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PSYCHOLOGIE n. f. (du grec : psukhé, âme, et logos, discours)



La psychologie est l’étude de l’âme, entendez par là non ce principe abstrait dont parlent les théologiens, mais l’ensemble des phénomènes qui se passent dans chaque individu. C’est toute la personne humaine, avec ses émotions, ses passions, son intelligence, sa volonté, etc., qui est du ressort de la psychologie. « La psychologie est l’étude scientifique des faits de conscience », disait Th. Ribot. On entend par « fait de conscience » des groupes de phénomènes que nous avons soin de distinguer les uns des autres, tels que les sensations, les sentiments, etc. Une question se pose dès qu’on aborde l’étude des phénomènes psychologiques : c’est celle de la méthode. Emploierons-nous, pour les étudier, la méthode subjective, ou la méthode objective, la première constituant une méthode d’introspection (regarder au-dedans) ou d’observation interne ; la seconde une méthode d’observation externe, le sujet cessant de se confondre avec l’objet, examinant du dehors, faisant appel à toutes les sciences pour se connaître et connaître les êtres qui l’entourent ? Chacune de ces méthodes offre des avantages et des inconvénients, mais en les associant, les combinant, les complétant l’une par l’autre, le psychologue diminue les chances d’erreur qui peuvent se glisser dans son observation.



La psychologie est devenue une partie si importante de la philosophie qu’elle a fini par se substituer à celle-ci : certains philosophes ont réduit la philosophie tout entière à la psychologie. En même temps qu’ils faisaient de la psychologie une science indépendante de la philosophie, dont le rôle se bornait à l’étude de problèmes généraux, d’ordre métaphysique, ils l’annexaient à la physiologie. Sans doute, on ne peut expliquer certains « faits de conscience » sans avoir recours à la physiologie, mais il s’en faut de beaucoup que cette dernière soit l’unique explication de ces faits. Il y a là une exagération qui exige une mise au point. Cette conception d’une psychologie physiologique ou d’une physiologie psychologique a donné naissance à de nombreuses « monographies » présentant un certain intérêt. Qu’il me soit permis de dire que l’analyse, si légitime qu’elle soit, dans les recherches scientifiques ou littéraires, n’est rien par elle-même : elle ne vaut que par la synthèse. C’est la synthèse seule qui donne la vie au document, vivifie l’observation et l’expérimentation, communique de l’intérêt aux travaux les plus terre-à-terre. Sans la synthèse, la science s’arrête à mi-chemin. Par la synthèse, elle rejoint la vie.



Les problèmes que soulève la psychologie sont extrêmement variés. On les range en trois groupes se rapportant à la vie intellectuelle, affective et active. Tour à tour, on examinera, en employant la méthode génétique, qui explique le supérieur par l’inférieur, les rapports du physique et du moral, les sensations, les perceptions, la mémoire, l’association des idées, l’imagination reproductrice et l’imagination créatrice, l’attention, la réflexion, le jugement, le raisonnement, l’abstraction, les signes et le langage, les principes rationnels de finalité, de substance, de causalité, de raison suffisante, d’identité, les concepts, les idées de la raison (l’espace et le temps), l’effort intellectuel, le plaisir et la douleur, les émotions, les affections, les passions, la sympathie, l’imitation, les inclinations, les sentiments, l’instinct, l’habitude, la volonté, la personnalité, l’idée du moi, etc. La psychologie anormale et pathologique apportera son concours à la psychologie normale, complétant celle-ci par l’étude des fous, des dégénérés, des malades. Nous y joindrons la psychologie de l’enfant, celle du sauvage, et jusqu’à celle des animaux, nos « frères inférieurs ». L’animal est plus intelligent que certains hommes. Mais les hommes qualifient d’instinct l’intelligence des animaux, et donnent à leur instinct le nom d’intelligence. Bien peu de choses séparent l’homme de l’animal. Celui-ci a son langage, sa philosophie, son art. L’homme est un animal plus compliqué, voilà tout.



