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PUBERTÉ n. f. (du latin : pubis, poil)

L’époque de la puberté est celle où les organes sexuels des jeunes gens arrivent à un état de développement notable, où des spermatozoïdes se forment dans les testicules du garçon, où les menstrues surviennent chez la fille, provoquées périodiquement par l’expulsion d’un ovule mûr. Des poils naissent, chez le mâle, à la racine de la verge, plus tard au creux des aisselles, sur les joues et le menton. Testicules et verge augmentent de volume, alors que le scrotum prend une couleur brunâtre, se couvre de poils et se plisse. Les organes génitaux se gonflent et se durcissent sous l’effet d’impressions voluptueuses ou d’attouchements même minimes. La voix s’abaisse d’une octave environ ; parfois, cette mue résulte d’une transformation progressive et insensible ; parfois, elle s’accompagne d’enrouement et de troubles divers dans la tonalité. C’est à la castration pré-pubère que les chantres de la chapelle Sixtine, à Rome, devaient leur voix de femme, à diapason élevé. Chez la jeune fille, la puberté se manifeste par le développement des mamelles, une tendance à l’adiposité, l’apparition des menstrues. Des poils naissent sur le pubis, quelques semaines avant la venue de ces dernières, d’autres poussent aux aisselles, quelques semaines après. Le bassin s’élargit ; hanches et poitrine s’arrondissent ; les ovaires augmentent de volume et la longueur de l’utérus s’accroît considérablement ; à noter encore l’agrandissement des petites lèvres du vagin, la formation des bulbes vulvaires, le développement du clitoris. Les troubles spéciaux annoncent les premières règles ; parfois, le cœur devient le siège de désordres passagers ; la voix s’abaisse de deux tons seulement, en moyenne.

Dans les pays chauds, garçons et filles sont précoces ; chez les Hindous, il n’est pas rare de trouver un mari de quinze ans accouplé à une femme de douze ans. Mais les excès sexuels, à un âge trop tendre, ont des effets désastreux et pour l’espèce et pour les individus. La menstruation est plus rapide dans les races méridionales, à la ville, chez les filles riches ; plus tardive dans les races du Nord, à la campagne, chez les filles pauvres. À Paris, l’âge moyen est de 14 ans et demi.



En règle générale, le garçon est moins précoce ; puis son évolution sexuelle est plus lente. C’est vers 14 ans que ses poils pubiens se développent ; c’est vers 17 ans que ses organes génitaux acquièrent un volume assez considérable. Les modifications physiologiques qui caractérisent la puberté s’accompagnent de troubles psychologiques, souvent décrits par les poètes et les romanciers. Des aspirations vagues, des désirs mal définis, une inquiétude dont il ne connaît pas la raison tourbillonnent dans l’esprit de l’adolescent. Des bouffées de chaleur lui montent au visage ; il rougit facilement ; aisément, ses yeux se remplissent de larmes. Caresses et baisers maternels, joies simples de l’amitié, pratiques d’une dévotion outrancière et morbide sont désormais incapables d’éteindre le feu dont il brûle intérieurement. C’est l’époque des rêves héroïques, des productions enchanteresses et sublimes de l’imaginative ; c’est aussi celle où l’obscénité fleurit, car ils sont rares les jouvenceaux modernes qui ne soupçonnent point où la nature les conduit. Tout devient pour eux matière de plaisanteries sexuelles ; torturés par les impulsions énergiques de l’instinct procréateur, ils cherchent un dérivatif dans les lectures et les conversations grivoises. Presque tous recourent à l’onanisme solitaire ou collectif.



