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QUADRATURE n. f.



Au point de vue géométrique, évaluer l’aire d’une surface, c’est en faire la quadrature. En astronomie, lorsque les longitudes de deux corps célestes différent de 90°, on déclare qu’ils sont en quadrature. Fréquemment, dans le langage ordinaire, on parle de la quadrature du cercle, c’est-à-dire de la réduction du cercle en un carré équivalent. Et, comme il s’agit là d’un problème insoluble, l’expression « chercher la quadrature du cercle » s’emploie surtout concernant des travaux ne pouvant jamais aboutir, des efforts dépensés en pure perte. Or, les hommes ont vite fait de déclarer une chose impossible, lorsqu’elle réclame un labeur trop pénible ou trop long, surtout lorsqu’elle contredit des préjugés traditionnels et d’inavouables intérêts. Les anciens philosophes et les pères de l’Église assuraient que l’abolition de l’esclavage était impossible ; de nos jours, les partisans du régime capitaliste prétendent qu’on ne saurait trouver un système meilleur. Dans le passé, tous les progrès accomplis furent d’abord combattus comme utopiques ; à l’heure actuelle, on condamne des réformes qui se réaliseront dans un avenir prochain. « Matérialisation des désirs humains successifs, écrit L. Barbedette dans Vers l’Inaccessible, application dans le domaine pratique des perfectionnements conçus par la pensée, voilà les causes du progrès. Elles sont réalisées et au-delà, à notre époque, les merveilleuses féeries dont rêvaient nos ancêtres du XIIIe siècle ; nos souhaits en apparence les plus impossibles seraient probablement satisfaits, si nous ressuscitions en l’an cinq mille. Alors, d’autres aspirations auront surgi qui, pour rendre effectives les transformations espérées, demanderont des siècles de travail à leur tour.



« Lentement, notre espèce s’évade des bas-fonds où elle naquit et gagne les sommets, toujours plus élevés, que l’imagination, d’avance, avait décrits. Cette marche à l’infini deviendrait rapide sans les obstacles que suscitent sottise ou malignité. Durant des millénaires, négligeant de dompter la nature par un effort persévérant, les hommes eurent confiance en de vaines prières ; trompés par les mensonges théologiques, ils comptaient sur les dieux, non sur eux-mêmes. Si notre espèce échoue dans sa mission rédemptrice, si elle est vaincue finalement par les forces cosmiques, elle le devra aux religions. Quand l’heure viendra des cataclysmes ultimes, la science de nos descendants sera-t-elle assez grande pour qu’ils ne succombent pas ? Espérons-le ; mais repoussons les joies mystiques qui nous détourneraient de la bonne voie. Et ne comptons ni sur des gouvernants, pour qui le nec plus ultra de la grandeur souveraine consiste à gaspiller milliards et vies humaines, afin de reculer les bornes d’une frontière, ni sur de fausses aristocraties qu’intéressent exclusivement les jeux surannés de la politique ou les spéculations financières. Au regard de l’immense tragédie cosmique, dont nous sommes pour de courtes années et les acteurs et les témoins, combien mesquines de pareilles préoccupations ! »



Quand on reproche aux anarchistes de chercher la quadrature du cercle, de vouloir l’impossible, ils auraient donc tort de se laisser émouvoir. Ce reproche fut adressé successivement à tous ceux qui, dans un domaine quelconque, apportèrent des vues neuves et des suggestions originales. Disparition de l’autorité, du capitalisme, de la religion, du militarisme, suppression des multiples injustices présentes sont parfaitement réalisables, et même pour un avenir prochain, si nous savons le vouloir avec énergie et ténacité.