Nous examinerons un chapitre nouveau de la psychologie, désigné par Pierre Janet sous le nom d’automatisme psychologique. Il y a un grand nombre de gestes inconscients et subconscients, que nous accomplissons sans nous en rendre compte. Ils ont cependant leurs lois, comme les phénomènes conscients. Les anciens philosophes se préoccupaient exclusivement des formes les plus élevées de l’activité humaine, méprisant ou, plutôt, ne soupçonnant pas ses formes inférieures : les nouveaux philosophes étudient la conscience et la sensibilité dans leurs formes élémentaires les plus simples, les plus rudimentaires (les lois de la maladie étant les mêmes que celles de la santé). Il faudra, désormais, compter avec l’inconscient, dont beaucoup de gens parlent inconsciemment. On sait quelle place a pris l’inconscient depuis quelques années dans la philosophie. On a cherché dans l’inconscient l’explication d’un grand nombre de phénomènes. En même temps que l’inconscient, dont le rôle avait été seulement pressenti par quelques philosophes, le sentiment était réhabilité, avec l’instinct. On opposait à la raison l’inconscient. Le pragmatisme trouvait dans l’inconscient sa justification ; au nom de l’inconscient on mettait en doute la valeur de la science. Il est certain que le rôle joué par l’inconscient dans la conscience humaine est considérable et ne peut être nié. Qu’est-ce au juste que l’inconscient ? Est-ce une conscience confuse, comme le croient les pan-psychistes ? Ou s’explique-t-il par la psychologie ou la physiologie ? Les philosophes sont loin d’être d’accord. Quoi qu’il en soit, l’inconscient est un fait. Il y aurait dans l’individu un moi conscient et un moi que Myers a appelé subliminal (au-dessous du seuil) : ce dernier, analogue au moi ancestral, à celui des animaux supérieurs et des primitifs, constituerait une sorte de vie végétative. L’inconscient et le conscient réagissent l’un sur l’autre. L’acte automatique joue un rôle dans la vie humaine, comme l’acte conscient. On constate chez l’être le plus intelligent des actes demi conscients. Psychologues, psychiatres, occultistes, métaphysiciens, sociologues, etc., ont dû tenir compte de l’inconscient dont ils ont étudié les effets dans la vie morale, intellectuelle et sociale de l’humanité.



Nous venons de parler de psychologie anormale. Elle a été le point de départ de recherches intéressantes. De nouvelles méthodes lui ont apporté leur concours. La psychothérapie a l’ambition de guérir les maladies de l’âme. Elle les traite comme des maladies du corps et s’efforce d’en prévenir le retour. La psychiatrie les constate et met en lumière différentes psychopathies. Les psychiatres font souvent fausse route. Ils ont les défauts de tous les spécialistes : ils ne voient qu’un aspect de la réalité. Les psychiatres mettent les artistes au nombre des « paranoïaques ». Tout ce qui sort de l’ordinaire est, par eux, traité de folie.

Ainsi, la psychologie envisage l’homme dans toutes ses attitudes. Elle le dissèque, le pèse, l’analyse, le triture en tous sens. Ce qui est dangereux, c’est l’abus qu’on fait de la psychologie. La psychologie des écrivains et celle des philosophes ne se ressemblent guère ; cependant, à ne faire que de la psychologie, objective ou subjective, expérimentale ou non, on risque d’être obsédé par l’idée fixe, qui est elle-même un cas fort curieux de psychologie anormale et pathologique.


— Gérard de LACAZE-DUTHIERS.



PSYCHOLOGIE


La psychologie a été incorporée à la philosophie en compagnie de la logique, de la morale et de la métaphysique.

C’est là un reste de la confusion primitive, où les connaissances scientifiques, la religion, la morale et la politique formaient un tout indivis.

On a même nié la psychologie ; Auguste Comte voulait en faire une partie de la sociologie, partant du fait que l’homme est un être social.

C’est une erreur. On pourrait plutôt rattacher la morale à la sociologie. Parce que la morale, science de ce qui doit être et non de ce qui est, gouverne le rapport des hommes entre eux.

On a voulu aussi faire de la psychologie une annexe de la physiologie, sous prétexte que le cerveau, organe de l’esprit, est une partie du corps.

Là aussi on s’est trompé, conduit par un matérialisme mal compris.

Le sphygmographe peut nous enseigner que le pouls précipite ses battements sous l’influence d’une émotion, mais il ne nous dit rien de l’émotion elle-même.

Le vrai est que la psychologie comporte une méthode spéciale, l’introspection, qui la rend très difficile, parce que le sujet de l’expérience en est en même temps l’objet. De là le peu de progrès fait par la psychologie depuis Aristote qui, déjà, avait découvert l’association des idées, dont l’étude fut complétée de nos jours par Stuart Mill.



La vieille théorie des facultés de l’âme : sensibilité, intelligence, volonté, n’a pas pu être remplacée.