Sujette à de rapides variations d’humeur, à la fois vive et timide, la jeune fille ressent, elle aussi, une ardeur qu’elle ne s’explique pas. Des crises de larmes succèdent à de bruyantes explosions de joie ; c’est l’époque par excellence des amitiés tendres et de l’exaltation religieuse. Une extrême susceptibilité s’allie au désir secret d’être l’objet de soins empressés. La présence d’un compagnon masculin jeune et beau provoque chez la jouvencelle un trouble délicieux. De cet éveil de la sexualité dans une âme candide, l’auteur de Daphnis et Chloé nous a laissé une description d’une étonnante fidélité. Un jour que Chloé lavait le corps de Daphnis, elle s’avisa qu’il était beau, ce qu’elle n’avait point jusque-là remarqué ; sa peau lui parut douce et fine ; elle rêva de revoir son compagnon se baigner. Bientôt son esprit fut obsédé par l’image de Daphnis. « Ce qu’elle éprouvait, elle n’eût su dire ce que c’était, simple fille nourrie aux champs, et n’ayant ouï en sa vie le nom seulement d’amour. Son âme était oppressée ; malgré elle, bien souvent ses yeux se remplissaient de larmes. Elle passait les jours sans prendre de nourriture, les nuits sans trouver de sommeil ; elle riait et puis pleurait ; elle s’endormait et aussitôt se réveillait en sursaut ; elle pâlissait et, au même instant, son visage se colorait de feu. La génisse piquée du taon n’est point si follement agitée. » Plus discrètes que les garçons, concernant les choses sexuelles, les jeunes filles s’éprennent souvent entre elles d’amitié amoureuse ; peu vont jusqu’à la masturbation mutuelle. Cette pratique, fort répandue parmi les femmes d’âge mûr, sévit à un degré moindre dans les pensionnats féminins que dans les internats de garçons. Instinct procréateur, caractères physiques et moraux, dont l’apparition détermine la puberté, résultent moins de la présence d’éléments séminaux arrivés à maturité que de l’action de substances excitantes, sécrétées dans les parties génitales et répandues dans tout l’organisme.



La découverte de ces substances, les hormones, et de leur rôle, écrit le docteur Vachet dans son beau livre L’Inquiétude sexuelle, « repose sur certaines expériences décisives, dont les principales sont l’ablation des glandes génitales chez le mâle et chez la femelle, la transplantation de tissu glandulaire chez les animaux préalablement castrés, l’injection aux castrats du suc glandulaire dont ils sont privés. Nombreux sont les savants qui, dans ces vingt dernières années, ont fondé sur de telles expériences les connaissances solides que nous possédons aujourd’hui ». Or, la sécrétion des hormones commence à la fin de la première enfance ; d’où il résulte que l’inquiétude sexuelle existe dès la période pré-pubère, quoi qu’en disent les auteurs traditionnalistes, respectueux des préjugés chrétiens. Freud a raison de placer avant la puberté les premières manifestations de l’instinct de reproduction. Mais nous ne saurions le suivre lorsqu’il étudie la sexualité chez le bambin. C’est un plaisir voluptueux, selon Freud, qu’éprouve l’enfant qui tète sa mère ou se réchauffe contre son sein : « L’acte qui consiste à sucer le sein maternel devient le point de départ de toute la vie sexuelle, l’idéal jamais atteint de toute satisfaction sexuelle ultérieure. » Frottement et chatouillement de certaines parties du corps, les zones érogènes, défécation et mixtion, après retenue intentionnelle, des excréments et de l’urine seraient des manifestations de l’érotisme enfantin. Amour de la mère, jalousie haineuse du père ou des frères, curiosité sexuelle, cruauté voluptueuse découleraient, plus tard, du même sentiment. L’enfant, toujours d’après Freud, fixe d’abord sa libido sur un objet d’élection, la mère par exemple, puis se met en imagination à la place du père, adoptant son caractère et se conformant à ses interdictions. Lorsqu’il comprend que son père est un obstacle à son amour, il le hait. D’où le complexe d’Œdipe, fait de haine et d’amour, qui se dissoudra plus tard, lorsque s’accroîtra la séparation entre la mère et le fils. À la puberté, complexes parentaux et tendances génitales erratiques fusionnent harmonieusement, chez les individus normaux. Le primat des organes génitaux s’affirme sur les autres zones érogènes ; l’objet du désir devient la personne du sexe opposé ; plaisir physique et tendresse amoureuse arrivent à fusionner.



