant-guerre. Mais il sera facile aux gens que la question intéresse tout particulièrement de se documenter dans des ouvrages spéciaux.



En ce qui concerne cette étude spécialement écrite pour notre Encyclopédie anarchiste, c’est dans l’introduction du vaste ouvrage de René Bloch et Henry Chaumel, intitulé Traité théorique et pratique des conseils de prud’hommes, édité par la librairie Dalloz, 11, rue Soufflot, à Paris, que j’ai puisé ce modeste exposé.



On se rend compte de la lenteur des travaux législatifs quand on passe en revue, comme je viens de le faire, l’histoire de la mise en vigueur d’une loi qui semble devoir avantager le travailleur, en diminuant tant soit peu sa peine et son esclavage de salarié. Quelles navettes de la Chambre au Sénat avant que soit promulguée une telle loi ! Que de protestations, de menaces pour obtenir, au cours du siècle dernier, que cette loi soit modifiée et rendue acceptable ! Il est très utile de savoir ces choses, pour comprendre l’âpreté des luttes ouvrières et la nécessité de cohésion des travailleurs dans leurs syndicats.



Et que de critiques encore on pourrait faire contre cette loi, aujourd’hui même ! Mais il y aurait surtout à critiquer les travailleurs devenus conseillers prud’hommes et ayant oublié le principe de la lutte acharnée, que rien ne doit et ne peut atténuer, entre l’exploité et son exploiteur.



« Notre ennemi, c’est notre maître. »



Les conseillers prud’hommes ouvriers doivent se pénétrer de cette vérité, s’en souvenir en toute occasion, et ne se servir de l’arme mise en leurs mains que pour la défense de leurs frères, les exploités. 

— G. Yvetot.