L’introspection est complétée par l’extrospection, c’est-à-dire par l’observation des autres : enfants, vieillards, aliénés, idiots, hommes d’intelligence diverse. Mais nous ne pouvons connaître de l’âme des autres que ce qu’ils veulent bien nous en livrer ; en outre, il est peu de personnes vraiment capables de s’observer elles-mêmes ; le connais-toi toi-même socratique est rare.



Les faits psychologiques ont été étudiés aussi par leurs contours, si on peut s’exprimer ainsi. On a pu mesurer le temps qu’ils mettaient à se produire. C’est quelque chose ; mais cela ne dévoile pas le mécanisme intime de la pensée qui, peut-être, échappera toujours à la connaissance humaine. On a étudié avec plus de fruit ce qu’on pourrait appeler la psycho-sociologie, étude de l’influence du milieu social sur l’individu.



La psychanalyse de Freud est venue donner une vigueur nouvelle à la psychologie endormie dans les vieilles formules. On s’est livré à des interrogatoires très minutieux pour découvrir l’origine d’une obsession, d’une phobie ou d’une idée fixe. Freud, comme tous les auteurs de systèmes, a eu le tort de pousser à l’exagération l’influence de la sexualité dans la constitution de l’âme humaine.



Certes, le besoin sexuel, venant après les besoins de nourriture et de sommeil, ne peut pas ne pas avoir un rôle important dans l’esprit humain. Néanmoins, il n’y a pas que le sexe dans la vie mentale.



Freud, néanmoins, a rendu et rendra de grands services en portant à faire attention aux paroles, notamment en matière d’éducation. Il est des paroles qui ont la nocivité de poisons. Un enfant sera à jamais incapable, parce qu’on lui aura répété qu’il est incapable. En l’humiliant de manière constante, on provoque en lui des complexes d’infériorité qui pourront le diminuer sa vie entière.



Nos pères et nos grands-pères se conduisaient à cet égard comme des barbares. Ils croyaient avoir fait tout leur devoir en donnant à leurs enfants le vivre et le couvert. Ils passaient sur eux leur mauvaise humeur, leur volonté de puissance, s’ingéniant à les humilier.



La psychologie a été aussi appliquée à l’orientation professionnelle. Par des tests, on évalue les aptitudes des enfants et on leur conseille d’entreprendre une profession en rapport avec leurs dons naturels. Mais ces études sont encore bien loin d’être au point, d’autant mieux que, dans la société présente, c’est la situation et la fortune des parents, et non les aptitudes de l’enfant, qui déterminent son avenir.


— Doctoresse PELLETIER.



PSYCHOLOGIE


I. COMPARÉE. - Socrate donnait à l’homme un excellent conseil, en lui disant : « Connais-toi toi-même. » Le difficile est de l’appliquer. Faut-il faire porter exclusivement l’examen sur sa propre personnalité ? Est-il opportun d’étendre ces investigations à d’autres êtres, et, de l’analyse de leurs réactions élémentaires, déduire quelques notions sur le fonctionnement si complexe de notre esprit ?



La première méthode, pratiquée depuis la plus haute Antiquité, est celle de la psychologie classique, à laquelle des savants réputés demeurent fidèles. Ainsi, M. R. Anthony, professeur au Muséum, écrivait, il y a cinq ans : « Du moment où l’on distingue une psychologie, on ne peut l’entendre que comme la science des faits de conscience envisagés en tant que faits de conscience, et rien de plus, rigoureusement ; il est impossible de vouloir étendre au-delà les limites de son champ. De cela résultent : directement, que la psychologie objective n’est pas de la psychologie et, indirectement, que la psychologie zoologique n’est pas une science, mais un fantôme de science seulement. » Ce ne serait que des parties de la physiologie non dépourvues d’intérêt, certes, mais ne nous renseignant guère sur la nature et le jeu de notre esprit.



Cette psychologie classique nous a rendu le service d’analyser les plus fines nuances qui colorent l’expression de notre psychisme. Mais, depuis longtemps, elle ne fait plus que piétiner sur place. Elle s’en tient à la forme, elle n’atteint pas les fondements de notre activité mentale.