Ces doctrines ingénieuses ont le tort d’être des constructions hypothétiques, que les faits sont loin de toujours confirmer. Par contre, l’existence de plaisirs sexuels dans la période pré-pubère est certaine. Jean-Jacques Rousseau raconte qu’à onze ans, une Mlle de Valson fit de lui son galant ; il prit la chose au sérieux et assure que, s’il l’aimait en frère, il en était jaloux en amant. Sacher Masoch avait dix ans quand eut lieu la scène qui détermina sa perversion. Le docteur Vachet a reçu cette confession d’un jeune homme : « Je devais avoir environ quatre ans, et j’étais en parfaite santé, lorsqu’un jour, grimpant à un prunier, j’éprouvai une sensation étrange, à la fois amollissante et agréable, que je pris pour une envie d’uriner. Je m’efforçai à plusieurs reprises de la renouveler et j’y parvins presque régulièrement. Vers le même temps, un camarade de jeu, plus âgé que moi d’une année, me raconta que sa mère l’embrassait sur les fesses et que cela lui plaisait beaucoup. À nous deux, nous essayâmes de renouveler cette satisfaction qui, autant qu’il m’en souvienne, était beaucoup plus psychologique que physique. Peu de temps après, nous nous séparâmes et je ne pensai plus à ces choses. J’avais dix ans lorsque, à la campagne, une voisine, jeune fermière, qui me témoignait de l’affection et me gâtait, m’emmena dans un grenier où il faisait très chaud. Elle m’étendit à côté d’elle sur du foin et prit jeu à me chatouiller. Je devais être en état d’excitation et elle s’en aperçut. Toujours sous prétexte de jeu, elle défit mon vêtement et se mit à me caresser. Puis, feignant d’avoir trop chaud, elle se dévêtit aux trois quarts et commença à me donner une leçon d’anatomie. Je me sentais très excité et ce fut sans difficulté que je me prêtai à un exercice qui me fit éprouver une sensation violente, alors elle me serra contre elle en m’embrassant. Comme personne ne pouvait la soupçonner, et qu’avec un garçon de mon âge elle ne craignait point d’être fécondée, elle continua ce manège, durant tout le temps de mon séjour à la campagne. Je me sentais dans un état de trouble et de fatigue extrême. Je n’ai plus eu de ces relations avec cette femme, mais toute ma jeunesse a été hantée de ce souvenir qui me procurait un mélange de plaisir et de honte. Je me suis souvent demandé si cela ne me rendrait pas fou quelque jour. »



Des sensations érotiques si prononcées, pendant la période pré-pubère, sont exceptionnelles sans doute ; néanmoins, si une fausse honte n’empêchait bien des aveux, nous saurions que le nombre est grand de ceux qui, durant leur enfance, ressentirent des impressions sexuelles plus ou moins vagues. Inspirés par le christianisme, les moralistes occidentaux ont jeté l’anathème sur les plaisirs de la chair. Un opprobre accablant pèse sur tout ce qui concerne la procréation ; les organes sexuels sont réputés honteux ; l’union de l’homme et de la femme est entourée d’innombrables restrictions. Dans L’Éducation Sexuelle, un ouvrage qui lui fait honneur, Jean Marestan s’élève contre cette sotte pudibonderie. « Il est, déclare-t-il, un instinct charmant qui porte les femmes, en âge d’aimer, à mettre une certaine réserve dans le don d’elles-mêmes, à dissimuler leurs formes sous des étoffes, dont l’assemblage harmonieux et les couleurs seyantes sont un attrait de plus pour leur beauté. Et cet instinct, qui fait plus désirable encore ce qui semble se refuser aux regards, rend plus savoureux l’accomplissement de la grande loi d’amour. Il est, en outre, chez les hommes et les femmes d’essence supérieure, une sorte de goût raffiné d’isolement et de discrétion, pour ce qui concerne les actes de leur existence intime. Et ils contribuent ainsi, dans les liaisons passionnelles, à relever d’un caractère de troublante séduction ce qui, sans le secours d’un peu de poésie et d’un décor approprié, ne serait plus en soi que l’assez banal assouvissement d’un besoin physiologique. Mais il n’y a pas lieu de confondre ces tendances si compréhensibles de notre être, et qui ne sont point contraires aux exigences d’une vie normale, avec le préjugé grossier, pourtant aujourd’hui si répandu, qui consiste à montrer l’amour sexuel comme une faute, à faire systématiquement des organes de la génération un objet de honte et de mystère. » De ce préjugé, les jeunes gens sont fréquemment victimes à l’époque de la puberté.