La plupart des philosophes et des savants de notre époque s’engagent dans une autre voie. M. J. Lhermitte, de la faculté de Médecine, nous dit : « Sans diminuer la valeur de l’introspection, il est permis, croyons-nous, de soutenir que la meilleure manière de se connaître soi-même, c’est d’abord de connaître son cerveau. » L’introspection peut même nous égarer. MM. Delmas et Boll font observer que « la connaissance de la personnalité d’un de nos semblables – et en particulier de notre propre personnalité – présente des difficultés considérables, qui sont imputables à plusieurs raisons : nous n’assistons jamais qu’à des faits, à des manifestations dynamiques ; seule une abstraction bien conduite permet de remonter du dynamisme au statisme, et on concevra les possibilités d’erreur qui peuvent se glisser dans de telles interprétations ; la personnalité innée est inconsciente, et chacun de nous se forge des idées erronées à ce sujet, idées qui proviennent de tout un système de raisonnements justificatifs et dont il convient, avant tout, de faire table rase ».



Il faudrait pouvoir expérimenter, dissocier les manifestations dynamiques de l’esprit, les actes ; en isoler et en fixer les parties. Opération à peu près impossible à réaliser sur nous-mêmes, presque aussi impossible à réaliser sur nos semblables, dont la conscience s’harmonise à la nôtre, obéit trop volontiers aux suggestions de celui qui l’interroge.



En somme, pour arriver à connaître l’homme, il faudrait observer et interpréter ses actes comme s’il s’agissait d’un animal, et non sans prudence encore. Pourquoi ne pas nous adresser directement à l’animal ?



Autre motif. Pour bien connaître la psychologie de l’adulte, n’est-il pas indispensable d’être éclairé sur son évolution ? « Aucun fait n’est plus certain que le développement naturel et graduel de l’esprit à partir d’un début extrêmement simple ; aucun fait n’a de signification pratique et philosophique plus élevée, et aucun, cependant, n’est plus généralement méconnu. Nous savons fort bien que les plus grands hommes furent un jour des enfants, des embryons, des cellules sexuelles, et que les plus grands esprits furent un jour des esprits d’enfants, d’embryons, de cellules sexuelles ; et pourtant, ce fait extraordinaire n’a exercé que fort peu d’influence sur notre façon de concevoir la nature de l’homme et de l’esprit. Plus encore que pour le développement du corps, nous serons obligés de nous fier à la comparaison entre l’ontogénèse de l’homme et celle des animaux. » (Ed. Grant. Conklin, université de Princeton.)



« Le sens et la courbe évolutive d’une fonction ne peuvent être obtenus que par son étude dans les différentes espèces. Plus elle devient complexe et plus cette nécessité s’impose. La psychologie ne saurait se limiter à l’homme. Elle doit même s’adresser d’abord à des séries animales, où le soudain éveil d’acquisitions héréditaires ne risque pas de trop submerger les termes régulièrement progressifs d’une fonction qui se développe. » (Henri Wallon, maître de conférences à la Sorbonne, 1930.)



Mais il ne faut pas confondre la psychologie comparée avec ce que l’on nous a souvent présenté comme la psychologie animale, sujet d’extase en présence de bêtes auxquelles il ne manque que la parole, auxquelles même, parfois, on donne la parole pour notre propre édification.



« Le principe de la psychologie comparée est directement opposé à l’objection d’anthropomorphisme que s’est attirée parfois la psychologie animale. Sans doute, faire de l’histoire naturelle une sorte de miroir, sur lequel chaque espèce refléterait quelqu’un des traits dont l’homme a coutume de composer son propre visage, ce serait refaire en langage abstrait et pédantesque les caricatures, déjà bien oubliées, de Grandville. Le but est, au contraire, d’échapper aux interprétations de la conscience qui affuble nécessairement toute réaction des modalités et dénominations dont elle est en quelque sorte la somme – intention, délibération, choix – et leurs motifs subjectifs : sentiments, désirs, répugnances... C’est choisir les conditions d’individu et de milieu où cette affabulation est le moins probable, pour ne connaître des réactions observées que leurs concomitants et leur raison nécessaire. » (H. Wallon.)



Un des points qui nous intéressent le plus, c’est la corrélation entre la pensée et ses organes, système nerveux et cerveau. Or, sur l’homme, l’expérimentation est impossible ; seules les monstruosités, les malformations, les blessures nous fournissent quelques données. Si nous nous adressons aux animaux, abstraction même faite de l’expérimentation proprement dite, nous pouvons suivre, à travers toute la série des espèces, le développement progressif de tout le système, depuis l’arc réflexe le plus élémentaire jusqu’aux couches supérieures de l’encéphale, aux lobes frontaux dont le volume caractérise l’espèce humaine. Nous pouvons en tirer de précieuses données relativement au progrès psychique.



Les méthodes à suivre pour l’étude de la mentalité animale sont l’observation et l’expérimentation.



Elles se distinguent peu tant que l’on n’envisage que les animaux les plus inférieurs, infusoires par exemple, auxquels on peut difficilement faire subir des modifications individuelles et dont on se borne à observer le comportement dans un milieu qui ne subit que des variations d’ensemble semblables à celles que provoquent les agents naturels, changements d’éclairage, de température, de concentration saline ou gazeuse. Les deux théories principales issues de ces observations sont celles de Loeb, des tropismes ; les mouvements de l’animal sont des mouvements forcés, indépendants de sa volonté, conséquences des réactions physico-chimiques de sa substance. À un degré supérieur, les forces internes sont mises en action par des changements brusques ou des dissymétries du milieu. « L’animal est orienté par sa sensibilité différentielle ; 2° Jennings explique le comportement par la théorie des essais et des erreurs, imaginée d’après l’effet que le spectacle produit sur nous. L’animal exécute des mouvements au hasard, dans toutes les directions, jusqu’à ce que le résultat soit atteint, après quoi le mouvement cesse. » C’est d’ailleurs à peine s’il y a quelque chose de moins mécanique, de moins déterminé que dans la théorie de Loeb.



C’est lorsque l’on s’élève à des êtres moins simples que l’observation et l’expérience se caractérisent véritablement. La première vise surtout à être descriptive. Elle étudie l’animal à l’état libre, dans son milieu, dans des conditions normales. Elle a été pratiquée par Fabre – peut-être avec un peu trop d’imagination sympathique et une idée trop classique de l’instinct, nous dit M. A. Lalande.



La seconde est explicative. Partant de la considération des actes les plus élémentaires, dont nous venons de faire mention, elle provoque et étudie leur complication progressive ; elle pose en quelque sorte des problèmes aux patients. L’expérimentation met en œuvre des stimulus de plus en plus compliqués, pour voir de quelle façon les animaux y répondent ; elle s’efforce de faire s’établir des réactions acquises adaptées à des événements devenus coutumiers, à mesurer le temps, le nombre d’épreuves nécessaires pour réaliser cette éducation, la durée de persistance de la mémoire, le secours que les expériences passées apportent à la ré-acquisition des gestes appropriés au cours d’expériences ultérieures.



La pratique de ce dressage, la comparaison des résultats numériques qu’il fournit permettent de distinguer les aptitudes et le degré d’intelligence des espèces animales, et même des individus d’une même espèce. Il s’agit de parcourir, à la recherche de la nourriture, des circuits, les uns conduisant au but, les autres en impasse, de discerner la forme ou la couleur des récipients qui la contiennent, de portes à ouvrir, de mécanismes à faire jouer, d’outils à inventer. Des singes, par exemple, non seulement savent faire usage de bâtons, mais aussi emmancher deux bambous l’un dans l’autre pour atteindre un objet désiré.



On a proposé de dresser des animaux bien doués à des opérations de triage fastidieuses pour l’homme. « Il n’est pas interdit de penser qu’un jour, des équipes d’animaux se substitueront à l’homme pour les travaux industriels inférieurs. On utilise encore l’homme pour un certain nombre de ces travaux, faute de pouvoir lui substituer des appareils automatiques économiquement utilisables : par exemple, pour la séparation d’objets ne présentant que des différences de couleur ou de dessin, le classement des fruits selon leur maturité, d’œufs suivant leur fraîcheur, le classement des déchets métalliques d’après leur couleur, le triage de certaines semences, le triage des laines et cotons bruts, etc. Pour quelques-unes de ces opérations, le cerveau animal serait d’un emploi beaucoup plus économique que le cerveau humain. » (C. Bussard, Revue Scientifique, 13 juin 1931.) Les capitalistes, américains surtout, veulent, par la rationalisation, faire de l’homme, moins qu’un animal, un automate ; il s’agit maintenant d’éduquer l’animal pour lui faire concurrencer l’homme.



On veut aussi tirer de l’animal des éclaircissements sur la sociologie ; comprendre comment un chef peut se dégager de la masse des sujets, comment peut s’établir une hiérarchie. « Jusqu’à présent, les lois sociales les plus simples nous ont échappé ou, du moins, nous n’avons pu les connaître avec certitude, faute pour le sociologue de disposer de la faculté d’expérimenter, comme on le fait dans toutes les sciences qui ne touchent pas à l’homme. Lorsqu’on sera en mesure de créer et de modifier à sa guise de petites sociétés animales, on pourra, peut-être, dégager des expériences faites des lois fondamentales qui régissent la grande Société, la nôtre. » (Id.) L’auteur paraît perdre de vue que ce qu’il faudrait observer, puisque les hommes ont créé eux-mêmes leur grande société, ce sont les gouvernements que se donneraient spontanément les animaux ; mais ils ne sont pas si bêtes.