Trop de parents oublient que les besoins sexuels sont précoces, qu’ils sont impérieux et obsédants, qu’ils rongent et corrodent, à un âge où l’union des sexes n’est tolérée ni par la coutume, ni par la religion. L’être jeune subit des appels lancinants, douloureux, que l’organisation sociale ne lui permet point de satisfaire et dont, par timidité ou par honte, il n’ose même pas parler. Au prix du martyre de nombre d’individus, la civilisation occidentale tente de dominer l’instinct sexuel ; elle multiplie les interdictions et les défenses qui s’opposent à son développement normal. D’où la fréquence de l’onanisme chez les garçons ; plus de quatre-vingts pour cent s’y livrent ; et dans certains pensionnats religieux, où toute sortie libre est rigoureusement prohibée, c’est à de véritables matches de masturbation que s’adonnent les grands élèves. Ils se soulagent de la sorte, non sans une angoisse inavouée, parce qu’on flétrit violemment ces pratiques devant eux et qu’on assure qu’elles conduisent à de terribles maladies. Menaces imaginaires, les médecins en conviennent aujourd’hui ; seul l’excès est à craindre ; comme, d’ailleurs, il est pareillement à redouter en matière de coït.



Chez le grand nombre, l’accouplement normal fera oublier, plus tard, la masturbation collective ou solitaire ; pourtant, l’onanisme restera familier à quelques-uns, et quelques autres y gagneront des tendances durables à l’homosexualité. Tant que la nature ne réclame rien et que les organes génitaux de l’enfant n’ont pas atteint le développement requis, il serait criminel de l’initier à des pratiques qui compromettraient dangereusement son avenir. Mais il est absurde de vouloir contraindre à la chasteté des jeunes gens dont la virilité vigoureuse, exubérante, pleinement épanouie, réclame impérieusement d’être satisfaite. Voivenel a raison de constater qu’en amour on a la morale de sa chimie, et la chimie de ses glandes à sécrétion interne.



C’est bien vainement que les moralistes officiels prétendent ignorer la nature ; toujours, elle se venge de l’imprudent qui reste sourd à ses appels. Les jeunes filles ont des besoins sexuels moins violents et plus difficiles à éveiller que ceux des garçons. Celles qui se masturbent ne constituent pas une exception rarissime ; la plupart s’arrêtent néanmoins aux paroles tendres, aux caresses et aux baisers mutuels. Beaucoup sont effrayées par le coït et ses conséquences ; elles arrivent moins vite que l’homme à l’orgasme ; la brutalité des premiers contacts, les conséquences douloureuses de l’enfantement leur répugnent. Faute d’une éducation sexuelle suffisante, plusieurs s’adonnent à l’homosexualité d’une façon définitive. Quelques-unes cherchent un refuge dans la dévotion et deviennent la proie d’un mysticisme délirant. Une sensualité qui n’avait rien de céleste se mêlait aux pamoisons béatifiques d’une sainte Thérèse, d’une Marie Alacoque, etc. Chez sainte Thérèse, déclare Leuba, qui a longuement étudié la question, on peut attester la participation des organes sexuels aux jouissances extraordinaires que lui procurait son union avec son fiancé Jésus. « Sainte Marguerite-Marie nous a laissé la peinture la plus sinistre qui se puisse imaginer d’une vierge sexuellement surexcitée depuis l’enfance par des vœux perpétuellement réitérés de chasteté offerte au Christ, son fiancé, et par le sentiment presque ininterrompu de sa présence amoureuse. Son cas est de l’érotomanie nettement caractérisée. Dieu la récompense d’un acte répugnant de maîtrise de soi, en tenant, la nuit suivante, deux ou trois heures « sa bouche collée contre son Sacré-Cœur. À aucun moment, ni de jour ni de nuit, il n’y avait de trêve à l’ardeur de son amour divin ». On voit à quelles déviations peut aboutir l’instinct sexuel mal dirigé. Avec prudence, mais sans réticences dangereuses et déplacées, il convient d’éclairer garçons et filles, lorsque se fait entendre à eux l’appel de la tendance à procréer.

- L. BARBEDETTE.