Ce rêve d’une « zoo-sociologie expérimentale » n’est sans doute pas près de se réaliser. Faut-il le regretter ? Des législateurs à quatre pattes seraient peut-être plus sages et moins dangereux, surtout, que des législateurs aux mains avides, aux doigts trop crochus.



Cette digression était pour faire sentir le danger que peut présenter l’école analogiste qui « s’efforce de comprendre les réactions animales par leur ressemblance avec celles de l’homme, et de les traduire en termes de conscience. Elle a le grand intérêt de faire de l’observation zoologique un instrument de psychologie comparative et de toucher par suite aux problèmes concernant la place de l’homme dans la nature et la genèse de ses facultés mentales. Mais c’est une méthode très glissante, où l’on est facilement tenté de prendre pour une explication la simple analogie avec les faits auxquels nous sommes accoutumés, ou de prêter aux animaux des phénomènes de conscience qui en font de petits hommes. » (A. Lalande, 1930.) Il faut « ne jamais interpréter une action comme l’effet d’une faculté mentale supérieure, quand elle peut être considérée comme produite par une faculté occupant un degré inférieur de l’échelle psychologique ». (Morgan, cité par A. L.)



Dans un livre consacré à la psychologie comparée (A. Costes, édit.), Mlle M. Goldsmith nous montre quelles sont les données que nous fournit aujourd’hui cette partie de la science, encore peu approfondie, et aussi les promesses qu’elle nous apporte. Après avoir indiqué que ni la théorie des essais et des erreurs, ni celle des tropismes ne nous donnent l’explication des premiers actes impliquant le psychisme, elle montre que les réflexes, actes conscients ou inconscients, se distinguent des tropismes, surtout en ce que les voies qu’ils empruntent pour se manifester – système nerveux – sont visibles pour nous. Elle en vient aux instincts, réflexes héréditaires, moins parfaits et plus perfectibles qu’on ne croit. Je considère, pour ma part, l’instinct comme l’emploi rationalisé d’une force nerveuse parcimonieusement mesurée. Elle traite en dernier lieu des actes relevant de l’intelligence proprement dite, caractérisés par ce fait qu’au lieu d’obéir à l’excitation du moment, ils se combinent avec les excitations antérieures par le moyen de la mémoire et de processus associatifs. Suivi à travers toute la série animale, le développement intellectuel n’est pas régulièrement graduel ; mais dans chacun des grands groupements zoologiques, il s’accroît des formes inférieures aux supérieures, puis, dans le groupe suivant, redescend pour remonter plus haut. En fin de compte, Mlle Goldsmith conclut : « Les méthodes, encore toutes nouvelles, de la psychologie animale se perfectionneront et s’unifieront. Et, alors, de vastes possibilités s’ouvriront à des séries de travaux systématiques... ; enfin, on pourra étudier la dépendance des aptitudes psychologiques d’un animal vis-à-vis de son milieu et de ses conditions de vie. » L’animal humain fera son profit des renseignements fournis par ses frères inférieurs.



II. COLLECTIVE. – On n’est pas encore parvenu a tracer une ligne de démarcation incontestée entre le domaine de la psychologie et celui de la sociologie, ou encore à déterminer la part qui revient à l’individuel et au collectif dans la naissance et le développement des idées de l’homme et dans l’évolution des sociétés. Que ces deux sciences tendent à empiéter l’une sur l’autre, cela, nous le verrons, est assez naturel ; mais, ce qui est plus grave, c’est que chacune émet la prétention d’absorber l’autre.



Tout rapporter à l’individu, considéré comme un absolu, unique promoteur et légitime bénéficiaire de toute activité intellectuelle, amène inévitablement à professer l’individualisme égoïste. Toutefois, si cette inclination est fâcheuse, elle ne saurait, lorsqu’elle reste strictement personnelle, porter grand préjudice à la société. Celui qui ne compte que sur ses propres forces pour imposer sa loi se heurte bientôt à des résistances qui réfrènent son ambition. La suprématie d’un seul sur tous a peu de chances de durée. Pour se satisfaire, les égoïsmes ont toujours dû former des coalitions, se constituer en castes ou classes poursuivant la conquête du pouvoir, détenant la gestion de la chose publique. Mais, du fait même que l’égoïste s’incorpore à un groupement d’intérêts, il abdique une partie de ses prétentions, hypocritement sans doute, mais, pratiquement, il est devenu sociable.



La prééminence de la collectivité sur l’individu est un principe d’une portée infiniment plus redoutable. Certes, tant que l’agrégat reste sans organisation, n’est qu’une foule capricieuse, la contrainte qu’il exerce sur des dissidents, violente parfois, n’est guère durable. Par contre, dès que des groupements d’intérêts se sont dégagés du chaos, celui d’entre eux qui s’est assuré la supériorité veut qu’elle soit reconnue comme fondée en droit. Il prétend être l’âme du corps social. Il invoque l’existence d’une conscience collective dont il serait l’organe.



Cette notion de conscience collective, demeurée longtemps imprécise, on a cherché à la justifier en s’appuyant sur la biologie.



Un sociologue contemporain, Espinas, considérait l’individu comme une synthèse d’organes ; il serait plus exact de dire synthèse de fonctions. La société serait une synthèse d’individus. « La même concentration qui, en produisant l’individualité organique, fait surgir une conscience, la conscience individuelle, ne peut pas, lorsque, en se poursuivant, elle produit la société, ne pas de même faire surgir en elle une conscience : la conscience collective. La participation de plusieurs éléments vitaux à une même fonction essentielle, c’est le concours biologique... La conscience qui résulte de ce concours est la même, en nature, chez la société et chez l’individu. » (Espinas, d’après Davy.)

Le concept de conscience individuelle est une survivance animiste, la croyance « à un animal invisible habitant à l’intérieur de l’animal visible ». En fait, il y a la pensée de l’homme, pensée qui comporte des degrés, une hiérarchie, si l’on veut, mais reposant seulement sur la précision de son objet et l’étendue de sa compréhension. « Nous pensons avec tout le corps, sans doute, et non avec le cerveau seul ; mais cela ne saurait signifier que le cerveau n’est pas l’organe le plus élaboré, celui qui marque le mieux le niveau de notre évolution. » (Léon Brunschvicg.) Cela est incontestable lorsqu’il s’agit de motiver la place occupée par l’homme dans la série animale. Dans l’être humain, la fonction du cerveau est une fonction de coordination intégrée dans l’ensemble des autres. À mesure que le flux nerveux ou psychique s’élève d’un échelon, intéresse des régions supérieures, il s’associe à d’autres courants, se coordonne avec eux, d’obscur devient clair, s’achève en pensée réfléchie accompagnée de jugement. On peut alors le qualifier de pensée consciente, sans prétendre que sa nature ait changé.



Y a-t-il dans une société quelque chose d’analogue qui mérite d’être qualifié de conscience collective ou sociale ? On peut assurément relever certaines analogies. Il y a dans le corps social des courants d’idées qui restent confinés dans un domaine restreint, associations civiques ou économiques à buts limités ou temporaires. D’autres englobent des intérêts plus généraux, mais localisés, sans grand retentissement extérieur. D’autres animent les grands appareils fonctionnels de l’État, inspirent leurs statuts et règlements professionnels, entretiennent leurs coutumes, vivifient leur esprit de corps. Enfin, des institutions communes consacrent la cohésion d’une nation.



Mais, de cet ensemble, plus ou moins judicieusement systématisé, voyons-nous surgir quelque chose de comparable à une entité de caractère transcendant, à laquelle nous devrions rendre hommage en la reconnaissant comme conscience sociale à caractère impératif, conscience nationale, dans l’état présent du monde ?



La personnification de la société comme qualitativement différente des personnes composantes est une pure hypothèse métaphysique. La réalité de la conscience sociale exigerait « que la France fût une personne, que l’Autriche fût une personne, que l’Humanité pût devenir un jour une personne, que la conscience collective eût une existence et une sorte de moi distinct de nos consciences propres » (Alfred Fouillée). Durkheim l’admettait parce que, disait-il, la société est « la source et le lieu de tous les biens intellectuels qui constituent la civilisation ». Il n’y a là qu’une part de vérité. « La source et le lieu ne constituent pas une conscience. La vraie source, d’ailleurs, le vrai lieu de la civilisation est dans les consciences individuelles qui, réunies en société, réagissent les unes sur les autres. C’est sans doute la société qui nous affranchit de la nature ; mais en résulte-t-il que nous devions nous la représenter comme un être psychique supérieur à celui que nous sommes et d’où ce dernier émane ? Cette théorie métaphysique de l’émanation sociale ne nous paraît guère plus soutenable que celle de l’émanation divine. » (A. Fouillée.)



Mais, une fois écartée cette notion de conscience collective et désavouées les redoutables entités dans lesquelles on prétend l’incarner, il reste l’interaction des pensées individuelles et des idées qui règnent dans le milieu social. « Il n’est rien dans l’individu qui ne soit marqué de l’empreinte sociale, il n’est rien en lui qui ne réagisse sur la société, qui ne tende à la transformer plus ou moins et, par là, à transformer tous les autres esprits, et à le transformer, indirectement, lui-même. » (Fr. Paulhan.)



Quelle influence l’esprit individuel exerce-t-il sur les courants d’idées qui règnent dans le milieu social ? Quels germes de progrès y introduit-il ? Comment les innovations dues à son initiative se font-elles admettre et arrivent-elles à influer sur le comportement et l’orientation du groupe ? Cela constitue un chapitre de la sociologie.



De quels éléments empruntés au milieu social se forme et s’alimente la pensée personnelle ? Quel cadre ce milieu impose-t-il à l’activité intellectuelle ? Quelle aide lui apporte-t-il ? Quel frein lui impose-t-il ? C’est là une partie essentielle de la psychologie que l’on tend aujourd’hui à étudier et à systématiser sous le nom de psychologie collective.



L’objet de cette science est extrêmement complexe, « l’étude en est à peine abordée » (Ch. Blondel). Non pas que cet objet ait été méconnu, mais on a apporté trop de passion dans l’interprétation des faits sur lesquels on pouvait s’appuyer pour la recherche. Sociocrates et individualistes égoïstes les dénaturaient au bénéfice de leur doctrine.



Dès la naissance, le milieu intervient dans la formation intellectuelle de l’enfant. « Alors que la plupart des animaux peuvent être abandonnés à eux-mêmes peu de temps après leur naissance, l’enfant a besoin, pendant de longues années, d’une protection attentive. Lorsqu’il est devenu un tant soit peu viable, il est déjà socialisé. » (G. Bouthone.) Auguste Comte admettait que, par sa nature même, la pensée de l’enfant évoluait conformément à la première phase de sa loi des trois états, qu’elle commençait par avoir un caractère animiste, religieux et même fétichiste. C’était attribuer à une innéité, dans le secret de laquelle nul ne peut pénétrer, pas même le sujet qui ne conserve aucun souvenir de sa toute première enfance, ce qui provient de l’ambiance. « Il ne faudrait pas confondre avec une interprétation spontanée les personnifications d’objets inanimés dont parents et nourrices croient devoir se servir pour entrer en communication d’idées avec l’enfant et pour se mettre à sa portée. Pour étudier avec fruit le développement de l’âme enfantine, il importerait d’éliminer rigoureusement les influences étrangères ; ce qui n’est pas possible. » (Weber.) Plus tard, c’est le langage qui impose son cadre à la pensée, et le langage est apport social. Il n’est sans doute pas de pensée qui ne soit accompagnée de parole intérieure. L’être lui-même ne prend pleinement conscience de son existence que par ses relations avec la société. La durée, hors de celle-ci, ne serait pour lui qu’une sensation imprécise. La mémoire ne permet de classer les incidents personnels qu’avec l’aide des repères empruntés aux groupements auxquels on est incorporé : famille, milieux professionnel ou politique, dont les éphémérides ou la tradition précisent la date.



Les tendances physiologiques et psychiques, les sentiments affectifs font partie de notre innéité, mais la société leur impose leur forme et leur fournit les moyens d’expression qu’elle maintient dans des limites étroites et dont elle réfrène les écarts. Cette inhibition, à son tour, est source de progrès individuel.



Toute la formation technique et scientifique de l’homme est l’œuvre de la société ; l’homme n’apporte que ses tendances et ses aptitudes ; la matière et les instruments, grâce auxquels ces dons innés seront mis en valeur, sont un apport social.

Le champ d’action de la psychologie collective est donc fort étendu. De l’étude de cette partie de la science dépend la solution de nombreux problèmes sociaux, au nombre desquels il faut compter ceux qui sont relatifs à l’éducation.


— G. GOUJON.